En 2022, l’implication directe d’un membre permanent dans un conflit armé majeur a encore aggravé les blocages au Conseil de sécurité
Le Conseil de sécurité, qui avait su adapter en 2020 ses méthodes de travail pour continuer de fonctionner au plus fort de la pandémie de COVID-19, a été confronté en 2022 à un défi d’une tout autre ampleur avec l’implication directe de l’un de ses membres permanents dans un conflit armé majeur. Bloqué sur le conflit ukrainien, plus divisé que jamais sur de nombreux autres sujets dans une ambiance souvent délétère, le Conseil est néanmoins parvenu en fin d’année à adopter un texte important sur les exceptions humanitaires aux régimes de sanctions, lesquels ont fait l’objet d’une contestation de plus en plus vive.
Conséquence des divisions du Conseil, un tiers des 54 résolutions adoptées lors de ses 276 séances publiques ne l’ont pas été à l’unanimité, une proportion sans précédent. Les « reports techniques » faute d’accord ont été nombreux. Seules sept déclarations présidentielles, qui exigent l’agrément des 15 membres, ont été adoptées, un niveau historiquement bas.
L’invasion de l’Ukraine par les forces armées russes le 24 février a entraîné le blocage complet du Conseil sur toute question relative au conflit, du fait de l’opposition frontale entre les membres permanents. La Fédération de Russie a utilisé son droit de veto par deux fois sur le sujet: le 25 février, immédiatement après l’invasion, puis le 30 septembre, après l’annexion de territoires ukrainiens. Deux projets de résolution russes, l’un « humanitaire », l’autre lié à des allégations de violations de la Convention sur les armes biologiques, ont été rejetés faute du moindre soutien, Chine exceptée. Outre le renvoi des questions à l’Assemblée générale au titre de la résolution 377 (V) dite « L’Union pour le maintien de la paix », cette impasse a relancé les appels à une réforme au Conseil de sécurité et du droit de veto.
Les 43 séances publiques consacrées à la situation en Ukraine -un nombre record- ont le plus souvent donné lieu à des accusations réciproques, voire des invectives, entre d’un côté la Fédération de Russie et de l’autre un bloc constitué des États-Unis et des membres européens du Conseil, tandis que la Chine appelait au calme en affichant une certaine neutralité et que les autres membres élus oscillaient entre soutien à l’Ukraine et tentatives de relancer le processus diplomatique, sans jamais rejoindre la position russe.
Le conflit en Ukraine a débordé bien au-delà des séances consacrées à ce pays. Ses implications mondiales ont suscité ou dominé de nombreux débats thématiques et entraîné des répercussions sur la situation de pays inscrits à l’ordre du jour du Conseil parfois fort éloignés, du fait de ses conséquences énergétiques, alimentaires et économiques, susceptibles d’aggraver les crises existantes ou de compromettre le redressement en cours. La crainte de voir les ressources allouées aux appels humanitaires réorientées au profit de l’Ukraine a été exprimée à de multiples reprises.
Les tensions entre membres permanents n’ont pas non plus favorisé l’esprit de compromis nécessaire à la résolution d’autres crises. Le très fragile consensus sur le programme nucléaire de la République populaire démocratique de Corée, qui avait permis l’adoption en 2017-2018 de sanctions particulièrement sévères, a été rompu en mai par un double veto russo-chinois lorsque les États-Unis ont voulu les aggraver encore. Le fait que le Conseil ait pu adopter en fin d’année une résolution, même non consensuelle, sur le Myanmar, fait figure d’exception bien que ce texte de compromis a été considéré par plusieurs membres comme manquant d’ambition. Parmi les situations de pays examinées, seule l’évolution de la Colombie a semblé renforcer un consensus au sein d’un Conseil déjà très favorable.
Les désaccords au sein du Conseil ne se sont pas limités aux membres permanents. À l’exception de l’Albanie, tous les membres élus se sont abstenus au moins une fois sur un texte adopté. Les trois membres africains -les A3– ont été à l’origine de 15 des 49 abstentions enregistrées. Croissante depuis trois ans, la coordination de ces pays, illustrée par des déclarations conjointes systématiques sur les questions africaines -sauf en cas de débat de haut niveau- ne s’est toutefois pas toujours retrouvée lors des votes.
Beaucoup des abstentions ont été enregistrées lors du renouvellement de régimes de sanctions, combattus de longue date par la Chine et la Fédération de Russie et contestés par plusieurs membres élus. Sous la pression notamment des A3, le Conseil a évolué sur le cas particulier des restrictions aux livraisons d’armes à destination de gouvernements africains légitimes confrontés à des groupes armés. Ainsi, le régime d’embargo sur les armes à destination de la République centrafricaine a été très largement levé, ceux concernant le Soudan du Sud et la Somalie ont été allégés et le régime de notification de livraison d’armes au Gouvernement de la République démocratique du Congo, aboli. L’élargissement des motifs de sanctions contre les houthistes au Yémen a provoqué l’abstention de l’Irlande, de la Norvège, du Brésil et du Mexique, membres parmi les plus soucieux de parvenir à des compromis consensuels.
Le Conseil a trouvé un terrain d’entente sur la question des exemptions humanitaires aux sanctions. Après un débat tenu en février sur la prévention des conséquences humanitaires involontaires des sanctions, il a adopté le 9 décembre la résolution 2664 (2022), qui établit de telles exemptions pour l’ensemble des 15 régimes de sanctions en vigueur. Ce texte majeur a suivi l’adoption par le Conseil de son premier nouveau régime de sanctions ciblées depuis 2017, qui vise les groupes armés qui font régner la terreur en Haïti et y ont semé un chaos jugé menaçant pour la paix et la sécurité internationales.
Le Conseil a adopté une résolution sur la santé mentale du personnel de maintien de la paix qui, avec ses textes sur les exemptions humanitaires et le Myanmar, constitue ses seules vraies nouvelles décisions de fond de l’année. La plupart des autres résolutions adoptées n’ont fait que reconduire ou adapter des régimes ou des mandats de missions existants, souvent sans modifications substantielles, sauf pour la Mission d’assistance des Nations Unies en Afghanistan. Aucune nouvelle mission de paix de l’ONU n’a été créée, ni fermée. En revanche, le Conseil de sécurité a entériné le 31 mars la transformation de la Mission de l’Union africaine en Somalie (AMISOM) en Mission de transition de l’Union africaine en Somalie (ATMIS). Il a aussi abrogé, en février, le mandat de la Commission d’indemnisation des Nations Unies créée en 1991 à la fin du conflit iraquo-koweïtien, mettant ainsi un point final aux réparations dues par l’Iraq dans le cadre d’un processus largement considéré comme une réussite en matière de reconstruction et de réconciliation postconflit.
COMPOSITION DU CONSEIL DE SÉCURITÉ EN 2022
Outre ses cinq membres permanents –Chine, États-Unis, Fédération de Russie, France et Royaume-Uni– le Conseil de sécurité était composé en 2022 des 10 membres élus suivants: Albanie, Brésil, Émirats arabes unis, Gabon, Ghana, Inde, Irlande, Kenya, Mexique et Norvège.
La présidence mensuelle du Conseil de sécurité, qui tourne en fonction du nom de ses membres suivant l’ordre alphabétique en anglais, a été assumée dans l’ordre suivant:
Janvier: | Norvège |
Février: | Fédération de Russie |
Mars: | Émirats arabes unis |
Avril: | Royaume-Uni |
Mai: | États-Unis |
Juin: | Albanie |
Juillet: | Brésil |
Août: | Chine |
Septembre: | France |
Octobre: | Gabon |
Novembre: | Ghana |
Décembre: | Inde |
Entrés au Conseil le 1er janvier 2022 pour un mandat de deux ans, l’Albanie, le Brésil, les Émirats arabes unis, le Gabon et le Ghana restent membres en 2023.
Membres depuis le 1er janvier 2021, l’Inde, l’Irlande, le Kenya, le Mexique et la Norvège ont quitté le Conseil le 31 décembre 2022. Ces États sont remplacés par l’Équateur, le Japon, Malte, le Mozambique et la Suisse, élus par l’Assemblée générale le 9 juin 2022 pour un mandat de deux ans à compter du 1er janvier 2023.
La documentation relative au Conseil de sécurité est disponible sur le lien Internet suivant: http://www.un.org/fr/sc/.
NOTE EXPLICATIVE
Le résumé des activités du Conseil est fait en fonction des thématiques réellement abordées lors de chaque séance. Si celles-ci correspondent le plus souvent à l’intitulé officiel de l’ordre du jour, parfois sous une forme simplifiée, certaines réunions ont été déplacées sous un thème correspondant plus précisément au sujet ou par souci de cohérence. C’est le cas en particulier cette année d’une partie des séances dédiées à la situation en Ukraine, qui ont été traitées sous l’intitulé officiel: « Menaces contre la paix et la sécurité internationales » mais sont analysées ici sous la rubrique « Ukraine ». De même, les séances consacrées aux activités de l’UNITAD en Iraq sont traitées dans la rubrique « Iraq ».
En outre, l’ordre de présentation des séances consacrées aux situation de pays ou de région a été modifié cette année. Pour la première fois depuis des années, le Conseil a en effet consacré moins de séances publiques à la situation en Syrie qu’à un autre pays: l’Ukraine. L’Europe a donc été placée en tête des situations de pays, suivie par ordre alphabétique de l’Afrique, de l’Amérique latine, de l’Asie et du Moyen-Orient. Les questions thématiques restent traitées en seconde partie.
En l’absence d’indication contraire, les résolutions de 2022 citées ont été adoptées à l’unanimité.
PREMIÈRE PARTIE: SITUATIONS DE PAYS
EUROPE
Ukraine
- 43 séances publiques: 31 janvier, 17 février, 21 février, 23 février, 25 février, 27 février, 28 février, 4 mars, 7 mars, 11 mars, 17 mars, 18 mars, 23 mars, 29 mars, 5 avril, 11 avril, 19 avril, 5 mai, 6 mai, 12 mai, 13 mai, 6 juin, 21 juin, 28 juin, 29 juillet, 11 août, 23 août, 24 août, 6 septembre, 7 septembre, 8 septembre, 22 septembre, 27 septembre, 30 septembre (vote), 30 septembre (briefing), 21 octobre, 27 octobre, 31 octobre, 2 novembre, 16 novembre, 23 novembre, 6 décembre, 9 décembre
- 1 résolution: 2623 (2022)
- 1 déclaration présidentielle: PRST/2022/3
Voir aussi: Menaces contre la paix et la sécurité internationales, Coopération entre l’ONU et les organisations régionales et sous-régionales
Le conflit provoqué par l’invasion de l’Ukraine par l’armée de la Fédération de Russie le 24 février a, dès son déclenchement, dominé les travaux du Conseil de sécurité. L’Ukraine a été, de loin, la question la plus examinée par le Conseil en 2022, avec 43 séances publiques dédiées, soit plus de 15% du total. Certaines séances ont été tenues sous la rubrique des « menaces contre la paix et la sécurité internationales ». Les autres l’ont été dans un premier temps au titre des lettres adressées en 2014 au Secrétaire général par le représentant de la Fédération de Russie et par le représentant de l’Ukraine puis, à partir du 11 avril, sous l’intitulé « Maintien de la paix et de la sécurité de l’Ukraine ».
L’Ukraine est apparue au programme du Conseil de sécurité en février 2014 dans le sillage de la « révolution de Maïdan », mouvement de protestation contre l’abandon de l’orientation pro-européenne du pays par le Président Viktor Ianoukovytch au profit d’un rapprochement avec la Russie, dans un contexte de quasi-faillite de l’État. Saluée en Occident comme une révolution démocratique, le mouvement sera toujours présenté par la Fédération de Russie comme un coup d’État mené avec l’aide de groupes d’extrême droite. Il aboutit au départ du Président Ianoukovytch et à l’élection en mai de Petro Porochenko, pro-occidental. Dans les régions de l’est du pays à majorité russophone, le Mouvement de Maïdan est rejeté et la Crimée rejoint la Fédération de Russie à l’issue d’un référendum non reconnu internationalement, puis celle des régions de Donetsk et de Louhansk (Lougansk en russe) qui proclament leur indépendance, non reconnue. La situation en Ukraine, et le conflit armé qui s’engage alors, sera examiné 16 fois en 2014 et au début de 2015 par le Conseil de sécurité, qui sera sollicité pour approuver à l’unanimité, par sa résolution 2202 (2015) du 17 février 2015, « l’ensemble de mesures en vue de l’application des accords de Minsk adoptées et signées à Minsk le 12 février 2015 », parmi lesquelles un cessez-le-feu violé ensuite plusieurs centaines de fois par an. Entre février 2015 et fin 2021, le Conseil tiendra encore 13 séances sur l’Ukraine, dont une chaque année à la mi-février à l’occasion de l’anniversaire des accords de Minsk, tantôt à la demande de l’Ukraine –qui, par ailleurs, a siégé au Conseil comme membre élu en 2016 et 2017– tantôt à celle de la Fédération de Russie. L’exposé annuel devant le Conseil du Président en exercice de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), qui entretenait depuis 2014 et jusqu’à son départ en mars 2022 une « mission spéciale d’observation » en Ukraine, donnait également l’occasion aux membres du Conseil d’aborder la crise ukrainienne.
Les tensions croissantes entre l’Ukraine et la Fédération de Russie et l’accumulation par celle-ci de forces militaires près de la frontière ukrainienne, y compris au Bélarus, amenaient les États-Unis à demander une réunion au titre des « menaces contre la paix et la sécurité internationales » le 31 janvier, juste avant que la Fédération de Russie ne prenne la présidence mensuelle du Conseil. Celle-ci dénonçait « une tentative de tromper la communauté internationale » sur la nature des tensions et tentait de faire annuler la séance par un vote de procédure, mais l’ordre du jour était adopté par 10 voix pour, 2 contre (Chine et Fédération de Russie) et 3 abstentions (Gabon, Inde et Kenya). Les États-Unis qualifiaient de « dangereuse » la situation à la frontière ukrainienne et rappelaient que le Conseil n’avait pas seulement pour objectif de traiter des conflits, mais aussi de les prévenir. Le Royaume-Uni voyait dans le déploiement des forces russes « la mobilisation militaire la plus importante en Europe depuis des décennies ». « Nos collègues occidentaux veulent la désescalade, mais ce sont eux qui nourrissent les tensions avec leurs discours et provocations », rétorquait le représentant russe, tandis que la Chine regrettait qu’une « diplomatie du micro » ait été préférée à la discrétion. La plupart des membres du Conseil appelaient au dialogue diplomatique sous divers formats.
Le 17 février se tenait la séance annuelle à l’occasion de l’anniversaire des accords de Minsk. La Secrétaire générale adjointe aux affaires politiques Rosemary DiCarlo constatait que les tensions « en Ukraine et autour de l’Ukraine » n’avaient jamais été aussi élevées depuis 2014. Un représentant de l’OSCE faisait état de deux fois plus de violations du cessez-le-feu depuis le début de l’année que durant la même période de 2021. Le Secrétaire d’État des États-Unis, Anthony Blinken, accusait la Fédération de Russie d’être prête à utiliser n’importe quel prétexte pour justifier une offensive militaire contre l’Ukraine, tout en suggérant diverses initiatives diplomatiques. Le Vice-Ministre des affaires étrangères russe, Sergey Vershinin, parlait d’« insinuations sans fondement, regrettables parce qu’elles ajoutent de la tension à une atmosphère déjà tendue ». Pour lui, elles ne visaient qu’à « minimiser l’importance des pourparlers de longue date sur les garanties de sécurité juridiquement contraignantes » que la Russie avaient exigées de la part de l’OTAN et des États-Unis. Il reprochait à l’Ukraine de refuser tout dialogue direct avec les représentants séparatistes de Donetsk et « Lougansk », en violation des accords de Minsk. L’Irlande et la France appuyaient la position de l’Ukraine, pour qui l’appel lancé deux jours plus tôt par le Parlement russe au Président Putin pour reconnaître l’indépendance des « républiques populaires de Donetsk et de Lougansk » équivaudrait, s’il était suivi, au retrait délibéré de la Russie des accords de Minsk et à l’abandon de la voie diplomatique. M. Vershinin parlait de « spéculations inutiles ».
Le 21 février, le Président Putin reconnaissait l’indépendance des deux « républiques » séparatistes. À la demande de l’Ukraine, le Conseil se réunissait de nouveau. Mme DiCarlo rappelait que le Secrétaire général avait qualifié cette décision de « violation de l’intégrité territoriale et de la souveraineté de l’Ukraine, contraire aux principes de la Charte des Nations Unies ». Elle ajoutait que la décision risquait d’avoir « des répercussions régionales et mondiales ». Les États-Unis estimaient que le Président Putin, après avoir réduit à néant les accords de Minsk, « ne s’arrêterait pas là ». Le Royaume-Uni annonçait des sanctions contre la Fédération de Russie, qu’il exhortait à « faire un pas en arrière ». La majorité des membres du Conseil réitéraient leur soutien à l’intégrité territoriale de l’Ukraine et appelaient à la désescalade et aux solutions diplomatiques. La Fédération de Russie justifiait sa décision par le « refus obstiné de Kiev de dialoguer directement avec les représentants de Donetsk et de Lougansk, alors que cette exigence est un élément central et structurel » des accords de Minsk. Elle déplorait le rôle « extrêmement négatif » joué par les pays occidentaux, États-Unis en tête, accusés d’« alimenter une panique sans fondement à propos de l’invasion soi-disant imminente de l’Ukraine » tout en envoyant sans vergogne des armes et des instructeurs dans ce pays, l’encourageant ainsi à « se livrer à des provocations armées contre la région du Donbass ».
Le Conseil se réunissait de nouveau le 23 février, en soirée. En début de séance, le Secrétaire général, s’adressant directement au Président Putin, déclarait: « Empêchez vos troupes d’attaquer l’Ukraine et donnez une chance à la paix; trop de gens sont déjà morts ». La réunion de ce soir vise à demander à la Fédération de Russie d’éviter la guerre alors que depuis des mois, elle tient un pistolet contre la tempe de l’Ukraine, expliquait le représentant du Royaume-Uni. Les États-Unis assuraient l’Ukraine de leur « soutien indéfectible ». Alors que plusieurs membres du Conseil, dont la Chine et l’Inde, appelaient à la désescalade et à la retenue, était annoncée en pleine réunion l’entrée en Ukraine des forces armées russes, que confirmait le représentant russe, qui parlait d’une « opération militaire spéciale ». La Fédération de Russie n’a pas dans ses plans d’occuper l’Ukraine; ce que nous voulons, c’est la démilitarisation et la « dénazification » du pays, ajoutait-il. « Vous avez déclaré la guerre », répondait le représentant de l’Ukraine, « et il est désormais de la responsabilité de ce Conseil d’y mettre fin ».
Dès l’annonce de l’invasion, les États-Unis et l’Albanie avaient annoncé le dépôt d’un projet de résolution pour la condamner. Le 25 février, le projet de résolution, coparrainé par 81 États Membres, était soumis au vote. Il visait à « déplorer dans les termes les plus énergiques » l’agression de la Fédération de Russie contre l’Ukraine et à décider qu’elle retire « immédiatement, complètement et sans condition » toutes ses forces militaires du territoire ukrainien. La Fédération de Russie mettait son veto au texte, qui obtenait 11 voix en sa faveur, alors que la Chine, les Émirats arabes unis et l’Inde s’abstenaient. La France lançait: « la Russie est seule », et plusieurs membres élus dénonçaient le recours au droit de veto par un membre permanent sur un sujet dans lequel il est directement impliqué. Ce premier vote annonçait aussi que, si la Russie ne parvenait pas à s’allier d’autres membres du Conseil, les membres non européens de celui-ci n’étaient pas alignés sur la position des « Occidentaux ».
La Fédération de Russie expliquait avoir voté contre un texte non seulement « antirusse » mais aussi « anti-ukrainien », puisqu’il « essayait de sauver et de consolider en Ukraine un système de pouvoir qui a fait sombrer ce pays dans une tragédie qui dure depuis au moins huit ans ». Elle reprochait aussi au projet de résolution d’avoir omis de « préciser comment la junte de Maïdan » avait « déclenché une guerre contre les habitants de l’est du pays » ainsi que « la manière dont les autorités ukrainiennes, en connivence avec leurs parrains occidentaux, se sont constamment et cyniquement soustraites à leur responsabilité de mettre en œuvre les accords de Minsk, dont l’élément central était le dialogue direct avec les habitants de l’est du pays ». L’Inde et les Émirats arabes unis expliquaient leur abstention par l’abandon de la voie diplomatique, à laquelle ils invitaient à revenir. La Chine estimait que toute réaction du Conseil devait « être empreinte de la plus grande prudence » et que toute mesure prise devait « contribuer véritablement à désamorcer la crise et non jeter de l’huile sur le feu ».
Les États-Unis annonçaient aussitôt que la question serait portée devant l’Assemblée générale, « où le veto russe ne s’applique pas et où les nations du monde peuvent, vont et devraient demander des comptes à la Russie et exprimer leur solidarité avec l’Ukraine ».
Le 27 février, c’est par un vote de procédure sans droit de veto que le Conseil, toujours par 11 voix pour, une voix contre et 3 abstentions des mêmes États, adoptait la résolution 2623 (2022). « Considérant que l’absence d’unanimité parmi ses membres permanents lors de sa 8979e séance l’a empêché d’exercer sa responsabilité principale en matière de maintien de la paix et de la sécurité internationales », il décidait de « convoquer une session extraordinaire d’urgence de l’Assemblée générale pour examiner la question ». Les États-Unis voyaient dans l’adoption du texte « un pas important vers l’application du principe de responsabilité ». La France rappelait que « le Conseil de sécurité reste saisi » et annonçait la tenue d’une nouvelle séance du Conseil consacrée à la situation humanitaire en Ukraine, à l’occasion de laquelle elle entendait, conjointement avec le Mexique, déposer un projet de résolution « afin de garantir un accès humanitaire sans entrave, pour répondre aux besoins urgents des populations restées en Ukraine ».
Bloqué dans son rôle de garant de la paix, le Conseil allait se tourner vers l’examen des conséquences humanitaires du conflit, tandis qu’apparaissaient les premières accusations de crimes de guerre commis par les forces russes, que se posait la question de la sûreté des centrales nucléaires ukrainiennes et que la Fédération de Russie lançait des accusations relatives à des programmes d’armes biologiques qu’elle prétendait avoir découverts en Ukraine.
Le 28 février, le Conseil entendait pour la première fois sur la crise ukrainienne le Secrétaire général adjoint aux affaires humanitaires Martin Griffith, ainsi que le Chef du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) Filippo Grandi. Le 7 mars, il recevait la Directrice générale de l’UNICEF, Catherine Russel et, de nouveau, M. Griffiths, qui fixait trois « priorités immédiates »: protéger les civils, garantir un passage sûr pour les fournitures humanitaires, et mettre en place un système de communication constante avec les parties au conflit. Le 17 mars, il entendait de nouveau des responsables du HCR, ainsi que de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS).
Le 14 mars, France et Mexique renonçaient à obtenir un accord au Conseil sur leur projet de résolution humanitaire, qualifié de « texte politique » par la Fédération de Russie, et le présentaient à l’Assemblée générale, où il serait adopté à une large majorité le 24 mars. La Fédération de Russie annonçait qu’elle allait présenter son propre projet de texte, qui donnait lieu à de vifs échanges lors de la séance du 17 mars. L’Albanie le qualifiait de « record d’hypocrisie » et le Royaume-Uni d’« acte pervers ». La France appelait à ne pas le soutenir, sous peine de donner un blanc-seing à la Russie pour qu’elle poursuive la guerre.
Après avoir suspendu son texte tout en dénonçant la « pression incessante » des pays occidentaux sur les autres délégations, la Fédération de Russie le soumettait au vote le 23 mars. Appelant notamment à un « cessez-le-feu négocié » pour permettre l’évacuation des civils, le texte n’obtenait que 2 voix en sa faveur (Fédération de Russie et Chine) contre 13 abstentions. L’Irlande parlait d’un « détournement cynique du système multilatéral par l’agresseur ». La Norvège estimait qu’une partie à un conflit ne pouvait s’attendre à être perçue comme neutre devant le Conseil, ni être l’auteur de projets de textes, ni participer à un vote relatif à un conflit auquel elle est partie.
Le Conseil continuait d’examiner différentes conséquences humanitaires du conflit. Le 29 mars, il entendait des responsables du Programme alimentaire mondial (PAM) et du Bureau de la coordination des affaires humanitaires (OCHA). Le 19 avril, c’est à nouveau le HCR ainsi que l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) qui venaient expliquer les risques encourus par les populations vulnérables à la violence, à l’exploitation et aux abus, en particulier femmes et enfants. Le 5 mai, le Conseil entendait la Haute-Commissaire aux droits de l’homme Michelle Bachelet ainsi que le Secrétaire général, de retour de Russie et d’Ukraine où il avait rencontré successivement les Présidents Putin et Zelenskyy pour organiser l’évacuation des civils piégés dans l’aciérie Azovstal de Marioupol, assiégée par l’armée russe. Le 6 mai, le Conseil publiait une brève déclaration présidentielle pour affirmer son ferme soutien aux « efforts déployés par le Secrétaire général afin de parvenir à une solution pacifique ». Le 12 mai, il revenait sur l’opération d’évacuation et s’intéressait plus spécialement au sort du conflit sur les enfants. Le 6 juin, c’est la Représentante spéciale du Secrétaire général chargée de la question des violences sexuelles commises en période de conflit, Camilla Pratten, qui viendrait parler d’une « crise de la traite des êtres humains ».
Les accusations de crimes de guerre commis par les forces russes avaient commencé très tôt. Elles prenaient de l’ampleur lorsque, confrontée à la résistance inattendue de l’armée ukrainienne, l’armée russe opérait ses premiers replis, d’abord dans la région de Kiev. L’annonce de massacres commis en mars autour de Boutcha provoquait une séance du Conseil le 5 avril, marquée par la première intervention devant le Conseil, en visioconférence, du Président Zelenskyy, qui exigeait que tous ceux ayant donné ces « ordres criminels » soient jugés « comme ce fut le cas à Nuremberg » et exhortait à réformer le système des Nations Unies « afin que le droit de veto ne soit pas le droit de tuer ». La plupart des membres du Conseil estimaient qu’avec les images de charniers et d’exactions de masse contre des civils, « la guerre d’agression que la Russie livre contre l’Ukraine avait franchi un nouveau cap dans l’horreur ». Le représentant russe parlait de « véritables mises en scène criminelles de civils ukrainiens tués par leurs propres radicaux » et jugeait « totalement inacceptable et honteux de penser même que l’armée russe puisse être capable de faire ce dont on l’accuse ». Il affirmait que l’armée russe était venue en Ukraine « pour apporter une paix longtemps attendue dans le Donbass en sang – pas une trêve, mais une vraie paix durable » et ajoutait: « Pour ce faire, il faut retirer cette tumeur maligne nazie qui dévore l’Ukraine ». L’Irlande jugeait « consternantes de par leur cynisme » les déclarations russes. Pour le Kenya, la contestation des faits était « le signe le plus probant que des violations des droits humains plus généralisées risquent fortement d’être commises » et dressait un parallèle avec le Rwanda en 1994.
Une autre séance se déroulait sur le même ton le 11 avril, après le lourd bilan -une cinquantaine de civils tués- d’un tir d’un missile sur la gare ferroviaire de Kramatorsk. Y intervenait en outre la Directrice exécutive d’ONU-Femmes qui appelait à la participation des femmes au règlement du conflit.
La Conseillère spéciale du Secrétaire général pour la prévention du génocide était entendue par le Conseil le 21 juin, à l’occasion d’une séance tenue sous l’angle de « l’incitation à la violence conduisant à des atrocités ». Les États-Unis dénonçaient les efforts de Moscou pour déformer l’histoire à ses propres fins politiques. « La vraie incitation à la haine est le fait de ces pays qui se livrent à une russophobie frénétique », répliquait le représentant russe, qui présentait un inventaire de rhétoriques haineuses antirusses de la part de dirigeants ukrainiens et accusait les pays occidentaux de mener « une guerre par adversaires interposés contre la Russie jusqu’au dernier Ukrainien ».
Après une nouvelle série de frappes russes contre des civils, le Président Zelenskyy s’adressait de nouveau au Conseil le 28 juin. S’interrogeant sur « l’impunité dont bénéficie un État devenu terroriste », il demandait au Conseil de « priver la délégation russe de la possibilité de manipuler l’ONU » et appelait à « faire en sorte qu’il soit impossible pour la Russie de rester au Conseil de sécurité tant que ses activités terroristes se poursuivent ». Tous les sites où se trouvent des armes et mercenaires étrangers sont des « cibles légitimes », rétorquait le représentant russe, qui accusait l’Ukraine d’entreposer des armes dans les centres urbains pour utiliser la population comme bouclier humain.
Le Conseil allait encore dédier plusieurs séances aux allégations de violations des droits humains et d’atrocités imputées à la Fédération de Russie.
Le 7 septembre, il examinait plus spécialement les allégations persistantes de déplacements forcés, y compris d’enfants non accompagnés, de déportations et de « camps de filtration » dans les zones occupées par la Fédération de Russie sur le territoire ukrainien.
Le 22 septembre, la séance de haut niveau du Conseil tenue en marge du débat général de l’Assemblée générale portait sur la lutte contre l’impunité en présence du Procureur de la Cour pénale internationale (CPI), qui affirmait que la collecte d’éléments de preuve de ses équipes en Ukraine n’avait d’autre objectif que de « percer le brouillard de la guerre afin de pouvoir réellement présenter la vérité à une instance judiciaire », sans aucune motivation politique. « Nous n’avons plus une once de confiance » en la CPI, répliquait le Ministre des affaires étrangères russe Sergueï Lavrov, qui affirmait notamment qu’à « ce jour, les crimes commis par Maïdan en février 2014 restent impunis » de même que ceux commis pendant huit ans contre les habitants du Donbass et qualifiait de « crise d’hystérie » la réaction des Occidentaux après l’annonce des atrocités de Boutcha, qu’il dénonçait de nouveau comme une mise en scène.
D’avril à juin, les présidences tournantes du Conseil, assumées successivement par le Royaume-Uni, les États-Unis et l’Albanie, avaient été très sensibles aux positions ukrainiennes. En juillet, la présidence brésilienne abordait différemment le sujet. Lors de sa conférence de presse d’entrée en fonctions, le représentant du Brésil affirmait à plusieurs reprises que la seule manière de trouver des solutions aux graves problèmes dont traite le Conseil était d’amener les parties à la table des discussions et non d’échanger accusations ou invectives comme cela avait été le cas depuis des semaines lors des séances publiques sur l’Ukraine. Il n’en prévoyait donc aucune, souhaitant attendre « le meilleur moment » pour engager davantage le Conseil, auquel il reprochait d’avoir « sous-performé » dans l’exercice de son mandat de maintien de la paix concernant l’Ukraine. Il souhaitait aussi que le Conseil se concentre sur un élément particulier de la crise: la sécurité alimentaire.
Celle-ci était directement affectée, dans le monde entier, par le conflit en Ukraine et les responsables de l’OCHA et du PAM s’en étaient alarmés au Conseil dès le 29 mars. La guerre empêchait en effet les exportations des céréales d’Ukraine, « grenier à blé du monde », mais aussi celles des céréales et des engrais russes, malgré des exemptions aux sanctions imposées à la Fédération de Russie par tous les États occidentaux. Cette situation avait fait flamber le prix des denrées alimentaires et des engrais, devenus soit indisponibles, soit inaccessibles en raison de leur coût. La crise affectait nombre de pays africains et jusqu’en Asie, provoquant des risques de disette ou d’émeutes sociales, dont Fédération de Russie et Ukraine se rejetaient la responsabilité.
Les négociations entamées très tôt par le Secrétaire général de l’ONU avec l’appui de la Türkiye, qui contrôle l’accès à la mer Noire, permettaient de signer le 22 juillet l’Initiative céréalière de la mer Noire, accord conclu entre la Fédération de Russie, l’Ukraine, la Türkiye et l’ONU pour 120 jours et renouvelable, qui devait contribuer à combler les problèmes d’approvisionnement. La seule séance sous présidence brésilienne, le 29 juillet, permettait donc aux membres du Conseil de se féliciter de cette « lueur d’espoir » et de plaider pour une mise en œuvre rapide et efficace des accords afin d’aider à la stabilisation des prix internationaux. Ce qui n’empêchait pas les adversaires de poursuivre accusations et invectives.
L’invasion russe allait poser une autre menace: celle de possibles dommages aux centrales nucléaires ukrainiennes. Plus que la très symbolique centrale de Tchernobyl, occupée durant le premier mois de son offensive par l’armée russe puis abandonnée lors de son retrait de la région de Kiev, c’est la centrale de Zaporijia (Zaporojie en russe), la plus grande du pays, qui serait au centre de l’attention. Un bombardement dans l’enceinte de la centrale dans la nuit du 3 au 4 mars provoquait une première réunion du Conseil le 4 mars. Si le Directeur général de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), Rafaël Grossi, rassurait le Conseil sur l’absence d’émissions radioactives, la grande majorité de ses membres soulignaient que les infrastructures nucléaires ne devaient en aucun cas faire partie des cibles du conflit. Ukraine et Fédération de Russie se renvoyaient la responsabilité des tirs. La Chine invitait la communauté internationale à « garder son sang-froid, rester rationnelle et adopter une attitude responsable, impartiale et objective », et les parties concernées à agir « avec une grande prudence » et à s’efforcer, avec l’assistance technique de l’AIEA, de « garantir conjointement la sûreté des installations nucléaires concernées en Ukraine ».
La centrale était de nouveau touchée dans la nuit du 5 au 6 août. Le Conseil se réunissait le 11 août à la demande de la Fédération de Russie. Face aux membres du Conseil alarmés, Russes et Ukrainiens s’accusaient réciproquement. M. Grossi demandait la coopération des deux parties pour que l’AIEA puisse dépêcher « dans les plus brefs délais », une mission d’expertise à la centrale. Il constatait que, malgré leurs divergences, les membres du Conseil étaient d’accord sur la nécessité de cette inspection et ajoutait: « La question est de savoir quand ». Les bombardements continuaient dans la région et la Fédération de Russie demandait une nouvelle réunion, qui avait lieu le 23 août, lors de laquelle elle était de nouveau accusée de tenter de manipuler le Conseil et de pratiquer la désinformation à grande échelle. Le Secrétariat rappelait l’appel lancé quelques jours plus tôt par M. Guterres à la démilitarisation du site et de ses abords.
M. Grossi et son équipe accédaient au site le 1er septembre. Le Directeur de l’AIEA présentait son rapport le 6 septembre devant le Conseil, en présence du Secrétaire général. « Nous jouons avec le feu, et quelque chose de catastrophique pourrait se produire », lançait M. Grossi, avant de proposer la création d’une « zone de protection de la sûreté et de la sécurité nucléaires, limitée au périmètre de la centrale et à l’installation elle-même ». Sans répondre directement à la proposition de M. Grossi, Fédération de Russie et Ukraine disaient vouloir assurer la sécurité et le bon fonctionnement de la centrale et vantaient leur coopération avec l’AIEA tout en s’accusant mutuellement d’avoir cherché à perturber la visite et de mettre la centrale en danger
Parallèlement, le Conseil était saisi d’une autre question par la Fédération de Russie qui, le 11 mars, accusait les États-Unis de soutenir des programmes biologiques militaires en Ukraine, dont des preuves auraient été découvertes par les forces russes. Les accusations étaient rejetées avec force par les États-Unis, qui dénonçaient une campagne de désinformation. Beaucoup d’autres membres se montraient sceptiques et rappelaient que des accusations aussi graves devaient être soigneusement étayées par des preuves solides émanant d’un organisme indépendant. « L’ONU n’a connaissance d’aucun programme d’armes biologiques », précisait la Haute-Représentante pour les affaires de désarmement, Izumi Nakamitsu. La Fédération de Russie revenait toutefois à la charge le 18 mars, puis le 13 mai, suscitant les mêmes réactions. La Chine appelait néanmoins à prendre les accusations au sérieux, de même que le Brésil, qui rappelait qu’il faudrait présenter des preuves scientifiques à une autorité compétente, conformément aux dispositions de la Convention sur les armes biologiques.
Après avoir obtenu une réunion consultative formelle au titre de la Convention du 5 au 9 septembre, à l’issue de laquelle les États parties ne parvenaient pas à un consensus face à ses accusations, la Fédération de Russie saisissait le Conseil de sécurité d’une plainte, sur la base de l’article VI de la Convention, une « première ». Le Conseil se réunissait le 27 octobre pour une séance qui ressemblait à celles tenues au printemps sur la question. Face aux Occidentaux qui l’accusaient de désinformation, la Fédération de Russie annonçait le dépôt d’un projet de résolution visant à établir une commission d’enquête sur les violations alléguées par les États-Unis et l’Ukraine de leurs obligations au titre de la Convention sur les armes biologiques sur le territoire ukrainien. Soumis au vote du Conseil le 2 novembre, le projet russe était rejeté par 2 voix pour (Chine et Fédération de Russie), 3 contre (France, États-Unis et Royaume-Uni) et les abstentions des 10 membres élus du Conseil.
Le 24 août, à la demande de ses membres occidentaux, le Conseil tenait une séance à l’occasion des six mois de l’invasion russe. Le Président Zelenskyy s’adressait pour la troisième fois de l’année au Conseil par visioconférence après l’échec d’une tentative russe de s’y opposer en invoquant le Règlement intérieur provisoire du Conseil: lors du vote de procédure, la Chine s’abstenait et les 13 autres membres votaient en faveur de l’intervention du Chef d’État ukrainien. Le Secrétaire général intervenait pour rendre compte de la bonne progression de l’Initiative céréalière de la mer Noire, tout en dénonçant les conséquences de cette « guerre insensée » sur les prix mondiaux des denrées alimentaires, des engrais et des carburants. Au-delà des accusations réciproques, plusieurs membres commençaient à évoquer et à rejeter par avance les projets d’annexion de plusieurs territoires ukrainiens dont était soupçonnée la Fédération de Russie.
Les projets de référendums dans le Donbass en vue d’un rattachement à la Fédération de Russie étaient de nouveau condamnés lors de la séance de haut niveau du 22 septembre.
Du 23 au 27 septembre la Fédération de Russie organisait dans les deux républiques autoproclamées de « Lougansk » et de Donetsk, ainsi que dans les parties occupées des provinces de Kherson et Zaporijia, des référendums d’autodétermination qui allaient donner une majorité écrasante en faveur de l’annexion à la Russie. Le 27 septembre, le Conseil se réunissait à la demande de l’Ukraine et le Président Zelenskyy intervenait de nouveau pour dénoncer des « simulacres » et appeler à « isoler complètement » la Russie, en la suspendant, voire en l’expulsant, de toutes les organisations internationales. Le Secrétariat voyait dans ces scrutins des actions unilatérales visant à donner un vernis de légitimité à la tentative d’acquisition par la force par un État du territoire d’un autre État. Les membres occidentaux du Conseil annonçaient leur refus de reconnaître les résultats encore à venir des « simulacres de référendum », la France dénonçant la même « manœuvre » que pour l’annexion illégale de la Crimée en 2014. Le Ghana regrettait les tentatives de désintégrer l’autorité légitime du Gouvernement ukrainien sur son territoire, dont le Mexique rappelait l’incompatibilité avec la Charte. Le Brésil jugeait déraisonnable de supposer que les populations des régions en conflit pourraient exprimer librement leur volonté et parlait d’une nouvelle étape dans l’escalade du conflit. Le Kenya estimait que les référendums allaient « compromettre les perspectives d’un règlement négocié de paix à plus long terme » en tentant de créer un fait accompli. La Chine, les Émirats arabes unis et l’Inde mettaient en avant le respect de la souveraineté et l’intégrité territoriale des États. Les référendums se sont déroulés dans des conditions de transparence exceptionnelles et dans le plein respect de toutes les normes électorales, assurait le représentant russe, pour qui ces scrutins allaient enfin apporter la paix aux habitants des régions concernées qui pourraient désormais « être sûrs que personne ne leur retirera le droit de parler russe et d’enseigner à leurs enfants dans leur langue maternelle ». Il dressait un parallèle avec la population de Crimée, « qui a choisi de retourner en Russie en 2014 » évitant ainsi de « subir le tragique scénario du Donbass » et lui permettant de mieux vivre grâce aux investissements russes. « Nous ferons de même avec le Donbass et d’autres territoires dont Kiev tente de causer la ruine », ajoutait-il.
Le 30 septembre, le Conseil était appelé à se prononcer sur un projet de résolution présenté par les États-Unis et l’Albanie, qui qualifiait les référendums organisés dans les quatre régions d’« actes illicites » sans aucune validité et qui ne sauraient servir de fondement à une quelconque modification de leur statut, en particulier une « prétendue annexion » par la Fédération de Russie. « Le Conseil espère-t-il sérieusement que la Russie va examiner un tel projet et voter pour? » demandait le représentant russe, qui accusait les auteurs de « pousser intentionnellement » son pays à exercer son droit de veto « afin de partir ensuite dans des envolées lyriques sur le fait que la Russie abuse de ce droit ». Cette franche hostilité de l’Occident n’est autre que l’expression d’un refus de dialoguer et de coopérer au sein du Conseil, ajoutait-il. La Fédération de Russie mettait donc son veto et quatre autres pays -Brésil, Chine, Gabon et Inde- s’abstenaient. « L’escalade de la rhétorique ou des tensions n’est dans l’intérêt de personne; il importe de trouver les voies qui mèneront à un retour à la table des négociations », expliquait l’Inde, suivie par le Gabon. Tout en réitérant sa position sur l’illégitimité des scrutins, le Brésil reprochait au texte présenté de ne faire que répéter « la dynamique observée ces derniers mois au sein du Conseil » et de ne « pas répondre aux objectifs immédiats de désescalade des tensions, de négociation d’un cessez-le-feu et de lancement de négociations de paix ». Il appelait le Conseil à « rechercher de nouvelles lignes d’action » après sept mois de « discours contre-productifs » en son sein.
À partir de la fin août, l’Ukraine lançait une vaste contre-offensive dans la région de Kherson, renforcée en particulier par des livraisons massives d’armes de divers pays occidentaux membres de l’OTAN. Le 8 septembre, le Conseil examinait la question des transferts d’armes, à la demande de la Fédération de Russie, qui dénonçait de nouveau une « guerre par procuration » menée à son encontre, tout en assurant que cet afflux d’armes ne pourrait pas changer le rapport de force. La Haute-Représentante pour les affaires de désarmement appelait à davantage de transparence en matière de transferts d’armes dans les régions touchées par le conflit. Elle mettait en garde contre de possibles détournements au profit d’éléments non étatiques, encourageait le recours au Registre des armes classiques des Nations Unies pour renforcer la transparence dans les transferts et invitait à se pencher sur leur utilisation, étant donné leur impact dévastateur sur les personnes et infrastructures civiles. La Fédération de Russie mettait en garde contre la revente d’armes à des groupes non étatiques par des « fonctionnaires ukrainiens corrompus » et notait qu’il était difficile de ne pas voir dans les actes des pays de l’OTAN une préparation à un affrontement militaire direct avec elle.
Le Conseil revenait sur la question le 9 décembre, lors de la dernière séance de l’année qu’il consacrerait à l’Ukraine, toujours à la demande de la Fédération de Russie, qui insistait sur les risques de voir des armes sophistiquées tomber entre les mains de groupes terroristes ou criminels et parlait de filières déjà anciennes de fourniture illégale d’armes vers l’Afrique et le Moyen-Orient. Les Occidentaux répliquaient en citant les drones iraniens utilisés par l’armée russe. Ils dénonçaient surtout des « fables » visant à détourner l’attention des crimes commis par l’armée russe.
Alors que l’armée ukrainienne repoussait les forces russes, celles-ci commençaient à l’automne à multiplier les bombardements sur des infrastructures civiles, en particulier énergétiques. Avant cela avait lieu l’épisode Nord Stream: les deux gazoducs russes alimentant l’Europe étaient la cible d’un sabotage d’origine inconnue en mer Baltique et rejetaient pendant quelques jours des quantités importances de méthane dans la mer puis l’atmosphère. Le 30 septembre, le Conseil se réunissait à la demande de la Fédération de Russie. Tous les membres du Conseil souhaitaient une enquête sur les origines de ce sabotage aux conséquences économiques et environnementales potentiellement très graves, dont Russes et Occidentaux s’accusaient mutuellement.
Une première séance dédiée aux frappes de missiles russes sur les infrastructures civiles avait lieu le 21 octobre, à la demande de la France et du Mexique. Le Secrétariat évaluait alors à 30% la part des installations énergétiques ukrainiennes touchées depuis le 10 octobre, ce qui risquait d’exposer la population ukrainienne à un hiver potentiellement mortel. La plupart des membres du Conseil demandaient l’arrêt des combats et un accès humanitaire sans entrave ainsi que le respect de la Charte. La Fédération de Russie critiquait le Secrétariat pour n’avoir pas mentionné les destructions d’infrastructures civiles qu’elle avait elle-même subies après l’attaque contre le pont de Kertch en Crimée et à Belgorod, ni la souffrance des habitants du Donbass, dont les infrastructures civiles étaient détruites depuis huit ans par le « régime ukrainien ». Il était aussi question des drones iraniens utilisés pour les frappes contre les installations ukrainiennes.
Après une attaque ukrainienne contre des navires russes en mer Noire perpétrée à l’aide de drones d’origine britannique et américaine, la Fédération de Russie annonçait le 29 octobre la suspension de l’Initiative céréalière et obtenait une séance du Conseil le 31 octobre. Le Coordonnateur des secours d’urgence reconnaissait que toute instrumentalisation de l’Initiative pour obtenir un avantage opérationnel militaire constituerait un « grave abus ». Plusieurs membres occidentaux du Conseil jugeaient les accusations de la Fédération de Russie « dénuées de tout fondement » et l’accusaient de vouloir utiliser « l’arme de la faim » et de se servir du Conseil comme d’une plateforme de propagande. Plusieurs membres, dont la Chine et les A3, suggéraient que les deux parties recourent aux bons offices du Secrétaire général. Le 2 novembre, la Fédération de Russie revenait dans l’accord.
La chute, le 15 novembre, d’un missile sur le territoire polonais à proximité de la frontière, qui tuait deux personnes, provoquait une réunion du Conseil le 16 novembre. Mme DiCarlo y voyait un « rappel effrayant de la nécessité absolue d’empêcher toute nouvelle escalade ». Toutes les parties s’attachaient à minimiser les conséquences de l’incident et plusieurs des membres du Conseil en profitaient pour demander la prorogation de l’Initiative céréalière, qui arrivait à échéance le 19 novembre, et qui serait effectivement reconduite pour 120 jours dès le lendemain.
Une nouvelle séance consacrée aux frappes de missiles sur les installations civiles ukrainienne se tenait le 23 novembre à la demande du Président Zelenskyy, qui y intervenait. Les Occidentaux dénonçaient une nouvelle fois l’utilisation de l’énergie comme une arme de guerre par la Russie. L’Irlande opposait aux frappes la Déclaration politique sur l’utilisation des armes explosives en zones peuplées adoptée cinq jours plus tôt à Dublin par 83 pays.
La situation humanitaire résultant de la guerre en Ukraine était une dernière fois évoquée au Conseil le 6 décembre. M. Griffiths décrivait les « tourments colossaux » endurés par le peuple ukrainien et ses 14,3 millions de déplacés tout en les replaçant « dans le contexte plus large d’un monde devenu fou », dans lequel le nombre de personnes ayant besoin d’une aide humanitaire était passé en un an de 274 millions à 339 millions. Plusieurs membres du Conseil rappelaient les conséquences du conflit sur la sécurité alimentaire mondiale. Le Brésil voulait voir un « signal positif fort » dans la volonté affichée par des dirigeants occidentaux de dialoguer avec la Russie afin de mettre un terme aux hostilités et appelait à la « mise en place d’un mécanisme permettant de mener des négociations de manière pragmatique et objective ». L’Irlande rappelait à la Russie qu’« il n’est jamais trop tard pour le dialogue et la diplomatie ». Le représentant russe disait « prendre très au sérieux » le fait qu’une importante majorité d’États Membres aient exprimé à l’Assemblée générale leur souhait d’une solution diplomatique et affirmait sa volonté de « prendre part à des négociations en vue d’éliminer les motifs qui nous ont contraints à lancer l’opération militaire spéciale en Ukraine ». Mais il notait que cette logique « comprise par presque tous les États » ne l’était pas par « l’Occident collectif ni le régime de Kiev » et accusait de nouveau le premier de vouloir faire la guerre à son pays « jusqu’au dernier Ukrainien ». Les États-Unis estimaient que le Président Putin ne souhaitait aucunement négocier et cherchait à briser la volonté des Ukrainiens.
Arménie - Azerbaïdjan
- 2 séances publiques: 15 septembre, 20 décembre
À la demande de l’Arménie, le Conseil examinait, le 15 septembre, la situation à la frontière entre ce pays et l’Azerbaïdjan, où de violents affrontements avaient éclaté le 13 au soir. C’était la première fois depuis sa déclaration présidentielle du 26 avril 1995 consacrée à la situation dans le Haut-Karabakh que le Conseil examinait publiquement ce conflit opposant les deux anciennes républiques soviétiques depuis leur déclaration d’indépendance fin 1991. Arménie et Azerbaïdjan s’étaient déjà affrontés en octobre-novembre 2020 lors de la « guerre de 44 jours », marquée par la victoire de l’Azerbaïdjan au Haut-Karabakh et achevée par un cessez-le-feu conclu sous l’égide de la Fédération de Russie, mais le Conseil de sécurité n’avait alors tenu que des réunions à huis clos.
Lors de la séance du 15 septembre, le Sous-Secrétaire général pour l’Europe, l’Asie centrale et les Amériques au Département des affaires politiques et de la consolidation de la paix, Miroslav Jenča, expliquait au Conseil que les récents combats, « les plus importants d’une série d’incidents survenus depuis 2020 », révélaient que le processus de normalisation des relations entre les deux pays continuait de se heurter à de sérieux obstacles. À la suite de M. Jenča, tous les membres du Conseil se félicitaient de la cessation des hostilités intervenue la veille et appelaient à une solution négociée. L’Inde estimait que l’accord de cessez-le-feu du 9 novembre 2020 et les processus de paix menés dans le cadre de la médiation du Groupe de Minsk créé par l’OSCE ainsi que de l’Union européenne fournissaient des mécanismes utiles pour résoudre tous les problèmes en suspens. Les membres du Conseil relayaient également les craintes de M. Jenča de voir les incidents meurtriers se propager dans la région, alors que « la sécurité européenne est déjà menacée par le conflit en Ukraine », comme le rappelait avec inquiétude l’Albanie. Le 31 octobre, lors d’un sommet tripartite tenu à Sotchi en Fédération de Russie, les Chefs d’État azerbaïdjanais et arménien acceptaient de « ne pas recourir à la force » pour régler le conflit autour de l’enclave du Haut-Karabakh.
Le 20 décembre, le Conseil était de nouveau saisi, suite à des courriers à l’ONU et au Conseil aussi bien de l’Azerbaïdjan que de l’Arménie, qui s’accusaient mutuellement d’avoir violé la déclaration trilatérale du 9 novembre 2020, signée par eux-mêmes et la Fédération de Russie lors de l’accord de cessez-le-feu. L’Arménie accusait l’Azerbaïdjan d’avoir de fait bloqué depuis la mi-décembre le corridor de Latchine, portion de territoire azerbaïdjanais permettant la circulation entre l’Arménie et le Haut-Karabakh, ce que démentait Bakou. M. Jenča rappelait les progrès diplomatiques réalisés depuis fin octobre avec l’envoi de missions de l’Union européenne, de l’OSCE et de l’Organisation du Traité de sécurité collective (OTSC), les équipes de l’ONU continuant d’évaluer les besoins dans les zones auxquelles elles ont accès. Il relevait aussi la persistance de tensions. L’ensemble des membres du Conseil déploraient les entraves à la circulation des biens et des marchandises, appelaient les partis à la retenue et les exhortaient à négocier en vue d’établir une paix pérenne.
Bosnie-Herzégovine
- 2 séances publiques: 11 mai, 2 novembre
– 1 résolution: 2658 (2022)
Les velléités sécessionnistes de la Republika Sprska se sont poursuivies, contrariées par des mesures prises par le Haut-Représentant Christian Schmidt, que la Fédération de Russie a continué de ne pas reconnaître, s’opposant de nouveau à sa présence au Conseil lors de la séance de novembre. Le 2 octobre, un ensemble d’élections fédérales et dans les entités constitutives maintenaient au pouvoir des partis « ethnonationalistes », laissant présager la poursuite des blocages mais les décisions prisent alors par le Haut-Représentant étaient violemment attaquées par le représentant de la Bosnie-Herzégovine, qui accusait ce denier d’avoir violé la Constitution du pays. La guerre en Ukraine a illustré les désaccords au sein de la Bosnie-Herzégovine, la Republika Sprska ayant fait savoir qu’elle ne reconnaissait pas le vote de la Bosnie-Herzégovine à l’Assemblée générale en faveur de la condamnation de l’invasion russe. Toutefois, l’autorisation de la force multinationale de stabilisation EUFOR Althea a été renouvelée en novembre pour un an, à l’unanimité.
Le 11 mai, sous présidence des États-Unis, M. Schmidt parvenait pour la première fois à s’exprimer devant le Conseil depuis sa nomination près d’un an plus tôt, malgré les objections de la Fédération de Russie, soutenue par la Chine. Le Haut-Représentant accusait les autorités de la Republika Srpska de rechercher une sécession de facto de la Bosnie-Herzégovine en se retirant du cadre constitutionnel. La plupart des membres du Conseil s’inquiétaient des mesures prises par la Republika Sprska. « Faute de disposer de mécanismes solides pour empêcher ces activités sécessionnistes, nous avons besoin de la communauté internationale pour les contrer », expliquait le Président en exercice de la présidence collégiale de Bosnie-Herzégovine, qui insistait sur la nécessité pour son pays de progresser sur la voie de l’intégration euro-atlantique et demandait à l’Union européenne d’accorder à son pays le statut de candidat. La Fédération de Russie dénonçait le « rôle destructeur » du Bureau du Haut-Représentant et une centralisation de l’État bosnien au profit d’un seul des trois peuples constitutifs: les Bosniaques. Elle déplorait en outre que l’avenir du pays se décide à « Bruxelles, Washington et dans d’autres chancelleries occidentales ».
La séance du 2 novembre était comme chaque année consacrée d’abord au vote de la résolution renouvelant le mandat de la force de stabilisation EUFOR Althea. La résolution 2658 (2022) était adoptée à l’unanimité. Comme en 2021, elle ne comprenait aucun préambule consacré au Haut-Représentant et ce dernier ne participait pas à la séance. M. Schmidt était en outre vivement critiqué par le représentant de la Bosnie-Herzégovine, qui lui reprochait d’avoir, peu avant le scrutin du 2 octobre puis immédiatement après en plein dépouillement, modifié la loi électorale en violation de la Constitution du pays ainsi que des règles européennes. Il l’accusait de chercher par ses interventions à assurer la participation illimitée au gouvernement fédéral d’un parti politique -le HDZ BiH- qu’il qualifiait de « branche politique de la Croatie voisine ». Tout en disant appuyer « l’institution du Haut-Représentant », le représentant jugeait « déstabilisante aux dépens du pays et de ses ressortissants » l’activité de « l’actuel Haut-Représentant par intérim », devenue « un problème qui doit être résolu le plus rapidement possible ». La Fédération de Russie dénonçait une fois de plus « l’approche coloniale et néocoloniale appliquée par le Haut-Représentant », jugé « illégitime ». Le Royaume-Uni soutenait les « décisions difficiles » du Haut-Représentant, et la France son mandat, tout en rappelant que son bureau n’avait « pas vocation à perdurer au-delà de ce qui est nécessaire, à savoir la réalisation de l’agenda 5+2 ».
Kosovo
- 2 séances publiques: 20 avril, 18 octobre
Le climat créé en Europe orientale et dans les Balkans par la guerre en Ukraine a coïncidé avec une montée des surenchères verbales et une escalade des tensions à partir du printemps. Dotée d’une nouvelle Représentante spéciale du Secrétaire général, Caroline Ziadeh, la Mission d’administration intérimaire des Nations Unies au Kosovo (MINUK), seule opération de maintien de la paix en cours dont le mandat perdure jusqu’à ce que le Conseil de sécurité en décide autrement, a encore une fois vu son existence contestée par le Kosovo et ses soutiens au Conseil, tandis que la Serbie plaidait pour son maintien avec l’appui de la Fédération de Russie et de la Chine. Les deux séances de l’année ont été tendues, marquée par des échanges acrimonieux entre le Ministre des affaires étrangères de la Serbie et la représentante du Kosovo.
Le 20 avril, pour sa première intervention devant le Conseil, Mme Ziadeh donnait sa vision du mandat de la MINUK, qui n’avait à ses yeux pas vocation à être un « facteur déterminant » mais entendait poursuivre son travail dans les domaines où elle est réellement en mesure de contribuer à promouvoir les objectifs communs des autorités, des collectivités et des institutions du Kosovo. Au sein du Conseil, l’Albanie rétorquait que le rôle de la MINUK était clairement appelé à diminuer, compte tenu notamment de la consolidation des institutions et du renforcement de la stature internationale du Kosovo. Ajoutant que la Mission ne faisait « pas partie des murs du Kosovo », l’Albanie demandait au Conseil de mettre fin à son mandat dans sa configuration actuelle, pour passer à une présence onusienne « plus efficace et mieux adaptée à son objet ». Les États-Unis appuyaient l’idée et les deux pays appelaient à une nouvelle réduction de la fréquence des exposés sur la MINUK, à un par an. Au contraire, Chine et Fédération de Russie demandaient que la Mission soit dotée des ressources nécessaires à son mandat. Le Brésil estimait que l’objectif principal de la MINUK n’avait toujours pas été atteint. Le Mexique saluait son travail en faveur des communautés.
Des discussions lancées en début d’année entre Belgrade et Pristina étaient mises à l’arrêt durant l’été et de nouveaux incidents liés comme l’année précédente aux plaques d’immatriculation des véhicules utilisés par les Serbes du Kosovo se sont produits. Les dirigeants de Belgrade et de Pristina se rencontraient en août à Bruxelles mais rien de concret s’en sortait dans l’immédiat. Le 18 octobre, Mme Ziadeh regrettait la surenchère verbale enregistrée depuis le printemps et appelait les dirigeants serbes et kosovars à éviter les discours clivant car « ils auront à prendre de nombreuses décisions et les choix de menaces ou gestes de bonne volonté seront déterminants ». Les membres du Conseil affichaient les mêmes positions qu’en avril.
Chypre
- 2 séances publiques: 27 janvier, 28 juillet
- 2 résolutions: 2618 (2022), 2646 (2022)
Le Conseil de sécurité a, par deux fois, les 27 janvier et 28 juillet, prorogé de six mois le mandat de la Force des Nations Unies chargée du maintien de la paix à Chypre (UNFICYP), la seconde fois jusqu’au 31 janvier 2023. Les deux résolutions, respectivement 2618 (2022) et 2646 (2022), essentiellement identiques dans leur libellé, ont été adoptées à l’unanimité.
AFRIQUE
Paix et sécurité en Afrique
- 7 séances publiques: 18 mai, 31 mai, 8 août, 9 août, 31 août, 6 octobre, 16 novembre, 22 novembre
- 1 résolution: 2634 (2022)
- 1 déclaration présidentielle: PRST/2022/6
Voir aussi: Consolidation et pérennisation de la paix; Consolidation de la paix en Afrique de l’Ouest; Coopération entre l’ONU et les organisations régionales et sous-régionales; Terrorisme; Mali
Sous cette rubrique régionale généraliste ont été traités en 2022 principalement deux sujets: les questions liées à la Force conjointe du G5 Sahel (FC-G5S) dans la lutte contre le terrorisme au Sahel, souvent en étroite relation avec la situation au Mali; et la piraterie dans le golfe de Guinée; auxquels sont venus s’ajouter des débats thématiques.
Deux séances ont été consacrées, en mai et en novembre à la Force conjointe du G5 Sahel (FC-G5S), déployée à partir de 2017 par le groupe de cinq pays constitué en 2014 par le Burkina Faso, le Mali, la Mauritanie, le Niger et le Tchad, pour combattre les groupes jihadistes dans la région. La Force a été affaiblie par le départ du Mali en mai et la réorganisation des forces internationales qui l’appuyaient.
Le 18 mai, le Conseil examinait le rapport semestriel du Secrétaire général sur la Force conjointe du G5 Sahel, qui constatait que son bon fonctionnement avait été entravé par « la situation politique et les conditions de sécurité hautement volatiles au Sahel » et citait notamment « le calendrier incertain de la transition au Mali et le coup d’État du 23 janvier au Burkina Faso ». Il ne mentionnait pas l’annonce par la France, le 17 février, du retrait de l’opération sahélienne Barkhane du Mali. Arrêté au 9 mai, il ne mentionnait pas non plus le retrait du G5 Sahel que venait d’annoncer le Mali et qui serait au centre de la discussion. La Sous-Secrétaire générale pour l’Afrique, Mme Martha Ama Akyaa Pobee, le jugeait « inopportun et regrettable ». Le Secrétaire exécutif du G5, Éric Tiaré y voyait un défi aux membres restants du G5 Sahel. La Fédération de Russie jugeait pourtant « logique » la décision de Bamako puisque le Mali était soumis à des sanctions occidentales et que, face à la menace terroriste, l’armée malienne engrangeait des succès « grâce à des partenaires plus efficaces », référence à la société militaire russe privée Wagner, dont tant Moscou que Bamako niaient la présence dans le pays. Les autres membres du Conseil regrettaient le retrait malien. La France comme les A3 déploraient également que le Conseil ne soit pas parvenu à un accord pour la création d’un bureau de soutien à la Force conjointe, financé sur contributions obligatoires. Mme Pobee rappelait que le manque de consensus sur ce sujet avait été l’un des obstacles auxquels s’était heurtée la Force.
La seconde séance dédiée à la Force conjointe, le 16 novembre, en constatait la crise, encore aggravée par un second coup d’État militaire au Burkina Faso le 30 septembre et l’annonce par la France, le 7 novembre, de la fin de l’opération Barkhane, appelée à être remplacée ultérieurement par un nouveau concept d’opération. La plupart des membres du Conseil disaient attendre les recommandations du Groupe indépendant de haut niveau sur la sécurité et le développement au Sahel, inauguré à l’occasion d’une réunion tenue en marge du débat général de l’Assemblée générale en septembre. Mme Pobee en espérait des « voies innovantes » aux défis sécuritaires, de développement et de gouvernance de la région. La Norvège appelait surtout à « faire fond sur ce qui existe déjà: le G5 Sahel, l’Initiative d’Accra, le Processus de Nouakchott ou encore les efforts de la Communauté économique des États de l'Afrique de l’Ouest (CEDEAO) ». France et A3 rappelaient la nécessité de financements durables et prévisibles pour les opérations africaines de paix, « y compris sur les contributions obligatoires des Nations Unies, ou dans le cadre d’un mécanisme innovant qui les associerait à des contributions bilatérales ». France, États-Unis et Royaume-Uni dénonçaient une nouvelle fois les « exactions » et « le pillage des ressources naturelles » par le groupe Wagner, qui ne faisaient selon eux « qu’entretenir une spirale dangereuse de violence ».
La piraterie dans le golfe de Guinée a également fait l’objet de deux séances. Le 31 mai, plus de 10 ans après l’adoption de sa dernière résolution sur le sujet, le Conseil adoptait à l’unanimité la résolution 2634 (2022), destinée à relancer les efforts régionaux et nationaux de lutte contre ce fléau, dans la perspective du dixième anniversaire, en juin 2023, de l’adoption du Code de conduite relatif à la prévention et à la répression des actes de piraterie, des vols à main armée à l’encontre des navires et des activités maritimes illicites en Afrique de l’Ouest et du centre, dit « Code de Yaoundé ». Fruit de négociations entamées en janvier à l’initiative de la Norvège et du Ghana, la résolution condamnait énergiquement les actes de piraterie et les vols à main armée en mer, notamment les assassinats, enlèvements et prises d’otages commis dans le golfe de Guinée. Le Conseil rappelait qu’il incombe au premier chef aux États du golfe de Guinée de lutter contre ces phénomènes et encourageait la coopération sous régionale et régionale, ainsi que l’appui des partenaires bilatéraux et multilatéraux aux États qui en font la demande. Il demandait aussi à tous les États de la région d’ériger ces actes en infractions pénales dans leur droit interne, d’ouvrir des enquêtes sur leurs auteurs, de les poursuivre et de les extrader. Le Conseil demandait par ailleurs au Secrétaire général de lui rendre compte, dans les cinq mois à venir, de « la situation dans le golfe de Guinée concernant les actes de piraterie et les vols à main armée et leurs causes profondes ».
C’est ce rapport que le Conseil examinait le 22 novembre. Les participants pouvaient se féliciter de la baisse du nombre d’incidents depuis avril 2021 tout en estimant qu’il était encore trop tôt pour en tirer la conclusion du déclin inexorable d’un phénomène aussi évolutif que la piraterie, très lucratif pour les réseaux criminels impliqués. Ils reconnaissaient en outre la nécessité d’apporter des solutions autres que militaires et juridiques. Les pays de la région rappelaient en particulier leur vulnérabilité aux changements climatiques et l’importance de les accompagner, dans le contexte pour eux dévastateur de convergence des crises économique et sécuritaire, sur la voie de la résilience et de l’adaptation aux effets de ces changements.
Les 8 août et 9 août, une quarantaine d’États Membres participaient à un débat ouvert organisé par la présidence chinoise sur le thème du « renforcement des capacités pour pérenniser la paix ». Le représentant de la Commission de l’Union africaine recommandait que l’UA et l’ONU s’attachent à renforcer la coordination de leurs capacités « au lieu d’alimenter une concurrence qui les empêche d’être pleinement efficaces sur le terrain ». Le Président de la Commission de consolidation de la paix évoquait les actions de la CCP dans les pays africains inscrits à son ordre du jour. La question du financement du renforcement des capacités était au cœur du débat. La Chine et la Fédération de Russie insistaient sur le caractère inconditionnel que devait revêtir l’aide au développement. France et États-Unis mettaient en garde contre les conséquences néfastes pour l’Afrique tout entière « des agissements du groupe Wagner et de l’agression » de la Russie contre l’Ukraine, qui menaçait la sécurité alimentaire du continent. Tout en saluant à cet égard l’Initiative céréalière de la mer Noire signée deux semaines plus tôt, la Norvège rappelait que la solution à long terme pour l’Afrique résidait dans la hausse d’une production alimentaire durable.
À la suite de ce débat, le Conseil publiait, le 31 août, une déclaration présidentielle dans laquelle il soulignait notamment la nécessité d’accroître de façon « globale, inclusive, souple et ciblée » l’aide au renforcement des capacités en Afrique en recourant à des mesures adaptées à la situation de chaque pays et région. Il mettait aussi en avant l’importance de respecter la manière dont les pays du continent africain s’approprient et conduisent ces initiatives et rappelait l’importance d’un financement adéquat des différents projets ainsi que d’une gestion assurant l’obtention des plus grands avantages possibles pour les populations locales.
Le 6 octobre, les seuls membres du Conseil discutaient des moyens de renforcer la lutte contre le financement des groupes armés et des terroristes provenant du trafic de ressources naturelles à l’initiative de la présidence gabonaise, qui jugeait « indéniable » que les richesses naturelles nourrissent le financement des conflits tout en étant l’un de leurs principaux enjeux. Le Gabon appelait le Conseil de sécurité à agir avec plus de détermination pour assécher les financements des bandes armées qui alimentent l’instabilité et la violence dans plusieurs régions du monde, et lui demandait de soutenir « sans réserve » les efforts du Conseil de paix et de sécurité de l’Union africaine. Alors que l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (ONUDC) rappelait que le terrorisme et la criminalité organisée s’installaient « durablement » en Afrique, le Kenya appelait à combler les lacunes qui permettent aux flux financiers illicites de provenir des ventes des ressources naturelles du continent. Le Kenya demandait aussi au Conseil de chercher d’autres moyens pour soutenir les pays touchés et posait à nouveau la question d’un changement de nature du maintien de la paix de l’ONU et d’un financement prévisible et adéquat des forces régionales. France, Royaume-Uni et États-Unis s’en prenaient de nouveau au groupe Wagner.
Libye
- 18 séances publiques: 24 janvier, 31 janvier, 16 mars, 28 avril, 29 avril, 26 mai, 3 juin, 27 juin, 13 juillet, 25 juillet, 28 juillet,30 août, 29 septembre, 24 octobre, 28 octobre, 9 novembre, 15 novembre, 16 décembre
- 7 résolutions: 2619 (2022), 2629 (2022), 2635 (2022), 2644 (2022), 2647 (2022), 2652 (2022), 2656 (2022)
Voir aussi: Maintien de la paix et de la sécurité internationales; Coopération entre l’ONU et les organisations régionales et sous-régionales aux fins du maintien de la paix et de la sécurité internationales; Paix et sécurité en Afrique.
Le report à la dernière minute et sine die des élections présidentielle et parlementaires prévues le 24 décembre 2021, faute d’accord entre les parties sur une base juridique pour les organiser, a entraîné des conséquences importantes pour la Mission d’appui des Nations Unies en Libye (MANUL), dont le mandat a fait l’objet de trois nouveaux reports techniques avant d’être prorogé pour un an, sans changement. Fin 2022, la date du scrutin n’avait toujours pas été fixée et la situation politique était bloquée, tandis que le cessez-le-feu instauré à l’automne 2021 tenait toujours.
Le 24 janvier, la première séance publique de l’année du Conseil sur la Libye était consacrée au report des élections, qu’il n’avait encore pas commenté. La Secrétaire générale adjointe aux affaires politiques et à la consolidation de la paix, Mme Rosemary DiCarlo, exhortait l’ensemble des parties prenantes libyennes à se mobiliser en faveur de la tenue, « dans les plus brefs délais », d’élections présidentielle et législatives libres, régulières, inclusives et crédibles. Les États-Unis leur demandaient de fixer un « cap crédible » et de faire montre de courage. La Norvège les appelait à s’entendre sur une feuille de route prévoyant une nouvelle date électorale sans laisser se développer des voies alternatives antidémocratiques. La France les engageait à travailler ensemble afin de fixer « au plus vite » un calendrier clair pour la tenue des scrutins. La Fédération de Russie estimait que la priorité ne devait pas être le respect formel d’un délai pour la tenue des élections, mais plutôt d’assurer la qualité de leur préparation. Les A3 soulignaient que, pour contribuer à la paix, les élections devaient aboutir à un résultat doté d’une légitimité politique dans toutes les régions du pays.
Le 31 janvier, le Conseil décidait d’une nouvelle reconduction technique de la MANUL pour trois mois. Si la résolution 2619 (2022) était adoptée à l’unanimité, 13 des membres du Conseil prenaient ensuite la parole, la plupart pour regretter que le Conseil n’ait pu tomber d’accord sur un renouvellement de fond du mandat de la Mission qui aurait été, selon le Kenya, « le moyen idéal d’insuffler les besoins émergents du processus de paix dans le soutien à la Mission ». Le Kenya regrettait qu’ait été ainsi manquée « une autre occasion importante de soutenir fermement la nation libyenne » dans ses efforts de dialogue et de réconciliation. La Fédération de Russie se disait convaincue que cette prorogation technique permettrait à la Mission de gérer au mieux la situation préélectorale.
La résolution 2619 (2022) rappelait aussi que la MANUL devrait être dirigée par « un(e) envoyé(e) spécial(e) », et que c’était au Secrétaire général qu’incombait la responsabilité de nommer cette personne. La direction de la Mission allait constituer pendant plusieurs mois un point de désaccord entre les membres du Conseil. Nommé en janvier 2021, l’Envoyé spécial du Secrétaire général, M. Jan Kubiš, qui résidait à Genève, avait démissionné 10 mois plus tard. Sur la base d’un examen stratégique demandé par le Conseil dans sa résolution 2542 (2020), le Secrétaire général avait recommandé dans un rapport publié en août 2021 d’en revenir à la structure ancienne de la Mission, qui serait de nouveau dirigée par un représentant spécial basé à Tripoli. Mais, en l’absence d’un accord entre les membres du Conseil sur son nom, et après le départ de la Représentante spéciale par intérim, Mme Stéphanie Williams, nommée le 6 décembre 2021 Conseillère spéciale du Secrétaire général pour la Libye –poste qu’elle quitterait le 31 juillet 2022- la MANUL se retrouvait sans chef. Cette vacance allait contribuer à repousser les décisions sur le contenu du mandat de la MANUL.
En février, une crise politique et institutionnelle éclatait entre la Chambre des représentants et le Haut Conseil d’État, après la nomination par la première d’un nouveau chef de gouvernement, M. Fathi Bashagha, que rejetait le second. Le 16 mars, les membres du Conseil s’inquiétaient de cette nouvelle crise, susceptible de créer des autorités gouvernementales parallèles, d’accroître l’instabilité et de repousser encore la perspective des élections. Estimant que les futures élections devaient être fondées sur un cadre constitutionnel bénéficiant du plus large consensus possible, les A3 proposaient de faire du dialogue national et de la réconciliation une priorité. Ils plaidaient aussi en faveur d’un renforcement du mandat de la MANUL.
Le 29 avril, c’est pourtant une nouvelle prorogation technique de trois mois du mandat de la Mission que décidait le Conseil par sa résolution 2629 (2022). Si le texte était adopté à l’unanimité, la grande majorité des membres du Conseil regrettaient qu’il ait été une fois encore impossible de s’accorder sur une prorogation plus longue. Ils considéraient comme un échec du Conseil un vote qui, pour la Norvège, envoyait un signal « regrettable » au peuple libyen et à l’ensemble de la région en dépit des « efforts de bonne foi de 14 membres du Conseil ». C’est l’intransigeance de la Fédération de Russie qui était mise en cause. Accusée par les États-Unis d’avoir pris le mandat de la MANUL en otage, celle-ci rétorquait que la configuration actuelle de la Mission était inacceptable et qu’en l’absence d’un chef de mission depuis plus de six mois, la MANUL ne pouvait accompagner efficacement le processus de réconciliation en Libye, un argument qu’elle reprendrait jusqu’en septembre. Elle se félicitait donc que la résolution adoptée mette l’accent sur la nécessité pour la Mission d’être dirigée par un représentant spécial « basé à Tripoli » et demandait sa nomination par le Secrétaire général « rapidement ». Elle accusait en outre « certains membres du Conseil » de ne pas accepter que la Mission soit dirigée par un représentant spécial africain, y voyant un signe de « néocolonialisme ». Les A3 demandaient une nouvelle fois une plus grande implication des pays africains dans les questions africaines. La Chine signifiait qu’elle soutenait la nomination à la tête de la Mission d’un candidat issu de l’Afrique.
Mi-mai, de nouveaux affrontements éclataient à Tripoli entre groupes armés soutenant respectivement M. Fathi Bashagha et M. Abdulhamid Al Dabiba, les chefs des deux gouvernements parallèles. Lors de la séance du 26 mai, Mme DiCarlo s’en inquiétait. Elle estimait toutefois que les sessions, tenues au Caire, de la Commission conjointe de la Chambre des représentants et du Haut Conseil d’État permettaient de progresser sur le projet de constitution. Plusieurs délégations dénonçaient des dérives autoritaires. En outre, plusieurs membres du Conseil demandaient une nouvelle fois le départ du pays des différents combattants étrangers et le Royaume-Uni s’en prenait notamment au groupe Wagner. La Fédération de Russie disait appuyer le départ des forces étrangères, mais de manière progressive, sous peine de saper un équilibre précaire. Les A3 rappelaient l’engagement de l’Union africaine en faveur d’un processus de réconciliation nationale inclusif et global et invitaient le Conseil à intégrer cet appui dans le mandat de la Mission, demandant que son futur chef ait une bonne appréciation de l’impact du conflit en Libye sur toute la région. Le représentant de la Libye déplorait l’inaction du Conseil lors du report des élections et son incapacité à proroger le mandat de la MANUL, affirmant que le peuple libyen ne faisait plus confiance à la communauté internationale.
Le 3 juin, par sa résolution 2635 (2022), le Conseil prolongeait de 12 mois son autorisation d’inspections en haute mer au large des côtes libyennes pour mettre en œuvre l’embargo sur les armes institué initialement par la résolution 1970 (2011). La Fédération de Russie s’abstenait. Elle jugeait « extrêmement faible » le niveau d’efficacité de l’opération navale Irini de l’Union européenne chargée de ces inspections et reprochait aussi à celle-ci un manque de transparence dans ses activités.
Le 27 juin, cinq jours après la fin de la période de transition durant laquelle auraient dû se dérouler les élections et à la veille d’une réunion à Genève entre les chefs de la Chambre des représentants et du Haut Conseil d’État, Mme DiCarlo se félicitait des progrès accomplis lors du Forum de dialogue politique interlibyen, tenu le 20 juin, en vue de trouver une base constitutionnelle pour le scrutin. Comme plusieurs membres du Conseil, elle déplorait en revanche la fermeture partielle du secteur pétrolier, qui privait le pays et sa population de milliards de dollars de revenus. Le représentant libyen reprochait au Conseil de ne pas assez prendre en compte l’opinion de son pays et de trop souvent se contenter de l’informer sans le consulter. La Fédération de Russie accusait le Royaume-Uni, pays porte-plume, de saper un projet de déclaration présidentielle qu’elle faisait circuler sur la question. Le futur mandat de la MANUL était aussi évoqué. Les États-Unis demandaient un mandat clair d’un an pour permettre à la Mission de travailler en toute confiance. Le Mexique souhaitait un renforcement de la Mission grâce à un leadership et un mandat forts à la hauteur des défis. Les A3 insistaient sur la nécessité d’une approche régionale pour les efforts de désarmement, démobilisation et réinsertion, la lutte contre le trafic d’armes et la traite des êtres humains.
Le 13 juillet, le Conseil était cette fois uni pour adopter la résolution 2644 (2022), par laquelle il prorogeait jusqu’au 30 octobre 2023 l’embargo sur les armes, les mesures visant à prévenir les exportations illicites de pétrole et son régime de sanctions individuelles comportant interdictions de voyager et gels d’avoir.
À six jours de la nouvelle échéance pour la MANUL, la séance du 25 juillet répétait sensiblement celle tenue un mois plus tôt. La Fédération de Russie estimait que l’impasse en Libye tenait aussi à l’incapacité de la MANUL à jouer son rôle, faute de chef, et invitait le Secrétaire général à nommer rapidement son représentant spécial, que les A3, appuyés par la Chine, souhaitaient africain. Elle annonçait son choix d’une nouvelle prolongation technique de trois mois du mandat de la MANUL, ajoutant qu’une prorogation plus longue pourrait être discutée une fois le représentant spécial nommé.
Le 28 juillet, c’est donc une cinquième prorogation technique du mandat de la MANUL en moins de 11 mois que décidait le Conseil par sa résolution 2647 (2022). Cette fois, les membres africains du Conseil s’abstenaient. « Il n’est plus tenable pour la MANUL de travailler avec un mandat si bref », accusait le Kenya. Le Ghana jugeait que le Conseil n’était « pas à la hauteur des attentes du peuple libyen ». Le Gabon dénonçait une inaction qui ne faisait qu’amplifier ses souffrances. « Nous contribuons à la situation », ajoutait le Mexique. La Fédération de Russie disait comprendre l’insatisfaction des pays africains face à une durée « inhabituelle » et faisait savoir qu’elle voterait en faveur d’une prorogation de durée normale dès que la MANUL aurait un nouveau chef. Les États-Unis et le Gabon dénonçaient ce raisonnement, estimant que les prorogations de trois mois imposées par la Russie rendaient au contraire plus difficile la recherche d’un nouveau chef de mission. Les A3, mais aussi la Chine et le Brésil, demandaient que le futur représentant spécial soit un Africain.
La crise de la direction de la MANUL était toutefois sur le point de s’achever car un accord était en vue au sein du Conseil sur le nom d’Abdoulaye Bathily, qui était officiellement nommé par le Secrétaire général à la tête de la Mission le 2 septembre.
M. Bathily se présentait pour la première fois devant le Conseil le 24 octobre. Le nouveau Représentant spécial expliquait avoir entamé des consultations avec toutes les parties libyennes mais ne voyait « aucune issue claire en vue » au « défi politique de taille » que constituait l’impasse politique. Il demandait au Conseil d’insister auprès des acteurs libyens sur la nécessité de travailler ensemble, de manière sincère et engagée. Mais s’ils étaient d’accord sur le fait que des élections libres, équitables, inclusives et crédibles reposant sur une base constitutionnelle robuste, étaient le seul moyen d’aller de l’avant, les membres du Conseil se divisaient en partisans de pressions sur les acteurs libyens pour qu’ils s’entendent enfin sur un calendrier réaliste, et ceux qui rejetaient tout délai imposé de l’extérieur au profit d’un processus appartenant et contrôlé par le peuple libyen.
La nomination de M. Bathily ayant débloqué la situation, le Conseil adoptait le 28 octobre à l’unanimité, la résolution 2656 (2022) qui prorogeait la MANUL jusqu’au 31 octobre 2023, cette extension d’un an devant lui permettre de « mener à bien le mandat qui lui a été confié dans la résolution 2542 (2020) et au paragraphe 16 de la résolution 2570 (2021) », lequel demeurait inchangé. Sur la situation en Libye, le Conseil rappelait la feuille de route du Forum de dialogue politique interlibyen et déplorait « que bon nombre de résultats attendus n’aient pas encore été obtenus » alors même que « toutes les parties prenantes libyennes avaient précédemment donné des garanties fermes pour appuyer et respecter l’indépendance et l’intégrité du processus électoral ».
La résolution 2656 (2022) avait également prévu que les rapports du Secrétaire général sur la Libye, de mensuels deviendraient bimestriels. Mais, au motif de tensions, la Fédération de Russie demandait très vite une nouvelle séance, qui se tenait le 15 novembre. M. Bathily expliquait que les institutions libyennes étaient confrontées à des entraves posées par certains acteurs institutionnels pour bloquer les progrès vers les élections. Estimant que prolonger davantage la période intérimaire rendrait le pays encore plus vulnérable à l’instabilité politique, économique et sécuritaire, il demandait au Conseil de s’unir pour faire clairement comprendre aux obstructionnistes que leurs actions ne resteraient pas sans conséquences. L’utilité de la séance, tenue moins de trois semaines après la première intervention du Chef de la MANUL devant le Conseil, était toutefois contestée, notamment par le Brésil et les A3, qui estimaient qu’il serait plus judicieux de laisser suffisamment d’espace au Représentant spécial pour qu’il s’engage en profondeur dans le processus de paix et facilite une sortie de l’impasse politique. « Les Libyens sont las de toutes ces réunions et déclarations sans résultat », ajoutait le représentant libyen.
Les membres du Conseil étaient pour leur part de plus en plus las du comportement des dirigeants libyens et montraient leur exaspération le 16 décembre. Le Représentant spécial accusait en particulier « deux hommes » en désaccord persistant sur un nombre limité de dispositions constitutionnelles, de prendre en otage tout un pays, ce que plusieurs membres jugeaient « intenable » et « inacceptable ». Reprochant au Conseil de n’avoir pas été capable d’imposer des sanctions contre les acteurs qui avaient empêché par leur obstruction la tenue des élections prévues en décembre 2021, M. Bathily l’appelait à ne pas répéter les mêmes erreurs et à réfléchir aux moyens de garantir la tenue d’élections libres, justes et transparentes et à tenir pour responsables les personnes et entités qui avaient empêché leur organisation. Il mettait en garde contre un risque de division du pays, alors que des signes de partition étaient déjà visibles. L’unité du Conseil semblait toutefois encore loin. La Fédération de Russie jugeait « illusoire » la conférence sur la réconciliation que souhaitait organiser l’Union africaine. La France mettait en avant l’impératif d’un gouvernement unifié. Le Royaume-Uni appelait le Conseil à faire collectivement pression sur les dirigeants libyens pour qu’ils travaillent de manière constructive avec le Représentant spécial mais les A3, rejoints par la Chine et l’Inde, voulaient éviter d’imposer des solutions extérieures, considérées comme une forme d’ingérence étrangère dans les affaires intérieures d’un pays où se menaient déjà « des guerres par procuration » pour en accaparer les ressources.
Par ailleurs, à deux reprises, le 28 avril puis le 9 novembre, le Conseil entendait le Procureur de la Cour pénale internationale (CPI), Karim Ahmad Khan.
Le 28 avril, M. Khan présentait au Conseil quatre principes fondamentaux de son « plan d’action renouvelé » destiné à accélérer les progrès vers l’établissement des responsabilités en Libye. Il annonçait une hiérarchisation des priorités et l’allocation de ressources supplémentaires, notamment sur les questions financières et les crimes sexuels et sexistes. Il s’engageait à donner aux témoins et aux survivants les moyens de participer au travail de son bureau grâce à une présence accrue sur le terrain, qui permettrait de se rapprocher davantage des communautés touchées. Il souhaitait un engagement renouvelé de son bureau auprès des autorités libyennes dans le respect du principe de complémentarité. Enfin, il appelait à renforcer la coopération avec les États tiers et les organisations internationales et régionales en vue de faire avancer les procédures liées à la situation en Libye, notamment celles concernant les crimes commis contre les migrants. Cette feuille de route était bien accueillie par ceux des membres du Conseil qui soutiennent le travail de la CPI en Libye.
Le 9 novembre, c’est de Tripoli que M. Khan s’adressait au Conseil, à l’occasion de la première visite d’un procureur de la CPI depuis que le Conseil lui avait référé, à l’unanimité, la situation en Libye en 2011. Il mettait l’accent sur les aspects les plus concrets des activités de son bureau -visites de terrain, entretiens avec les survivants ou les familles des victimes- ainsi que sur les résultats obtenus dans le domaine de la lutte contre des responsables de la traite des êtres humains. À cet égard, il mettait en avant l’entrée officielle, en septembre, de son bureau au sein de l’équipe d’enquête conjointe chargée de soutenir les enquêtes sur les crimes commis contre les migrants et les réfugiés en Libye, assurant qu’il y avait désormais consensus autour de la nécessité d’aborder la question. De fait, plusieurs des membres du Conseil se préoccupaient de ces crimes lors de la discussion, tandis que la Fédération de Russie manifestait de nouveau son hostilité à l’action de la CPI et que l’Inde et la Chine, non parties au Statut de Rome, préféraient s’inquiéter de l’impasse politique persistante.
Enfin, en marge du dossier libyen et sous la rubrique du « maintien de la paix et de la sécurité internationales », le Conseil adoptait, le 29 septembre, la résolution 2652 (2022), par laquelle il renouvelait, une fois encore pour un an, son autorisation donnée dans sa résolution 2240 (2015) aux États Membres d’inspecter les bateaux naviguant en haute mer au large des côtes libyennes s’ils ont des motifs raisonnables de soupçonner qu’ils sont utilisés pour le trafic de migrants ou la traite d’êtres humains « ayant le territoire libyen et le large des côtes libyennes comme destination, zone de transit ou point de départ ».
Sahara occidental
- 1 séance publique: 27 octobre
- 1 résolution: 2654 (2022)
Le Conseil a reconduit une nouvelle fois pour un an, jusqu’au 31 octobre 2023, le mandat de la Mission des Nations Unies pour l’organisation d’un référendum au Sahara occidental (MINURSO). Le 27 octobre, la résolution 2654 (2022) était adoptée par 13 voix pour et 2 abstentions. La résolution souligne qu’il convient de parvenir à une « solution politique réaliste, pragmatique, durable et mutuellement acceptable » à la question du Sahara occidental, qui repose sur le compromis, et qu’il importe « d’adapter l’action stratégique de la MINURSO et d’affecter les ressources des Nations Unies à cette fin ».
Pour la cinquième année consécutive, la Fédération de Russie s’abstenait, estimant que le libellé de la résolution ne reflète, depuis des années, que le point de vue du « pays porte-plume »: les États-Unis. Elle jugeait en particulier « obsolètes » les références faites dans la résolution au format des « tables rondes » qu’avait organisées en 2018 et 2019 le précédent Envoyé personnel du Secrétaire général, Horst Köhler, réduisant ainsi la portée de la médiation de son successeur, Staffan de Mistura. L’autre abstention venait du Kenya, qui avait voté en faveur de la résolution précédente, en 2021, mais expliquait lui aussi que le libellé actuel « ne reflète pas la volonté du Conseil de sécurité » d’organiser un référendum au Sahara occidental pour permettre l’autodétermination.
Consolidation de la paix en Afrique de l’Ouest
- 2 séances publiques: 10 janvier, 7 juillet
Voir aussi: Paix et sécurité en Afrique; Consolidation et pérennisation de la paix, Coopération entre l’ONU et les organisations régionales et sous-régionales; Terrorisme; Mali
Sous cette rubrique, le Conseil n’a traité que des activités du Bureau des Nations Unies pour l’Afrique de l’Ouest et le Sahel (UNOWAS), dirigé par le Représentant spécial du Secrétaire général Mahamat Saleh Annadif. Les deux séances d’information semestrielles ont été marquées par une double inquiétude face au « recul des valeurs démocratiques et de la culture constitutionnelle de l’Afrique de l’Ouest et du Sahel », déploré en janvier par le représentant du Ghana, et à une aggravation multiforme de l’insécurité.
Le 10 janvier, M. Annadif s’alarmait de la détérioration de la sécurité dans toute la région, marquée par des attaques terroristes incessantes au Mali, au Burkina Faso, au Niger et au Nigéria, mais aussi des incidents dans le nord de la Côte d’Ivoire, du Bénin et du Togo, lesquels illustraient à ses yeux une extension des actes de terrorisme du Sahel vers les pays côtiers du golfe de Guinée, théâtre par ailleurs de multiples actes de piraterie. Le Chef de l’UNOWAS décrivait comme une des conséquences majeures de cette situation la crise humanitaire multiforme subie par la région. Par ailleurs, si les A3 se félicitaient avec M. Annadif du succès de la récente élection présidentielle à Cabo Verde, ils s’inquiétaient des retards dans les processus de transition prévus au Mali et en Guinée après les coups d’État militaires de 2020-2021. Ils appelaient le Conseil à soutenir les mesures annoncées deux jours plus tôt lors d’un sommet de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) tenu à Accra, notamment des sanctions sévères contre le Mali.
Le 7 juillet, M. Annadif opposait devant le Conseil les pays de la région où « des citoyens exercent librement leur droit de vote pour choisir leurs dirigeants » -après le succès des élections locales au Sénégal et celui des législatives en Gambie- à ceux dirigés par « des militaires qui cherchent à dominer l’espace politique », après un nouveau putsch, cette fois au Burkina Faso, le 24 janvier. Concernant les seconds, il évoquait les dialogues établis par l’UNOWAS, en étroite consultation avec la CEDEAO, avec plusieurs autorités de transition et se félicitait de l’accord intervenu le 3 juillet entre celles du Burkina Faso et l’organisation sous-régionale sur un calendrier de transition. Comme la Présidente de la Commission de consolidation de la paix (CCP), Mme Rabab Fatima, il s’inquiétait de l’impact des changements anticonstitutionnels de régime sur les progrès économiques et sociaux dans la sous-région. Les membres du Conseil s’inquiétaient aussi des besoins humanitaires résultant de niveaux d’insécurité « sans précédent » provoqués par l’intensification et l’expansion géographique des attaques terroristes, ainsi que par l’aggravation des conflits intercommunautaires. Dans un contexte de reconfiguration des forces de sécurité régionales, plusieurs délégations dénonçaient l’exploitation des failles de sécurité par des groupes armés et terroristes. Certaines, comme l’Inde, demandaient un financement « prévisible et durable » des opérations de lutte contre le terrorisme.
Mali
- 7 séances publiques: 11 janvier, 7 avril, 13 juin, 29 juin, 30 août, 18 octobre, 23 novembre
- 2 résolutions: 2640 (2022), 2649 2022)
Voir aussi: Paix et sécurité en Afrique; Coopération entre l’ONU et les organisations régionales et sous-régionales; Opérations de paix des Nations Unies
Si la question à long terme pour le Mali reste la mise en œuvre de l’Accord pour la paix et la réconciliation au Mali issu du processus d’Alger de mai 2015, l’année a été largement dominée par la question de la transition institutionnelle après les deux coups d’État d’août 2020 et mai 2021. Les sanctions imposées en décembre 2021 et janvier 2022 par la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) ont été levées en juillet après la publication d’un calendrier électoral jugé acceptable. En revanche, le Mali a quitté le G5 Sahel et sa Force conjointe tandis que ses relations avec la France et les pays européens se détérioraient, ces derniers s’inquiétant notamment de la présence d’instructeurs russes et du groupe Wagner, niée par le Gouvernement malien. La force antiterroriste française Barkhane a quitté le Mali fin août. Plusieurs pays ont par ailleurs annoncé le retrait de leurs contingents de la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA) dirigée par le Représentant spécial El-Ghassim Wane et dont le mandat a été renouvelé fin juin, mais qui se plaignait d’obstruction de la part des autorités maliennes.
Le 11 janvier, la première séance du Conseil sur le Mali était dominée par la situation politique après la fin, le 30 décembre précédent, des Assises nationales de la refondation de l’État, qui prévoyaient notamment la tenue des élections présidentielles fin 2026. Cette date était, une semaine plus tard, rapportée à la fin 2025 mais toujours jugée inacceptable par la CEDEAO, qui durcissait ses sanctions décidées le 12 décembre. Les A3 appelaient le Conseil à appuyer celles-ci tout en plaidant pour qu’elles soient mises en œuvre en gardant à l’esprit les besoins opérationnels de la MINUSMA. Ils insistaient en outre sur un soutien logistique, matériel et financier en faveur de la Force conjointe du G5 Sahel et demandaient de nouveau la création d’un bureau conjoint, ainsi que le déploiement d’une brigade d’intervention rapide. La Fédération de Russie dénonçait des ingérences étrangères excessives « qui ne font que compliquer la situation ». La France déplorait l’utilisation par le Gouvernement malien de fonds publics pourtant limités pour rétribuer des mercenaires étrangers et condamnait le déploiement dans le pays du groupe Wagner, que démentait le Mali, lequel reconnaissait en revanche une « relation de coopération d’État à État avec la Russie », « historique et dynamique », menée depuis 1960 et dans le cadre de laquelle des formateurs et instructeurs russes se trouvaient sur son sol.
Le 7 avril, M. Wane constatait qu’aucun progrès tangible n’avait été réalisé dans le processus de paix, alors que le Comité de suivi de l’Accord d’Alger ne s’était pas réuni depuis six mois. Il suggérait au Conseil d’exhorter les parties à tirer parti des synergies existantes entre les recommandations des Assises nationales de la refondation de l’État et l’Accord de paix. Il notait également une recrudescence des activités des jihadistes, soumis à moins de pression depuis l’annonce, en février, du double retrait des forces française Barkhane et européenne Takuba du Mali en raison de leur désaccord avec le Gouvernement malien. Par ailleurs, aucun accord n’avait encore été trouvé sur la durée de la transition et le Mali restait soumis aux sanctions de la CEDEAO. Enfin, le Représentant spécial faisait état de graves violations des droits humains commises contre un grand nombre de civils lors d’une récente opération de l’armée malienne. Les membres occidentaux du Conseil s’inquiétaient de la recrudescence de telles exactions, qu’ils mettaient en rapport avec le déploiement du groupe Wagner, que continuaient de nier les autorités maliennes. La France expliquait que son retrait du Mali ne préjugeait pas de son soutien à la MINUSMA, dont le mandat devait être renouvelé fin juin.
La forte augmentation des violations des droits de l’homme dans le pays était dénoncée dans le rapport du Secrétaire général sur la situation au Mali que le Conseil examinait le 13 juin, et qui les attribuait tant à des groupes extrémistes qu’aux forces de sécurité maliennes. Royaume-Uni et États-Unis accusaient le groupe Wagner de « terribles atteintes aux droits de l’homme partout où il passe ». Plusieurs délégations dénonçaient le laxisme des autorités maliennes concernant les enquêtes relatives à ces violations. « Nous n’avons reçu aucune plainte de nos partenaires africains », objectait la Fédération de Russie. M. Wane estimait qu’à l’avenir, le succès des opérations dirigées par le Mali dépendrait à la fois d’une approche globale répondant aux enjeux institutionnels, de gouvernance et socioéconomiques; et du respect des droits humains, le soutien des populations étant une condition sine qua non pour le succès de la lutte contre le terrorisme.
Le sort de la MINUSMA, dont le mandat arrivait à échéance, suscitait de nombreux commentaires. Un rapport du Secrétaire général sur la performance globale de la Mission notait les difficultés supplémentaires pour la Mission causées par le départ de l’opération Barkhane. M. Wane constatait des entraves imposées depuis plusieurs mois aux opérations de la Mission par les autorités maliennes. Pays porte-plume, la France proposait d’appuyer la suggestion faite par le Secrétaire général d’un examen interne pour clarifier les relations avec l’État hôte et modifier le cas échéant la configuration de la Mission. Le Mali, qui demandait de centrer le mandat de la MINUSMA sur la protection des populations civiles et l’appui au rétablissement de l’autorité de l’État sur tout le territoire, tout en tenant compte de la montée en puissance des forces maliennes, s’opposait à toute intervention sur son territoire de l’opération Barkhane en cours de retrait et ajoutait que la Force conjointe du G5 Sahel, dont il s’était retiré un mois plus tôt, n’avait plus vocation à intervenir sur son sol. Les A3 souhaitaient un renforcement des capacités de la Mission sur les mesures antiterroristes mais l’Inde réitérait son opposition à ce que de telles opérations soient confiées à une opération de maintien de la paix. La Fédération de Russie estimait qu’il ne fallait ni ajuster le mandat de la MINUSMA, ni lui assigner de nouvelles missions.
Le 29 juin, le Conseil, par sa résolution 2640 (2022), prorogeait d’un an le mandat de la MINUSMA avec les mêmes effectifs maximums de 13 289 militaires et 1 920 policiers et les deux mêmes priorités stratégiques: l’appui à la mise en œuvre de l’Accord et à la transition politique; et la « facilitation de l’application par les acteurs maliens d’une stratégie politique globale et inclusive visant à lutter contre les causes profondes et les facteurs des conflits violents, à protéger les civils, à réduire les violences intercommunautaires et à rétablir la présence et l’autorité de l’État ainsi que les services sociaux de base dans le centre du Mali ». La promotion et la protection des droits humains et l’aide humanitaire faisaient toujours partie des « tâches prioritaires » mais les compétences de la Mission en matière d’enquête sur les allégations d’atteintes aux droits humains divisaient les membres du Conseil. La Fédération de Russie et la Chine s’abstenaient. Cette dernière et le Gabon, qui avait voté pour, estimaient que le texte ne répondait pas aux besoins les plus pressants de la population en matière de sécurité et comportait trop d’injonctions, portant atteinte à la souveraineté du pays. Le Mali rejetait fermement les dispositions de la résolution concernant la libre circulation des membres de la MINUSMA pour enquêter sur les allégations de violations des droits humains, alors que la France insistait sur cette nécessaire liberté face aux multiples accusations. Le Conseil se disait par ailleurs favorable à un examen interne de la Mission et demandait au Secrétaire général de lui présenter avant la mi-janvier 2023 un rapport devant inclure « des propositions concernant la future configuration de la MINUSMA, le niveau des effectifs et l’effectif maximum du personnel en tenue ».
Un mois plus tard, le 30 août, c’est à l’unanimité que le Conseil, par la résolution 2649 (2022), reconduisait pour un an le régime de sanctions individuelles -interdiction de voyager et gel des avoirs– applicables aux personnes et entités désignées par le Comité créé par la résolution 2374 (2017), notamment pour avoir préparé, donné l’ordre de commettre ou de financer, ou commis, au Mali, des actes qui violent le droit international humanitaire.
Le 18 octobre, M. Wane pouvait se féliciter devant le Conseil des progrès politiques enregistrés depuis trois mois. En effet, le 17 juin, le Conseil national de transition avait adopté une loi électorale à la suite de laquelle les autorités maliennes avaient annoncé un calendrier électoral pour la transition, qui fixait le scrutin présidentiel à février 2024, précédé d’un référendum constitutionnel en mars 2023 et de législatives entre octobre et novembre 2023. Une commission avait été chargée d’élaborer un avant-projet de constitution, qui était présenté le 11 octobre au Président de la transition. En conséquence, la CEDEAO avait annoncé le 3 juillet la levée de ses sanctions. Le Chef de la MINUSMA annonçait aussi une évolution « encourageante » dans la mise en œuvre de l’Accord d’Alger. Ces développements positifs intervenaient toutefois dans un contexte sécuritaire et humanitaire jugé « très difficile ». La plupart des membres du Conseil saluaient les « jalons posés », tout en estimant que la priorité restait la lutte contre les groupes terroristes, qui multipliaient les attaques contre les Casques bleus. Les États-Unis demandaient aussi que cessent les campagnes de désinformation à l’encontre de la Mission et les restrictions imposées à ses activités, là où le Mali ne voyait que l’affirmation de sa souveraineté face à un manque de concertation et de coordination. La Chine demandait la « rationalisation » de la MINUSMA pour la doter de moyens suffisants, également réclamés par les A3. Ces derniers disaient attendre des mesures supplémentaires dans le cadre du plan d’adaptation de la Force, notamment une augmentation des effectifs militaires, alors même que plusieurs pays avaient décidé de retirer ou de suspendre leur contribution à la Mission, ce que déplorait la Fédération de Russie.
Enfin, le 23 novembre, le Conseil entendait le Président du Comité du Conseil de sécurité créé par la résolution 2374 (2017) concernant le Mali, l’Ambassadeur du Mexique, qui présentait le bilan des travaux du Comité durant l’année écoulée.
Afrique centrale
- 2 séances publiques: 8 juin, 8 décembre
Voir aussi: Paix et sécurité en Afrique, République centrafricaine
Le Conseil de sécurité a examiné en juin et décembre les rapports semestriels du Secrétaire général sur la situation dans la région et les activités du Bureau régional des Nations Unies pour l’Afrique centrale (BRENUAC). Le Président de la Communauté économique des États de l’Afrique centrale (CEEAC), M. Gilberto Da Piedade Verissimo, est intervenu lors de deux séances.
Le 8 juin, c’est la Sous-Secrétaire générale pour l’Afrique, Mme Martha Ama Akyaa Pobee, qui présentait au Conseil le rapport semestriel du Secrétaire général, après l’expiration, en mai, du mandat du Représentant spécial du Secrétaire général dans la région, M. François Lounceny Fall. La transition au Tchad était largement évoquée, de même que la tenue dans les mois à venir d’une série d’élections jugées cruciales en République démocratique du Congo, en Angola, à Sao Tomé-et-Principe, en Guinée équatoriale ainsi qu’au Tchad. Mme Pobee réitérait l’appel du Secrétaire général aux parties prenantes d’œuvrer à la création de conditions propices à la tenue de ces élections « selon les principes démocratiques fondamentaux ». Les tensions mondiales trouvaient un écho dans la séance. Royaume-Uni, États-Unis et Albanie dénonçaient les activités « déstabilisantes du groupe Wagner soutenu par le Kremlin » en République centrafricaine, accusé d’exactions. La Fédération de Russie disait au contraire aider les pays africains, notamment la RCA, à renforcer leur potentiel militaire dans le strict respect des résolutions du Conseil. Elle rejetait en outre les analyses « politisées » du rapport du Secrétaire général sur les effets néfastes de la guerre en Ukraine sur la sécurité alimentaire de plusieurs pays de la région.
Le 8 décembre, le rapport semestriel était présenté par le nouveau Représentant spécial, Abdou Abarry, qui disait avoir vu « les deux visages » de l’Afrique centrale, terre de grands défis mais également de formidables opportunités, qu’il s’agisse de développement économique et social ou de consolidation de la démocratie et de l’état de droit. La transition tchadienne était de nouveau abordée. Telle qu’envisagée, le Royaume-Uni estimait qu’elle ne respectait pas les conditions posées en 2021 par le Conseil de paix et de sécurité de l’Union africaine, ni la promesse faite par le Président Mahamat Idriss Déby. M. Abarry notait aussi que la crédibilité des élections dans la région, certes organisées périodiquement, était souvent contestée, et la légitimité des dirigeants élus remise en cause. Les A3 jugeaient urgent de mettre en œuvre des mécanismes de prévention, d’atténuation et de gestion des risques sécuritaires causés par les changements climatiques et les Émirats arabes unis invitaient à renforcer la résilience des communautés locales.
République centrafricaine (RCA)
- 5 séances publiques: 22 février, 22 juin, 29 juillet, 19 octobre, 14 novembre
- 2 résolutions: 2648 (2022), 2659 (2022)
Voir aussi: Afrique centrale, Région des Grands Lacs
Conformément à la résolution 2605 (2021), le Secrétaire général a remis tous les quatre mois des rapports sur la situation en RCA, examinés par le Conseil en février, juin et octobre. Fin juillet, l’embargo sur les armes a été encore une fois allégé, pas assez toutefois aux yeux du Gouvernement centrafricain qui demandait la levée complète des restrictions. La Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation en République centrafricaine (MINUSCA), dirigée depuis mars par Mme Valentine Rugwabiza, qui a succédé à M. Mankeur Ndiaye, a vu son mandat renouvelé pour un an dans les mêmes termes, très critiqués par la Ministre des affaires étrangères de la RCA.
Lors de sa dernière intervention devant le Conseil en tant que Représentant spécial du Secrétaire général, M. Ndiaye déclarait le 22 février que l’action militaire était nécessaire mais insuffisante pour apporter des solutions politiques durables à la crise en RCA. Il avertissait que le recours par les Forces armées centrafricaines (FACA) à des supplétifs risquait de compromettre la réforme du secteur de la sécurité. Malgré le cessez-le-feu unilatéral décrété le 15 octobre 2021 par le Président Touadéra à la suite de l’adoption, un mois plus tôt, par la Conférence internationale sur la région des Grands Lacs (CIRGL) de sa feuille de route pour la RCA, il jugeait encore préoccupant l’état de la sécurité. Il déplorait aussi de graves violations des droits humains et du droit international humanitaire par toutes les parties au conflit. Il saluait en revanche l’annonce d’un dialogue politique.
La majorité des membres du Conseil se félicitaient des développements positifs internes et les efforts régionaux. En revanche, plusieurs d’entre eux déploraient avec le Chef de la MINUSMA les campagnes de désinformation qui créaient un climat délétère nuisant aux relations entre le Gouvernement, la population et la Mission. France, États-Unis et Royaume-Uni dénonçaient l’activité des membres du groupe Wagner, l’accusant de semer les germes de nouvelles violences intercommunautaires. La Fédération de Russie voyait dans ces accusations des tentatives pour discréditer la présence russe dans le pays. Elle appuyait aussi, comme la Chine, la demande de la RCA, relayée par les A3, visant à la levée complète de l’embargo sur les armes, afin de permettre au Gouvernement de mieux lutter contre les groupes armés. Le Royaume-Uni répondait que l’embargo visait à empêcher que des armes ne tombent entre les mains de ces groupes. La France déplorait que le Groupe d’experts chargé de vérifier l’application des sanctions continue d’être bloqué par la Fédération de Russie.
Le 22 juin, la nouvelle Cheffe de la MINUSCA expliquait au Conseil le réajustement du concept d’opérations de la Mission, qui mettait l’accent sur une approche préventive centrée sur les populations civiles. Dénonçant la persistance de violations du cessez-le-feu par toutes les parties, Mme Rugwabiza affirmait que la Mission renforcerait son soutien au Gouvernement aussi longtemps que nécessaire pour la reconstruction des capacités des FACA, les forces armées centrafricaines. Elle invitait le Gouvernement à mettre en œuvre les recommandations issues du dialogue républicain tenu en mars. Plusieurs membres occidentaux du Conseil s’inquiétaient une fois de plus des agissements du groupe Wagner, dont la Fédération de Russie soulignait au contraire la réussite dans le cadre d’une activité menée à l’invitation des autorités centrafricaines légitimes. À six semaines de l’échéance pour le renouvellement du régime d’embargo et de sanctions, la France estimait que la RCA n’avait pas encore su apporter des garanties suffisantes pour une levée de l’embargo, que la RCA jugeait au contraire « immoral ».
Le 29 juillet, le Conseil renouvelait pour un an le régime de sanctions relatif à la RCA mais allégeait encore l’embargo sur les armes à destination du Gouvernement, pratiquement réduit à une obligation de notification d’importation. Le préambule de la résolution 2648 (2022) rappelait en outre que le Comité des sanctions du Conseil avait jusqu’alors « approuvé toutes les demandes de dérogation présentées par les autorités centrafricaines dans le cadre de l’embargo sur les armes ». Le Conseil demandait aussi à son groupe d’experts -reconduit lui aussi pour un an - de prêter une attention particulière à l’analyse des réseaux transnationaux de trafiquants qui continuaient de financer et d’approvisionner les groupes armés en RCA, ainsi que les menaces liées aux engins explosifs improvisés, de plus en plus utilisés. Tout en étant qualifiés de « victoire » par le Kenya, les changements dans l’embargo étaient jugés insuffisants par les A3, qui rappelaient que le Conseil de paix et de sécurité de l’Union africaine avait, quatre jours plus tôt, demandé sa levée complète. Les trois membres africains du Conseil s’abstenaient donc lors du vote, tout comme la Chine et la Fédération de Russie.
La séance du 19 octobre se plaçait dans la perspective du renouvellement du mandat de la MINUSCA, un mois plus tard. La Représentante spéciale appelait à saisir « l’opportunité naissante » que constituait l’adoption, le 29 août, d’un calendrier d’activités prioritaires pour accélérer la mise en œuvre de l’Accord du 6 février 2019 à partir de la feuille de route de la CIRGL de septembre 2021. Mme Rugwabiza faisait état d’une accalmie dans plusieurs régions du pays facilitant le retour des déplacés et réfugiés. La Ministre des affaires étrangères de RCA demandait un « soutien concret » de la communauté internationale pour appuyer ce processus et permettre la tenue des élections municipales en 2023. Les membres du Conseil se félicitaient d’une accélération « encourageante » du processus politique. Certains insistaient toutefois sur le respect des droits humains et de la démocratie, alors que le pays s’était divisé après une tentative de révision de la Constitution invalidée par la Cour suprême et que les discours de haine et incitations à la violence étaient en augmentation. Les A3, l’Inde, la Chine et les Émirats arabes unis plaidaient en faveur d’investissements dans le secteur du développement. La Chine et la Fédération de Russie réclamaient de nouveau la levée complète des dernières mesures d’embargo sur les armes. La Cheffe de la MINUSCA demandait quant à elle la fin des restrictions à la liberté de mouvement de la Mission, et notamment l’autorisation des vols de nuit. La RCA mettait en avant le respect de sa souveraineté.
Le 14 novembre, par la résolution 2659 (2022), le Conseil renouvelait pour un an le mandat de la MINUSCA avec les mêmes plafonds d’effectifs militaires et de police, et un mandat essentiellement identique, marqué néanmoins par la montée au premier rang des tâches non prioritaires de la Mission de « l’appui à l’extension de l’autorité de l’État, au déploiement des forces de sécurité et au maintien de l’intégrité territoriale », placé désormais devant les droits humains. Comme lors de la reconduction précédente, Fédération de Russie et Chine s’abstenaient, rejointes cette fois par le Gabon, qui estimait que le texte « ne répondait pas aux aspirations de la RCA » décrites dans une lettre adressée au Conseil le 5 novembre par la Ministre des affaires étrangères du pays. Celle-ci intervenait longuement après le vote sur un texte qu’elle jugeait « non satisfaisant », produit « dans de confortables tour d’ivoire », « en déconnexion totale de la réalité du terrain » et orienté davantage par des enjeux géopolitiques que par les soucis du pays et de son peuple alors que, rappelait-elle, « vos amis peuvent ne pas être nos amis tout comme vos ennemis peuvent ne pas être nos ennemis ». La Ministre demandait que la MINUSCA « gagne en efficacité » et réclamait pour la Représentante spéciale « la latitude d’utiliser la robustesse de sa mission et la force armée » tout en dénonçant les « limites d’une opération de la paix qui n’a pas vocation ou mandat à agir sur la cause du problème: les groupes armés ». Bien qu’ayant voté en faveur du texte, le Kenya et le Ghana regrettaient eux aussi que les demandes de la RCA et les propositions de plusieurs membres du Conseil n’aient pas été suffisamment prises en compte par le pays porte-plume -la France- ce que contestait celui-ci. La Fédération de Russie regrettait une « absence de traitement différencié entre le Gouvernement et les groupes armés » et la suppression d’un délai bien défini pour un examen stratégique indépendant auquel, selon le texte adopté, le Conseil « exprimait son intention de faire procéder ». La résolution évoquait également la question de l’autorisation des vols de nuit pour la Mission. La RCA répondait qu’il n’y avait « jamais eu » d’interdiction des vols de nuit ni de restriction de mouvement à la MINUSCA, mais répétait que ceux-ci devaient être menés dans le respect de sa souveraineté.
Région des Grands Lacs
- 2 séances publiques: 27 avril, 26 octobre
Voir aussi: République démocratique du Congo; République centrafricaine
L’objectif dans la région reste de mettre pleinement en œuvre l’Accord-cadre pour la paix, la sécurité et la coopération pour la République démocratique du Congo et la région (« Accord-cadre d’Addis-Abeba »). La situation régionale est donc étroitement liée à celle qui prévaut en RDC. La dynamique de dialogue des deux années précédentes s’est poursuivie avec l’entrée de la RDC dans la Communauté d’Afrique de l’Est (CAE) et la signature d’accords de sécurité entre la RDC et la République du Congo voisine, ainsi qu’avec le Burundi, tandis que le Rwanda et l’Ouganda ont continué à se rapprocher. La réapparition du Mouvement du 23 mars (M23) dans l’est de la RDC a toutefois provoqué des tensions entre ce pays et le Rwanda, que la RDC accusait d’être derrière le groupe armé. La volonté de dialogue, de coopération et d’intégration s’est cependant poursuivie, traduite dans le processus de Nairobi puis la « feuille de route de Luanda ». Comme de coutume, les deux séances consacrées à ce point ont chacune été suivies d’une déclaration à la presse, la première le 28 avril, la seconde le 28 octobre.
Le 27 avril, l’Envoyé spécial du Secrétaire général pour les Grands Lacs, Xia Huang, faisait état d’une « dynamique encourageante » et d’une volonté continue de s’attaquer aux causes profondes de l’instabilité. S’il déplorait que cette orientation positive ait été perturbée par la crise sécuritaire et humanitaire dans l’est de la RDC, encore exacerbée par la reprise des activités militaires du M23, il jugeait encore possible de consolider les acquis importants enregistrés à ce jour dans la région et d’avancer progressivement vers une paix durable. À cette fin, il demandait que des efforts soient fournis à trois niveaux: une coopération accrue en matière de sécurité; un dialogue direct et permanent au plus haut niveau entre les dirigeants de la région; et un appui continu de la communauté internationale à la région. Lors du débat, les A3 saluaient les résultats du second conclave régional des chefs d’État de la Communauté d’Afrique de l’Est (CAE) sur la RDC, laquelle achevait son processus d’entrée dans cette organisation régionale. Ils rappelaient aussi qu’en application du processus de Nairobi naissant, tous les groupes armés en RDC avaient désormais un choix clair à faire entre un désarmement pacifique ou la confrontation avec les armées des pays concernés, et souhaitaient un soutien du Conseil de sécurité à cette initiative régionale.
Le 26 octobre, l’Envoyé spécial venait demander à nouveau au Conseil de soutenir les initiatives régionales devant faciliter la mise en œuvre de l’Accord-cadre d’Addis-Abeba, parmi lesquelles il citait le processus de Nairobi et les efforts de médiation entre le Rwanda et la RDC conduits par le désormais ex-Président du Kenya, Uhuru Kenyatta: la « feuille de route de Luanda .» Il rappelait que la situation humanitaire restait préoccupante, avec environ 12 millions de personnes déplacées dans la région, du fait notamment de l’activisme des groupes armés, dont le M23 et les Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR). Ces groupes étaient à l’origine des tensions croissantes entre la RDC et le Rwanda, qui s’exprimaient une nouvelle fois ouvertement devant les membres du Conseil. Les A3 demandaient l’adoption de mesures de confiance entre les deux pays, qui passaient selon eux par le retrait du M23 de toutes les localités occupées, le désarmement et la coopération pour mettre un terme à l’action inhumaine des FDLR. Les membres du Conseil prenaient acte de la création d’une force régionale actée dans le cadre du processus de Nairobi, appelaient à la soutenir et lui demandaient d’exécuter son mandat en coordination avec la MONUSCO.
République démocratique du Congo - RDC
- 8 séances publiques: 29 mars, 31 mai, 3 juin, 29 juin, 30 juin, 30 septembre, 9 décembre, 20 décembre
- 3 résolutions: 2641 (2022), 2666 (2022), 2667 (2022)
Voir aussi: Paix et sécurité en Afrique; Région des Grands Lacs; Opérations de paix des Nations Unies
L’année a été marquée par une amélioration de la situation générale du pays, mais une nouvelle dégradation de sécurité dans l’est, avec en particulier la résurgence du groupe armé M23, réapparu fin 2021 et dont l’activité s’est intensifiée à partir de la fin mars. La RDC a accusé le Rwanda d’être derrière le M23, provoquant une tension entre les deux pays, que plusieurs acteurs régionaux ont tenté d’apaiser. L’insécurité croissante dans l’est et les difficultés à acheminer de l’aide humanitaire ont aggravé la crise de confiance entre la population et la Mission de l’Organisation des Nations Unies pour la stabilisation en République démocratique du Congo (MONUSCO), dirigée par la Représentante spéciale du Secrétaire général, Bintou Keita. La situation empirait encore après un grave incident impliquant des Casques bleus survenu le 31 juillet à Kasindi. Ces événements amenaient le Président Felix Tshisekedi à demander une révision du plan de retrait de la Mission adopté en 2020 et entériné par le Conseil dans sa résolution 2556 (2020). Le mandat de la MONUSCO était toutefois reconduit en décembre et la révision du plan de retrait reportée au second semestre 2023. En revanche, les dernières contraintes concernant les achats d’armes par le Gouvernement de la RDC étaient levées, en deux phases.
Le 29 mars, Mme Keïta pouvait mettre en avant les progrès dans le redressement de la RDC. Elle qualifiait de « pas dans la bonne direction » le lancement de consultations nationales sur la justice transitionnelle et se félicitait de la présentation de projets de loi essentiels dès l’ouverture de la session parlementaire, deux semaines auparavant. Elle se réjouissait également de l’opérationnalisation progressive du Programme de désarmement, démobilisation, relèvement communautaire et stabilisation. Elle ajoutait que la MONUSCO suit de près la situation dans la province du Tanganyika, d’où la Mission, conformément au plan de retrait adopté en 2020, devait se retirer d’ici à la fin juin. En revanche, la Représentante spéciale constatait une inquiétante détérioration de la situation sécuritaire dans les provinces de l’Est –Ituri et Kivu- et notait que les besoins humanitaires ne cessaient d’augmenter. Les A3 s’alarmaient de la violence croissance dans l’Est et le Gabon invitait le Conseil à se pencher sur la question de l’embargo sur les armes à destination de la RDC qui, à son sens, contribuait à restreindre l’efficacité des actions militaires des États contre les mouvements rebelles.
Lors de la séance de mars, plusieurs groupes armés -CODECO, ADF...- avaient été mentionnés par les intervenants. Mais c’est le groupe M23 qui allait désormais focaliser l’attention. Ce dernier lançait fin mars une offensive au Nord-Kivu et tenait tête aux Forces armées de la RDC et aux unités de la MONUSCO. Le 31 mai, le Conseil examinait la situation. À la suite du Secrétariat, plusieurs membres du Conseil jugeaient urgent de désamorcer la crise alors que la tension montait entre la RDC et le Rwanda, que la RDC accusait d’instrumentaliser le M23. Lors de la séance, le Ministre des affaires étrangères de la RDC affirmait ainsi que le Rwanda apparaissait « à chaque fois » qu’il était question du M23. Il accusait « le M23 et ses parrains » de vouloir « maintenir la RDC dans l’instabilité et torpiller les efforts de paix de la Communauté d’Afrique de l’Est » à laquelle son pays avait adhéré le 8 avril. Le Rwanda démentait catégoriquement. L’Envoyé spécial du Secrétaire général pour la région des Grands Lacs, Huang Xia, annonçait qu’il entamerait dès le lendemain une nouvelle tournée régionale pour porter un triple message: la région n’a pas besoin d’une nouvelle crise; maintenons les canaux de dialogue ouverts à tous les niveaux, y compris au niveau communautaire; et préservons les progrès acquis ces dernières années. Les A3 et la France annonçaient la présentation prochaine d’un projet de déclaration présidentielle sur la question.
La déclaration présidentielle était adoptée le 3 juin. « Préoccupé par l’intensification de l’activité des groupes armés dans les provinces orientales » de la RDC, le Conseil condamnait « tous les groupes armés opérant dans le pays ». Le M23 était cité, parmi d’autres. Le Conseil exhortait tous ces groupes armés à « participer sans condition au dialogue interne à la RDC ouvert par le Président Félix Tshisekedi et le Président Uhuru Kenyatta ». Il leur demandait instamment de « mettre immédiatement fin à toute forme de violence, de se dissoudre définitivement, de déposer les armes et de participer au Programme de désarmement, démobilisation, relèvement communautaire et stabilisation ». Il exhortait en outre « tous les groupes armés étrangers présents » en RDC à « se désarmer et à retourner immédiatement et sans condition dans leurs pays d’origine respectifs ». Le Conseil soulignait par ailleurs que l’élimination de la menace posée par les groupes armés étrangers nécessiterait « une approche intégrée à l’échelle régionale et une forte volonté politique ».
Le 29 juin, Mme Keita présentait un nouveau rapport du Secrétaire général qui confirmait les tendances précédentes. La Cheffe de la MONUSCO rappelait que c’est le lendemain que la Mission fermerait son dernier bureau dans la province du Tanganyika et voyait dans le déploiement de policiers congolais « une preuve tangible de l’engagement des autorités congolaises à assumer leurs responsabilités envers la population dans les zones où la présence des Nations Unies est destinée à évoluer ». Mais la situation dans l’est du pays continuait d’alarmer les membres du Conseil. La Représentante spéciale observait que le M23 se comportait de plus en plus comme une armée conventionnelle plutôt que comme un groupe armé, disposait d’une puissance de feu et d’équipements de plus en plus sophistiqués et faisait peser une « menace évidente » sur la population, mais aussi sur les Casques bleus chargés de la protéger. Elle jugeait impératif que le Conseil redouble ses efforts en faveur d’une désescalade rapide de la situation et du désarmement sans condition du M23, avant de condamner ceux qui se livraient à l’exacerbation des tensions intercommunautaires au plan régional. La séance était l’occasion d’un nouvel échange tendu entre le représentant de la RDC, qui affirmait que « le M23 est une milice de l’armée rwandaise » et son homologue du Rwanda, qui jugeait les accusations « sans fondements ». Le représentant de la RDC demandait aussi au Conseil de supprimer totalement le dispositif de notification préalable de livraison d’armes exigé par le Comité des sanctions concernant la RDC, parlant d’une disposition devenue « complètement obsolète », alors que « les groupes armés qui massacrent la population congolaise ne sont même pas affectés par cette mesure ».
Le lendemain, 30 juin, le Conseil ne donnait que partiellement satisfaction à la demande de la RDC à l’occasion du vote sur la prorogation du régime d’embargo sur les armes et de sanctions relatives au pays. La résolution 2641 (2022) maintenait le principe de l’embargo de la résolution 1807 (2008) mais supprimait l’obligation de notification pour les envois d’armes et de matériels connexes à destination de la RDC, à l’exception de certaines catégories d’armes indiquées dans une annexe, dont la livraison restait soumise aux procédures de notification. Le Conseil étendait par ailleurs les motifs de sanctions applicables -gels des avoirs, interdictions de voyager…- aux personnes et entités liées à la fabrication ou à l’utilisation d’engins explosifs improvisés, aux effets de plus en plus dévastateurs. Lors du vote, cinq pays s’abstenaient: les A3, qui estimaient que le texte ne répondait pas à l’appel de la RDC en faveur d’une levée totale de l’obligation de notification; la Fédération de Russie, au motif que les sanctions du Conseil devraient en général mieux refléter la situation « sur le terrain » et être régulièrement révisées et modifiées jusqu’à leur suppression complète; la Chine enfin, qui rappelait les propos tenus la veille par la Représentante spéciale en RDC sur la puissance de feu du M23 et estimait qu’il fallait donner aux autorités de RDC les moyens de se défendre.
Le 30 septembre, les membres du Conseil étaient confrontés à deux sources de préoccupations. Face à la poursuite des violences dans l’est du pays et à l’escalade des tensions entre la RDC et le Rwanda, ils insistaient sur la mise en œuvre des différents documents visant à améliorer les relations entre les deux pays, que ce soit la feuille de route de Luanda, adoptée en juillet, ou le processus de Nairobi. Le représentant de la RDC répétait que c’était l’armée rwandaise, « sous couvert du M23 », qui occupait la localité de Bunagana au Kivu. Il demandait au Conseil de « ne pas continuer à fermer les yeux » et de demander « haut et fort aux forces d’agression et d’occupation » de quitter immédiatement la localité. Son homologue rwandais répliquait en accusant la RDC d’accueillir sur son territoire les anciens « génocidaires » des Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR).
Le second problème tenait au devenir de la MONUSCO, qui commençait à inquiéter. Mme Keita déclarait que la « crise de confiance » existant déjà entre la Mission et la population congolaise dans l’Est s’était aggravée, offrant un terrain fertile aux manipulations et stigmatisations, d’où plusieurs manifestations violentes à l’origine de la mort de plusieurs dizaines de manifestants et de quatre membres de la Mission. La Norvège et d’autres disaient leur préoccupation devant la « rhétorique hostile et anti-MONUSCO », tandis que l’Irlande rappelait que « la redevabilité est nécessaire pour tous les acteurs », en référence au grave incident ayant impliqué des Casques bleus au poste frontière de Kasindi, à la frontière ougandaise, le 31 juillet. Le représentant de la RDC réaffirmait que la MONUSCO était un partenaire « important » pour la paix et la stabilité dans l’est du pays et réitérait la demande de son pays au Conseil d’allouer à la Mission des moyens suffisants. Mais il parlait aussi de la « nécessité de réévaluer » le plan de transition et de retrait progressif de la MONUSCO.
La séance du 9 décembre permettait aux membres du Conseil de saluer la récente publication par la Commission électorale indépendante de la RDC du calendrier électoral pour le prochain scrutin présidentiel, fixé au 20 décembre 2023. La Représentante spéciale les informait également des décisions prises lors d’un mini-sommet régional tenu à Luanda le 23 novembre pour tenter de faire cesser les hostilités dans l’est du pays. Les membres du Conseil condamnaient les atrocités commises par le M23 et d’autres groupes armés et s’inquiétaient de la poursuite des tensions entre la RDC et le Rwanda. À l’approche de l’échéance du mandat de la MONUSCO, Mme Keita rappelait que le Gouvernement avait pris contact mi-novembre avec la Mission en vue de la « réévaluation » de son mandat, mesure que la France disait soutenir. Le représentant de la RDC rassurait le Conseil sur la volonté de son pays de travailler avec l’ONU à cette réévaluation. Il demandait notamment des « éclaircissements » sur le mandat de la Mission pour « éviter les malentendus », voire les « procès d’intention ». Il souhaitait voir la MONUSCO concourir à l’imposition de la paix aux côtés des FARDC et de la Force régionale de la Communauté d’Afrique de l’Est en cours de déploiement, grâce à un mandat renforcé qui, à ses yeux, n’entravait en rien le programme de retrait progressif de la Mission. Il demandait aussi la levée de « l’obligation inutile et injustifiée » de notification des achats de certains matériels de guerre maintenue par la résolution 2641 (2022). Plusieurs membres du Conseil demandaient aussi un renforcement de la coordination entre l’ONU et les processus régionaux de Luanda et Nairobi.
Le 20 décembre, ce sont deux résolutions séparées que le Conseil adoptait à l’unanimité.
La résolution 2666 (2022) reconduisait pour un an le mandat de la MONUSCO avec les mêmes effectifs en uniforme et essentiellement les mêmes tâches, auxquelles étaient ajoutées celle de « fournir, si les autorités congolaises le demandent officiellement, une assistance au processus électoral de 2023 dans les trois régions où la MONUSCO se trouve encore ». L’examen de la stratégie de retrait par le Conseil était reporté au second semestre 2023, après la remise par le Secrétaire général, « une fois que l’examen conjoint du plan de transition pour la MONUSCO sera achevé », d’un rapport présentant des « options pour adapter la future configuration des composantes civile, policière et militaire de la MONUSCO et concernant la configuration future des entités des Nations Unies dans le pays, au-delà du mandat actuel de la MONUSCO ».
La résolution 2667 (2022) supprimait ce qui restait de l’obligation de notification d’importations d’armes par le Gouvernement contenu dans la résolution 1807 (2008) et déjà allégée en juin par la résolution 2641 (2022). L’embargo sur les armes continuait en revanche de « s’appliquer à toutes les personnes et entités non gouvernementales » menant des activités sur le territoire de la RDC. En outre, la résolution demandait au Gouvernement de la RDC de lui remettre avant le 31 mai 2023 un rapport confidentiel sur les mesures prises pour assurer une gestion sûre et efficace de ses stocks d’armes et de munitions et pour lutter contre le trafic et le détournement des armes. Cette seconde résolution était particulièrement saluée par les membres africains du Conseil. Ce Conseil a fini par comprendre que restreindre la marge de manœuvre d’un gouvernement démocratiquement élu, qui fait face à des défis sécuritaires de grande ampleur, n’est pas une bonne chose, commentait le Gabon. Nous espérons que les groupes armés comprendront la détermination de la communauté internationale, ajoutait le Ghana.
Somalie
- 11 séances publiques: 15 février, 24 février, 31 mars, 23 mai, 26 mai, 21 juin, 7 septembre, 19 octobre, 31 octobre, 15 novembre, 17 novembre, 21 décembre
- 6 résolutions: 2628 (2022), 2632 (2022), 2657 (2022), 2661 (2022), 2662 (2022), 2670 (2022)
Voir aussi: Paix et sécurité en Afrique; Coopération entre l’ONU et les organisations régionales et sous-régionales
L’année a été marquée par l’achèvement, tardif mais régulier, du processus électoral et par la transformation de la Mission de l’Union africaine en Somalie (AMISOM) en Mission de transition de l’Union africaine en Somalie (ATMIS) autorisée fin mars par le Conseil de sécurité. La Mission d’assistance des Nations Unies en Somalie (MANUSOM) dirigée par le Représentant spécial du Secrétaire général James Swan a été reconduite pour un an avec le même mandat. Le régime de sanctions a été allégé et réorganisé en fin d’année. L’autorisation accordée par le Conseil aux États et organisations régionales coopérant avec les autorités somaliennes pour lutter contre la piraterie et les vols à main armée au large des côtes du pays a expiré en mars.
Le 15 février, M. Swan rappelait devant le Conseil que le processus électoral avait pris un an de retard sur le calendrier prévu par la Constitution. Toutefois, comme la plupart des membres du Conseil après lui, il considérait comme une « évolution positive » l’achèvement des élections de la Chambre haute et l’accélération du rythme des élections de la Chambre du peuple à la suite de la tenue en janvier d’un conseil consultatif national. Certains intervenants invitaient les responsables somaliens à accélérer le rythme, mais la Chine recommandait un « accompagnement » du processus évitant les pressions. Plusieurs s’inquiétaient aussi de l’aggravation de la situation humanitaire dans le pays, frappé par une interminable sécheresse.
L’insécurité était un autre sujet de préoccupation pour les membres du Conseil, alors que les discussions sur le devenir de la Mission de l’Union africaine étaient en cours. M. Swan affirmait que les Nations Unies participaient « activement » aux discussions entre le Gouvernement fédéral somalien, l’Union africaine et les principaux donateurs sur la configuration future de l’AMISOM, dont le retrait, envisagé dès 2017, était devenu plus pressant en 2020 avec l’adoption du plan de transition pour la sécurité en Somalie, qui prévoyait alors un transfert progressif de la responsabilité de la sécurité aux autorités nationales entre 2021 et fin 2023. Mais un désaccord sur la nature de la mission appelée à succéder à l’AMISOM avait opposé durant toute l’année 2021 l’Union africaine, qui souhaitait une mission hybride ONU-UA dont le financement aurait été assuré par les contributions obligatoires des États Membres des Nations Unies, et le Gouvernement somalien, qui jugeait la proposition de l’UA non conforme au Plan de transition et préférait l’option d’une mission reconfigurée de l’Union africaine, soutenue par les conclusions d’un examen stratégique mené par l’ONU. Faute d’accord, le Conseil avait, le 21 décembre 2021, prorogé jusqu’au 31 mars 2022 son autorisation de déploiement de l’AMISOM par sa résolution 2614 (2021), un texte d’attente.
Les représentants de l’Union africaine comme de la Somalie confirmaient le 15 février que les discussions tenues quelques jours plus tôt avaient permis d’aplanir les différends. Le Chef de l’AMISOM, Francisco Caetano Jose Madeira, décrivait la future mission comme un mécanisme de transition qui viendrait appuyer les autorités somaliennes en bénéficiant des acquis de la mission finissante. Les A3 appelaient à prendre « pleinement » en compte les points de vue des pays contributeurs de troupes. Appuyés par la Fédération de Russie et la Chine, ils réclamaient pour la future mission un financement « prévisible et durable ». Le Royaume-Uni demandait une mission « réaliste, efficace et abordable » pour soutenir la mise en œuvre du plan de transition. La France appelait à un gain d’efficacité et les États-Unis se montraient soucieux de parvenir à un accord avant l’échéance du 31 mars.
Le 7 mars, le Secrétaire général adressait au Conseil de sécurité le texte d’une « proposition conjointe » élaborée avec l’Union africaine, en concertation avec le Gouvernement fédéral somalien et les donateurs, concernant les objectifs stratégiques, la taille et la composition de la future mission reconfigurée de l’Union africaine.
Le 31 mars, le Conseil adoptait à l’unanimité la résolution 2628 (2022), par laquelle il « prenait note avec satisfaction » de la Proposition conjointe et approuvait la décision du Conseil de paix et de sécurité de l’UA de reconfigurer l’AMISOM, devenue la Mission de transition de l’Union africaine en Somalie (ATMIS). Il autorisait, « pour une période initiale de 12 mois », les États membres de l’Union africaine à prendre toutes les mesures nécessaires, pour exécuter le mandat confié à l’ATMIS. Celui-ci comprend, entre autres, la réduction de la menace posée par les Chabab; le soutien au renforcement des capacités des forces de sécurité et de police somaliennes intégrées; le transfert progressif des responsabilités en matière de sécurité à la Somalie; et le soutien aux efforts déployés par le Gouvernement fédéral somalien et les États membres de la fédération en faveur de la paix et de la réconciliation. Le Conseil autorisait également les États membres de l’Union africaine à déployer jusqu’au 31 décembre 2022 un effectif en tenue de 19 626 personnes au plus, dont au moins 1 040 policiers. Cet effectif devait ensuite être réduit de 2 000 personnes avant le 31 mars 2023. Le Conseil prenait note de deux autres phases de retrait mentionnées dans la proposition conjointe, avant la fin de la Mission, prévue en 2024. Concernant le financement de l’ATMIS, le Conseil « engageait instamment les États Membres, y compris les nouveaux donateurs, à envisager d’apporter un soutien prévisible, durable et pluriannuel » à la nouvelle Mission, ainsi qu’un financement au fonds d’affectation spéciale des Nations Unies à l’appui de la Somalie. Après l’adoption, la Somalie disait regretter profondément l’insuffisance des dispositions concernant un appui logistique, y compris dans la perspective de la stratégie de retrait de l’ATMIS.
Le 23 mai, M. Swan pouvait saluer l’achèvement du processus électoral, conclu une semaine plus tôt par l’élection du Président Hassan Sheikh Mohamud. Le Représentant spécial invitait néanmoins les membres du Conseil à « rester lucides » sur le processus électoral, non seulement à cause des retards, mais aussi parce que les Somaliens n’avaient pas pu voter selon le principe « une personne, une voix » et que la proportion de femmes élues -21%- restait bien en deçà du quota de 30% prévu. En outre, les Chabab continuaient de lancer d’audacieuses attaques. Le Chef de la MANUSOM et les membres du Conseil n’en parlaient pas moins d’un moment historique pour la Somalie, dont le pays devait tirer profit pour relever le défi de la réconciliation nationale et lutter contre les Chabab dans un contexte marqué par une situation humanitaire grave et la récente reconfiguration de l’AMISOM en ATMIS.
Le 26 mai, le Conseil de sécurité adoptait à l’unanimité la résolution 2632 (2022) par laquelle il reconduisait jusqu’au 31 octobre le mandat de la MANUSOM dans les mêmes termes. Il priait en outre le Secrétaire général, à l’issue de consultations avec le Gouvernement fédéral somalien, de procéder à un examen stratégique de la Mission et de lui recommander avant le 30 septembre une série d’indicateurs « précis, mesurables et réalistes » permettant de suivre l’exécution de son mandat.
Le 7 septembre, les membres du Conseil se félicitaient des développements politiques survenus durant l’été, marqués par l’entrée en fonctions du nouveau Président et la formation d’un nouveau gouvernement. Ils restaient toutefois préoccupés par les activités terroristes des Chabab, présentés par l’Union européenne comme « la franchise mondiale la plus riche et la plus puissante d’Al-Qaida ». « Des forces somaliennes efficaces sont essentielles à la transition prévue de l’ATMIS », déclarait M. Swan, qui voyait des progrès dans la mise en œuvre du Plan de transition de la Somalie, lesquels étaient jugés trop limités par l’Union européenne. Les A3 demandaient de nouveau pour la Mission de l’Union africaine un financement adéquat et prévisible de la part de la communauté internationale pour lui permettre de s’acquitter efficacement de son mandat. La Somalie estimait fondamental un soutien aux mesures de stabilisation dans la phase de transition pour consolider les gains obtenus par les forces de sécurité nationales. La France jugeait toutefois impératif que l’ATMIS entame la réduction progressive de ses effectifs dès la fin de l’année, conformément au calendrier approuvé par la résolution 2628 (2022), afin que la Somalie soit en mesure, à terme, d’assurer seule sa sécurité. La situation humanitaire inquiétait aussi, la moitié de la population étant affectée par la pire sécheresse depuis 40 ans.
Le 31 octobre, le Conseil reconduisait la MANUSOM avec le même mandat pour 12 mois supplémentaires. Il approuvait en outre l’examen stratégique de la Mission réalisé durant l’été et approuvait les recommandations et indicateurs proposés à sa suite dans le rapport du Secrétaire général. La résolution 2657 (2022) était adoptée par 14 voix pour et l’abstention de la Chine, pour qui le texte laissait à désirer sur plusieurs points. Tout en ayant voté pour, la Fédération de Russie regrettait un manque d’équilibre dans le mandat de la Mission, tandis que le Kenya demandait de soutenir le Gouvernement de la Somalie et les États fédéraux pour qu’ils puissent armer la police et l’armée et tarir les sources de financement des Chabab.
Il fallait encore régler la question des sanctions. Après avoir entendu le Président du Comité du Conseil de sécurité faisant suite à la résolution 751 (1992) concernant les Chabab -le « Comité 751 »- les 24 février, 21 juin et 19 octobre, le Conseil devait se prononcer sur le renouvellement du régime de sanctions, qui expirait le 15 novembre. Après une brève reconduction technique de 48 heures, le Conseil adoptait, le 17 novembre, par 11 voix pour et 4 abstentions (Chine, Fédération de Russie, Gabon et Ghana), la résolution 2662 (2022). Celle-ci réorganisait le dispositif en s’appuyant sur deux piliers, le premier consistant à faciliter la gestion des armes et des munitions, la réforme du secteur de la sécurité ainsi que l’embargo partiel sur les armes, et le second visant à réduire la menace posée par les Chabab. « Cette résolution resserre l’étau sur les Chabab », affirmait le représentant du Royaume-Uni, porte-plume du texte. La Somalie exprimait au contraire sa profonde déception, jugeant que la reconduction de l’embargo mettait en péril le Plan de transition. Le Kenya, qui avait voté en faveur du texte, n’en demandait pas moins un nouvel assouplissement de l’embargo sur les armes pour accentuer encore la pression sur les Chabab, dont il demandait l’inscription sur la liste du Comité 1267 –le comité contre le terrorisme- plutôt que du Comité 751.
Le calendrier prévu par la résolution 2628 (2022) était modifié par la résolution 2670 (2022) que le Conseil adoptait à l’unanimité le 21 décembre. À la demande l’Union africaine, et pour continuer de réduire la menace représentée par les Chabab et avancer vers la transition et le déploiement de forces de sécurité somaliennes, le Conseil prorogeait de trois mois, jusqu’au 30 juin 2023, son autorisation de l’ATMIS. Il reportait aussi jusqu’à cette date le premier retrait de 2 000 soldats de l’Union africaine prévu initialement au premier trimestre de 2023. Le rapport conjoint du Secrétaire général et de l’Union africaine prévu pour la mi-février était reporté au 30 avril. Le Conseil demandait en outre au Secrétaire général un rapport supplémentaire avant le 30 avril comportant une « évaluation secteur par secteur des conditions de sécurité et des performances de l’ATMIS ». Le Conseil décidait en outre d’organiser « au plus tard le 31 mars 2023 » une séance officielle sur la transition en Somalie avec la participation de la Somalie, de l’Union africaine, de l’Union européenne et des pays fournissant des contingents à l’ATMIS. La date de retrait de l’ATMIS était maintenue au 31 décembre 2024.
Enfin, l’année 2022 a vu la fin des autorisations accordées aux États et organisations régionales qui coopèrent avec les autorités de la Somalie dans la lutte contre la piraterie et les vols à main armée au large des côtes somaliennes. En décembre 2021, ces autorisations habituellement annuelles n’avaient été renouvelées que pour trois mois, jusqu’au 3 mars 2022. La Somalie avait alors fait savoir au Conseil qu’elle avait mis fin à sa participation aux activités du Groupe de contact sur la question car elle souhaitait privilégier ses préoccupations nationales, sa souveraineté et sa capacité à gérer par elle-même ses ressources maritimes. Le 15 février, l’échéance à venir était évoquée par les États-Unis, qui souhaitaient l’adoption d’une nouvelle résolution dans un esprit de consensus. Le Royaume-Uni assurait n’avoir « aucune objection de principe au désir du Gouvernement fédéral de Somalie de passer à un cadre bilatéral de coopération maritime », tout en souhaitant lui aussi une prorogation de la résolution 2608 (2021) jusqu’à la mise en place qu’un tel cadre. Mais la Somalie annonçait qu’elle ne « demanderait pas » le renouvellement de la résolution, estimant qu’après 15 ans, cette lutte avait « atteint ses objectifs ». Le dernier cas avait en effet été signalé en 2019. L’échéance du 3 mars passait sans qu’un nouveau texte soit présenté, entraînant l’extinction des autorisations.
Soudan – Darfour
- 12 séances publiques: 17 janvier, 15 février, 28 mars (sanctions), 28 mars (politique), 24 mai, 3 juin, 21 juin, 23 août, 13 septembre (sanctions), 13 septembre (politique), 7 décembre (sanctions), 7 décembre (politique)
- 2 résolutions: 2620 (2022), 2636 (2022)
Voir aussi: Paix et sécurité en Afrique, Soudan du Sud, Abyei, Opérations de paix des Nations Unies, Organes subsidiaires
Après le coup d’État militaire d’octobre 2021, l’évolution démocratique du Soudan a été gelée, au moins jusqu’à l’annonce, début décembre, de la signature entre militaires et civils d’un accord-cadre politique sur la transition. Le Premier Ministre civil, M. Abdullah Hamdok, a démissionné le 2 janvier 2022. Le pays est resté menacé par une crise économique et humanitaire. Le Conseil s’est dit prêt à étudier une évolution des sanctions, qui sont toutefois restées inchangées, tandis que la Mission intégrée des Nations Unies pour l’assistance à la transition au Soudan (MINUATS) dirigée par M. Volker Perthes faisait l’objet, en juin, d’une simple reconduction technique d’un an.
Le 15 février, par sa résolution 2620 (2022), le Conseil prorogeait jusqu’au 12 mars 2023 le mandat du Groupe d’experts chargé d’appuyer les travaux du Comité des sanctions relatives au Soudan. Le Conseil, qui prenait note des critères de référence proposés en juillet 2021 par le Secrétaire général pour évaluer les mesures prises au Darfour, exprimait son intention de réfléchir, « d’ici au 31 août 2022 », à des critères clefs « clairs, bien définis et réalistes » permettant d’ajuster les sanctions en fonction de l’évolution de la situation sur le terrain. La Chine et la Fédération de Russie insistaient sur l’importance de cette date et demandaient une levée des sanctions.
Le temps ne joue pas en faveur du Soudan, déclarait au Conseil M. Perthes le 28 mars. Il rappelait que le pays était privé de gouvernement fonctionnel depuis le coup d’État du 25 octobre 2021 et ajoutait qu’à « moins de rectifier la trajectoire actuelle, le Soudan se dirigera vers un effondrement économique et sécuritaire, assorti de souffrances humanitaires considérables ». Il notait toutefois que les consultations menées dès octobre par la MINUATS montraient que les Soudanais « s’accordent sur plus de points importants qu’ils ne le pensent ». Il annonçait en outre que l’ONU, l’Autorité intergouvernementale pour le développement (IGAD) et l’Union africaine avaient décidé de joindre leurs efforts pour appuyer le Soudan pendant la prochaine phase du processus politique. Les A3 notaient que l’économie soudanaise souffrait fortement de la suspension de l’aide financière internationale, dont le Royaume-Uni rappelait qu’elle était la conséquence du coup d’État d’octobre. D’autres membres estimaient que le Soudan subissait aussi les conséquences sur le prix des denrées alimentaires de l’invasion de l’Ukraine, ce que la Fédération de Russie réfutait.
Le même jour, le Président ghanéen du Comité des sanctions sur le Soudan -le « Comité 1591 »- avertissait le Conseil que l’application de l’Accord de paix de Djouba risquait d’être compromise du fait de l’absence d’un soutien réel de la communauté internationale au Soudan. Il rappelait que le régime de sanctions avait été établi pour soutenir une paix durable au Soudan et non pas pour le punir. Le représentant du Soudan demandait la levée des sanctions afin « d’aider son pays à avancer » et affirmait que les sanctions n’étaient plus cohérentes avec la situation sur le terrain au Darfour où, ajoutait-il, les affrontements communautaires ne changeaient rien au fait qu’il existait une stabilité nouvelle dont il fallait tenir compte.
Le 24 mai, M. Perthes constatait une détérioration rapide de la situation économique, des conditions de vie et de la situation humanitaire, à quoi s’ajoutaient les violences communautaires au Darfour. Tout en insistant sur l’urgence, il notait que la mise en place du « mécanisme trilatéral » réunissant l’ONU, l’Union africaine et l’IGAD avait permis de renouer un dialogue entre les différentes parties soudanaises et une diminution des violences contre les manifestants. Il se félicitait en outre de la mise sur pied par les autorités soudanaises de la force conjointe de maintien de la sécurité au Darfour prévue dans l’Accord de Djouba. Pour accélérer la mise en œuvre de celui-ci et du Plan national de protection des civils, les A3 demandaient un accroissement du soutien au Gouvernement soudanais. Royaume-Uni et États-Unis rappelaient que seul l’avènement d’une démocratie dirigée par les civils permettrait la reprise du soutien financier international. Rejetant toute tentative de « chantage » en contrepartie de l’aide au développement, la Fédération de Russie demandait à la MINUATS de se conformer strictement à son mandat et de faciliter la mobilisation de l’aide financière internationale, de même que la Chine, qui s’opposait aux pressions de l’étranger sur les autorités soudanaises.
Le 3 juin, par sa résolution 2636 (2022) le Conseil prorogeait à l’unanimité d’un an le mandat de la MINUATS. Le texte, très court, était un renouvellement technique. Pays porte-plume, le Royaume-Uni expliquait qu’il aurait préféré un texte appuyant les « efforts vitaux » de la Mission, de l’Union africaine et de l’IGAD en faveur d’un processus de transition vers la démocratie. Norvège, Mexique ou encore Irlande regrettaient qu’on n’ait pu réviser le mandat de la MINUATS pour tenir compte des événements intervenus durant les derniers mois. En revanche, la Chine saluait la prise en compte des points de vue des différents membres du Conseil dans un texte de compromis, y voyant la « méthode idoine ». Comme la Fédération de Russie, elle estimait que les divergences entre les parties soudanaises devaient être réglées dans le cadre d’un processus politique dirigé et contrôlé par les Soudanais, charge à la communauté internationale de créer l’espace propice au règlement des différends tout en évitant de prendre parti, d’aggraver les tensions ou d’exercer une pression excessive, et en faisant preuve de « patience ».
Le 21 juin, le Président du Comité 1591 annonçait le réexamen, fin août, de la résolution 2620 (2022) et affirmait la détermination du Comité de travailler avec le Soudan et tous les acteurs concernés. La représentant du Soudan réitérait son appel à la levée des sanctions, appuyé par la Fédération de Russie, pour qui les sanctions du Conseil avaient perdu leur utilité et nuisaient aux efforts entrepris par la région et le Gouvernement du Soudan plus qu’elles ne contribuaient au processus politique. Le régime de sanctions ne « peut pas et ne doit pas se transformer en un remède plus nocif que le mal lui-même », ajoutait le Gabon. La Chine rappelait que la résolution 2620 appelait à la définition de critères clefs clairs, bien définis et réalistes pour ajuster le régime de sanctions. Mais les États-Unis jugeaient « instable et dangereuse » la situation au Darfour, compromettant selon eux le processus de paix.
De fait, le 13 septembre, l’exposé du Président du Comité 1591 devant le Conseil était particulièrement bref. Celui-ci rappelait que le régime de sanctions avait été établi « dans le seul but de contribuer à ramener la paix au Darfour ». Le Comité, ajoutait-il, « réaffirme sa détermination à coopérer avec le Soudan et toutes les parties concernées pour faire de cet objectif une réalité ». Lors de la séance consacrée le même jour à la situation au Soudan, la Fédération de Russie se disait déçue par « la décision des rédacteurs américains en charge du dossier des sanctions soudanaises de suspendre les travaux relatifs au document du Conseil de sécurité sur les critères de levée de l’embargo sur les armes ». Elle jugeait « irresponsable » cette approche qui faisait que, « pour la deuxième année consécutive, le Conseil sabote ainsi ses propres décisions sur l’examen du régime de sanctions imposé au Soudan ». La Chine déplorait l’incapacité du Conseil à fixer des critères pour ajuster les sanctions avant le 31 août et exhortait le rédacteur à « assumer sérieusement ses responsabilités en reprenant les consultations dès que possible ». En revanche, l’Inde qualifiait la suspension « d’initiative bienvenue qui permet au Conseil de rester uni sur une question aussi sensible ».
Lors de la même séance générale du 13 septembre, M. Perthes répétait que la situation du Soudan continuerait de s’aggraver, sauf à trouver une solution politique pour remettre en place un gouvernement dirigé par des civils, crédible et capable de rétablir l’autorité de l’État dans l’ensemble du pays et de créer les conditions d’une reprise de la coopération internationale. Le Représentant spécial rappelait qu’après les violentes manifestations antirégime du 30 juin, le Président du Conseil souverain avait annoncé l’intention de l’armée de se retirer de la politique, un engagement qui restait à mettre en œuvre mais avait incité les forces civiles à rechercher une vision commune de la transition. Celles-ci, ajoutait-il, veulent presque toutes voir le mécanisme trilatéral jouer un rôle. La plupart des membres du Conseil exhortaient les militaires à honorer leur engagement de retrait de la scène politique et à s’engager dans le processus de concertation. La Fédération de Russie dénonçait toutefois l’ingérence extérieure et les « programmes de démocratisation et socioéconomiques douteux basés sur les modèles occidentaux » et refusait de qualifier de coup d’État les « événements du 25 octobre 2021 ». Elle jugeait en outre inacceptable le lien établi dans le rapport de la MINUATS entre la reprise de l’aide internationale au développement et le transfert du pouvoir à un gouvernement civil.
La fin de l’année apportait une brusque éclaircie avec l’annonce, le 5 décembre, d’un accord entre militaires et civils devant jeter les bases de pourparlers en vue à la fois de la formation d’un gouvernement civil et de la tenue d’élections démocratiques dans le cadre d’une transition de deux ans. Quelques jours plus tôt, le 24 octobre, civils et militaires s’étaient déjà accordés sur un document important relatif au projet de texte constitutionnel et présenté au mécanisme trilatéral. Devant le Conseil, M. Perthes se félicitait le 7 décembre de ces premières bonnes nouvelles depuis un an, tout en faisant état par ailleurs de récents affrontements dans plusieurs régions du pays jusqu’alors relativement calmes. Comme ils le confirmeraient le lendemain dans une déclaration à la presse, les membres du Conseil se félicitaient de l’accord de sécurité, dans lequel ils voyaient « une mesure essentielle vers la formation d’un gouvernement dirigé par des civils et la définition d’arrangements constitutionnels visant à guider le Soudan au cours d’une période de transition qui aboutirait à des élections ». L’Irlande et la Norvège insistaient toutefois sur la nécessité d’un processus inclusif qui ne se limite pas à un « énième accord entre élites » à Khartoum. Le représentant du Soudan se voulait rassurant, affirmant que les militaires cesseraient de participer à la politique pour se consacrer à la garantie de l’unité et l’intégrité territoriale du pays hors de toute politisation, et que l’accord resterait ouvert au ralliement de toutes les composantes du pays. Il demandait en revanche la levée des sanctions internationales et la reprise de la coopération des institutions financières internationales avec Khartoum, comme il l’avait fait quelques instants plus tôt lors de l’examen du dernier rapport en date du Comité 1591.
Enfin, le Conseil a, comme chaque année, entendu le Procureur de la Cour pénale internationale (CPI), à laquelle il avait déféré la situation au Darfour en 2005.
Entré en fonction en juin 2021, M. Karim Ahmad Khan intervenait pour la première fois sur le Soudan devant le Conseil de sécurité le 17 janvier. Il y réaffirmait son intention d’accorder la priorité aux affaires renvoyées à la CPI par le Conseil et rappelait que le Soudan avait été la première de celle-ci, 17 ans plus tôt. Il rappelait qu’il s’était rendu en août 2021 à Khartoum où il avait signé un mémorandum d’accord avec le Gouvernement soudanais qui s’était engagé à signer le Statut de Rome et à collaborer plus étroitement avec son bureau, avant d’ajouter que « le 25 octobre, bien sûr, la situation avait changé » avec le coup d’État militaire, qui avait « compliqué les choses ». Le procureur rappelait toutefois que ses enquêtes ne « visaient pas le Soudan mais des individus » et ajoutait: « le Soudan est un partenaire, pas un adversaire ». Affirmant que « la demande de justice ne va pas disparaître », M. Khan soulignait que « la seule façon d’avancer et de clore ce dossier » était d’accélérer la coopération. Il proposait donc que ses services, le Gouvernement soudanais, le Conseil et les États Membres travaillent en partenariat, se disant « convaincu que le Soudan, débarrassé et libéré de certains fardeaux du passé, aura la possibilité, en administrant la justice, de faire une chose à laquelle aspirent tous les membres du Conseil, à savoir écrire un nouveau chapitre pour avancer vers un avenir meilleur, plus prospère et plus sûr ». Plusieurs membres du Conseil –France, Mexique, Ghana, Norvège…- appuyaient l’appel du Procureur et invitaient les autorités soudanaises à honorer tous leurs engagements. La Fédération de Russie réitérait son hostilité à la CPI à qui elle reprochait en outre de vouloir interpréter les résolutions du Conseil de sécurité, ce dont elle lui déniait le droit. Plusieurs membres du Conseil commentaient en outre la situation politique du pays.
Jamais encore un procureur de la CPI n’avait fait un exposé au Conseil depuis un pays dont il était chargé d’examiner la situation. Le 23 août, M. Khan réalisait donc une « première » en participant à la séance du Conseil en visioconférence depuis Khartoum. Il se félicitait de l’ouverture en avril du premier procès concernant un accusé soudanais dans le cadre du dossier renvoyé à la CPI, insistait de nouveau sur la soif de justice du peuple soudanais et souhaitait une coopération renforcée entre la CPI et les autorités soudanaises, en particulier par l’ouverture d’un bureau de la CPI à Khartoum. Plusieurs membres du conseil -Albanie, France, Irlande, Royaume-Uni- regrettaient l’insuffisance de coopération des autorités soudanaises depuis octobre 2021. D’autres, comme le Kenya, l’Inde ou le Gabon, estimaient que le Gouvernement de transition était prêt à aborder les questions relatives à la justice transitionnelle et rappelait le principe de complémentarité de la CPI. Le représentant du Soudan faisait valoir qu’entre le jugement des suspects devant les tribunaux soudanais et leur renvoi devant la CPI existait la troisième voie des tribunaux hybrides appuyés par la communauté internationale.
Soudan du Sud
- 6 séances publiques: 7 mars, 15 mars, 26 mai, 20 juin, 16 septembre, 13 décembre
- 2 résolutions: 2625 (2022), 2633 (2022)
Voir aussi: Soudan; Abyei
Les signataires de l’Accord revitalisé sur le règlement du conflit en République du Soudan du Sud du 12 septembre 2018 ont conclu, le 4 août, un accord sur une feuille de route prolongeant l’Accord et la période de transition de 24 mois, jusqu’en février 2025, avec des élections prévues en décembre 2024.
Le mandat de la Mission des Nations Unies au Soudan du Sud (MINUSS), dirigée par le Représentant spécial du Secrétaire général, Nicholas Haysom, a été prorogé d’un an avec les mêmes plafonds d’effectifs, pour poursuivre la mise en œuvre de sa « vision stratégique triennale ». Le régime de sanctions a également été reconduit avec un allégement de l’embargo sur les armes, toutefois jugé insuffisant par cinq des membres du Conseil de sécurité qui se sont abstenus.
Tenue le 7 mars, soit moins d’un an avant la fin prévue par l’Accord de paix revitalisé de 2018 pour la période de transition, la première séance de l’année sur la question confirmait les craintes exprimées depuis des mois. Tout en estimant qu’il existait encore une fenêtre d’opportunité pour capitaliser sur la stabilité relative du pays, le Chef de la MINUSS mettait en garde contre le sentiment de désillusion au sein de la population face aux retards dans la mise en œuvre de l’Accord revitalisé. Il déplorait en particulier que le projet de loi sur le processus d’élaboration de la Constitution soit toujours en attente et que la réunification des forces armées n’ait pas encore commencé. La France rappelait qu’il s’agissait là de mesures indispensables à la création de conditions propices à la tenue des élections et à la révision de l’embargo sur les armes que réclamait le Soudan du Sud, soutenu notamment par la Chine. Le Mexique déplorait un « rétrécissement » de l’espace civique peu favorable à la tenue d’élections. Les États-Unis notaient avec inquiétude que 8,9 millions de personnes auraient besoin d’une aide humanitaire durant l’année, soit 600 000 de plus qu’en 2021.
Le 15 mars, par sa résolution 2625 (2022) adoptée par 13 voix pour et 2 abstentions, le Conseil prorogeait d’un an le mandat de la MINUSS pour faire avancer la « vision stratégique triennale », définie dans la résolution 2567 (2021), consistant à prévenir un retour à la guerre civile, à construire une paix durable, à favoriser une gouvernance inclusive et responsable et à appuyer la tenue d’élections libres, équitables et pacifiques, conformément à l’Accord revitalisé. La Mission restait chargée de la protection des civils, de la création des conditions nécessaires à l’acheminement de l’aide humanitaire, de l’appui à l’exécution de l’Accord revitalisé et d’activités de surveillance, d’enquête et de signalement des cas de violation du droit international humanitaire et des atteintes aux droits humains. Ses effectifs en tenue étaient maintenus au même niveau. Fédération de Russie et Chine s’abstenaient. La première jugeait que la résolution ne reflétait pas « l’évolution positive de la situation dans le jeune État du Soudan du Sud » et se concentrait sur les aspects négatifs. La seconde déplorait un texte déséquilibré par l’insistance des États-Unis à inclure des mentions sur les droits humains et les changements climatiques comme cause des conflits. Tout en ayant voté pour le texte, le Ghana et l’Inde exprimaient des réserves similaires. Le Soudan du Sud regrettait que le nouveau mandat ne souligne pas assez la nécessité que la période de transition s’achève de manière pacifique en vue de la tenue, en 2023, d’élections « libres et sereines ».
Le 26 mai, c’est le régime de sanctions, en particulier l’embargo sur les armes imposé depuis 2018, que le Conseil de sécurité reconduisait pour un an par sa résolution 2633 (2022). L’embargo sur les armes était toutefois allégé avec une simple notification requise pour le matériel militaire non létal, « uniquement à l’appui de la mise en œuvre des dispositions de l’accord de paix ». En outre, le Conseil se déclarait de nouveau prêt à « apprécier s’il convient de modifier, de suspendre ou de lever progressivement » les mesures d’embargo « à la lumière des progrès accomplis par rapport aux principaux critères énoncés » dans la résolution 2577 (2021). Alors que cette dernière avait été adoptée à l’unanimité du fait des possibilités de réexamen de l’embargo, cinq pays s’abstenaient: Chine, Fédération de Russie, Gabon, Inde et Kenya. Ils jugeaient le texte en deçà de l’engagement du Conseil de lever peu à peu l’embargo et les sanctions ciblées, ignorant des efforts fournis par le peuple et le Gouvernement du « plus jeune État au monde » et des progrès accomplis et, dès lors, contre-productif. Le Soudan du Sud rejetait la résolution, demandant un soutien matériel supplémentaire de la part de la communauté internationale et non des « mesures punitives ». Seul des A3 à voter en faveur du texte, le Ghana estimait qu’il contribuait à la stabilité nécessaire aux dirigeants du pays pour sortir de la phase délicate de mise en œuvre de l’Accord revitalisé.
La séance du 20 juin différait peu de celle du 7 mars, sinon par le fait que M. Haysom se faisait encore plus pressant.
Le 16 septembre, le Représentant spécial pouvait saluer devant le Conseil la signature, le 4 août, par les parties à l’Accord de paix revitalisé, d’un accord sur une feuille de route qui prolongeait la période de transition de 24 mois, jusqu’en février 2025, et prévoyait des élections en décembre 2024. Il fallait encore obtenir la ratification de ce nouveau calendrier par l’Assemblée législative nationale de transition, expliquait M. Haysom, qui ajoutait qu’il n’y avait pas d’alternatives à l’Accord de 2018, mais qu’il était devenu évident que les parties n’étaient pas en mesure d’en mettre en œuvre les principales dispositions avant la date limite initiale de février 2023. Les A3 se félicitaient de la prorogation de la période de transition tout en prônant un processus inclusif permettant une appropriation nationale de la feuille de route. Ils demandaient l’appui de la communauté internationale, soutenus par la Fédération de Russie et la Chine, pour qui le Conseil devait tenir compte des préoccupations du Soudan du Sud et lever les sanctions. Les États-Unis et plusieurs autres membres regrettaient en revanche que les autorités sud-soudanaises aient réussi à prolonger leur mandat au pouvoir en dépit de quatre années d’échec. La France appelait à une accélération de la mise en œuvre de l’Accord de paix revitalisé avec une participation massive de la société civile.
Le 13 décembre, M. Haysom venait demander au Conseil d’envoyer un message uni aux parties sud-soudanaises sur l’importance de la mise en œuvre des dispositions relatives aux élections. Le Représentant spécial se félicitait des progrès accomplis dans la mise en œuvre de l’Accord revitalisé, en particulier la formation des forces unifiées nécessaires et l’adoption de textes législatifs essentiels relatifs à l’élaboration de la Constitution, au budget de l’État et à l’organisation des élections. Il exhortait les parties prenantes à concevoir la feuille de route « non pas comme un exercice consistant à cocher des cases, mais plutôt comme un processus qualitatif visant à jeter les bases d’une nation stable et démocratique ». Il s’inquiétait aussi d’accrochages entre communautés dans plusieurs régions, estimant en outre que les tensions s’intensifieraient à l’approche des élections. Les États-Unis appelaient les dirigeants sud-soudanais à concentrer leurs efforts sur les résultats auxquels ils s’étaient engagés et à mettre fin aux violences intercommunautaires. La France estimait que la protection des civils resterait le cœur du mandat de la MINUSS tant que les Forces de sécurité du pays ne seraient pas en mesure de remplir ce rôle. Chine, Fédération de Russie et A3 invitaient le Conseil à alléger les sanctions liées à l’embargo sur les armes pour faciliter le renforcement des capacités militaires du Soudan du Sud et donc sa capacité à protéger les civils et maintenir la paix.
Abyei
- 4 séances publiques: 21 avril, 12 mai, 27 octobre, 14 novembre
- 2 résolutions: 2630 (2022), 2660 (2022)
Voir aussi: Soudan, Soudan du Sud
Après un nouveau renouvellement de six mois en mai, la Force intérimaire de sécurité des Nations Unies pour Abyei (FISNUA) a vu pour la première fois de son histoire son mandat prorogé d’un an à la mi-novembre, sans changement. La Force créée en 2011 et jusqu’alors formée d’un contingent d’un seul pays –l’Éthiopie– a évolué en cours d’année vers une opération de paix véritablement multinationale, comme l’avait demandé le Soudan fin 2021. La FISNUA a par ailleurs continué de rencontrer les mêmes obstacles que les années précédentes dans l’exécution de son mandat. Malgré une reprise des relations entre le Soudan et le Soudan du Sud, les discussions entre les deux capitales à propos de ce territoire dont le statut est contesté depuis plus de 11 ans n’avaient pas produit de résultats concrets en fin d’année.
Le 21 avril, le Conseil faisait le point sur la situation à Abyei à l’approche de l’expiration du mandat de la Force en présence du Secrétaire général adjoint aux opérations de paix, Jean Pierre Lacroix, et de la nouvelle Envoyée spéciale du Secrétaire général pour la Corne de l’Afrique, Hanna Serwaa Tetteh. Tous deux notaient que le réchauffement des relations entre Khartoum et Djouba, stoppé par le coup d’État militaire au Soudan d’octobre 2021, avait repris. Il appartient avant tout aux Gouvernements soudanais et sud-soudanais de renouveler leur engagement sur le statut final d’Abyei, rappelait M. Lacroix, qui jugeait positive une récente demande de soutien des deux parties pour l’organisation d’une réunion du Comité mixte de contrôle d’Abyei, un organe censé se réunir mensuellement mais dont la dernière séance remonte à 2017. Sur le terrain, la situation était décrite comme globalement calme, mais des heurts intercommunautaires entre Misseriya et Ngok Dinka étaient jugés très préoccupants. Les membres du Conseil regrettaient en outre la poursuite des multiples blocages affectant le travail de la FISNUA: non-délivrance de visas pour les policiers internationaux, en particulier ceux des trois unités de police constituées prévues, impossibilité d’accès à la piste d’atterrissage d’Athony, mais aussi manque d’expertise interne pour documenter les violations des droits humains. Un point positif tenait au processus en cours de transformation de la Force en une opération réellement multinationale, qui progressait rapidement.
Le 12 mai, par sa résolution 2630 (2022), le Conseil prorogeait jusqu’au 15 novembre le mandat de la FISNUA dans les mêmes termes et avec les mêmes plafonds d’effectifs militaires et policiers autorisés par la résolution 2609 (2021). Le Conseil demandait instamment aux Gouvernements soudanais et sud-soudanais d’apporter un appui sans réserve à la Force de sorte qu’elle puisse s’acquitter de sa mission et déployer ses effectifs.
Le 27 octobre, le Département des opérations de paix et Mme Tetteh se félicitaient d’un « engagement renouvelé » du Soudan et du Soudan du Sud en vue de parvenir à une solution sur le statut final d’Abyei, concrétisé dans un accord conclu la semaine précédente, qui exprimait aussi l’intention de reprendre les réunions du Comité mixte de contrôle. Les représentants des deux pays rivalisaient de bonnes intentions devant le Conseil. Mme Tetteh estimait toutefois peu probables des progrès significatifs dans les négociations en l’absence d’un accord préalable sur la restauration d’un gouvernement de transition dirigé par des civils à Khartoum. Les membres du Conseil appelaient les deux pays à tirer parti du réchauffement de leurs relations pour surmonter l’impasse sur le statut d’Abyei. Plusieurs plaçaient leur espoir dans l’annonce d’une réunion du Comité mixte, tout en s’inquiétant des affrontements intercommunautaires de plus en plus violents. Les États-Unis et les A3 soutenaient la proposition du Secrétaire général de renouveler pour 12 mois le mandat de la FISNUA, dont la reconfiguration se poursuivait avec l’arrivée de Casques bleus de plusieurs nationalités pour compenser le départ du contingent éthiopien.
Le 14 novembre, le Conseil adoptait à l’unanimité la résolution 2660 (2022) par laquelle il prorogeait de 12 mois, jusqu’au 15 novembre 2023, le mandat de la FISNUA, toujours dans les mêmes termes et avec les mêmes effectifs militaires et policiers maximums autorisés. Ceux-ci restaient très loin d’être atteints puisque seuls 50 policiers étaient déployés sur les 640 autorisés, du fait de la non-délivrance de visas, en particulier pour les membres des trois unités de police constituées prévues. Une fois encore, le Conseil demandait instamment aux Gouvernements soudanais et sud-soudanais d’apporter un appui sans réserve à la Force de sorte qu’elle puisse s’acquitter de sa mission et déployer ses effectifs, et réaffirmait que la zone d’Abyei devait être démilitarisée.
AMÉRIQUE LATINE ET CARAÏBE
Colombie
- 5 séances publiques: 20 janvier, 12 avril, 14 juillet, 12 octobre, 27 octobre
- 1 résolution: 2655 (2022)
Les élections législatives et présidentielle ont amené au pouvoir en Colombie un nouveau gouvernement qui a relancé l’Accord de paix final. Dès son entrée en fonction le 7 août, le Président Gustavo Francisco Petro Urrego, premier Président issu de la gauche, annonçait une politique de « paix totale », marquée par une accélération de la mise en œuvre de certains aspects de l’Accord de paix final de 2016 et la relance des discussions avec plusieurs groupes armés, dont certains annonçaient en septembre des cessez-le-feu unilatéraux.
Comme le rappelait régulièrement le Brésil, la Colombie est un cas particulier pour l’ordre du jour du Conseil puisque c’est elle qui, au moment de la signature l’Accord de paix, a demandé de sa propre initiative à y être inscrite, afin que le Conseil appuie le processus de réconciliation. Ce que celui-ci a continué de faire en 2022 chaque trimestre, avec un espoir renouvelé au second semestre et concrétisé par une nouvelle reconduction en octobre de la Mission de vérification des Nations Unies en Colombie, dirigée par M. Carlos Ruiz Massieu.
Le 20 janvier, M. Ruiz Massieu rappelait devant le Conseil que l’année 2022 serait importante et porteuse d’opportunités: Il mentionnait les élections législatives prévue en mars, qui comprendraient 16 circonscriptions électorales spéciales pour la paix, créées en vertu des dispositions de l’Accord final de 2016, puis le scrutin présidentiel du printemps. En outre, était attendu, également au printemps, le rapport final de la Commission Vérité, coexistence et non-répétition, jugé déterminant pour le système de justice transitionnelle. Les membres du Conseil réitéraient leur soutien à l’Accord et l’Irlande plaidait pour que sa mise en œuvre soit consacrée comme « non négociable, non partisane et vue comme valeur commune ». Toujours exigeante face à la mise en œuvre de l’Accord, la Fédération de Russie mettait en garde contre toute tentative pour en modifier certains éléments. Plusieurs autres pays s’inquiétaient de la poursuite des violences contre les anciens guérilleros ou les dirigeants communautaires, mais aussi de la part de plusieurs groupes armés.
Après les élections parlementaires de mars, tenues dans le calme et marquées par une poussée de la gauche unie dans le « bloc historique », le processus de paix colombien était de nouveau salué au Conseil le 12 avril. La séance était marquée par l’intervention, pour la première fois, du Président de la Colombie Ivan Duque qui, appelé à quitter ses fonctions en août, dressait le bilan de la mise en œuvre de l’Accord pendant son mandat. Le Représentant spécial estimait qu’avec la Colombie, l’ONU était témoin d’un « processus d’édification de la paix qui progresse, bien qu’à des degrés divers, dans la voie tracée par l’Accord final » et dont il attribuait le mérite « avant tout, à la persévérance de l’État colombien et des ex-FARC-EP, ainsi qu’à l’appui déterminé de la société civile, des victimes et des communautés de toutes les régions ». M. Ruiz Massieu jugeait « fondamental, pour la Colombie et pour le monde », de reconnaître les avancées réalisées dans le cadre de ce processus, en particulier pour le protéger et le projeter vers l’avenir. La quasi-totalité des membres faisaient l’éloge du processus de paix, y voyant une « source d’inspiration » ou encore une « démonstration de sérieux ». Seule la Fédération de Russie se montrait très critique, estimant que la société colombienne n’avait « pas connu la transformation profonde qu’avait prévue l’Accord final ». Elle mettait en avant « l’incapacité persistante des autorités d’assurer la sécurité des participants au processus de paix et des dirigeants communautaires ».
L’examen trimestriel suivant, le 14 juillet, intervenait entre l’élection du Président Petro et sa prise de fonctions. M. Ruiz Massieu notait que l’Accord de paix final avait permis de consolider la démocratie colombienne et faisait observer que près de 30% des députés étaient désormais des femmes. Les A3 se félicitaient particulièrement de voir accéder pour la première fois à la vice-présidence une femme issue de la communauté afrocolombienne. La Fédération de Russie se disait « encline à jeter un regard plein d’espoir sur les perspectives de mise en œuvre » de l’Accord de paix et parlait « d’assurances encourageantes » de la part de la nouvelle direction du pays, qu’elle opposait aux « tentatives faites au cours des quatre dernières années de torpiller sa mise en œuvre ». Les membres du Conseil se félicitaient également de la publication, le 28 juin, du rapport final de la Commission Vérité, coexistence et non-répétition, dont le Président expliquait la méthode de travail et les conclusions.
Le 12 octobre, M. Ruiz Massieu se disait « encouragé » par l’approche de « paix totale » adoptée par le nouveau Gouvernement colombien désormais en place. Il citait en exemple les premières réunions de deux organes « essentiels »: la Commission de suivi, de promotion et de vérification de la mise en œuvre de l’Accord de paix final et la Commission nationale des garanties de sécurité. Il prenait note également de la décision du Gouvernement de reprendre les pourparlers de paix avec l’Armée de libération nationale (ELN), suspendus sous la présidence Uribe et de la signature d’un accord avec la fédération des éleveurs. Le nouveau Ministre des affaires étrangères du pays, M. Ávaro Leyva Durán, assurait: « Nous avons mis les choses en marche. » Face à cette « politique audacieuse », le Représentant spécial demandait au Conseil un « appui décisif » alors qu’approchait l’échéance du Mandat de la Mission de vérification. Les membres du Conseil saluaient largement des « évolutions qui nourrissent les espoirs », notamment la Fédération de Russie, qui se réjouissait de la nouvelle approche du Gouvernement colombien, « fondamentalement différente » de celle de l’administration précédente. L’amélioration des relations avec le Venezuela voisin était également saluée par plusieurs des membres du Conseil, dont beaucoup annonçaient déjà leur soutien au renouvellement du mandat de la Mission.
Le renouvellement intervenait le 27 octobre. Adoptée à l’unanimité, la résolution 2655 (2022) reconduisait le mandat de la Mission de vérification jusqu’au 31 octobre 2023, sans changement. Toutefois, le Conseil, qui réaffirmait son « attachement sans réserve » au processus de paix, prenait acte d’une demande formulée le 17 octobre conjointement par le Gouvernement colombien et le parti des anciennes FARC-EP -les signataires de l’Accord de paix final- qui le priaient d’envisager de charger la Mission de contrôler la mise en application de deux points précis de l’accord de paix, portant sur la réforme rurale intégrale et les questions ethniques.
Haïti
- 7 séances publiques: 18 février, 16 juin, 15 juillet, 26 septembre, 17 octobre, 21 octobre, 21 décembre
- 2 résolutions: 2645 (2022), 2653 (2022)
La « triple crise » -politique, économique et sécuritaire- que connaissait déjà Haïti a continué de se dégrader pour atteindre un niveau catastrophique à l’automne, au moment où se déclenchait une nouvelle épidémie de choléra et où le blocage des ports par les gangs empêchait l’aide humanitaire. Sous la pression notamment de la Chine, le Conseil en est venu à adopter un régime de sanctions -le premier à être imposé à un pays depuis 2017- très ciblées. La question de l’envoi d’une force internationale de police est en revanche restée en suspens.
Le 18 février, la Représentante spéciale du Secrétaire général et Cheffe du Bureau intégré des Nations Unies en Haïti (BINUH), Mme Helen Ruth Meagher La Lime, décrivait au Conseil une série d’éléments inquiétants -la violence des gangs, la poursuite de l’impunité, les faiblesses du système judiciaire et la détérioration de la situation humanitaire– mais voulait aussi voir l’espoir d’une réelle amélioration dans la formation, fin novembre 2021, d’un nouveau Gouvernement et la poursuite du dialogue politique, l’adoption d’une nouvelle approche par la Police nationale d’Haïti (PNH), les 600 millions de dollars d’aide promis par la communauté internationale et l’absence de cas de choléra dans le pays depuis trois ans. Plusieurs membres du Conseil parlaient de la nécessité d’un calendrier électoral, les élections parlementaires prévues en novembre 2019 ayant été reportées sine die et le Président en exercice ayant été assassiné en juillet 2021. La Chine réclamait une structure politique stable pour le pays et se disait favorable à un réajustement du mandat du BINUH. Le Brésil souhaitait sur ce point une discussion en profondeur quand le Secrétaire général aurait présenté ces recommandations, attendues en avril.
La résolution 2600 (2021) adoptée 15 octobre 2021, n’avait reconduit le mandat du BINUH que pour neuf mois, jusqu’au 15 juillet 2022. À un mois l’échéance, le 16 juin, Mme La Lime devait constater une détérioration rapide de la sécurité, qu’elle attribuait en grande partie au vide institutionnel prolongé et à l’emprise des gangs sur la capitale. Le Ministre haïtien des affaires étrangères lançait un appel urgent à la communauté internationale pour fournir à la PNH, « dans les prochains jours et non dans les prochaines semaines ou les prochains mois », un accompagnement robuste. « On ne peut envisager sérieusement aucune élection libre, honnête et démocratique dans un tel environnement », ajoutait-il. Était posée la question du mandat du BINUH. Voisine d’Haïti, la République dominicaine rappelait sa mise en garde au Conseil, trois ans plus tôt, sur les conséquences négatives d’une réduction de la mission onusienne et l’appelait à faire son autocritique. La France suggérait d’augmenter le plafond des conseillers de police du Bureau. Le Brésil demandait qu’il soit mandaté pour appuyer le contrôle des flux financiers illicites. La Chine estimait que le Bureau devait pouvoir être considéré comme une « lueur d’espoir » plutôt que comme une « déception de plus » et répétait que la condition sine qua non d’un retour à la stabilité du pays était un mécanisme constitutionnel efficace. Elle plaidait aussi pour le renforcement des capacités de la PNH en coopération avec l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (ONUDC) et appelait à tarir les sources de financement des gangs.
Le 15 juillet, par sa résolution 2645 (2022), le Conseil prorogeait le mandat du BINUH de 12 mois dans les mêmes termes. Le texte adopté à l’unanimité lançait aussi un avertissement aux gangs en exigeant « dans les 90 jours, la cessation immédiate de la violence en bande organisée et des activités criminelles ». Le Conseil se disait disposé à prendre « des mesures appropriées qui pourraient recouvrir le gel des avoirs et l’interdiction de voyager, contre quiconque participerait à la violence en bande organisée et à des activités criminelles ou à des atteintes aux droits humains ou appuierait de tels actes ou agirait de manière à compromettre la paix, la stabilité et la sécurité d’Haïti et de la région ». C’était donner satisfaction notamment à la Chine, qui saluait la prise en compte de ses propositions par les États-Unis et le Mexique, coauteurs d’un texte qui ouvrait la voie aux mesures qui seraient prises à l’automne.
Le 26 septembre, à la demande la Chine, le Conseil examinait à nouveau la situation en Haïti, que la Cheffe du BINUH voyait « à l’effrayante intersection de trois crises » politique, économique et de sécurité. Le Programme alimentaire mondial parlait d’une « situation désespérée » après le pillage de ses entrepôts. L’ONUDC était tout aussi alarmiste. Le Ministre des affaires étrangères d’Haïti parlait d’une situation « globalement sous contrôle » mais les membres du Conseil jugeaient cette fois, à l’image de la France, qu’il y avait « urgence à agir ». Le Brésil appelait à entamer des discussions approfondies sur les dispositions de la résolution 2645 (2022) relatives à l’interdiction du transfert d’armes, dans le cadre de paramètres stricts. La Chine demandait que le BINUH communique au Conseil les noms des responsables des gangs criminels. Les États-Unis annonçaient leur intention de présenter « dans les jours à venir », avec le Mexique, un projet de résolution comportant « des mesures claires en ce sens ». Il ne s’agit pas de punir le Gouvernement et encore moins la population, mais de demander des comptes à ceux qui fournissent ou acquièrent les armes illégales, expliquait le Mexique. Les A3 demandaient des mesures qui tiennent compte des échecs passés et s’accompagnent d’un important renforcement de la confiance.
Le 2 octobre, le Gouvernement haïtien confirmait les premiers cas d’une nouvelle épidémie de choléra qui s’étendait rapidement. Or, les gangs bloquaient le principal terminal pétrolier du pays, empêchant la livraison du carburant nécessaire à l’alimentation des installations permettant de fournir de l’eau potable. Le Gouvernement haïtien lançait un appel au Secrétaire général pour l’envoi d’une « force armée spécialisée internationale » pour assister la PNH impuissante. Le 9 octobre, le Secrétaire général exhortait le Conseil de sécurité à examiner en urgence cette demande et lui adressait une lettre présentant des options pour un soutien renforcé à la sécurité en Haïti, conformément à la demande du Conseil dans sa résolution 2645 (2022).
Le 17 octobre, le Conseil se réunissait, quatre jours avant la date initialement prévue au calendrier. Les États-Unis et le Mexique annonçaient le dépôt conjoint de deux projets de résolution. Le premier, déjà en cours de négociations, prévoyait un régime de sanctions contre les responsables de la violence et de l’instabilité, en particulier un embargo sur les armes pour empêcher les gangs de s’en procurer trop facilement et de les utiliser en toute impunité. Le second devrait refléter la proposition du Secrétaire général qui autoriserait une mission internationale « non onusienne, limitée, soigneusement délimitée » d’assistance à la sécurité pour aider à améliorer la situation sécuritaire et permettre l’acheminement de l’aide humanitaire, toutes précisions visant à rassurer les autres membres du Conseil soucieux de ne pas voir répétées les erreurs du passé. « En dépit de l’expérience passée du pays concernant la présence internationale », les A3 appuyaient l’appel. La Chine annonçait son appui à des sanctions ciblées, robustes et efficaces, tout en demandant aux coauteurs d’entendre les propositions des autres membres. Elle se montrait plus réticente à la perspective de l’envoi d’une force d’intervention, en raison de l’opposition affichée immédiatement par certains groupes haïtiens. La Fédération de Russie reprenait le même argument et s’opposait en outre à toute pression sur les échéances, y compris à propos du projet de sanctions.
Le 21 octobre, le Conseil adoptait à l’unanimité la résolution 2653 (2022) qui imposait, pour une durée initiale de 12 mois, un régime de sanctions très ciblées comprenant embargo sur les armes, gel des avoirs et interdiction de voyager à l’encontre de toute personne figurant à l’annexe de la résolution ou qui y serait ajoutée par le Comité des sanctions ad hoc sur proposition d’un groupe d’experts mis en place pour 13 mois. Les critères d’inscription sur la liste étaient précisément définis, des exemptions humanitaires prévues et le Conseil laissait la porte ouverte à une possibilité d’appel en radiation auprès du Médiateur de l’ONU pour les personnes sanctionnées. Les membres du Conseil saluaient à la fois le « message très clair » envoyé par la résolution et le consensus obtenu sur le texte. La Fédération de Russie y voyait le signe que, « même dans les circonstances actuelles, le Conseil peut obtenir de bons résultats si chacun agit de manière responsable, respecte les positions des autres et cherche réellement le compromis pour résoudre les difficultés par des efforts communs ». Norvège, Irlande et Brésil se félicitaient des exemptions humanitaires et des possibilités de recours pour les personnes sanctionnées. Plusieurs délégations rappelaient toutefois que les sanctions ne suffiraient pas à elles seules à apporter une solution à long terme, laquelle devrait prendre en considération notamment la nécessité d’un processus politique inclusif et d’un développement socioéconomique.
À la demande de la Fédération de Russie, le Conseil examinait une nouvelle fois la situation le 21 décembre. Mme La Lime notait que les efforts de la PNH avaient permis de mettre fin, début novembre, au blocus du principal terminal pétrolier du pays par les gangs mais ajoutait que l’espoir suscité par cette opération s’était rapidement dissipé en raison de la montée en puissance de l’activité des gangs, marquée par des pics d’enlèvements, de meurtres et de viols. Elle rappelait que l’adoption de la résolution 2653 (2022), avait été largement saluée par les Haïtiens et créé un « nouveau sentiment d’urgence ». Celui-ci avait abouti, avec le soutien du BINUH, à l’adoption d’un document de « consensus national » détaillant les étapes devant conduire à la tenue d’élections dans les 18 mois, que le Premier Ministre haïtien avait signé le matin même. En revanche, le projet de création d’une « force armée internationale spécialisée » non onusienne, souhaitée par le Gouvernement haïtien, n’avançait pas. Mme La Lime la jugeait nécessaire pour aider la PNH, de même que les États-Unis, la Norvège, le Ghana ou encore la République dominicaine, voisine d’Haïti. La Vice-Secrétaire générale, Mme Amina J. Mohammed, qui décrivait une situation humanitaire catastrophique, exhortait tous les pays ayant la capacité de le faire à accorder une attention urgente à la demande. La Fédération de Russie rappelait ses réticences face à un projet qui suscitait l’opposition de certains Haïtiens. Au nom du Groupe consultatif ad hoc sur Haïti de l’ECOSOC, le Canada insistait sur la nécessité d’un « très fort consensus » avant tout déploiement d’une « mission de paix ». Le Conseil devrait de nouveau se pencher en janvier sur la situation en Haïti dans le cadre de son cycle d’examen trimestriel.
ASIE
Afghanistan
- 8 séances publiques: 26 janvier, 2 mars, 17 mars, 23 juin, 29 août, 27 septembre, 16 décembre, 20 décembre
- 2 résolutions: 2626 (2022), 2665 (2022)
Voir aussi: Organes subsidiaires; Les femmes et la paix et la sécurité
Pour le Conseil, l’année a été dominée par la question d’une éventuelle forme de reconnaissance de l’autorité des Taliban au pouvoir depuis la mi-août 2021. Fallait-il, pour tenter de conjurer l’aggravation de la crise humanitaire, dégeler les avoirs bloqués à l’étranger, ou au contraire continuer de sanctionner un régime qui, de toute évidence, n’avait pas rompu avec certains groupes terroristes et qui faisait tout pour « effacer » les femmes de la vie publique. Pays voisins de l’Afghanistan, le Pakistan et la République islamique d’Iran ont participé à tous les débats sur ce pays, de même que le représentant de l’Afghanistan, qui précisait toutefois ne pas parler au nom des autorités en place. La Mission d’assistance des Nations Unies en Afghanistan (MANUA) a vu son mandat renforcé en mars pour mieux protéger et promouvoir les droits humains. Après de départ de la Cheffe de la Mission, Mme Deborah Lyons, fin juin, le Secrétaire général a nommé une autre femme à la tête de la MANUA: Mme Roza Otunbayeva.
Le 26 janvier, en présence du Secrétaire général, le Conseil abordait la double question de la situation humanitaire dramatique de l’Afghanistan et des relations entre les Taliban et la communauté internationale. Sur le premier point, le pays « va aussi mal que possible », estimait M. Guterres, qui rappelait que l’ONU avait lancé deux semaines plut tôt au profit de l’Afghanistan un appel de fonds record en faveur d’un seul pays, auquel devaient s’ajouter les ressources demandées au titre du Cadre d’engagement transitoire pour l’Afghanistan, lancé le jour même, qui portait à la fois sur l’aide humanitaire et le renforcement des services essentiels durant la période de transition.
Jugeant que « la fenêtre du renforcement de la confiance est ouverte », le Secrétaire général appelait le régime taliban à « démontrer un réel engagement à faire partie de la communauté mondiale », notamment sur le plan des droits humains, une condition préalable à une reconnaissance diplomatique des autorités de facto et à un hypothétique déblocage des avoir afghans gelés à l’étranger. Le Premier Ministre de la Norvège mentionnait des échanges informels tenus les jours précédents à Oslo entre une délégation des « autorités de facto » et des membres de la société civile afghane, en présence de plusieurs délégations nationales. L’Inde, présidente du Comité 1988 régissant les sanctions relatives à l’Afghanistan, rappelait que ce dernier avait prolongé de trois mois l’exemption d’interdiction de voyager pour 14 Taliban inscrits sur la liste des sanctions, afin de leur permettre de continuer de participer aux pourparlers d’Oslo, « dans l’intérêt de la promotion de la paix et de la stabilité en Afghanistan ». La Ministre des affaires étrangères du Gabon se disait elle aussi favorable au maintien d’un « dialogue » avec les Taliban, sans que celui-ci implique une reconnaissance du régime. Les États-Unis, qui, comme d’autres pays occidentaux, avaient bloqué unilatéralement des avoirs afghans, se disaient « sensibles » à la crise de liquidités. La Fédération de Russie estimait que cet argent appartenait au peuple afghan et ne pouvait être utilisé comme élément de marchandage et de punition des Afghans du fait de la nouvelle réalité dans le pays. Elle recevait l’appui notamment de la Chine et du Pakistan. Plusieurs membres du Conseil, dont l’Inde ou la France, regrettaient que les Taliban n’aient pas rompu leurs liens avec divers groupes terroristes, dont Al-Qaida, intégrés au contraire dans leur gouvernement intérimaire.
Après la prise du pouvoir à Kaboul par les Taliban s’était posée la question du devenir de la MANUA. Par sa résolution 2596 (2021) du 17 septembre 2021, le Conseil avait choisi une solution d’attente en renouvelant ce mandat dans les mêmes termes mais pour six mois seulement. L’échéance approchant, le devenir de la Mission était au centre de la séance du 2 mars. La Représentante spéciale demandait pour la Mission un « mandat robuste » mais posait aussi la question des relations avec ce qui était toujours appelé « les autorités de facto ». « Nous ne croyons pas pouvoir véritablement aider le peuple afghan sans travailler avec les autorités de facto », estimait Mme Lyons, avant de rappeler les exigences de la communauté internationale que la MANUA avait transmises aux Taliban mais aussi d’expliquer le point de vue de ces derniers, qui s’estimaient « incompris » et faisaient valoir les progrès de la sécurité dans le pays. « Une mission politique suppose d’avoir un objectif politique », lançait Mme Lyons, pour qui l’objectif, « sous-entendu dans le rapport du Secrétaire général était de voir l’Afghanistan rejoindre l’Organisation en tant que Membre respecté ». « Collaborer avec l’autorité de facto ne signifie en aucun cas approuver tout ce qu’elle fait, mais cela nous donnera l’occasion, au nom de tous les membres du Conseil et du reste de la communauté internationale, de contribuer à façonner un avenir pour le peuple afghan », insistait la Représentante spéciale.
Plusieurs membres du Conseil –Brésil, France, Ghana, Irlande ou encore Norvège– demandaient que soit confié à la MANUA un mandat renforcé en matière de protection et de promotion des droits humains, ce à quoi la Fédération de Russie s’opposait, tandis que la Chine insistait pour accroître l’aide à l’Afghanistan sans condition politique. La Chine accusait aussi les États-Unis d’avoir détourné 7 milliards de dollars appartenant au peuple afghan, dénonçait une atteinte à la souveraineté du pays et une violation du droit international et exigeait leur restitution sans condition. L’Inde et la France se préoccupaient une fois encore des risques de voir l’Afghanistan redevenir un sanctuaire terroriste et dénonçaient l’insuffisance des mesures prises par les Taliban pour l’empêcher.
Préparée par la Norvège, la résolution 2626 (2022), que le Conseil de sécurité adoptait le 17 mars par 14 voix pour et l’abstention de la Fédération de Russie, prorogeait d’un an la MANUA et en renforçait le mandat. La Mission devait agir en étroite consultation avec tous les acteurs politiques et parties prenantes pertinents en Afghanistan, « y compris les autorités concernées si nécessaire ». Parmi ses priorités étaient citées en premier lieu la fourniture et la coordination de l’aide humanitaire et des ressources à l’appui de celle-ci « en tenant compte de la résolution 2615 (2021) », qui prévoyait des exemptions humanitaires au régime de sanctions. La MANUA devait aussi fournir ses bons offices pour faciliter le dialogue entre tous les acteurs politiques et toutes les parties prenantes concernés d’Afghanistan « en mettant l’accent sur la promotion d’une gouvernance inclusive, représentative, participative et réactive », sans « aucune discrimination fondée sur le genre, la religion ou l’origine ethnique, avec la participation pleine, égale et véritable des femmes et la participation véritable des minorités, des jeunes et des personnes handicapées ».
La plupart des membres du Conseil se félicitaient de ce mandat plus « robuste ». La Fédération de Russie expliquait son abstention en reprochant au texte d’ignorer l’importance de l’accord du pays hôte sur la présence de l’ONU et de ne tenir « aucun compte des nouvelles réalités dans le pays ». Pour elle, l’appui des « autorités de facto » offrirait une garantie de sécurité au personnel de la Mission et lui permettrait de s’acquitter efficacement de son mandat, sans quoi la MANUA risquait de se transformer en une « mission impossible ». Elle estimait aussi, comme la Chine, que l’un des objectifs de la MANUA consistait à « faciliter le dégel » des actifs bloqués. Bien qu’ayant voté le texte, la Chine constatait prudemment que la situation dans le pays était très incertaine et évoluait rapidement, et émettait des doutes « quant à la pertinence des priorités définies et l’équilibre général des tâches confiées à la Mission ».
La situation humanitaire, liée à celle du dégel des avoirs bloqués à l’étranger, et le bien-fondé d’un dialogue, au nom de la stabilité, avec des « autorités de facto » qui ne respectaient pas leurs engagements de lutte contre le terrorisme et ne cessaient d’imposer de nouvelles contraintes aux femmes dominaient les séances suivantes.
Le 23 juin, le Coordonnateur des secours d’urgence, M Martin Griffiths, déplorait les exigences imposées aux organisations humanitaires par les « autorités de facto », mais aussi le manque de financement des appels humanitaires et une prudence excessive des autorités chargées d’autoriser les transferts de fonds vers l’Afghanistan dans le cadre des exemptions humanitaires aux sanctions, ce qui limitait encore les liquidités disponibles pour les organisations humanitaires. Le représentant de la MANUA insistait sur la nécessité d’un engagement continu avec les mêmes autorités dans un contexte de violations multiples des droits humains, en particulier ceux des femmes et filles. Les membres du Conseil divergeaient sur les priorités. Au nom de la relance de l’économie, la Fédération de Russie, la Chine mais aussi le Brésil réclamaient le dégel et le rapatriement des avoirs afghans, une position que défendaient aussi certains voisins de l’Afghanistan, comme l’Iran ou l’Ouzbékistan, au nom de la stabilité régionale. Le Mexique, le Kenya ou les Émirats arabes unis se demandaient comment l’économie pourrait se redresser si en était exclue la moitié de la population constituée par les femmes, de plus en plus « effacées » de la vie du pays. L’Irlande dénonçait le bilan « honteux » du régime des Taliban en la matière. La France y voyait la confirmation que, malgré toutes leurs promesses, les Taliban n’avaient « pas changé » depuis leur premier exercice du pouvoir entre 1998 et 2001, avant d’appeler le Conseil à « ne pas faire du respect des droits de l’homme, et en particulier des femmes et des filles, une variable d’ajustement dans nos discussions et dans la réponse des Nations Unies à la crise afghane ». Après le départ de la Représentante spéciale Deborah Lyons, l’Albanie souhaitait que, pour lui succéder à la tête de la MANUA, le Secrétaire général fasse de nouveau appel à une femme, ce qui serait fait le 2 septembre.
À la veille de l’anniversaire du départ des dernières forces étrangères d’Afghanistan, consécutive à la prise du pouvoir des Taliban à Kaboul le 15 août 2021, le Conseil tenait séance, le 29 août, à la demande de la Fédération de Russie, dont le représentant dressait un cinglant réquisitoire des 20 années de présence des États-Unis et de l’OTAN dans le pays et insistait une nouvelle fois sur la nécessité « d’un dialogue constructif entre la communauté internationale et les Taliban ». Outre les multiples dénonciations des atteintes aux droits humains et en particulier à ceux des femmes et des filles, la séance était aussi l’occasion de commenter l’assassinat, un mois plus tôt à Kaboul, par un drone américain, du successeur d’Oussama ben Laden à la tête d’Al-Qaida, Ayman al-Zawahiri, lequel vivait dans la capitale afghane au vu et au su des Taliban. La France y voyait la confirmation que les Taliban continuaient d’offrir « refuge et soutien aux groupes terroristes », en particulier à Al-Qaida. Elle rappelait que les Taliban devraient remplir cinq conditions avant d’être sortis de leur isolement: possibilité pour les Afghanes et les Afghans qui le souhaitent de quitter le pays en sécurité; libre accès de l’aide sur tout le territoire; respect des droits fondamentaux de tous, et notamment des femmes et des filles; constitution d’un gouvernement représentatif; et rupture totale et concrète des liens avec les groupes terroristes. « À ce jour, aucune de ces conditions n’est remplie », commentait le représentant français.
La séance trimestrielle du 27 septembre voyait l’exposé des mêmes préoccupations et arguments. Le Représentant spécial adjoint du Secrétaire général pour l’Afghanistan, M. Marcus Potzel, s’inquiétait en outre du faible financement du Plan de réponse humanitaire 2022, qui n’avait encore reçu que 1,9 milliard de dollars pour un besoin estimé à 4,4 milliards, alors que cet argent contribue aussi à résoudre le problème du manque de liquidités dont souffre l’économie afghane. À cet égard, les États-Unis expliquaient qu’avec leurs alliés, ils avaient placé la moitié des 7 milliards de dollars d’avoirs afghans retenus chez eux dans un fonds créé en Suisse, pour aider à stabiliser l’économie afghane. La Fédération de Russie dénonçait la mesure et exigeait que la totalité des « avoirs confisqués » soient « restitués au peuple afghan ». M. Potzel y voyait une mesure temporaire dans l’attente d’une plus grande confiance dans la capacité de la Banque centrale afghane à mettre en place des mesures de protection contre le blanchiment d’argent et le financement potentiel de groupes terroristes. Il ajoutait que, pas plus que les mesures humanitaires, celle-ci ne répondait aux besoins à long terme du peuple afghan.
Le 16 décembre, le Conseil, par sa résolution 2665 (2022), renouvelait pour 12 mois le mandat de l’Équipe d’appui analytique et de surveillance de l’application des résolutions 1267 (1999) et 1988 (2011) en ce qui concerne l’application de la résolution 1988, relative aux sanctions imposées aux Taliban, afin qu’elle seconde le Comité des sanctions 1988.
Mme Roza Otunbayeva intervenait pour la première fois devant le Conseil le 20 décembre lors d’une séance encore une fois dominée par l’effacement des femmes de toute vie politique et sociale et leur interdiction d’accéder à l’éducation, ainsi que sur l’attitude à adopter face aux « autorités de facto ». La Cheffe de la MANUA et plusieurs membres du Conseil prônaient le maintien d’un dialogue pragmatique, sans légitimer les Taliban. Mme Otunbayeva reconnaissait par ailleurs une chute de la corruption et quelques progrès économiques, encore très insuffisants pour sortir la population de la pauvreté et de la perfusion humanitaire. Le Chef du Bureau de la coordination des affaires humanitaires (OCHA) notait des progrès liés en particulier aux exemptions humanitaires aux sanctions adoptées en décembre 2021 par le Conseil, ainsi qu’à une mobilisation des donateurs, qui restait toutefois très insuffisante.
Myanmar
- 1 séance publique: 21 décembre
- 1 résolution: 2669 (2022)
Le 21 décembre, le Conseil adoptait sa toute première résolution concernant le Myanmar. Adoptée par 12 voix pour et les abstentions de la Chine, de la Fédération de Russie et de l’Inde, la résolution 2669 (2022) exige « l’arrêt immédiat de toutes les formes de violence dans l’ensemble du pays », appelle à la retenue et à l’apaisement des tensions et demande instamment la libération de toutes les personnes détenues arbitrairement, « notamment le Président Win Myint et la Conseillère d’État Aung San Suu Kyi ». Comme dans ses deux déclarations à la presse publiées le 2 février à l’occasion de l’anniversaire du coup d’État de 2021, et le 27 juillet après l’exécution de plusieurs opposants à la junte, le Conseil saluait le « rôle central » joué par l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (ASEAN) pour faciliter la recherche d’une solution pacifique à la crise. Il encourageait la communauté internationale à soutenir les efforts de l’ASEAN pour obtenir la pleine mise en œuvre du consensus en cinq points établi en avril 2021 par les membres de l’organisation régionale et demandait au Secrétaire général de lui « rendre compte oralement, le 15 mars 2023 au plus tard », de l’appui apporté par l’ONU en ce sens. Le Conseil réclamait aussi un « accès humanitaire complet, sûr et sans entrave », demandait de « s’attaquer aux causes profondes de la crise dans l’État rakhine » et de créer les conditions nécessaires au retour librement consenti, durable, en toute sécurité et dans la dignité des réfugiés rohingya.
La Chine et la Fédération de Russie, qui s’étaient opposées dans le passé à l’adoption d’une telle résolution, expliquaient leur abstention par un texte toujours trop déséquilibré à leurs yeux et qui, du fait de la large part qu’il accorde aux questions de droits humains, leur paraissait plutôt relever de la Troisième Commission de l’Assemblée générale. L’Inde expliquait sa propre abstention par sa préférence pour une diplomatie de coulisses face à une situation complexe et disait craindre qu’une résolution du Conseil, à ce stade, amène les parties à camper sur leurs positions au lieu de les encourager à poursuivre un dialogue politique inclusif. Plusieurs des membres du Conseil qui avaient voté en faveur du texte –États-Unis, Norvège ou Irlande– jugeaient au contraire qu’il « manquait d’ambition » et arrivait tardivement.
MOYEN-ORIENT
La situation au Moyen-Orient, y compris la question palestinienne
- 13 séances publiques: 19 janvier, 23 février, 22 mars, 25 avril, 26 mai, 27 juin, 26 juillet, 8 août, 25 août, 28 septembre, 28 octobre, 28 novembre, 19 décembre
Voir aussi: Liban; Syrie; Yémen
Une fois encore, le Conseil n’a pris aucune décision sur la question israélo-palestinienne, qu’il a continué d’examiner chaque mois, y compris en janvier, avril, juillet et octobre lorsque le sujet cède en principe la place à des débats plus régionaux, à l’occasion desquels il a souvent été aussi question de l’Iran. En mars, juin, septembre et décembre, les séances portaient plus précisément sur la mise en œuvre de la résolution 2334 (2016) qui appelait Israël à « cesser immédiatement et complètement toute activité de colonisation dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est », qui n’a enregistré aucun progrès, la colonisation continuant au contraire d’accélérer.
Lors du débat du 19 janvier, le Coordonnateur spécial pour le processus de paix au Moyen-Orient, M. Tor Wennesland, avertissait de la détérioration de la situation économique, sécuritaire et politique dans le Territoire palestinien occupé. Il s’alarmait aussi de la situation fiscale catastrophique de l’Autorité palestinienne et de la violence qui perdurait des deux côtés, recommandait d’éviter toute démarche parcellaire et réclamait la fin des mesures unilatérales, y compris l’expansion continue des colonies de peuplement israéliennes. Le Ministre des affaires étrangères et des expatriés de la Palestine, M. Riad Al-Malik, comparait l’inaction de la communauté internationale au mieux à de la complaisance, au pire à de la complicité. La quarantaine d’intervenants s’inquiétaient aussi de la situation financière de l’Office de secours et de travaux des Nations Unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA).
Après le feu vert donné par le Gouvernement israélien à de nouvelles implantations et des échauffourées survenues le 13 févier à Cheikh Jarrah, M. Wennesland, le 23 février, jugeait la situation précaire. Les membres du Conseil, États-Unis compris, demandaient l’arrêt de toute action unilatérale.
Constatant l’absence de progrès dans la mise en œuvre de la résolution 2334 (2016), qui alimentait toujours la violence, le Coordonnateur spécial appelait, le 22 mars, les parties à la plus grande retenue à l’approche du Ramadan, que suivraient peu après les Pâques juive et chrétiennes, toutes fêtes religieuses synonymes de rassemblement de prières dans les lieux saints dont les États-Unis demandaient de respecter le statu quo. Même en l’absence d’un processus politique, de nombreuses mesures peuvent être prises pour améliorer l’économie palestinienne, plaidait la Norvège. Les membres du Conseil appelaient aussi à la réconciliation intrapalestinienne.
Des violences de part et d’autre émaillaient la période des fêtes religieuses. Tout en jugeant louables les efforts consentis par les Israéliens comme par les Palestiniens pour faire baisser les tensions après de violents affrontements sur l’esplanade des Mosquées, M. Wennesland estimait, le 25 avril, que ceux-ci avaient « démontré une nouvelle fois que les efforts visant à gérer le conflit ne peuvent se substituer à de véritables progrès en vue de le résoudre ». Parmi la quarantaine de délégations participant au débat, plusieurs dénonçaient l’inaction du Conseil et son incapacité à faire respecter ses propres résolutions passées. Les États-Unis assuraient de leur détermination à œuvrer à réaliser la solution des deux États et l’instauration d’une « paix durable profitant aux deux parties ».
Le 26 mai, M. Wennesland appelait de nouveau à « dépasser le paradigme de la gestion du conflit pour aller vers son règlement », lors d’une séance ou était évoqué le décès de la journaliste palestino-américaine Shireen Abu Akleh, dont la mort par balle à Jénine, lors d’une opération des forces de défense israéliennes le 11 mai, avait déjà fait l’objet d’une déclaration à la presse du Conseil. L’Observateur permanent de l’État de Palestine parlait d’un « assassinat » et ajoutait: « Nous ne sommes pas tués à cause de ce que nous faisons, mais à cause de ce que nous sommes. Si vous êtes un Palestinien, vous êtes une cible légitime et Israël a droit de vie ou de mort sur votre personne. Il n’existe aucune immunité pour les Palestiniens alors que l’impunité est totale pour tous les Israéliens. »
Le 27 juin, le Coordonnateur spécial relevait qu’en trois mois, 49 Palestiniens, dont 14 enfants, avaient été tués lors de manifestations, d’affrontements, d’opérations de sécurité israéliennes ou dans des violences liées aux colons, alors que 11 Israéliens et 3 ressortissants étrangers avaient perdu la vie lors des plus graves attaques terroristes perpétrées en Israël depuis des années. Après une décision de justice susceptible d’entraîner l’expulsion forcée d’environ 1 200 Palestiniens, il rappelait que toute nouvelle avancée des colonies de peuplement israéliennes compromettait les perspectives d’une solution à deux États. Plusieurs membres du Conseil condamnaient aussi des attaques menées par Israël dans la région, dont une de l’aviation contre l’aéroport international de Damas. La Fédération de Russie disait avoir l’impression qu’Israël avait « carte blanche pour mener des actions illégales et unilatérales dans la région ». La crise financière de l’Autorité palestinienne et celle de l’UNRWA étaient également discutées.
À l’occasion du débat du 26 juillet, plusieurs délégations commentaient la première visite officielle du Président des États-Unis Joseph Biden au Moyen-Orient, en particulier en Israël et en Cisjordanie. L’adjointe de M. Wennesland, Mme Lynn Hastings, estimait que cette visite avait marqué « le renouveau du consensus en faveur d’une solution à deux États fondée sur les frontières de 1967 » puisque, « pour la première fois depuis des années, les dirigeants israéliens, palestiniens et américains avaient réaffirmé leur appui à la solution des deux États ». Elle appelait à faire fond sur ces engagements renouvelés. Les États-Unis confirmaient leur engagement. Tout en saluant les Accords d’Abraham -facilités par l’Administration Trump- entre Israël et plusieurs pays arabes, qui permettaient de faire progresser les relations israélo-palestiniennes, ils ajoutaient qu’ils ne sauraient remplacer une solution négociée à deux États. L’État de Palestine saluait les propos tenus mais demandait des actes alors qu’Israël venait d’annoncer la poursuite de la construction de centaines d’unités de peuplement. Israël reprochait aux Palestiniens des « exigences absurdes » pour reprendre les négociations, et au Conseil de sécurité de gaspiller son temps et ses ressources à l’examen de « rapports biaisés » et de « conflits locaux insignifiants entre Palestiniens et Israéliens », plutôt que de se préoccuper du Hamas, « un des principaux obstacles à toute avancée », et de la « nucléarisation du régime radical et dangereux iranien ».
Les tensions croissantes depuis des semaines aboutissaient à une brutale escalade début août, marquée par des dizaines de frappes aériennes d’Israël à Gaza et les tirs de plusieurs centaines de roquettes par le Jihad islamique sur Israël, et qui faisait au moins 46 tués et 360 blessés chez les Palestiniens et 70 blessés israéliens. À la demande de plusieurs de ses membres, le Conseil se réunissait le 8 août, quelques heures après l’instauration d’un cessez-le-feu que tous saluaient, de même que le rôle important joué par l’Égypte dans son obtention. Le Coordonnateur spécial avertissait que « ces cycles de violence ne cesseront que lorsque nous parviendrons à un règlement politique du conflit ».
Le maintien du cessez-le-feu du 7 août était évoqué lors de la séance mensuelle du 25 août, consacrée principalement à un exposé du Commissaire général de l’UNRWA, M. Philippe Lazzarini, qui décrivait une aggravation de la situation des réfugiés palestiniens depuis un an et déplorait l’affaiblissement de son agence, menacée dans son existence du fait d’un manque de financement, lequel affectait aussi les activités du Programme alimentaire mondial (PAM) dans la région. Plusieurs membres du Conseil rappelaient leur contribution à l’UNRWA, notamment les États-Unis, principaux bailleurs, qui demandaient à tous les États Membres de ne pas se contenter d’un soutien rhétorique à l’office mais de s’atteler à lui fournir un financement solide et fiable.
Le seul élément nouveau que pouvaient noter les membres du Conseil le 28 septembre tenait aux allocutions prononcées lors du débat général de l’Assemblée générale par le Président de l’Autorité palestinienne, M. Mahmoud Abbas, et le Premier Ministre israélien, M. Yair Lapid, dans lesquelles ils avaient réaffirmé leur engagement en faveur d’une solution à deux États, ce qui, concernant le dirigeant israélien, était la première fois depuis 10 ans. La France appelait à traduire ces discours en actes sur le terrain.
La situation financière de l’UNRWA et la colère croissante des Palestiniens étaient au centre du débat du 28 octobre. M. Wennesland annonçait que 2022 était en passe de devenir l’année la plus meurtrière pour les Palestiniens en Cisjordanie depuis au moins 2005. Alors que plusieurs intervenants se félicitaient de l’accord conclu la veille entre Israël et le Liban pour régler leur différend frontalier maritime, le représentant israélien répétait que le plus grand danger au Moyen-Orient était l’Iran.
Le 28 novembre, le Coordonnateur spécial comme les membres du Conseil ne pouvaient que constater la montée de la violence sur le terrain alors que le processus de paix était « au point mort ». Le mélange d’activités militantes, de bouclages de territoires palestiniens, d’absence du Gouvernement palestinien légitime et de désespoir créent un « risque omniprésent d’escalade », mettait en garde M. Wennesland.
Le 19 décembre, M. Wennesland ne pouvait qu’exprimer une nouvelle fois sa profonde inquiétude face au niveau de violence observé au cours des derniers mois en Cisjordanie occupée, et constater l’accélération durant l’année de la colonisation israélienne, qui érodait chaque jour davantage la possibilité d’établir un État palestinien viable et indépendant.
Liban
- 1 séance publique: 31 août
- 1 résolution: 2650 (2022)
Voir aussi: Moyen-Orient, y compris la question palestinienne; Maintien de la paix et de la sécurité internationales
Le 31 août, par sa résolution 2650 (2022), le Conseil renouvelait une nouvelle fois pour un an le mandat de la Force intérimaire des Nations Unies au Liban (FINUL). La résolution priait en outre la FINUL de « proroger à titre exceptionnel des mesures temporaires et spéciales, qui ne sauraient être considérées comme un précédent pour l’avenir ni comme une solution à long terme » afin de soutenir et d’aider l’Armée libanaise en lui fournissant du matériel non létal supplémentaire (carburant, nourriture et médicaments) et un appui logistique pendant une période de six mois « et jusqu’au 28 février 2023 au plus tard ».
La situation au Liban a aussi été abordée publiquement dans le cadre de certaines des séances consacrées à la « situation au Moyen-Orient, y compris la question palestinienne », notamment lors des débats trimestriels des 25 avril, 26 juillet et 28 octobre. Elle a par ailleurs fait l’objet de plusieurs déclarations à la presse. Le 4 février, les membres du Conseil demandaient instamment au Gouvernement libanais d’adopter au plus vite « un budget approprié pour 2022 qui permettrait la conclusion rapide d’un accord avec le Fonds monétaire international ». Ils soulignaient par ailleurs l’importance de la tenue d’élections libres, équitables, transparentes et inclusives comme prévu le 15 mai 2022. Le 7 juillet, après le scrutin et la nomination du nouveau Premier Ministre, M. Najib Mikati, les membres du Conseil demandaient que « soit formé rapidement le gouvernement pour mettre en œuvre les réformes nécessaires ». Enfin, le 19 octobre, ils se félicitaient de la signature avec Israël d’un accord de délimitation de la frontière maritime.
Syrie
- 27 séances publiques: 5 janvier, 26 janvier, 27 janvier (humanitaire), 27 janvier (terrorisme), 25 février, 28 février, 10 mars, 24 mars, 26 avril, 29 avril, 20 mai, 20 juin, 27 juin, 29 juin, 8 juillet, 12 juillet, 20 juillet, 29 août, 14 septembre, 29 septembre, 25 octobre (politique et humanitaire), 25 octobre (armes chimiques), 7 novembre, 29 novembre, 5 décembre, 21 décembre, 22 décembre
- 2 résolutions: 2642 (2022), 2671 (2022)
Voir aussi: La situation au Moyen-Orient, y compris la question palestinienne; Liban; Maintien de la paix et de la sécurité internationales; Terrorisme
Entré dans sa douzième année en mars 2022, le conflit en Syrie a cessé d’être la question la plus débattue en séances publiques au Conseil de sécurité, cédant la place à la guerre en Ukraine. Le Conseil a continué d’examiner la situation en Syrie sous trois angles: les aspects politique et humanitaire, souvent traités ensemble, et la question des armes chimiques.
Sur le plan humanitaire, l’année est restée largement dominée par la question des voies d’acheminement de l’aide -par les points de passage transfrontières ou au travers des lignes de front- alors que la situation humanitaire générale du pays restait dramatique, dans un contexte de crise alimentaire mondiale aggravée par la guerre en Ukraine, laquelle absorbait l’attention des grands bailleurs de fonds.
L’adoption à l’unanimité de la résolution 2585 (2021), le 9 juillet 2021, avait constitué une première depuis 2016. Outre la reconduction de l’autorisation des convois transfrontaliers via le seul point de passage de Bab el-Haoua, la résolution avait mis pour la première fois l’accent sur la « nécessité d’améliorer l’approvisionnement à travers les lignes de front », ce que saluaient la Fédération de Russie et la Chine. Pour ces deux pays, les autres membres du Conseil avaient ainsi « donné le feu vert pour que le mécanisme transfrontière soit progressivement complété puis remplacé par un système d’approvisionnement à travers les lignes de front ». Ils avaient bien l’intention d’y veiller. Le Bureau de la coordination des affaires humanitaires (OCHA) dirigé par M. Martin Griffiths et la plupart des autres membres du Conseil avaient obtenu après six mois la reconduction tacite de l’autorisation prévue dans la résolution, tout en n’ayant de cesse, dès l’été 2021, de mettre l’accent sur l’insuffisance des convois à travers les lignes de front, incapables selon eux de remplacer les opérations transfrontières, qu’il faudrait donc reconduire en juillet 2022.
Ces arguments étaient répétés en début d’année, en particulier, dès le 27 janvier par M. Griffiths, qui accusait en outre la communauté internationale d’avoir « abandonné » le peuple syrien, l’aide d’urgence n’atteignant que la moitié des plus de quatre millions de Syriens qui en avait besoin. Les acteurs humanitaires demandaient donc au Conseil d’assurer « une réponse transfrontalière continue », dirigée et gérée par l’ONU depuis la Türkiye. « L’aide humanitaire ne remplacera jamais le fonctionnement des usines et des hôpitaux, des écoles et des centrales électriques », rétorquait la Fédération de Russie, qui appelait à une « normalisation » de la situation –donc à la levée des sanctions- pour rendre l’aide humanitaire moins coûteuse. L’Inde faisait observer que, « si les opérations transfrontières sont importantes, elles ne peuvent durer indéfiniment ». Les mêmes positions étaient rappelées le 25 février.
Les conséquences pour la Syrie du déclenchement de la guerre en Ukraine marquaient les discours de la séance du 24 mars. « Parfaitement conscient » de l’augmentation rapide des besoins humanitaires et des difficultés de « l’environnement financier », le Coordonnateur des secours d’urgence n’en appelait pas moins à financer suffisamment le plan de réponse humanitaire 2022 pour la Syrie, encore en préparation mais évalué à 1,1 milliard de dollars. Pour acheminer l’aide, la plupart des membres plaidaient pour un renouvellement du mécanisme transfrontière, mais l’Inde et les A3 souhaitaient aussi un plus grand nombre d’opérations à travers les lignes de front. La Fédération de Russie se plaignait d’un manque de respect des dispositions de la résolution 2585 (2021). La Ligue des États arabes appelait à traiter la question sans politisation.
Le 26 avril, l’OCHA demandait au Conseil de ne pas faire de la Syrie « une nouvelle crise oubliée » et plusieurs membres du Conseil rappelaient que le Secrétaire général avait qualifié d’« impératif moral et humanitaire » la reconduction de la résolution 2585 (2021). Les Émirats arabes unis souhaitaient que le Conseil examine la question « de manière objective et logique » et appelait à la coopération pour que l’aide parvienne à ceux qui en ont besoin par les deux voies « quelles que soient les divergences sur d’autres dossiers ».
Alors qu’approchait l’échéance pour la reconduction de l’autorisation des convois transfrontaliers, ce point était logiquement le sujet principal de la séance du 20 mai, qui suivait la tenue de la sixième Conférence de Bruxelles sur la Syrie. Chacun rappelait ses positions et la Fédération de Russie faisait monter la tension en affirmant que, « fondamentalement, rien n’avait changé » en un an. Elle accusait « les terroristes d’Edleb » de saboter les convois acheminés à travers les lignes de front et les autres membres du Conseil ne n’avoir pas voulu prendre la responsabilité d’entrer en contact avec eux pour les faire cesser. « Nous ne sommes pas satisfaits de cette situation », déclarait le représentant russe, qui ajoutait que l’absence de volonté des Occidentaux « ne nous donne aucune raison de préserver le mécanisme transfrontière ». Il accusait en outre l’ONU « d’éluder la question des conséquences dévastatrices des sanctions unilatérales illégales de l’Union européenne et des États-Unis sur l’économie syrienne » et de ne pas réagir à une mesure de Washington qui aboutissait, selon la Russie, à « voler » les céréales syriennes produites à l’est de l’Euphrate dans des régions occupées par les forces américaines.
Le 20 juin, le Secrétaire général venait au Conseil appuyer la demande de M. Griffiths de maintenir le consensus obtenu par la résolution 2585 (2021) et rappelait « l’impératif moral » de remédier aux souffrances et à la vulnérabilité de millions de personnes dans la région. La Fédération de Russie objectait une politique de « deux poids, deux mesures » en jugeant « franchement décevants » les résultats de l’action de l’ONU concernant les projets de relèvement rapide et l’acheminement de seulement cinq convois humanitaires à travers les lignes de front depuis le début de l’année. Plusieurs membres élus du Conseil insistaient sur la nécessité de poursuivre les livraisons d’aide transfrontières tout en souhaitant un renforcement des convois à travers les lignes. L’Inde jugeait impossible de parler de la situation humanitaire tout en faisant fi des répercussions de la présence de groupes terroristes sur la vie des civils et rappelait qu’elle n’avait pas cessé d’insister sur le rôle joué par les acteurs extérieurs dans la montée en puissance des groupes terroristes en Syrie.
Le 8 juillet, le Conseil rejetait successivement deux projets de résolution. Le premier, présenté par l’Irlande et la Norvège, prévoyait une prorogation de 12 mois du mécanisme d’aide humanitaire transfrontière. Il était approuvé par 13 membres tandis que la Chine s’abstenait, mais la Fédération de Russie, déclarant que ses avertissements antérieurs étaient « connus de tous », mettait son veto, estimant que le texte faisait fi des intérêts de la Syrie. La Fédération de Russie présentait son propre projet, visant à un renouvellement de six mois seulement de l’autorisation du mécanisme transfrontière, qui ne recueillait que sa propre voix et celle de la Chine. Les 10 membres élus s’abstenaient tandis que la France, le Royaume-Uni et les États-Unis votaient contre. Les opposants estimaient que six mois étaient insuffisants pour permettre aux travailleurs humanitaires de planifier leurs opérations et faisaient observer que la nouvelle échéance tomberait alors en plein hiver. Les membres élus déploraient la désunion du Conseil face à des besoins humanitaires plus pressants que jamais. Plusieurs appelaient à un compromis et suggéraient un renouvellement d’une durée de neuf mois.
Malgré l’extinction juridique de l’autorisation du mécanisme le 10 juillet, les négociations se poursuivaient et, le 12 juillet, le Conseil se prononçait sur un nouveau texte, proposé encore une fois par l’Irlande et la Norvège. Celui-ci prorogeait de six mois, jusqu’au 10 janvier 2023, le mécanisme d’aide humanitaire transfrontière au point de passage de Bab el-Haoua et prévoyait une prorogation supplémentaire de six mois, qui, toutefois « nécessiterait l’adoption d’une résolution distincte ». Le Conseil priait en outre le Secrétaire général de lui présenter, au plus tard le 10 décembre 2022, un rapport spécial sur les besoins humanitaires en Syrie.
Le texte était adopté comme résolution 2642 (2022) par 12 voix pour et 3 abstentions, celles de la France, du Royaume-Uni et des États-Unis. La France estimait que le Conseil n’était « pas à la hauteur de ses responsabilités ». Les États-Unis accusaient la Russie d’avoir « malmené les membres du Conseil » et de l’avoir « pris en otage », alors que la vie d’hommes, de femmes et d’enfants syriens était en jeu. « Le monde ne se limite pas aux États occidentaux ni au légendaire milliard de nantis; il est grand temps qu’ils commencent à respecter les intérêts des autres États, en particulier ceux qui sont les premiers concernés par les décisions du Conseil », lançait le représentant russe, qui ajoutait que son pays tirerait parti « du potentiel offert par le dialogue interactif informel au Conseil de sécurité » que la résolution préconisait de tenir tous les deux mois « avec la participation des donateurs, des parties régionales intéressées et des représentants des organismes humanitaires internationaux » opérant en Syrie, pour suivre l’application de la résolution. Il y en aurait trois avant la fin de l’année. Les 10 membres élus saluaient les « efforts considérables » des deux porte-plume et se rangeaient derrière un texte qui « garantissait l’acheminement d’une aide humanitaire cruciale ». La Chine appelait une nouvelle fois à la levée des sanctions unilatérales, accusées d’entraver le travail des organisations humanitaires.
Lors des séances des 29 août, 14 septembre, 25 octobre et 29 novembre, l’examen des aspects humanitaires était largement lié à la dégradation de la situation militaire, en particulier dans le nord du pays. L’OCHA déplorait régulièrement l’insuffisance du financement du plan humanitaire alors qu’apparaissait une épidémie de choléra et insistait sur l’importance de maintenir l’accès humanitaire transfrontière et d’augmenter l’accès par-delà les lignes de front. Dès octobre, la plupart des membres élus du Conseil mettaient l’accent sur l’urgence d’un renouvellement de l’autorisation du mécanisme transfrontière au-delà des six mois prévus par la résolution 2642 (2022). En novembre, l’Inde exprimait des réserves sur le mécanisme d’aide transfrontière et demandait aux différentes agences humanitaires de l’ONU de poursuivre un engagement constructif avec Damas pour assurer une plus grande efficacité des opérations à travers les lignes de front.
Le 21 décembre, à 20 jours de l’expiration de l’autorisation du mécanisme transfrontière, tant M. Griffiths que M. Pedersen évoquaient les défis de l’hiver et appelaient le Conseil à « faire en sorte que 2023 ne soit pas l’année de la fin de l’aide transfrontalière », alors que, dans son dernier rapport, le Secrétaire général écrivait que « rien ne peut se substituer pour l’heure à la portée et à l’ampleur des opérations transfrontières massives des Nations Unies ». Le représentant russe reprochait à ses collègues de passer « plus de temps à expliquer que ce mécanisme est indispensable qu’à s’assurer que l’aide est bien acheminée à tous les Syriens par-delà les ligne de front » et faisait observer que le déploiement des projets de relèvement rapide était fortement déséquilibré au profit des régions échappant au contrôle de Damas. L’Inde rappelait que le mécanisme transfrontière devait s’appuyer sur les besoins réels et ne pas être détourné à des fins politiques et les Émirats arabes unis appelaient une fois encore à ne pas politiser le dossier.
Sur le plan politique, la situation est restée bloquée. Le 26 janvier, l’Envoyé spécial, M. Geir Pedersen, défendait une nouvelle fois devant le Conseil son approche « pas à pas » et disait s’employer activement à convoquer la Commission constitutionnelle pour une septième session. Les États-Unis faisaient part de leur frustration et la France répétait qu’en l’absence de solution politique solidement enclenchée, il n’y avait « absolument pas lieu de normaliser les relations avec le régime syrien » en levant les sanctions et en finançant la reconstruction. La séance se déroulait dans un contexte marqué par l’attaque lancée par Daech contre un centre pénitencier à Hassaké, dont des centaines de combattants présumés de Daech mais aussi des enfants incarcérés s’étaient enfuis, déclenchant des frappes de la coalition internationale. M. Pedersen y voyait un message sur l’importance de s’unir pour résoudre un conflit qui permettait au terrorisme de prospérer.
L’attaque de Hassaké faisait l’objet d’une séance séparée le 27 janvier, lors de laquelle le Chef du Bureau de lutte contre le terrorisme (BLT), M. Vladimir Voronkov, rappelait que ses services mettaient régulièrement en garde contre la précarité des dispositifs de détention dans le nord-est de la Syrie. Il appelait le Conseil à prêter attention à la situation dans les camps et centres de détention de Hol et de Roj, où restent incarcérés, souvent sans jamais avoir été inculpés, des combattants présumés de Daech et des individus ayant des liens présumés avec le groupe, y compris des enfants. La séance voyait l’opposition entre la position de l’Iraq appuyé par les États-Unis, désireux d’éviter que ces camps ne deviennent des « incubateurs d’une nouvelle génération de terroristes », et appelant donc à intensifier le processus de rapatriement des combattants étrangers et des membres de leur famille; et de pays comme la France, pour qui les djihadistes qui ont choisi de rejoindre Daech doivent, quelle que soit leur nationalité, rendre des comptes devant la justice au plus près du lieu de leurs crimes, « là où se trouvent les victimes, là où se trouvent les preuves ».
Le 25 février, M. Pedersen annonçait au Conseil que la septième session de l’organe restreint de la Commission constitutionnelle aurait lieu à Genève le 21 mars. Elle était en cours lors de la séance du 24 mars, pendant laquelle l’Envoyé spécial évoquait la recherche de mesures concrètes, réciproques et vérifiables visant à établir une forme de confiance entre les parties, mais notait aussi que « la diplomatie internationale constructive nécessaire pour soutenir cet effort n’a pas été facilitée par les récentes tensions internationales accrues », référence au déclenchement un mois plus tôt du conflit en Ukraine, dont le représentant de la Ligue des États arabes prédisait qu’il aurait aussi des conséquences politiques sur la crise syrienne.
Le 26 avril, plusieurs membres du Conseil jugeaient décevants les résultats de la septième session de la Commission constitutionnelle, que saluait toutefois la Fédération de Russie, qui jugeait en revanche l’initiative des « petits pas » de l’Envoyé spécial « incompréhensible » et susceptible d’avoir des incidences négatives sur les travaux de la Commission. M. Pedersen rappelait au Conseil que le conflit syrien n’était « pas un conflit gelé mais un conflit ouvert » toujours actif, avec plusieurs points chauds qui risquaient d’être exacerbés par des crises extérieures à la Syrie.
Les aspects politiques n’étaient plus évoqués en public jusqu’au 29 juin, après une nouvelle session de la Commission constitutionnelle en mai et avant une autre que M. Pedersen annonçait pour le 25 juillet. Nombre de membres du Conseil, à l’image du Brésil, ne lui accordaient pas grand crédit et elle n’aurait d’ailleurs pas lieu. La séance du 14 septembre confirmait que le processus politique était au point mort.
Le 25 octobre, l’avenir des sessions de la Commission s’obscurcissait encore, les représentants du Gouvernement syrien ayant décidé de ne pas se rendre à Genève avant que soit trouvée une solution à des objections de la Fédération de Russie. Celle-ci estimait qu’en appliquant les sanctions antirusses décidées par l’Occident, la Suisse avait cessé d’être une « plateforme neutre » et demandait donc soit un autre lieu de réunion soit des garanties appropriées aux délégués qui prendraient part aux négociations. La France demandait à la Russie de cesser de prendre le processus en otage et de laisser les travaux reprendre à Genève mais M. Pedersen avertissait qu’une telle reprise ne suffirait pas à rétablir la crédibilité de la Commission. Le 29 novembre, M. Pedersen, de retour d’une réunion internationale du processus d’Astana sur la Syrie, expliquait avoir lancé aux garants du processus -Türkiye, Russie et Iran- un appel pour qu’ils favorisent la tenue d’une réunion de la Commission constitutionnelle en janvier 2023 à Genève. Il avertissait que plus celle-ci resterait dormante, plus il serait difficile de la relancer.
Entre temps, la situation sur le terrain avait dangereusement évolué. Dès le 29 août, l’Envoyé spécial demandait l’appui du Conseil pour stopper des « signes inquiétants » d’escalade militaire dus à plusieurs acteurs, dont la Türkiye et les États-Unis. Il souhaitait l’adoption d’un cessez-le-feu dans les plus brefs délais et l’intensification des mesures de rétablissement de la confiance entre les parties. Le 29 novembre, M. Pedersen dressait un bilan des combats qui avaient opposé durant les derniers mois, dans le nord de la Syrie, les Forces démocratiques syriennes (FDS), d’une part, et la Türkiye et les groupes opposants armés de l’autre. Le débordement de la violence en territoire turc, marqué par un attentat à Istanbul le 20 novembre, avait déclenché une opération aérienne de la Türkiye contrer les membres du YPG/PKK –Unités de protection du peuple et Parti des travailleurs du Kurdistan– jusqu’en Iraq. « La dynamique d’escalade est en marche », avertissait l’Envoyé spécial. Face à elle M. Pedersen se fixait comme priorité, le 21 décembre, de consolider les différents accords et arrangements conclus bilatéralement ces dernières années entre certains acteurs clefs –Russie, Türkiye, États-Unis– pour en faire un cessez-le-feu à l’échelle nationale, tout en privilégiant une approche coopérative de la lutte contre les groupes terroristes figurant sur la liste du Conseil.
Le volet « armes chimiques » du dossier syrien n’a connu aucune évolution, sinon la lassitude d’un nombre croissant de membres du Conseil face à des séances jugées trop fréquentes.
La séance du 5 janvier contenait déjà la quasi-totalité des éléments factuels et des commentaires que l’on retrouverait durant les neuf séances publiques du Conseil sur ce sujet. La Haute-Représentante des Nations Unies pour les affaires de désarmement, Mme Izumi Nakamitsu, présentait le dernier rapport mensuel du Directeur général de l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques (OIAC), qui n’apporterait pas d’élément nouveau. Les 20 questions relatives aux « lacunes, incohérences et divergences » identifiées dans la déclaration initiale de la Syrie lors de son adhésion à la Convention sur les armes chimiques (CIAC) restaient sans réponse et l’OIAC n’avait toujours pas reçu l’autorisation de visite de l’Équipe d’évaluation des déclarations, les autorités syriennes refusant d’octroyer un visa d’entrée à l’un de ses membres. Une rencontre prévue, initialement en octobre 2021, entre le Directeur général de l’OIAC, M. Fernando Arias, et le Ministre des affaires étrangères et des expatriés de la Syrie, M. Fayssal Mekdad, était, elle aussi, toujours en suspens. Les membres occidentaux du Conseil dénonçaient l’obstruction de la Syrie qui, avec le soutien de la Fédération de Russie et de la Chine, les accusaient en retour de mener sans relâche une campagne de désinformation et des politiques hostiles à son encontre. Les autres membres du Conseil condamnaient tout recours aux armes chimiques et invitaient la Syrie à la coopération tout en déplorant toute politisation de l’OIAC et de son secrétariat.
La séance du 28 février, marquée par l’examen du centième rapport mensuel du Directeur général de l’OIAC, n’apportait rien de nouveau. La Fédération de Russie constatait que l’OIAC ne fournissait toujours aucun rapport sur des incidents signalés cinq ans plus tôt et attribués à des groupes terroristes et se désintéressait également du programme d’armes chimiques de Daech. Elle reprochait -elle le ferait souvent dans les mois à venir- à M. Arias de refuser de venir s’expliquer devant le Conseil de sécurité, malgré ses demandes répétées.
La séance suivante intervenait le 10 mars, soit 10 jours plus tard seulement. En l’absence de changement sur le terrain ou au sein de l’OIAC, la Fédération de Russie jugeait inutile de tenir cette séance, appuyée par la Chine qui dénonçait la périodicité « absolument artificielle » de ces réunions.
En avril, l’examen du point avait lieu le 29, jour du vingt-cinquième anniversaire de l’entrée en vigueur de la CIAC. Mme Nakamitsu jugeait regrettable que les réalisations historiques de la Convention aient été éclipsées par les nombreux cas documentés d’utilisation d’armes chimiques en Syrie. Le Royaume-Uni rappelait qu’en Syrie, cette utilisation avait été à la fois précédée et suivie de désinformation et se disait inquiet de voir se mettre en place un schéma similaire en Ukraine, deux mois après l’invasion russe. Tout en dénonçant une « tendance dangereuse à politiser le travail de l’OIAC », la Fédération de Russie, qui rappelait que l’Union soviétique avait été un des pays à l’origine de la CIAC, précisait que, « malgré un contexte difficile », elle soutiendrait la Déclaration que la présidence du Conseil de sécurité devait faire à la presse à cette occasion.
La question était traitée en consultations en mai sous la présidence des États-Unis et n’apparaissait pas en juin. Il fallait attendre le 20 juillet pour une nouvelle séance publique du Conseil sur le sujet, sans aucun élément nouveau.
Après un examen en consultation en août, le Conseil tenait de nouveau une séance publique le 29 septembre. Face à l’impasse, Mme Nakamitsu notait que le Secrétariat technique de l’OIAC avait proposé de remédier aux lacunes de la déclaration initiale syrienne par écrit, bien que de tels échanges soient « manifestement moins productifs » que le déploiement de l’Équipe d’évaluation sur le terrain. La fréquence des séances du Conseil sur le sujet devenait un enjeu politique et un nouveau sujet de division entre ses membres. La Fédération de Russie et la Chine estimaient qu’il vaudrait mieux la réduire. Pour les États-Unis, c’étaient au contraire les rebuffades de la Syrie et l’appui de la Russie, qualifiés « d’affronts » au Conseil, qui contraignaient celui-ci à revenir chaque mois sur la question pour forcer le « régime d’Assad » à s’acquitter de ses obligations.
En l’absence de toute évolution, la fréquence des séances allait devenir le sujet principal des trois dernières séances. Le 25 octobre, les Émirats arabes unis rappelaient que tous les membres étaient responsables du temps et des ressources alloués au Conseil et le Brésil jugeait à son tour nécessaire de mener une réflexion sur la périodicité de séances consacrées au sujet. La Fédération de Russie ajoutait qu’il serait inutile d’aborder de nouveau le sujet tant que le Directeur général de l’OIAC refuserait de venir s’exprimer devant le Conseil.
La séance suivante avait pourtant lieu moins de deux semaines plus tard, le 7 novembre. La Fédération de Russie jugeait « absurde » la fréquence des réunions. À sa suite, la Chine, le Brésil, les Émirats arabes unis, l’Inde et les A3 jugeaient tour à tour la séance du jour « inutile », « non opportune », y voyaient une « perte de temps » et un « gaspillage » des ressources des Nations Unies et du Conseil. Ils souhaitaient que le Conseil réoriente ses ressources vers les questions dynamiques relatives aux défis auquel fait face le peuple syrien. Les États-Unis et l’Albanie trouvaient au contraire dans l’absence de progrès du dossier et le refus de la Syrie de coopérer avec l’OIAC la justification du nombre élevé des réunions. Le Mexique déplorait surtout que « les réunions comme celle-ci se succèdent sans que nous puissions assurer les victimes et leurs familles que bientôt justice sera rendue ».
Les mêmes pays opposaient les mêmes arguments en faveur ou contre les séances mensuelles lors de la séance du 5 décembre, à l’occasion de laquelle la Chine suggérait de regrouper en une seule séance mensuelle l’ensemble des sujets relatifs à la Syrie: armes chimiques, mais aussi aspects politique et humanitaire, ces deux derniers étant déjà souvent examinés ensemble.
Enfin, à propos du Golan, le Conseil, par ses résolutions 2639 (2022) et 2671 (2022), adoptées respectivement le 27 juin et le 22 décembre, renouvelait par deux fois pour six mois, la seconde fois jusqu’au 30 juin 2023, le mandat de la Force des Nations Unies chargée d’observer le désengagement (FNUOD).
Iraq
- 9 séances publiques: 22 février, 24 février, 17 mai, 26 mai, 8 juin, 26 juillet, 15 septembre, 4 octobre, 5 décembre
- 2 résolutions: 2621 (2022), 2631 (2022)
Voir aussi: Maintien de la paix et de la sécurité internationales; Terrorisme
La stabilité du pays a été fragilisée par les « luttes de pouvoir », qui ont eu pour conséquence qu’il a fallu attendre le 13 octobre, soit un an après les élections législatives du 10 octobre 2021, pour que l’Iraq se dote d’un président puis d’un premier ministre. Plusieurs attaques venues de l’extérieur ont confirmé le risque de voir le pays continuer d’être un terrain de confrontation entre puissances régionales. Le mandat de la Mission d’assistance des Nations Unies pour l’Iraq (MANUI), dirigée par Jeanine Hennis-Plasschaert, Représentante spéciale du Secrétaire général pour l’Iraq, a été renouvelé pour un an jusqu’à la fin mai 2023. Parallèlement, l’équipe de l’UNITAD a continué d’enquêter sur les crimes de Daech et l’Iraq s’est fait plus pressant pour que commencent les procès.
Le 22 février, par sa résolution 2621 (2022), le Conseil mettait officiellement fin au mandat de la Commission d’indemnisation des Nations Unies mise en place à la fin du conflit iraquo-koweïtien par les résolutions 687 (1991) et 692 (1991). Il réaffirmait que l’Iraq s’était acquitté de ses obligations internationales en réglant l’ensemble des montants accordés par la Commission, soit 52,4 milliards de dollars en 31 ans, pour 2,7 millions de réclamations examinées. Le Conseil confirmait que le Gouvernement iraquien n’était plus tenu de verser au Fonds d’indemnisation créé par la résolution 687 (1991) un pourcentage du produit de ses exportations de produits pétroliers et gaziers, et décidait d’achever son examen de la question. À l’image du Président du Conseil d’administration de la Commission, les membres du Conseil se félicitaient de ce que l’Irlande qualifiait de « réalisation sans précédent dans l’histoire du règlement international des réclamations ». La France parlait de « réussite notable en matière de reconstruction et de réconciliation postconflit ». Le Royaume-Uni jugeait exemplaire la réussite du mandat de la Commission à double titre: son rappel des conséquences d’un manquement au droit international, et l’exemple offert de ce que la coopération peut faire par le truchement de l’ONU. Les États-Unis observaient que la résolution finale d’un différend 30 ans après un conflit démontrait que « la guerre fait porter son ombre bien après la fin des combats ». La Fédération de Russie parlait d’une « séance historique » tout en dénonçant les conséquences humanitaires des sanctions imposées à l’Iraq depuis 1990 qui, au lieu de favoriser un règlement politique, « se sont en fin de compte transformées en châtiment collectif d’un peuple entièrement innocent ». Elle rappelait aussi le « caractère inadmissible du deux poids, deux mesures » en faisant observer que beaucoup des familles des « centaines de milliers de civils iraquiens tués » à la suite de l’invasion de l’Iraq par les États-Unis en 2003 -une guerre déclenchée « sans mandat du Conseil de sécurité et en violation du droit international, au moyen d’une désinformation flagrante »- n’avaient jamais reçu d’indemnisation.
Dès le 24 février, les lenteurs dans la formation du gouvernement issu des élections d’octobre 2021 suscitaient déjà l’inquiétude au Conseil. Mme Hennis-Plasschaert expliquait que la validation par la Cour suprême fédérale, le 27 décembre précédent, des résultats définitifs des élections avait mis un terme au processus électoral. Elle avertissait que les « faiblesses intérieures » liées aux retards pris dans l’élection du président de la république par le Parlement et dans la formation du Gouvernement risquaient de créer « un vide politique et sécuritaire » qui pourraient profiter à Daech et à d’autres ingérences extérieures. Il y a encore trop d’entraves aux changements dont le pays a désespérément besoin, ajoutait-elle. Les membres du Conseil souhaitaient tous la formation rapide d’un Gouvernement. Les Émirats arabes unis notaient en outre que l’Iraq continuait de faire l’objet de tentatives de déstabilisation, principalement dans le domaine de la sécurité, et appelaient au respect de sa souveraineté. La Fédération de Russie mettait en garde contre la présence de « groupes militaires étrangers » en Iraq, et rappelait que seul le Conseil de sécurité ou le pays concerné lui-même pouvait l’autoriser.
La formation du Gouvernement n’arrivant toujours pas, la Représentante spéciale dénonçait, le 17 mai, la « boucle manifestement incessante de jeux à somme nulle » dans laquelle se trouvait prise la vie politique iraquienne. Elle invitait la classe politique à délaisser les « luttes de pouvoir » dépassées et à « se retrousser les manches » pour promouvoir la longue liste des priorités nationales en souffrance. Avec des nuances, les membres du Conseil manifestaient eux aussi leur impatience. La plupart s’alarmaient en outre d’une attaque perpétrée au Kurdistan le 13 mars et revendiquée par le Corps des gardiens de la révolution islamique iranienne, ainsi que de bombardements turcs et d’attaques de groupes armés iraquiens, sans oublier la poursuite des attaques de Daech dans plusieurs provinces.
Le 26 mai, par sa résolution 2631 (2022) adoptée à l’unanimité, le Conseil prorogeait la MANUI jusqu’au 31 mai 2023, avec le même mandat consistant en priorité à fournir des conseils, un appui et une assistance au Gouvernement et au peuple iraquiens de manière à favoriser un dialogue politique inclusif ainsi que la réconciliation « avec la participation entière, égale et véritable des femmes ». Commentant le vote, l’Inde jugeait important de veiller à ce que l’attention de la Mission ne soit pas détournée vers de nouvelles responsabilités qui pourraient être assumées par des agences en Iraq et affirmait son opposition à la création de liens « artificiels » entre changements climatiques et paix et sécurité internationales, que le préambule de la résolution pouvait laisser envisager.
Le 20 juillet, une attaque contre un site touristique dans le Kurdistan iraquien faisait neuf morts. L’Iraq accusait la Türkiye. À sa demande, le Conseil tenait séance le 26 juillet. Le Ministre des affaires étrangères de l’Iraq dénonçait l’« agression flagrante » de la Türkiye. Il reconnaissait que la présence d’éléments des forces kurdes du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) sur le sol iraquien était source d’instabilité mais assurait de l’engagement de son gouvernement à lutter contre le terrorisme sur son territoire. Le représentant de la Türkiye parlait d’une « campagne de diffamation », précisait que l’Iraq avait l’obligation d’empêcher le PKK d’utiliser son territoire comme base pour ces actes de terrorisme et ajoutait qu’on « ne peut pas en vouloir aux pays voisins d’exercer leur droit à la légitime défense, alors que ce territoire devient une base pour des attaques terroristes visant la Türkiye ». De la Chine aux Émirats arabes unis en passant par Fédération de Russie ou la Norvège, la plupart des membres du Conseil condamnaient une attaque contre des civils considérée comme une violation du droit international humanitaire et une atteinte inacceptable à la souveraineté et l’intégrité territoriale de l’Iraq. Les États-Unis soulignaient toutefois la nécessité de disposer d’informations plus précises sur cette attaque.
Le Ministre des affaires étrangères iraquien demandait au Conseil d’adopter une résolution contraignant la Türkiye à retirer ses forces de tous les territoires iraquiens occupés et d’inscrire officiellement à son ordre du jour la situation entre les deux pays, en raison des violations répétées de la souveraineté iraquienne par Ankara. Mais le Conseil n’allait pas au-delà de la déclaration à la presse publiée la veille, dans laquelle il avait « condamné avec la plus grande fermeté » l’attaque et demandé instamment à tous les États Membres de « coopérer activement avec le Gouvernement iraquien et toutes les autres autorités compétentes » à l’appui de leur enquête.
Les 29 et 30 août, de graves troubles avaient lieu en Iraq, qui faisaient des dizaines de morts, amenant le Conseil de sécurité à publier, le 1er septembre, une déclaration à la presse pour condamner les violences, exprimer sa préoccupation, prendre note des mesures prises par le Gouvernement pour rétablir l’ordre et appeler au calme et à un « dialogue pacifique et constructif pour faire avancer les réformes et aller de l’avant ».
Le 4 octobre, Mme Hennis-Plasschaert estimait devant le Conseil que les heures très « critiques et dangereuses » qui avaient mis le pays au bord du « chaos total » fin août étaient « incontestablement » la conséquence directe de « l’inaction politique prolongée » et de l’incapacité de la classe politique iraquienne, de tous horizons, à placer l’intérêt national au-dessus des intérêts particuliers. La plupart des membres du Conseil appelaient les dirigeants politiques iraquiens à « prendre leurs responsabilités et à y faire face ». Tout en appuyant le mandat de la MANUI, le Brésil rappelait toutefois qu’il n’appartenait pas au Conseil de « dicter aux autorités iraquiennes la manière dont elles doivent définir leurs priorités nationales ou s’employer à les réaliser ». La situation au Kurdistan était également évoquée, d’autant que les élections législatives régionales prévues en octobre ne pouvaient se tenir, faute d’un terrain d’entente entre les acteurs politiques régionaux. L’Iraq dénonçaient les « attaques perpétrées par la Türkiye et par l’Iran », dans la région. La Fédération de Russie disait « prendre note » des arguments de l’Iran, qui présentait sa récente attaque au Kurdistan comme une réponse à la menace majeure que faisaient peser sur sa sécurité les groupes terroristes basés dans cette région.
Par ailleurs, sous la rubrique « menaces contre la paix et la sécurité internationales », le Conseil a examiné à deux reprises, les progrès de l’Équipe d’enquêteurs des Nations Unies chargée de concourir à amener Daech/État islamique d’Iraq et du Levant à répondre de ses crimes (UNITAD), dirigée par Christian Ritscher. Le mandat de l’UNITAD a été prorogé à l’unanimité et dans les mêmes termes pour un an, le 15 septembre, par la résolution 2651 (2022). L’Équipe rend un rapport chaque semestre, qui donne lieu à une séance du Conseil de sécurité.
Le 8 juin, le Chef de l’UNITAD présentait au Conseil de sécurité son huitième rapport semestriel. Avec la fin des restrictions liées à la pandémie, M. Ritscher décrivait comme plus forte que jamais la présence de ses équipes en Iraq et présentait ses progrès, dont se félicitaient les membres du Conseil. La Norvège s’intéressait en particulier au rapport de l’UNITAD sur la mise au point d’armes chimiques et biologiques par Daech en Iraq et l’emploi d’armes chimiques, appelant à le mettre en relation avec l’architecture internationale de non-prolifération. M. Ritscher insistait sur le soutien apporté à son équipe par les autorités iraquiennes et à la coordination avec ces dernières, dont il expliquait avoir fait une priorité. Plusieurs des membres du Conseil, comme le Ghana, le Brésil ou l’Inde, rappelaient que l’UNITAD ne devait pas chercher à se substituer au travail du système judiciaire iraquien et le représentant de l’Iraq répétait que, si le mandat de l’UNITAD devait se limiter au recueil, à la conservation et au stockage des éléments de preuve sans en permettre l’utilisation dans des procédures judiciaires de son pays, il ne serait pas suffisant.
Le 5 décembre, M. Ritscher précisait les progrès réalisés dans les enquêtes et l’établissement des preuves, en particulier en ce qui concerne les crimes commis contre la communauté chrétienne d’Iraq ainsi que la mise au point et l’emploi d’armes chimiques et biologiques. Il précisait que l’UNITAD allait désormais s’attacher à la tenue de procès fondés sur ces preuves. Plusieurs membres du Conseil appuyaient la position de l’Iraq, dont le représentant constatait que « les éléments de preuve sont là et il y a eu identification des responsables » et se demandait donc pourquoi l’on n’avait pas encore commencé les procès. Évoquant la pression de l’opinion publique de son pays, il estimait que le défi à venir consistait à asseoir la justice et à communiquer, en temps voulu, tous les éléments de preuve en vue de leur utilisation devant les tribunaux nationaux iraquiens afin de faciliter des procédures pénales indépendantes. Sa position était partagée par l’Inde, le Kenya, le Gabon ou encore la Fédération de Russie, qui rappelait que les éléments de preuve rassemblés par l’UNITAD devaient, conformément au mandat de l’Équipe, appuyer les poursuites lancées par les autorités iraquiennes. Le but de l’UNITAD est d’aider concrètement les autorités iraquiennes, abondait la Chine, qui ajoutait que l’Équipe n’avait « pas vocation à devenir permanente ».
Yémen
- 11 séances publiques: 12 janvier, 15 février, 28 février, 15 mars, 14 avril, 14 juin, 11 juillet, 13 juillet, 15 août, 13 octobre, 22 novembre
- 2 résolutions: 2624 (2022), 2643 (2022)
Voir aussi: Maintien de la paix et de la sécurité internationales; Organes subsidiaires
Après un début d’année difficile marqué par la poursuite de l’offensive des houthistes, le Yémen est entré en avril dans une phase d’espoir avec une trêve conçue à l’occasion du ramadan et renouvelée ensuite à deux reprises jusqu’en octobre. Sa non-reconduction à cette date, imputée aux houthistes, n’a toutefois pas entraîné de reprise générale des combats. Le Conseil a reconduit en juillet pour un an le mandat de la Mission des Nations Unies en appui à l’Accord sur Hodeïda (MINUAAH).
Le 12 janvier, l’Envoyé spécial pour le Yémen, Hans Grundberg, notait devant le Conseil que l’année commençait sur une note difficile, marquée par l’escalade de l’option militaire, qu’il jugeait pourtant vaine sur le long terme. L’Envoyé spécial appelait donc les parties à revenir au dialogue, « même si elles ne sont pas prêtes à déposer les armes encore ». Il expliquait au Conseil qu’il s’efforçait de dégager un cessez-le-feu national, tout en reconnaissant qu’il restait confronté aux mêmes obstacles que par le passé, notamment les désaccords entre les parties au sujet des priorités et le manque de confiance. Le Bureau de la coordination des affaires humanitaires (OCHA) appelait de son côté les donateurs à augmenter leur soutien et rappelait que l’opération humanitaire des Nations Unies au Yémen aurait besoin en 2022, comme en 2021, de 3,9 milliards de dollars pour venir en aide à 16 millions de personnes. Plusieurs membres du Conseil dénonçaient les attaques des houthistes en direction du territoire saoudien. Norvège et Irlande regrettaient que les femmes yéménites soient toujours écartées des négociations de paix et de la vie publique et politique.
Malgré l’escalade des combats, M. Grundberg annonçait le 15 février au Conseil le lancement, la semaine suivante, d’une série de consultations avec toutes les parties yéménites, y compris les belligérants. Il présentait les discussions à venir comme « une réelle opportunité » de tracer une voie pacifique visant à affiner le cadre général qu’il élaborait afin de définir un plan pour progresser vers un règlement politique inclusif. L’initiative de l’Envoyé spécial était saluée par l’ensemble des membres du Conseil, même si les Émirats arabes unis se montraient sceptiques sur la bonne volonté des houthistes, rejoignant en cela la délégation du Yémen. Le Mexique, l’Albanie et le Gabon appelaient le Conseil à obtenir un cessez-le-feu et à faire faire respecter son embargo sur les armes.
Le 28 février, le Conseil reconduisait pour un an le régime de sanctions applicable au Yémen, notamment l’embargo ciblé sur les armes. Il décidait en outre d’étendre ce dernier au mouvement houthiste dans son ensemble et ajoutait aux critères de désignation susceptibles de déclencher les sanctions déjà existant les tirs transfrontières de missiles balistiques ou de missiles de croisière réalisés depuis le Yémen, ainsi que les attaques de navires marchands conduites en mer Rouge ou dans le golfe d’Aden. La résolution 2624 (2022) n’était adoptée que par 11 voix pour et 4 abstentions, celles du Brésil, de l’Irlande, du Mexique et de la Norvège. Ces pays s’inquiétaient des conséquences de la désignation du mouvement houthiste comme groupe terroriste à la fois sur le processus politique en cours et sur les acteurs humanitaires.
Tout en appelant à mettre en œuvre l’embargo sur les armes imposé aux houthistes, le Brésil, rejoint par le Gabon, appelait, lors de la séance suivante, le 15 mars, à assouplir les restrictions en vigueur dans les ports yéménites de la mer Rouge et à l’aéroport de Sanaa, dans le cadre de la mise en œuvre du cadre économique de l’ONU pour le Yémen. L’Envoyé spécial affirmait que la sortie du conflit passerait par des consultations bilatérales du type de celles qu’il avait commencé à tenir en Jordanie avec les dirigeants de différentes formations politiques yéménites. Plusieurs des membres du Conseil saluaient le caractère inclusif de ces consultations, les femmes yéménites ayant pu se faire entendre. Les Émirats arabes unis répétaient toutefois, en écho à la délégation yéménite, que les forces houthistes étaient entièrement responsables de la poursuite de la guerre et appelaient le Conseil à exercer tous les moyens de pression à sa disposition pour les contraindre à la négociation.
Le 1er avril, à la veille du début du ramadan, l’Envoyé spécial lançait un appel à la trêve qui était accepté par les belligérants, ce dont le Conseil se félicitait dans une déclaration à la presse publiée le 4 avril. La séance du 14 avril était teintée d’un certain optimisme car M. Grundberg pouvait annoncer que la trêve, de deux mois renouvelables, tenait. L’Envoyé spécial précisait qu’il s’agissait de la première trêve nationale en six ans et qu’elle visait notamment à améliorer la libre circulation des marchandises et la liberté de mouvement des civils. Il saluait par ailleurs le transfert du pouvoir exécutif au Yémen à un Conseil présidentiel réunissant les principales forces politiques du pays, y voyant « une étape importante vers la stabilité et un règlement politique inclusif ». Il citait aussi les récentes consultations du Conseil de coopération du Golfe tenues à Riyad, pendant lesquelles la nécessité de renoncer à une solution militaire avait été soulignée. Les membres du Conseil saluaient ces développement positifs, jugés « inattendus » par le Brésil. L’Inde et le Gabon appelaient les parties yéménites à saisir l’opportunité de la trêve pour arriver à un règlement politique, tout comme les Émirats arabes unis, qui se ralliaient à l’appel lancé par l’Arabie saoudite pour que le Conseil présidentiel entame des négociations avec les houthistes sous l’égide de l’ONU. Le Royaume-Uni saluait les « efforts phénoménaux » de l’Envoyé spécial. Plusieurs membres du Conseil ne s’en inquiétaient pas moins, avec le Coordonnateur des secours d’urgence, de la situation humanitaire toujours critique, mais Martin Griffiths pouvait se féliciter d’un récent dépôt par l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis de 2 milliards de dollars à la Banque centrale du Yémen, qui permettait à la monnaie yéménite de regagner de la valeur, rendant ainsi la nourriture et d’autres biens essentiels plus abordables.
C’est en consultations que le Conseil examinait la situation au Yémen en mai. Le 14 juin, l’Envoyé spécial pouvait annoncer la reconduction, jusqu’au 2 août, de la trêve conclue le 2 avril et très largement respectée. M. Grundberg expliquait son intention de mettre l’accent, d’une part, sur l’application et la consolidation de la trêve et, d’autre part, sur la recherche de solutions plus durables pour répondre aux besoins économiques et de sécurité. Les membres du Conseil saluaient unanimement la reconduction de la trêve et les mesures qui l’accompagnaient, notamment la circulation des biens essentiels et des personnes. Certains, comme le Brésil, s’inquiétaient toutefois des conséquences possibles pour la sécurité alimentaire au Yémen des sanctions économiques unilatérales adoptées par certains pays « en relation avec des conflits en cours ailleurs ».
Le 11 juillet, M. Grundberg expliquait au Conseil que sa priorité des jours à venir était de favoriser la reconduction d’une trêve élargie pour progresser vers un règlement politique en mettant l’accent sur l’économie, la sécurité, les recettes et le paiement de salaires. Il regrettait que les houthistes d’Ansar Allah n’aient pas répondu favorablement à sa proposition de réouverture graduelle des routes. L’OCHA mettait l’accent sur la réouverture des axes autour de Taëz, toujours encerclée par les houthistes, et sur l’insuffisante alarmante du financement du plan humanitaire pour le pays, où 17,4 millions de Yéménites souffraient d’insécurité alimentaire. « Si on ne nourrit pas les affamés, on nourrit le conflit », avertissait l’Albanie.
Deux jours plus tard, le 13 juillet, par la résolution 2643 (2022), adoptée à l’unanimité, le Conseil reconduisait, pour un an et avec le même mandat, la Mission des Nations Unies en appui à l’Accord sur Hodeïda (MINUAAH).
Le 15 août, M. Grundberg présentait au Conseil le bilan des quatre mois et demi écoulés depuis le début de la trêve, qui venait d’être de nouveau prolongée de deux mois, jusqu’au 2 octobre, dans les mêmes termes. S’il concédait n’avoir pas réussi à obtenir la réouverture des axes routiers, cruciale du point de vue humanitaire, l’Envoyé spécial disait avoir insisté sur l’importance de négocier un accord pour une trêve élargie. Il rappelait que la trêve n’était qu’une mesure provisoire visant à mettre fin aux hostilités, à répondre aux besoins urgents et à offrir aux parties une base pour progresser vers des solutions plus durables aux questions politiques, mais ajoutait que l’absence d’un accord pour la prolonger conduirait à de nouveaux cycles d’escalade et de violence, avec des conséquences prévisibles et dévastatrices pour la population. Le sous-financement du plan humanitaire pour le pays continuait d’alarmer plusieurs membres du Conseil, d’autant plus que, comme le rappelait l’Inde, la trêve n’avait pas vraiment permis d’apporter l’aide humanitaire attendue à cause du manque de fonds et de la hausse mondiale des prix des denrées de base.
Le Conseil ne tenait pas de séance publique sur le Yémen en septembre.
L’échéance du 2 octobre passait sans que la trêve ait pu être renouvelée. Dans une déclaration à la presse du 5 octobre, les membres du Conseil s’en disaient « profondément déçus » et mettait en cause « les exigences jusqu’au-boutistes des houthistes ». Rappelant que, durant les six derniers mois, « le calme et la sécurité avaient régné comme jamais au cours de ces huit dernières années », ils insistaient sur les avantages qu’offrirait une nouvelle prorogation de celle-ci, mettaient en exergue « les coûts majeurs » qu’entraînerait sa fin, « en premier lieu pour le peuple yéménite » et exhortaient les parties yéménites, « en particulier les houthistes », à s’abstenir de toute provocation, donner la priorité au peuple yéménite, reprendre des négociations constructives sous les auspices de l’ONU et œuvrer d’urgence à ce que la trêve soit maintenue et élargie.
Les deux séances suivantes étaient marquées par la même tonalité de déception, doublée toutefois d’un soulagement provisoire puisqu’il n’y avait pas eu de reprise des hostilités à grande échelle depuis l’expiration de la trêve.
Le 13 octobre, l’OCHA faisait en outre état d’une baisse du nombre de personnes exposées à une insécurité alimentaire aiguë ayant besoin d’une assistance humanitaire, et surtout de la disparition des risques de famine. La Fédération de Russie estimait qu’à ce stade, l’essentiel était d’empêcher une escalade militaire à grande échelle et que le rejet de la responsabilité de la situation sur une seule partie du conflit n’aiderait pas à le résoudre, alors que les Émirats arabes unis encourageaient le Conseil à contraindre les houthistes à accepter la prolongation de la trêve.
« En dépit de certains incidents préoccupants, la guerre n’a pas encore pris le dessus », résumait le 22 novembre l’Envoyé spécial. La fenêtre demeure ouverte, ajoutait la Chine, qui exhortait les parties concernées, en particulier les houthistes, à coopérer positivement avec l’Envoyé spécial tandis que la Fédération de Russie plaidait pour des contacts directs avec le mouvement houthiste afin de sortir le processus de négociation de son « point mort ». Les Émirats arabes unis dénonçaient en revanche les derniers assauts des houthistes, y voyant leurs « véritables intentions » ainsi que « leur détermination à revenir à la situation telle qu’elle était au Yémen avant la trêve ».
La séance publique prévue en décembre était annulée au dernier moment.
SECONDE PARTIE: QUESTIONS THEMATIQUES
PAIX ET SÉCURITÉ INTERNATIONALES
Maintien de la paix et de la sécurité internationales
- 8 séances publiques: 11 avril, 19 mai, 23 mai, 2 juin, 22 août, 29 septembre, 26 octobre, 14 décembre
Voir aussi: Protection des civils en période de conflits armés; Consolidation et pérennisation de la paix; Non-prolifération - Iran; Ukraine
Sous cette rubrique généraliste apparaissent notamment des débats, parfois ouverts, organisés sur des questions présentant un intérêt particulier pour les présidences mensuelles successives. Nombre de ces réunions ont été présidées par, ou tenues en présence de, dignitaires de haut niveau: ministres des affaires étrangères, voire chefs de gouvernement ou chefs d’État. Aucune des séances tenues sous cette rubrique n’a donné lieu à une production du Conseil. La séance du 29 septembre, marquée par l’adoption de la résolution 2652 (2022), portait sur la lutte contre le trafic d’êtres humains au large des côtes de la Libye et est traitée sous ce pays.
Le 11 avril, le Conseil examinait les moyens d’améliorer la mise en œuvre des dispositions de ses résolutions 2532 (2020) et 2565 (2021) concernant la pandémie de COVID-19. Le Coordonnateur principal mondial pour la préparation et la fourniture du vaccin contre la COVID-19, Ted Chaiban, se félicitait de la baisse du nombre de pays ayant une faible couverture vaccinable mais d’autres intervenants, comme le CICR, jugeaient impossible d’atteindre l’objectif de 70% de la population mondiale vaccinée d’ici le milieu de l’année sans atteindre les populations des zones de conflit. Les membres du Conseil énuméraient la liste des éléments nécessaires pour parvenir à une immunité collective: accès équitable et abordable aux vaccins, cessation des hostilités et pause humanitaire, prise en compte des personnes les plus vulnérables dans les plans de vaccination, notamment les réfugiés et les déplacés, renforcement des systèmes de santé et des réponses aux besoins humanitaires. Plusieurs membres du Conseil mettaient en avant l’importance de leurs dons en doses de vaccins au profit des pays les plus démunis.
Le 19 mai, un débat ouvert du Conseil était consacré aux « conflits et sécurité alimentaire ». Près de 80 États Membres -23 au niveau gouvernemental– participaient au débat, qui était largement dominé par les conséquences de la guerre en Ukraine sur les approvisionnements mondiaux. Le Secrétaire général revenait sur les mesures urgentes nécessaires pour résoudre la crise à court terme et prévenir les dommages à long terme, qu’il venait de présenter lors d’une réunion ministérielle sur la faim dans le monde. « Qu’il n’y ait aucun doute: lorsque ce Conseil débat d’un conflit, vous débattez de la faim », lançait M. Guterres. Le Directeur général de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), Qu Dongyu, rappelait que les conflits « restent le principal facteur de faim ». Le Directeur exécutif du PAM, David Beasley, dressait un tableau très sombre de la situation alimentaire mondiale, parlant de 323 millions de personnes risquant désormais de souffrir de la faim, contre 80 millions avant la pandémie. Plusieurs des intervenants rappelaient le rôle de « grenier à blé du monde » joué jusqu’alors par l’Ukraine et estimaient que le conflit avait exacerbé une situation alimentaire mondiale déjà tendue. À ceux qui affirmaient, comme l’Ukraine, que si la Russie arrêtait la guerre, les risques de famine disparaîtraient, la Fédération de Russie rétorquait que l’insécurité alimentaire mondiale ne datait pas d’aujourd’hui et que les perturbations avaient aussi été causées par la pandémie et par la réponse de l’Occident, accusée d’être un facteur d’inflation. La Chine appelait à la levée des mesures unilatérales qui restreignent la production et le commerce des denrée alimentaires. Plusieurs États, comme le Kenya, préconisaient des mesures de coopération dans un esprit de multilatéralisme, afin de répondre à l’appel urgent à l’action du Secrétaire général, qui déclarait: « il y a assez de nourriture pour tout le monde dans le monde; la question est celle de la distribution ». De nombreux orateurs rappelaient en outre la résolution 2417 (2018), par laquelle le Conseil avait condamné l’utilisation de la famine comme méthode de guerre, et demandaient son application effective.
Le 23 mai, le Conseil tenait une séance consacrée à la technologie et la sécurité, occasion pour ses membres de discuter des potentiels offerts par ces technologies au service de la paix, notamment en facilitant l’alerte précoce, la détection des menaces émergentes, la prévention des crises humanitaires et des violations des droits humains, ou en favorisant la consolidation de la paix. Mais ils s’inquiétaient aussi de la menace pour la paix et la sécurité internationales que recelaient ces technologies en cas d’utilisation malveillante. Certains pays, comme l’Inde, mettaient l’accent sur la lutte contre l’usage qu’en font les groupes terroristes pour diffuser leurs idéologies, inciter à la violence et recruter. Plusieurs membres occidentaux du Conseil s’en prenaient à la Fédération de Russie, accusée d’attaques cybernétiques, en particulier contre l’Ukraine, et de campagnes massives de désinformation sur Internet. La Fédération de Russie dénonçait pour sa part des campagnes de désinformation russophobes de la part de la « communauté autoproclamée des démocraties », qu’elle accusait de mettre en place un véritable « cyber-totalitarisme ».
Le 2 juin, la présidence albanaise du Conseil organisait un débat ouvert intitulé « Violations graves du droit international: renforcer la justice et mieux s’acquitter de ses obligations », avec la participation de la Présidente de la Cour internationale de Justice (CIJ), la juge Joan Donoghue, de la Haute-Commissaire aux droits de l’Homme, Michelle Bachelet, et de 48 autres États Membres. Dans un contexte marqué par les accusations d’exactions de l’armée russe en Ukraine, de nombreux intervenants se prononçaient pour l’adoption d’une convention sur les crimes contre l’humanité. Le Conseil était fortement critiqué par plusieurs pays non membres, qui l’accusaient de sélectivité dans le traitement des violations du droit international et dans la mise en œuvre de ses propres résolutions. Mais la critique principale portait sur le recours au droit de veto. Plusieurs pays, y compris des membres du Conseil, dénonçaient son utilisation dans les situations de violations massives des droits de l’homme et du droit international humanitaire, et les propositions visant à encadrer son usage ‑initiative franco-mexicaine, code de conduite du groupe ACT‑ étaient rappelées. Particulièrement mise en cause, la Fédération de Russie dénonçait l’« hypocrisie inouïe » des pays occidentaux qui, dans le contexte de l’Ukraine, avaient « soudainement choisi de se rappeler que le droit international existe » alors que celui-ci leur apparaissait « comme un obstacle agaçant lorsque l’OTAN attaquait la Yougoslavie, l’Iraq, l’Afghanistan, la Libye et la Syrie ». Elle accusait « l’Occident » d’avoir inventé « des concepts exotiques, tels que l’intervention humanitaire, la guerre contre le terrorisme ou les frappes préventives » pour justifier des agressions et des guerres de choix, et d’avoir voulu remplacer le droit international classique par un ordre fondé sur des règles prétendument universelles mais en fait établies par lui-même.
Le 22 août, à l’initiative de sa présidence chinoise, le Conseil débattait de la promotion de la sécurité commune par le dialogue et la coopération, en présence du Secrétaire général de l’ONU et du Président de la dixième Conférence des Parties chargée d’examiner le Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP), qui se déroulait au même moment au Siège de New York. De retour d’Ukraine, où venait d’être mise en œuvre l’Initiative céréalière de la mer Noire, M. Guterres la citait comme un exemple concret de la façon dont le dialogue et la coopération peuvent susciter l’espoir, y compris en plein conflit. Il défendait aussi l’idée d’un nouveau consensus mondial pour assurer la sécurité collective. Le Président de la Conférence d’examen du TNP, Gustavo Zlauvinen, voyait dans celle-ci -qui se conclurait une semaine plus tard sur un échec- une occasion unique d’inscrire un instrument de sécurité collective dans le cadre d’un forum de dialogue et de coopération.
Les membres du Conseil parlaient beaucoup du TNP, et plus encore de l’Ukraine. Plusieurs dressaient un tableau sombre de la situation générale. Le Kenya envisageait pour l’ONU le destin de la Société des Nations. La France relevait que le cyberespace comme l’espace extra-atmosphérique devenaient des champs de rivalité stratégique, voire de conflit armé. Les États-Unis se disaient prêts à négocier au plus vite pour parvenir à de nouveaux traités de réduction stratégique des armes nucléaires avec la Russie mais dénonçaient le « comportement irresponsable » de celle-ci, que le Royaume-Uni accusait d’avoir « déchiré la Charte ». La Fédération de Russie déplorait la crise profonde de sécurité et de confiance entre les principaux acteurs internationaux et l’imputait aux Occidentaux, accusés de l’avoir trompée sans vergogne, en particulier par l’extension vers l’Est de l’OTAN. La Chine rappelait qu’aucun pays ne pouvait renforcer sa sécurité au détriment de celle des autres, demandait le respect sans faille de l’intégrité et de la souveraineté de tous les États, et appelait à rechercher le plus grand dénominateur commun pour régler les différends par le dialogue et la coopération. L’Inde estimait qu’il était impossible de répondre aux défis actuels par des systèmes et structures de gouvernance obsolètes et appelait à un multilatéralisme réformé plaçant en son centre la réforme du Conseil de sécurité. Le Gabon considérait que l’ordre international actuel, marqué par la diversité idéologique, nécessitait un dialogue permanent en vue d’un consensus global et jugeait « dangereusement naïf » de miser sur les rapports de force ou les postures unilatérales.
Le 26 octobre, le Conseil se réunissait à la demande de la Fédération de Russie qui accusait certains États Membres de « donner des instructions » au Secrétariat de l’ONU en violation de l’Article 100 de la Charte. L’affaire était liée à une demande faite par les pays occidentaux au Secrétariat en relation avec l’utilisation contre l’Ukraine de drones de fabrication iranienne, qui auraient été livrés à l’armée russe en violation de la résolution 2231 (2015) du Conseil. Outre qu’elle niait que l’Iran lui ait fourni des drones, la Fédération de Russie affirmait que plusieurs pays occidentaux cherchaient à confier au Secrétariat des compétences indues constituant des intrusions dans les prérogatives du Conseil de sécurité. Appelé à s’exprimer, le Conseiller juridique de l’Organisation jugeait « naturel », pour les États Membres, de souhaiter exercer, « autant que possible », une influence sur les activités de l’Organisation, y compris le Secrétariat. Plusieurs membres occidentaux du Conseil dénonçaient le « cynisme » de la Russie, puisque c’était elle qui ne cessait de violer la Charte en envahissant l’Ukraine. Le Kenya dénonçait le « rôle disproportionné » des États les plus puissants dans la « tendance malheureuse » à la partialité du Secrétariat, à qui il reprochait de confondre l’impartialité avec le fait de « se tenir à mi-chemin entre les parties en conflit ». Il appelait le Secrétaire général à utiliser pleinement son pouvoir d’attirer l’attention du Conseil sur toute affaire qui, à son avis, pourrait mettre en danger le maintien de la paix et de la sécurité internationales, sans se soucier de l’avis d’un État, aussi influent fût-il.
Le 14 décembre, une soixantaine de délégations participaient au débat ouvert organisé par la présidence indienne sur le thème « une nouvelle orientation pour une refonte du multilatéralisme », en présence notamment du Secrétaire général de l’ONU et du Président de l’Assemblée générale, M. Csaba Kőrösi, et de plusieurs ministres des affaires étrangères qui critiquaient l’inertie de l’architecture multilatérale mondiale. M. Guterres rappelait son intention de présenter en 2023 aux États Membres son Nouvel Agenda pour la paix. M. Kőrösi plaidait pour un multilatéralisme revitalisé, efficace, représentatif et inclusif, et rappelait le processus de négociations intergouvernementales en cours sur la question de la réforme du Conseil de sécurité, tout en déplorant l’absence d’échéancier ou de texte de négociation. Si un consensus se dessinait pour une réforme du système international dans son ensemble, englobant le Conseil, mais aussi l’Assemblée générale et les institutions financières internationales, le débat revenait largement sur l’élargissement du Conseil, la place à y accorder à l’Afrique et l’exercice du droit de veto, point sur lequel le Président de l’Assemblée générale annonçait la tenue d’un débat en 2023.
Consolidation et pérennisation de la paix
- 2 séances publiques: 27 juillet, 3 novembre
Voir aussi: Maintien de la paix et de la sécurité internationales; Opérations de paix des Nations Unies
Le 27 juillet, le Conseil examinait le rapport annuel de la Commission de consolidation de la paix (CCP). C’était l’occasion pour plusieurs membres du Conseil de saluer la « maturité croissante » de cet organe subsidiaire conjoint du Conseil et de l’Assemblée générale créé en 2005, et de s’intéresser à l’ensemble de l’architecture de consolidation de la paix, y compris à son financement, encore très inférieur aux objectifs affichés à sa création. Le rôle de conseil de la CCP était également discuté. La Norvège demandait au Conseil d’écouter davantage la CCP, la Chine souhaitait plus de recommandations de sa part, la Fédération de Russie demandait une amélioration de la qualité desdites recommandations et l’Inde préférait que son rôle consultatif soit exercé de manière judicieuse et uniquement lorsqu’il est nécessaire.
Le 3 novembre, la présidence ghanéenne du Conseil organisait un débat ouvert sur « le renforcement efficace de la résilience dans les opérations de paix au service d’une paix durable » marqué par une cinquantaine d’interventions, dont celle du Secrétaire général, qui déplorait que la communauté internationale continue à sous-investir dans la paix, en procurant aux opérations de paix de ressources insuffisantes qui les privent de leurs capacités d’action et d’adaptation et menacent jusqu’à leur mandat. Les orateurs appelaient le Conseil à doter les missions de paix de l’ONU de mandats plus clairs, robustes et résilients, à garantir plus d’inclusivité, à mieux coopérer avec ses « amis et alliés régionaux » et à mieux s’attaquer à toutes les causes sous-jacentes des conflits. Dans ce dernier domaine, certains notaient un début de prise de conscience, encore insuffisante, dont témoignaient les mandats des opérations à Haïti, au Mali, en Somalie, au Soudan du Sud ou en Iraq. Le Canada souhaitait voir dans ce débat l’amorce d’une discussion à poursuivre dans le cadre du Comité spécial des opérations de maintien de la paix et du processus de la prochaine Conférence ministérielle sur le maintien de la paix, en 2023.
Menaces contre la paix et la sécurité internationales
- 21 séances publiques: 31 janvier, 7 mars, 11 mars, 17 mars, 18 mars, 13 mai, 8 juin, 11 août, 23 août, 6 septembre, 8 septembre, 15 septembre, 30 septembre, 12 octobre, 27 octobre, 31 octobre (vol Ryanair), 31 octobre (Ukraine), 2 novembre, 10 novembre, 5 décembre, 9 décembre
Voir aussi: Ukraine; Iraq; Paix et sécurité en Afrique; Terrorisme
Les séances des 31 janvier, 7 mars, 11 mars, 17 mars, 18 mars, 13 mai, 11 août, 23 août, 6 septembre, 8 septembre, 30 septembre, 27 octobre, 31 octobre (Ukraine), 2 novembre et 9 décembre, consacrées entièrement à la situation en Ukraine, sont répertoriées et présentées sous ce pays. De même, les séances du 8 juin, du 15 septembre et du 5 décembre portent sur les travaux de l’Équipe d’enquêteurs des Nations Unies chargée de concourir à amener Daech/État islamique d’Iraq et du Levant à répondre de ses crimes (UNITAD). Ces travaux concernant exclusivement l’Iraq, sont répertoriées et présentées sous ce pays.
Le 12 octobre, la présidence gabonaise du Conseil organisait un débat sur le thème « le climat et la sécurité en Afrique », qui confirmait que la question des liens potentiels entre climat, paix et sécurité était, selon les termes du Brésil, « une source de divisions et de polémique » au sein du Conseil. Cette division avait été évidente en décembre 2021, quand un projet de résolution invitant le Conseil à analyser les conflits en « intégrant des données sur les répercussions des changements climatiques sur la sécurité » avait été à l’origine du seul veto de l’année.
Le Brésil rappelait qu’au Conseil, la question n’est pas la gravité des changements climatiques mais de savoir si ces changements sont une cause directe des conflits armés, constituant ainsi une menace directe à la paix et la sécurité au sens de la Charte. Pour le Brésil, mais aussi la Chine, l’Inde et la Fédération de Russie, la réponse était « non ». Ces deux derniers pays dénonçaient une « priorité occidentale » à laquelle le Conseil n’avait pas à se plier, présentée par l’Inde comme une tentative des pays développés visant à détourner l’attention de la communauté internationale de leur absence de volonté face la question climatique dans son ensemble. Au contraire, le Gabon parlait d’un lien « consubstantiel » entre changements climatiques et instabilité politique dans de nombreux pays africains. Le lien paraissait tout aussi indiscutable au Royaume-Uni, à la Norvège ou aux Émirats arabes unis, lesquels jugeaient nécessaire de trouver, au sein du Conseil, un cadre pour discuter de la question. La France rappelait son souhait d’un rapport semestriel du Secrétaire général au Conseil sur les conséquences des changements climatiques sur la paix et la sécurité internationales. Tout en estimant que le Conseil ne saurait être en mesure de traiter de tous les aspects des changements climatiques, le Ghana l’appelait à prendre cette problématique en considération au cas par cas et notait que plus de la moitié des opérations de maintien de la paix de l’ONU se déroulent dans des pays très vulnérables aux incidences des changements climatiques. L’Irlande, co-auteur du projet de résolution rejeté dix mois plus tôt, relevait d’ailleurs que, depuis cet échec, le Conseil intégrait de plus en plus les risques sécuritaires posés par le climat dans ses mandats de maintien de la paix.
Le 31 octobre le Conseil, à la demande de plusieurs membres occidentaux, tenait une séance publique sur l’affaire du déroutement, le 23 mai 2021, du vol FR4978 que la compagnie irlandaise Ryanair effectuait entre Athènes et Vilnius. Au motif d’une alerte à la bombe, l’avion s’était dérouté vers Minsk au Bélarus où, à l’atterrissage, la police avait interpellé l’opposant Roman Protassevitch et sa compagne, qui se trouvaient à bord. Les autorités bélarussiennes avaient été rapidement soupçonnées d’avoir organisé une fausse alerte dans le seul but de s’emparer de l’opposant, ce que confirmait l’enquête d’établissement des faits de l’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI), et ce dont le Conseil condamnait le Bélarus le 18 juillet. Les États-Unis souhaitaient que le Conseil de sécurité, qui avait examiné l’incident en consultations peu après les faits, condamne à son tour le Bélarus, lequel rejetait un rapport « infondé et dépourvu d’informations clefs de plusieurs parties impliquées ». Les membres africains et latino-américains du Conseil jugeaient très préoccupante, dangereuse et condamnable l’interception tout en se demandant, à l’image du Brésil, si cette question ne relevait pas plutôt, outre de l’OACI, du Conseil des droits de l’homme. La Chine s’interrogeait également sur le rôle du Conseil de sécurité, alors que la Fédération de Russie n’y voyait « rien de plus qu’un des règlements de comptes largement pratiqués par les États occidentaux contre les pays qu’ils n’aiment pas ». De fait, les membres occidentaux du Conseil saisissaient l’occasion pour s’en prendre au « régime bélarussien » répressif en matière de droits de l’homme et accusé par ailleurs, en particulier par l’Albanie, la Norvège et surtout le Royaume-Uni, d’être un « facilitateur » de l’invasion russe en Ukraine. Pays de destination du vol en cause, la Lituanie souhaitait que le Conseil reste saisi de la question.
Le 10 novembre, la présidence ghanéenne organisait un débat de haut niveau sur « la lutte contre le terrorisme en Afrique: un impératif pour la paix, la sécurité et le développement », invitant les membres du Conseil à examiner comment les missions de paix des Nations Unies en Afrique peuvent mieux appuyer les actions régionales visant à lutter contre le terrorisme; comment l’ONU peut aider les États Membres à renforcer leur résilience afin de freiner la propagation du terrorisme et de l’extrémisme violent dans la région du Sahel et les zones côtières d’Afrique de l’Ouest; et à quel mécanisme de financement durable il serait possible de faire appel pour soutenir le renforcement de la résilience face au terrorisme dans ces mêmes régions. Les intervenants rappelaient que les réponses purement militaires et policières avaient non seulement montré leurs limites, mais parfois été contre-productives. Ils prônaient une approche tenant compte du lien établi entre paix, bonne gouvernance et développement. Il était aussi question du financement des initiatives régionales de lutte contre le terrorisme et le Président de la Commission de l’Union africaine décrivait une Afrique « lasse » d’entendre des promesses et de ne recueillir que les déceptions.
Menaces contre la paix et la sécurité internationales résultant d’actes de terrorisme
- 3 séances publiques: 9 février, 9 août,15 décembre
- 1 déclaration présidentielle: PRST/2022/7
Voir aussi: Organes subsidiaires; Afghanistan; Iraq; Syrie; Paix et sécurité en Afrique; Région des Grands Lacs
En février et août, le Conseil débattait des quatorzième et quinzième rapports semestriels du Secrétaire général sur l’État islamique d’Iraq et du Levant (EIIL/Daech).
La séance du 9 février intervenait moins d’une semaine après la mort d’Abu Ibrahim al-Hashimi al-Qourachi, « calife » de Daech, tué lors d’une opération américaine en Syrie, ce que le Secrétaire général adjoint au Bureau des Nations Unies contre le terrorisme (BLT), Vladimir Voronkov, considérait comme un coup important porté à l’organisation terroriste et dont se réjouissaient les membres du Conseil. Les intervenants constataient toutefois que Daech était devenu plus décentralisé, avec les groupes affiliés qui apparaissaient et étendaient leurs opérations en particulier dans diverses régions d’Afrique. M. Voronkov rappelait aussi que les opérations militaires de lutte contre le terrorisme, nécessaires, devaient être complétées par des mesures globales mettant l’accent sur la prévention et s’attaquant aux facteurs qui alimentent l’attrait du terrorisme. Appelant à « rétablir la dignité humaine, la confiance et la cohésion sociale », il demandait de « remédier à la situation désespérée dans les camps de déplacés et les centres de détention en Syrie et en Iraq », que dénonçait la Fédération de Russie en faisant observer que certains des camps -Roj et Hol- se trouvaient dans une partie du territoire syrien « illégalement occupée par les États-Unis ». « Des mesures purement sécuritaires pourront tuer des terroristes, mais pas leurs idées », observait le Brésil.
Le Chef du BLT demandait en particulier l’accélération des rapatriements des combattants terroristes étrangers et de leurs familles détenus, dont le rythme actuel ne « correspondait pas à l’urgence de la situation, ce qui risquait d’exacerber les conditions propices au terrorisme ». Il citait l’attaque, en janvier, de la prison de Hassaké en Syrie, dont le Conseil avait été saisi le 27 janvier. Les États-Unis, l’Albanie ou encore le Mexique soulignaient eux aussi la nécessité de rapatrier les anciens combattants de Daech, et plus encore leurs enfants. Le Gabon alertait néanmoins sur le « réel sujet d’inquiétude » que constituait le retour des combattants terroristes étrangers en Afrique. La situation en Afghanistan était également évoquée.
Le 9 août, M. Voronkov rappelait que Daech et ses affiliés continuaient d’exploiter les restrictions liées à la pandémie et de se servir des espaces numériques pour intensifier le recrutement et attirer des ressources. Les membres du Conseil s’inquiétaient particulièrement de l’activité des groupes affiliés en Afrique, où la situation s’était encore aggravée. Les tensions internationales trouvaient un écho dans le débat. La Chine s’opposait à toute « lutte antiterroriste sélective » ou au fait « de tolérer, voire d’exploiter, les organisations terroristes à des fins géopolitiques ». La Fédération de Russie rappelait qu’une partie des livraisons d’armes occidentales en Afghanistan, en Libye, en Iraq ou en Syrie avaient fini entre les mains de groupes terroristes et dressait un parallèle avec les livraisons d’armes à l’Ukraine. Si elle considérait comme une « excellente nouvelle » l’élimination quelques jours plus tôt à Kaboul du chef d’Al-Qaida Ayman Al-Zawahiri, elle en concluait que les « déclarations prétentieuses » des États-Unis lors de leur retrait de Kaboul un an plus tôt sur les objectifs atteints en matière de lutte contre le terrorisme étaient douteuses, et rappelait que les attaques de Daech se multipliaient dans le pays. Les propos du Secrétaire général António Guterres, qui voyait dans la crise alimentaire mondiale un catalyseur supplémentaire de la propagation du terrorisme et de l’extrémisme violent, étaient également rappelés.
Le 15 décembre, la présidence indienne du Conseil organisait une séance d’information sur le thème « Approche mondiale de la lutte contre le terrorisme – principes et voie à suivre », en présence notamment de M. Voronkov et du Directeur exécutif par intérim de la Direction exécutive du Comité contre le terrorisme (DECT), Chen Weixiong, qui rappelaient que, s’il avait subi de lourdes défaites et causait désormais moins de morts, le terrorisme était devenu plus diffus et s’était géographiquement étendu, en particulier en Afrique et en Asie du Sud. Président de séance, le Ministre des affaires étrangères de l’Inde citait quatre défis pour l’architecture antiterroriste: le financement du terrorisme; l’intégrité et la responsabilité des mécanismes multilatéraux de lutte et leurs méthodes de travail; la pratique du deux poids, deux mesures; et le détournement des technologies nouvelles et émergentes.
Concernant ce dernier point, la séance était l’occasion de publier une déclaration présidentielle dans laquelle le Conseil se félicitait de l’adoption, le 29 octobre, par le Comité contre le terrorisme (CTC) de la « Déclaration de Delhi sur la lutte contre l’utilisation des technologies nouvelles et émergentes à des fins terroristes ». Le Conseil demandait au CTC « d’envisager d’élaborer, avec l’appui de sa Direction exécutive, dans un délai raisonnable », un ensemble de principes directeurs non contraignants, comme le prévoit la Déclaration. La déclaration présidentielle traitait aussi des combattants terroristes étrangers, des liens entre le terrorisme et le crime organisé, des mouvements transfrontaliers des groupes terroristes et du financement du terrorisme. Elle appelait aussi les États Membres à « faire preuve de la volonté politique nécessaire pour dénoncer tous les actes de terrorisme ».
Opérations de paix des Nations Unies
- 4 séances publiques: 12 juillet, 6 septembre, 14 novembre, 21 décembre
- 1 résolution: 2668 (2022)
- 1 déclaration présidentielle: PRST/2022/5
Voir aussi: Maintien de la paix et de la sécurité internationales; Consolidation et pérennisation de la paix; Coopération entre l’ONU et les organisations régionales et sous-régionales; Les femmes et la paix et la sécurité
Le Département des opérations de paix, dirigé par le Secrétaire général adjoint Jean-Pierre Lacroix, a continué en 2022 d’administrer 12 opérations de maintien de la paix. Au 31 octobre 2022, 75 270 personnels en uniforme étaient déployés dans 22 opérations de maintien de la paix ou missions politiques spéciales, dont 67 597 Casques bleus et 7 673 policiers. Les cinq principales opérations (République centrafricaine, Soudan du Sud, République démocratique du Congo, Mali et Liban) représentaient 91% des Casques bleus et 97,2% des effectifs de police déployés. La proportion de femmes était de 6,8% chez les militaires et de 19,6% parmi les policiers, en légère hausse par rapport à l’année précédente. Le Conseil a adopté en fin d’année sa première résolution consacrée à la santé mentale du personnel de maintien de la paix.
Le 12 juillet, une quarantaine de délégations participaient à un débat ouvert consacré par la présidence brésilienne du Conseil au « rôle déterminant de la communication stratégique dans l’efficacité du maintien de la paix ». « La communication n’est pas une question secondaire ou une réflexion à mettre de côté », déclarait le Secrétaire général, qui mettait en garde contre un usage croissant de la désinformation et des discours de haine comme armes de guerre. Le Commandant de la Force de la Mission de l’Organisation des Nations Unies pour la stabilisation en République démocratique du Congo (MONUSCO) insistait sur l’importance d’un plan de communication stratégique sur les mandats des missions pour prévenir des attentes infondées, sur la pédagogie et sur l’écoute, ainsi que sur la communication dans les langues locales. En début de séance, le Conseil adoptait une déclaration présidentielle dans laquelle il soulignait la nécessité d’améliorer la culture de la communication stratégique dans l’ensemble des composantes des opérations de maintien de la paix. Il constatait que la fourniture de contenus dignes de foi dans les langues locales et en coordination avec les autorités nationales permettent de mieux faire comprendre les mandats, de gérer les attentes et de rallier la confiance, y compris lorsqu’il s’agit de reconfigurer sans heurt la présence des Nations Unies.
Le 6 septembre, M. Lacroix venait demander au Conseil un appui renforcé pour consolider les « progrès tangibles » accomplis depuis le lancement, en mars 2018, de l’initiative « Action pour le maintien de la paix », destinée à améliorer la performance globale du maintien de la paix. Le Secrétaire général adjoint demandait de combler les lacunes capacitaires des missions, notamment en hélicoptères, et d’améliorer la sécurité des Casques bleus, alors que la tendance positive observée jusqu’en 2020 dans ce domaine s’était, depuis lors, inversée. Il évoquait également le « défi de la désinformation ». Plusieurs pays, notamment occidentaux, mettaient l’accent sur la promotion de la participation des femmes et sur le renforcement des composantes « droits de l’homme » des missions. La Fédération de Russie et la Chine s’y opposaient ouvertement, estimant qu’il fallait au contraire réduire les « tâches secondaires » parmi lesquelles elles citaient les droits humains et le genre, présentées comme des « questions qui détournent les Casques bleus de leurs fonctions essentielles et exigent des financements importants ». La Fédération de Russie insistait sur l’importance de la coopération entre les opérations de maintien de la paix, le Secrétariat et les autorités du pays hôte, « que ni la société civile, ni les ONG ne peuvent remplacer ». Plusieurs pays appelaient aussi à améliorer l’interaction entre le Conseil, le Secrétariat et les pays fournisseurs de contingents, qui se plaignaient de n’être pas assez consultés. L’Inde et l’Irlande demandaient au Conseil de donner aux missions des mandats clairs et réalistes assortis des ressources nécessaires, et d’éviter toute formulation susceptible de générer de fausses espérances au sein des populations, source de frustration, voire de rejet des missions.
Le 14 novembre, à l’occasion de la séance annuelle d’échanges du Conseil avec des commandants de police d’opérations de maintien de la paix, M. Lacroix plaidait en faveur d’une police des Nations Unies pleinement préparée, équipée et dotée des ressources nécessaires à la réalisation de son mandat. L’Inde souhaitait voir élaborés des protocoles de formation et de fonctionnement conjoints avec les pays fournisseurs de contingents. L’Irlande évoquait le rôle central de la police des Nations Unies dans les contextes de transition grâce à son soutien aux gouvernements hôtes, à la société civile et aux acteurs nationaux de la police et du secteur de la sécurité. La Norvège souhaitait que cette police contribue à renforcer les institutions judiciaires des États hôtes et les processus de transition, notamment au moyen de l’appropriation nationale, que la Fédération de Russie considérait comme la clef du succès.
Le 21 décembre, à l’initiative du Mexique, le Conseil adoptait sa première résolution relative à la santé mentale du personnel déployé dans les opérations de maintien de la paix des Nations Unies « dans des conditions politiques et de sécurité complexes qui se dégradent » et confronté à des « difficultés multiples », y compris des attaques, les conséquences de la pandémie de COVID-19 ou encore les campagnes de désinformation. La résolution 2668 (2022) appelait à « sensibiliser le personnel de maintien de la paix des Nations Unies à l’importance de la santé mentale et du soutien psychosocial » et à lui fournir des services de santé mentale avant, pendant et après son déploiement. Si le texte était adopté à l’unanimité, la Fédération de Russie et l’Inde estimaient que la question relevait plutôt des compétences du Comité spécial des opérations de maintien de la paix.
Coopération entre l’ONU et les organisations régionales et sous-régionales aux fins du maintien de la paix et de la sécurité internationales
- 5 séances publiques: 16 février, 14 mars, 23 mars, 16 juin, 11 octobre
- 1 déclaration présidentielle: PRST/2022/1
Voir aussi: Maintien de la paix et de la sécurité internationales; Opérations de paix des Nations Unies; Paix et sécurité en Afrique; Ukraine
Comme les années précédentes, le Conseil de sécurité a accueilli plusieurs dirigeants d’organisations régionales venus s’exprimer sur la coopération entre leur organe et les Nations Unies.
Le 16 février, la présidence russe du Conseil organisait un débat sur la coopération entre l’ONU et l’Organisation du Traité de sécurité collective (OTSC). C’était l’occasion pour le Secrétaire général de rappeler que l’accroissement de l’efficacité de l’ONU dépendait d’une coopération étroite avec les organisations régionales, ce que soulignaient également de nombreux membres du Conseil de sécurité. M. Guterres et son homologue de l’OTSC, Stanislav Zas, se félicitaient notamment de leur coopération en matière de lutte contre le terrorisme. La séance était surtout l’occasion de parler de la crise que venait de connaître en janvier le Kazakhstan où, pour la première fois en 30 ans d’existence, l’OTSC était intervenue, par le biais de forces russes.
La séance annuelle du Conseil avec la présidence de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), se tenait le 14 mars et était dominée par l’invasion russe de l’Ukraine trois semaines plus tôt. Après avoir dénoncé « l’agression à grande échelle non provoquée, injustifiée et préméditée de l’Ukraine » par la Fédération de Russie, le Président en exercice de l’OSCE, M. Zbigniew Rau, Ministre des affaires étrangères de la Pologne, affirmait que son organisation, qui disposait jusqu’à l’invasion russe d’une mission spéciale d’observation en Ukraine, n’était ni un ennemi ni une menace pour la Russie ou son peuple et qu’elle avait offert à celle-ci un forum pour discuter de toutes ses préoccupations sécuritaires, ainsi qu’un éventail complet d’options pour s’engager à les résoudre pacifiquement. La Fédération de Russie répondait que « la présidence polonaise de l’OSCE a échoué dans sa mission », avant d’accuser l’ONU de soutenir une partie au conflit, et sa Secrétaire générale adjointe aux affaires politiques, Mme Rosemary DiCarlo, de se comporter moins en haute fonctionnaire de l’ONU qu’en représentante d’un État Membre. Si les membres occidentaux du Conseil s’attachaient surtout à dénoncer l’invasion russe, la Norvège et l’Irlande mettaient aussi l’accent sur les efforts de réconciliation et de prévention des conflits menés par l’OSCE dans sa zone de compétence. L’engagement de l’OSCE était également salué par les autres membres du Conseil, notamment le Brésil, le Mexique et le Kenya, tandis que le Gabon s’interrogeait sur les moyens de traduire les principes d’Helsinki -à l’origine de l’OSCE- dans le contexte sécuritaire d’après guerre froide.
Le 23 mars, c’est le Secrétaire général de la Ligue des États arabes, M. Ahmed Aboul Gheit, que recevait le Conseil de sécurité pour un exposé désormais annuel, comme le rappelait la déclaration présidentielle adoptée le même jour, dans laquelle le Conseil se disait également favorable à la tenue d’une réunion informelle annuelle entre ses membres et ceux du Conseil de la Ligue des États arabes. Le Secrétaire général de l’ONU rappelait une fois encore que le renforcement de la coopération de l’ONU avec les organisations régionales était une condition sine qua non du renforcement du multilatéralisme au niveau mondial. La présidence émirienne rappelait le grand nombre de « questions arabes » inscrites à l’ordre du jour du Conseil et regrettait que ce dernier se contente souvent de gérer ces crises plutôt que de les résoudre. Les membres du Conseil évoquaient la situation en Syrie, au Yémen, en Libye, en Iraq, au Liban, au Soudan et en Somalie. Plusieurs ne cachaient pas leur crainte de voir le règlement politique de ces conflits relégué au second plan par la guerre en Ukraine. Certains membres s’inquiétaient aussi des répercussions économiques du conflit européen sur l’approvisionnement de plusieurs pays arabes très dépendants des céréales venues d’Ukraine ou de Russie. La France s’inquiétait du terrorisme dans la région arabe, du fait notamment de la résurgence de Daech. La Fédération de Russie rappelait son propre concept de « sécurité collective » à destination du golfe Persique, ajoutant que la Ligue pourrait y jouer un rôle important.
Le 16 juin avait lieu la séance d’information annuelle du Conseil de sécurité sur la coopération entre l’Union européenne (UE) et l’ONU. Le Haut Représentant de l’Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, M. Josep Borrell, regrettait que le multilatéralisme soit aujourd’hui plus malmené que jamais et affirmait que le conflit en Ukraine n’était « pas une guerre européenne » mais « une attaque perpétrée contre les fondements des Nations Unies » par un membre permanent du Conseil de sécurité. Il assurait que les sanctions européennes n’étaient pas la cause des pénuries dans le monde. Il rappelait par ailleurs le rôle de l’UE en faveur de la stabilité, de la paix et de la sécurité dans différentes régions du monde, illustré par le déploiement de quelque 4 000 hommes dans 18 opérations de paix et de gestion de crise ainsi que par ses médiations et ses actions de consolidation de la paix.
La plupart des membres du Conseil saluaient l’engagement de l’UE en faveur de la stabilité mondiale. Les Émirats arabes unis relevaient qu’au fil des ans, l’UE était passée d’un statut d’acteur régional à celui d’acteur mondial renforçant le rôle des Nations Unies. Les membres africains du Conseil saluaient à la fois la coopération de l’UE avec l’ONU et son partenariat historique avec l’Union africaine, reflété notamment dans la lutte contre le terrorisme au Sahel et en Somalie. Plusieurs membres souhaitaient voir le rôle de l’UE se renforcer, que ce soit en Afghanistan ou sur la question de Palestine. L’Inde, qui plaidait pour une réforme de l’architecture multilatérale internationale, demandait à l’Union européenne d’en faire plus en ce sens. Moins enthousiaste, la Chine disait appuyer le partenariat UE-ONU, à condition toutefois que la coopération repose sur un multilatéralisme authentique. Elle demandait à l’Union européenne de tenir compte des préoccupations sécuritaires d’autres pays en évitant de tomber dans le travers d’une vision du monde en blocs. La Fédération de Russie exposait ses divergences croissantes avec l’Union européenne, qu’elle accusait d’avoir abandonné la vision de ses pères fondateurs en remplaçant sa politique de voisinage égalitaire par une volonté de formater les systèmes politiques des participants selon le modèle de l’UE, d’avoir emprunté la « voie désastreuse de l’OTAN » au point de n’être plus qu’un « appendice obéissant » de celle-ci et des États-Unis, et de vouloir « éjecter la Russie de l’Europe », le projet d’accord entre l’Ukraine et l’UE étant « un produit » de cette politique erronée qui a fait exploser la sécurité et l’équilibre des pouvoirs sur le continent européen.
Le 11 octobre, c’est la coopération entre l’ONU et l’Union africaine (UA) qui faisait l’objet d’un débat. Le Secrétaire général se félicitait que, grâce aux « cadres communs » ONU-UA signés en 2017 et 2018, les deux organisations travaillent « main dans la main » dans plusieurs initiatives comme « Faire taire les armes en Afrique » ou pour assurer la conformité des opérations de paix de l’Union africaine avec les normes internationales. Plusieurs membres mettaient en avant l’avantage comparatif de cette coopération, en particulier au Soudan, en République centrafricaine, au Darfour ou en Somalie, et qualifiaient l’Union africaine d’« acteur de référence » pour la prévention et le règlement des conflits sur le continent. Certains intervenants demandaient aussi que cette coopération intègre davantage les Africains dans la résolution des problèmes que connaît le continent, y compris en nommant davantage de représentants spéciaux du Secrétaire général africains à la tête des opérations de maintien de la paix. Il était aussi demandé, une fois de plus, que l’ONU assure des financements prévisibles, durables et flexibles aux opérations de paix de l’Union africaine autorisées par le Conseil. Plus largement, certains membres déploraient que l’Afrique continue d’être une « invitée » dans l’hémicycle du Conseil et qu’on cherche encore à y régler des crises africaines en l’absence des pays africains. La question de la composition du Conseil de sécurité était de nouveau soulevée, l’Afrique restant le seul continent « exclu » de la catégorie des membres permanents.
NON-PROLIFÉRATION
Non-prolifération – Armes de destruction massive
- 3 séances publiques: 25 février, 14 mars, 30 novembre
- 2 résolutions: 2622 (2022), 2663 (2022)
Voir aussi: Non-prolifération – Iran; Non-prolifération - RPDC; Organes subsidiaires
Le mandat du Comité 1540, chargé de veiller à la non-prolifération des armes de destruction massive par les acteurs non étatiques, aurait dû arriver à échéance en février 2021. Il avait alors fait l’objet d’un simple renouvellement technique d’un an, la pandémie n’ayant pas permis au Comité de mener à bien l’examen approfondi qu’exigeait de lui la résolution 1977 (2011).
L’examen n’étant toujours pas achevé, le Conseil décidait, le 25 février, par sa résolution 2622 (2022), d’une nouvelle reconduction technique jusqu’au 30 novembre. Le texte était adopté à l’unanimité mais la Fédération de Russie déclarait qu’elle aurait préféré une période de prorogation plus longue pour permettre aux États, qui assument « l’entière responsabilité » de la mise en œuvre de la résolution 1540, d’apporter une « contribution significative ». Elle exprimait en outre de « gros doutes » quant aux modalités d’examen proposées, qui visaient selon elle davantage à traiter des problèmes spécifiques du Comité que de ses tâches en matière de non-prolifération. Elle ajoutait que le Comité ne devait pas être transformé en « contrôleur » ni être autorisé à s’immiscer dans les affaires intérieures des États, son mandat consistant, pour l’essentiel, à fournir une assistance technique à ceux qui en font la demande. Les États-Unis indiquaient qu’ils entendaient accorder la priorité aux obligations faites aux États en vertu de la résolution 1540 et aux activités d’assistance et de sensibilisation.
Le 14 mars, le Président du Comité 1540, M. Juan Ramon de la Fuente Ramírez, du Mexique, présentait un exposé au Conseil. Il rappelait que, malgré des progrès importants réalisés par les États dans l’application intégrale de la résolution 1540 (2004), cet objectif restait une « tâche de longue haleine ». Tous les membres du Conseil réaffirmaient leur attachement aux activités du Comité, ainsi qu’à la mise en œuvre de la résolution, et plusieurs d’entre eux présentaient les activités d’assistance à cette fin qu’ils mènent auprès d’autres États. La Fédération de Russie rappelait son souhait de voir le « mandat définitif » du Comité adopté à l’expiration de celui en cours.
Le 30 novembre, par sa résolution 2663 (2022), le Conseil décidait de proroger de 10 ans supplémentaires, jusqu’au 30 novembre 2032, le mandat du Comité 1540. Qualifié par la Fédération de Russie de « document tout à fait consensuel », le texte dû au Mexique était le résultat d’un compromis de dernière minute entre les membres du Conseil, confrontés au préalable à un contre-projet russe finalement retiré. Certains membres déploraient d’ailleurs qu’« un membre du Conseil » ait empêché la résolution de mieux traiter la question du financement des armes de destruction massive et de donner aux experts du Comité les outils dont ils ont besoin pour éviter que ces armes et leurs vecteurs ne tombent entre de mauvaises mains. Fédération de Russie et Chine mettaient l’accent sur la nécessité d’un texte constructif, apolitique et non discriminatoire en matière de non-prolifération, plaidant aussi pour un équilibre entre le régime de non-prolifération et le droit des États à utiliser l’énergie nucléaire à des fins pacifiques et de développement.
Non-prolifération – Iran
- 2 séances publiques: 30 juin, 19 décembre
Voir aussi: Non-prolifération – Armes de destruction massive; Maintien de la paix et de la sécurité internationales; Ukraine; Yémen
Malgré les efforts de l’Union européenne, la reprise des pourparlers de Vienne fin novembre 2021 n’a pas permis d’obtenir un accord sur le retour des États-Unis dans le Plan d’action global commun de Vienne (PAGC) de 2015, faute d’accord avec la République islamique d’Iran qui a, de son coté, poursuivi ses activités d’enrichissement d’uranium bien au-delà de ce qu’autorisait l’Accord de Vienne. États-Unis et Iran se sont accusés mutuellement de rigidité. L’utilisation par les houtistes du Yémen de missiles d’origine iranienne et, à partir de l’automne, celle de drones iraniens par la Fédération de Russie dans ses attaques contre l’Ukraine ont encore envenimé la situation.
Le 30 juin, la Secrétaire générale adjointe aux affaires politiques et à la consolidation de la paix, Rosemary DiCarlo, présentait le premier rapport semestriel du Secrétaire général de l’année sur la mise en œuvre de sa résolution 2231 (2015). Les membres permanents s’opposaient vivement sur la portée des sanctions contre l’Iran. La France estimait qu’il suffirait que l’Iran applique de bonne foi l’Accord de Vienne pour qu’elles soient levées « au bénéfice de la population iranienne ». La Fédération de Russie reprenait l’argument de l’Iran qui rappelait que ce sont les États-Unis qui s’étaient retirés du PAGC afin d’imposer des sanctions maximales à l’Iran. La Russie arguait que les mesures prises par ce dernier n’étaient qu’une « réaction à ces sanctions et non un refus d’appliquer le Plan, mis en péril par les États-Unis ». Les autres Occidentaux accusaient l’Iran de multiplier les mesures « incompatibles » avec le PAGC et de saper les négociations de relance du Plan conduites à Vienne en multipliant des « exigences irréalistes » ne relevant en rien du Plan. Les autres membres élus du Conseil rappelaient leur attachement au droit de tous les États à l’utilisation pacifique de l’énergie nucléaire à des fins de développement socioéconomique.
Fin juillet, l’Union européenne présentait un projet « final » de compromis que l’Iran examinait, sans conclusion. Le 19 décembre, Mme DiCarlo constatait l’impasse en cours et s’inquiétait de voir l’espace laissé à la diplomatie se rétrécir. Aux arguments échangés en juin s’ajoutaient en effet les accusations d’enrichissement d’uranium à des niveaux inutiles pour des usages civils, révélés par l’AIEA. Le Secrétariat disait aussi enquêter sur le transfert aux houtistes du Yémen de missiles d’une manière jugée incompatible avec la résolution 2231 (2015). L’Iran répondait que ses programmes spatiaux et de missiles ne relèvent pas du champ d’application de ladite résolution et que les restrictions relatives aux transferts d’armes depuis ou vers l’Iran avaient été levées le 18 octobre 2020. Il ajoutait qu’il traitait de manière bilatérale avec l’Ukraine après les accusations d’utilisation de drones iraniens par la Fédération de Russie pour ses attaques en Ukraine, précisant que ces drones avaient été livrés avant le début du conflit et à d’autres fins. Le représentant russe estimait en outre que cette question n’avait « rien à voir avec le rétablissement du PAGC », dénonçait des accusations « absolument farfelues » et des tentatives des États-Unis et de l’Union européenne visant à impliquer le Secrétariat de l’ONU dans un complot pour imposer de nouvelles sanctions à des personnes morales et physiques iraniennes et russes. Il exhortait le Secrétariat à ne pas céder aux pressions occidentales, arguant qu’il l’avait déjà fait lors d’une séance du Conseil le 26 octobre.
Non-prolifération - République populaire démocratique de Corée (RPDC)
- 6 séances publiques: 25 mars, 11 mai, 26 mai, 5 octobre, 4 novembre, 21 novembre
- 1 résolution: 2627 (2022)
L’année a été marquée par la rupture du consensus formel établi depuis 2017 au Conseil de sécurité concernant les sanctions à l’égard de la République populaire démocratique de Corée (RPDC) du fait de ses essais nucléaires passés et des multiples tirs d’essais de missiles balistiques réalisés, particulièrement nombreux en 2022.
Le 25 mars, le Conseil reconduisait jusqu’au 30 avril 2023 le mandat du Groupe d’experts du Comité des sanctions contre la RPDC. La résolution 2627 (2022) était adoptée à l’unanimité mais la Fédération de Russie demandait que les sanctions soient revues à la lumière de l’évolution de la situation et reprochait au Conseil d’avoir jusqu’à présent toujours ignoré les « signaux positifs » du pays. La Chine regrettait que les parties n’aient pris aucune mesure concrète pour répondre aux préoccupations « justifiées » de la RPDC. « Alléger les sanctions n’a pas de sens », affirmait au contraire la France, d’autant que, la veille, la RPDC avait procédé à un tir d’essai de missile balistique intercontinental, le premier depuis le 29 novembre 2017, en violation flagrante des résolutions du Conseil. Le geste était condamné par plusieurs autres membres du Conseil, le Mexique parlant de « provocation ». Les États-Unis annonçaient le dépôt prochain d’un projet de résolution pour renforcer encore le régime de sanctions.
Le 11 mai, le Conseil tenait sa première séance publique d’information sur la RPDC depuis le 11 décembre 2019. Le Département des affaires politiques et de la consolidation de la paix rappelait que la RPDC avait, durant les cinq mois écoulés, tiré plus de missiles balistiques que lors des deux années précédentes combinées. Voisins de la RPDC, la République de Corée et le Japon appuyaient le souhait des États-Unis, également soutenus par la France et le Royaume-Uni, de mettre à jour le régime des sanctions établi par le Conseil. La Chine et la Fédération de Russie répétaient que le Conseil n’avait pas su prendre la mesure du démantèlement par la RPDC de ses sites d’essais nucléaires ni de son respect du moratoire sur les essais nucléaires.
Les États-Unis n’en présentaient pas moins leur projet de résolution visant à renforcer les sanctions, soumis au vote du Conseil le 26 mai. Le texte obtenait 13 voix en sa faveur mais Chine et Fédération de Russie opposaient leur veto, rompant ainsi l’unanimité formelle obtenue au Conseil sur le sujet depuis cinq ans. Les deux pays expliquaient qu’ils auraient préféré une déclaration présidentielle et rejetaient l’idée d’une aggravation des sanctions. Le Brésil, qui avait voté pour le texte, regrettait le rejet de ses éléments novateurs, notamment des mesures visant les activités cybernétiques malveillantes et l’établissement d’une liste d’exceptions humanitaires susceptibles d’aider la RPDC à lutter contre la récente apparition de la COVID-19 dans le pays, jusqu’alors officiellement épargné.
Fin août, les États-Unis et la République de Corée menaient leur exercices militaires conjoints annuels, avec des manœuvres sur le terrain pour la première fois depuis plusieurs années et la présence d’un porte-avions nucléaire américain. La RPDC, qui avait déjà tiré deux missiles balistiques juste avant ces manœuvres, multipliait les tirs à leur suite, et, le 4 octobre, lançait un nouveau missile qui, pour la première fois depuis cinq ans, survolait le Japon.
À la demande des États-Unis et des membres européens du Conseil, celui-ci se réunissait le 5 octobre, en présence des représentants du Japon et de la République de Corée. Le Secrétariat rappelait la condamnation du Secrétaire général de cet acte « téméraire » constituant une claire violation des résolutions pertinentes du Conseil de sécurité. La Norvège, Présidente du Comité ad hoc du Conseil de sécurité -le Comité 1718- demandait aux membres du Conseil en contact avec la RPDC de l’exhorter à accepter les offres inconditionnelles de dialogue faites par les États-Unis et la République de Corée, ajoutant que le Comité continuerait à accorder la priorité à l’approbation des demandes d’exemption humanitaire. La France s’alarmait d’une nouvelle loi adoptée par la RPDC en septembre destinée à rendre irréversible son statut de détenteur de l’arme nucléaire, mesure que le Mexique jugeait contraire aux objectifs d’un monde exempt de telles armes. Le Ghana s’inquiétait des préparatifs d’un possible nouvel essai nucléaire, estimant que « le monde ne pouvait se permettre une crise supplémentaire ». Mais la Chine considérait que l’essence de la crise résidait dans l’affrontement entre les États-Unis et la RPDC. Elle rappelait les exercices militaires tenus fin août, tout comme la Fédération de Russie, qui s’étonnait que le Secrétariat ne les ait pas mentionnés dans son exposé.
Des événements similaires allaient provoquer deux nouvelles séances publiques du Conseil en novembre. Fin octobre se déroulait un nouvel exercice militaire massif américano-sud-coréen, suivi d’une nouvelle salve de tirs de missiles balistiques par la RPDC les 2 et 3 novembre et d’une première réunion le 4 novembre. Chine et Fédération de Russie rejetaient la responsabilité des tensions sur les États-Unis, la Chine en profitant pour dénoncer une nouvelle fois l’alliance AUKUS. Les États-Unis estimaient que la protection de deux membres du Conseil dont jouissait la RPDC lui permettait de « tourner en dérision » cet organe. « La diplomatie des tirs de missiles et l’exhibition de la force ne peuvent pas être la solution », faisait observer le Gabon. La République de Corée affirmait que la porte de la négociation restait ouverte. La séance permettait aussi aux membres du Conseil de s’inquiéter de la situation humanitaire en RPDC.
Après un nouveau tir de missile intercontinental par la RPDC le 18 novembre, qui s’abîmait à 200 kilomètres des côtes du Japon, le Conseil était de nouveau convoqué le 21 novembre. Outre leurs condamnations des « violations flagrantes de la Charte et des résolutions du Conseil de sécurité », le Royaume-Uni et les États-Unis dénonçaient l’obstruction flagrante de deux membres permanents du Conseil, « toujours les mêmes », accusés de mettre l’Asie tout entière et le reste du monde en danger. Les autres membres occidentaux du Conseil condamnaient tout aussi fermement les tirs de Pyongyang. Les autres membres élus exprimaient surtout leur inquiétude et appelaient le Conseil à retrouver son unité perdue sur la question nord-coréenne, à l’image du Brésil qui suggérait à ses collègues de mener une réflexion critique quant à la ligne à adopter par le Conseil pour ne plus s’enliser dans un cercle vicieux permettant à la RPDC de s’adonner régulièrement à des tirs. La Fédération de Russie voyait dans ces derniers une « conséquence de l’activité militaire à courte vue et conflictuelle » des États-Unis et de leurs alliés et dénonçait plus largement « la promotion de plus en plus intrusive par Washington de sa doctrine sécuritaire unilatérale dans la région Asie-Pacifique », qui poussait la RPDC et d’autres dans la région à renforcer leurs capacités militaires. Tout comme la Chine, qui appelait le Conseil à désamorcer les tensions par la voie diplomatique plutôt qu’à condamner, la Fédération de Russie rappelait que les deux pays avaient présenté un projet de « résolution politico-humanitaire » et d’autres initiatives susceptibles de réellement inciter les parties à intensifier leurs efforts de négociation et qui « restaient sur la table ». Rappelant qu’en mai ces deux derniers États avaient évoqué une déclaration présidentielle, les États-Unis annonçaient qu’ils allaient présenter un projet de texte en ce sens. Toutefois, aucun texte ne venait devant le Conseil avant la fin de l’année.
JUSTICE INTERNATIONALE
Élection d’un juge à la Cour internationale de Justice (CIJ)
- 2 séances publiques: 22 juin, 4 novembre
- 1 résolution: 2638 (2022)
À la suite du décès, le 29 mai 2022, du juge de la Cour internationale de justice (CIJ) Antônio Augusto Cançado Trindade, du Brésil, le Conseil de sécurité adoptait sans vote, le 22 juin, la résolution 2638 (2022) par laquelle il fixait au 4 novembre l’élection de son successeur, conformément au Statut de la Cour.
Le 4 novembre, le Conseil et l’Assemblée générale élisaient conjointement le Brésilien M. Leonardo Nemer Caldeira Brant pour un mandat prenant effet le jour même et allant jusqu’au 5 février 2027.
Cour pénale internationale (CPI)
Les exposés du Procureur de la CPI devant le Conseil sont traités sous la rubrique des pays concernés. Voir: Soudan, Libye
Mécanisme international appelé à exercer les fonctions résiduelles des tribunaux pénaux
- 4 séances publiques: 31 mars, 14 juin, 22 juin, 12 décembre
- 1 résolution: 2638 (2022)
- 1 déclaration présidentielle: PRST/2022/2
Le Mécanisme international appelé à exercer les fonctions résiduelles des Tribunaux pénaux a été créé en 2010 en vue de la fermeture du Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) et de celui pour l’ex-Yougoslavie (TPIY), qui ont cessé leurs fonctions respectivement le 31 décembre 2015 et le 31 décembre 2017. Créé pour une période initiale de quatre ans, il est reconduit depuis lors pour des périodes de deux ans « sauf décision contraire du Conseil de sécurité ».
Dans une déclaration présidentielle adoptée le 31 mars, le Conseil demandait au Mécanisme de lui présenter, avant le 14 avril, un rapport sur l’état d’avancement de ses travaux depuis le dernier examen, remontant à juin 2020.
Le 14 juin, M. Carmel Agius, Président du Mécanisme en fin de mandat, dressait un bilan de ses trois années et demie de présidence et se félicitait des « progrès remarquables accomplis » malgré d’importants défis –y compris la pandémie de COVID-19- et certains « revers », en particulier la question non résolue du devenir des personnes acquittées ou libérées. Il mettait aussi en avant la réduction importante de la charge de travail du Mécanisme par rapport au début de l’année 2019 et estimait que ce dernier était sur le point de concrétiser la vision de la « petite institution à vocation temporaire » voulue par le Conseil. La plupart des membres du Conseil saluait les efforts consentis par le Mécanisme, sa recherche de l’efficacité et, selon les États-Unis, de « francs succès dans la lutte contre l’impunité ». En revanche, la Fédération de Russie, critique constante du Mécanisme depuis sa mise en place, l’accusait de n’avoir « absolument pas avancé dans la conclusion de ses travaux ».
Le 22 juin, la Fédération de Russie s’abstenait lors de l’adoption par le du Conseil de sa résolution 2637 (2022), par laquelle le Procureur Brammertz était reconduit dans ses fonctions jusqu’au 30 juin 2024. La résolution disait en outre accueillir avec satisfaction le rapport biennal soumis à sa demande et demandait au Mécanisme de présenter en temps voulu des solutions pour le transfert des activités encore à exécuter.
Le 12 décembre, le Conseil examinait le dixième rapport annuel du Mécanisme, présenté par la nouvelle présidente du Mécanisme, la juge Graciela Susana Gatti, et le Procureur Brammertz. Ce dernier rappelait que le Mécanisme n’avait plus que deux affaires à juger concernant les crimes les plus graves. La juge Gatti annonçait que sa priorité était désormais l’élaboration d’une stratégie pour l’avenir avec trois phases de transition. La plupart des membres du Conseil soutenaient les travaux du Mécanisme, à l’exception de la Fédération de Russie qui dénigrait « ce Mécanisme qui fait délibérément traîner des affaires en longueur et accomplit des tâches qui ne lui reviennent pas ». La Chine, les Émirats arabes unis et le Brésil rappelaient la vision du Conseil à l’origine de sa création: une structure temporaire et effective dont l’importance doit diminuer avec le temps.
AUTRES QUESTIONS THEMATIQUES
Exposés indépendants de haut responsables des Nations Unies
- 1 séance publique: 2 novembre
Voir aussi: Maintien de la paix et de la sécurité internationales; Afghanistan
Le 2 novembre, le Conseil de sécurité entendait le Haut-Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés, Filippo Grandi, qui faisait état d’un chiffre record de plus de 103 millions de personnes réfugiées ou déplacées dans le monde, que ce soit à cause de conflits, de la pauvreté, de questions de gouvernance ou encore des changements climatiques. Avec quelques 14 millions de personnes chassées de chez elles depuis l’invasion russe, l’Ukraine a entraîné l’exode le plus massif et le plus rapide depuis des décennies, notait M. Grandi, qui rappelait toutefois que c’était loin d’être la seule crise majeure de 2022, puisque les services du HCR avaient dû faire face à 37 situations d’urgence dans le monde durant les 12 mois écoulés. Il rappelait l’important déficit de financement rencontré par le HCR pour certaines de ses opérations essentielles.
Le débat donnait lieu à une nouvelle confrontation entre membres occidentaux du Conseil et Fédération de Russie, qui opposait aux déplacés ukrainiens de 2022 les 4,5 millions d’habitants du Donbass chassés de chez ceux durant les huit années précédentes ou encore les personnes déplacées du fait des conflits menés par les Occidentaux en Syrie, en Iraq ou en Libye. Kenya, Ghana ou Chine rappelaient que 83% des réfugiés dans le monde sont accueillis par des pays en développement, dont plus d’un quart en Afrique subsaharienne. Plusieurs membres réclamaient un partage plus équitable du fardeau des réfugiés. Le Brésil mettait l’accent sur la responsabilité particulière du Conseil dans la protection des civils en situation de conflits mais s’interrogeait sur la façon dont celui-ci pourrait réagir au contexte actuel dominé par des allégations de politisation croissante de l’assistance humanitaire. L’Irlande estimait qu’à l’inverse du HCR, le Conseil de sécurité ne faisait pas son travail puisqu’il échouait à prévenir les conflits dans le monde, eux-mêmes source de crises de réfugiés.
Protection des civils en période de conflit armé
- 3 séances publiques: 25 janvier, 25 mai, 15 septembre
Voir aussi: Maintien de la paix et de la sécurité internationales
Le 25 janvier, la présidence norvégienne du Conseil organisait un débat ouvert de haut niveau sur le thème « La guerre urbaine et la protection des civils », auquel participaient le Secrétaire général ainsi que le Président du Comité international de la Croix-Rouge (CICR) et une cinquantaine d’États Membres. Face à des conflits armés qui se déroulent de plus en plus souvent dans des zones urbaines, le Secrétaire général demandait aux membres du Conseil de mettre en place des mesures de protection spéciales et d’utiliser tous les moyens à leur disposition pour mettre fin aux dommages tragiques et évitables causés aux civils. Les États-Unis dénonçaient les pratiques visant à causer le maximum de victimes civiles en ayant recours à des armes explosives en zones densément peuplées. La Fédération de Russie rappelait que les frappes contre des zones urbaines avaient souvent pour objectif de faire peur et de se venger, citant le bombardement du centre de Belgrade par l’OTAN au printemps 1999 et les méthodes de guerre en Iraq et en Libye. Elle dénonçait aussi la « manipulation politique » du droit international humanitaire, ajoutant que « l’invention d’innombrables constructions innovantes pour combler les lacunes supposées » de celui-ci ne conduisait en fait qu’à « une dilution des normes juridiques internationales établies ». Le respect du droit international humanitaire était mis au premier plan par de nombreux intervenants, mais le Président du CICR rappelait que celui-ci, pour être efficace, devait être interprété de bonne foi. L’Inde faisait observer que, partout dans le monde, les populations civiles étaient menacées par des groupes terroristes peu enclins à le respecter, alors que le Liechtenstein défendait le bien-fondé du dialogue avec tous les groupes armés non étatiques, dans le seul souci de protéger des civils. Plusieurs délégations soulignaient aussi les risques posés par les restes explosifs de guerre, qui font des victimes longtemps après la fin du conflit et freinent la reconstruction.
Le 25 mai, le Conseil examinait le rapport annuel du Secrétaire général sur la Protection des civils en période de conflit armé à l’occasion d’un débat ouvert lors duquel intervenaient des représentants du Bureau de la coordination des affaires humanitaires (OCHA), du Comité international de la Croix-Rouge (CICR) et de l’ONG International Rescue Committee (IRC), les membres du Conseil et 55 autres représentants d’États. Face aux conséquences des 56 conflits armés recensés dans le rapport, dont près de 90% des victimes sont des civils, « nous ne demandons pas de nouveaux droits mais une volonté renouvelée pour faire respecter les droits existants » en matière de protection des civils, déclarait le Président d’IRC, David Miliband, qui exhortait le Conseil à honorer ses engagements en ce qui concerne la protection des civils. S’il n’est pas responsable des tactiques utilisées contre les civils, le Conseil de sécurité « est responsable de son incapacité d’amener ces acteurs à répondre de leurs actes et de freiner leurs excès illégaux », affirmait-il. Avec lui, le Directeur général du CICR, Robert Mardini, dénonçait des contraintes imposées à l’accès humanitaire aux populations civiles, rappelant qu’elles s’inscrivaient souvent dans des stratégies qui ne sont « pas seulement le fait d’acteurs non étatiques, mais aussi d’États Membres de l’ONU » auxquels on ne demande pas assez de comptes. M. Miliband voyait dans la crise ukrainienne « le summum de cette ère de l’impunité », mais ajoutait que cette dernière n’était « pas une exception ».
Plusieurs délégations dont la France exhortaient le Conseil à renforcer la lutte contre l’impunité face aux violations du droit international humanitaire. Le Groupe des Amis pour la protection des civils en période de conflit armé rappelait par la voix de la Suisse l’adoption par le Conseil de plusieurs résolutions, pour la protection des infrastructures civiles critiques ou médicales. Pour le Canada, l’intervention « illégale et non provoquée » de la Russie mettait en lumière deux problèmes qui nuisent à la protection des civils dans les conflits armés: l’absence flagrante de responsabilité en cas de violation du droit international mais aussi l’abus du droit de veto. Plusieurs intervenants rappelaient à cet égard les initiatives sur l’utilisation du veto en cas d’atrocités de masse, notamment l’initiative franco-mexicaine -signée alors par 105 États- et le Code de conduite du Groupe Responsabilité, cohérence et transparence (Groupe ACT).
Le 15 septembre, le Secrétaire général adjoint aux affaires humanitaires et Coordonnateur des secours d’urgence, Martin Griffiths, et l’Économiste en chef de l’Organisation pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), Maximo Torero, venaient avertir le Conseil du risque de voir la crise alimentaire mondiale en cours « échapper à tout contrôle ». Ils citaient une récente « note blanche » de l’OCHA selon laquelle des centaines de millions de personnes dans le monde étaient confrontées à des niveaux d’insécurité alimentaire catastrophiques, une situation aggravée par les conflits armés et la violence. M. Griffith expliquait notamment cette souffrance généralisée « par l’impact direct et indirect des conflits et de la violence, ainsi que par le comportement des parties en présence ». Il demandait au Conseil de faire plus pour faciliter la résolution pacifique et négociée des conflits, de s’attaquer aux causes profondes de l’insécurité alimentaire aiguë et de maintenir un financement humanitaire permettant de résoudre ces crises, alors que nombre de plans humanitaires restaient largement sous-financés.
« Combler le déficit de financement humanitaire ou soutenir la production agricole sont des mesures indispensables, mais elles ne porteront pas leurs fruits si les routes continuent de rester bloquées et si les gens sont incapables de travailler la terre », commentait le Brésil. Ce dernier faisait observer que, de la trêve au Yémen à l’Initiative céréalière de la mer Noire, même des « petits pas » en faveur de la paix et de la stabilisation pouvaient entraîner des répercussions positives sur la sécurité alimentaire. « Les champs de blé ukrainiens sont des champs de bataille », déclaraient les États-Unis, qui affirmaient que l’utilisation de la nourriture comme arme de guerre avait aggravé l’insécurité alimentaire. Alors que la France affirmait que l’arme de la faim ne devait jamais être utilisée, le Ghana la voyait mise en pratique au Yémen ou au Nigéria. La Fédération de Russie répétait que l’insécurité alimentaire était présente avant le conflit en Ukraine et l’imputait en particulier à une politique monétaire « irresponsable » des pays occidentaux. Elle ajoutait que l’Initiative céréalière était largement entravée par les sanctions de ces mêmes pays.
Le sort des enfants en temps de conflit armé
- 1 séance publique: 19 juillet
Le 19 juillet, plus de 70 délégations participaient au débat ouvert annuel du Conseil de sécurité sur le sort des enfants en temps de conflit armé. Le rapport du Secrétaire général, portant sur l’année 2021, était présenté par la Représentante spéciale du Secrétaire général, Virginia Gamba. Le rapport priait le Conseil de veiller à ce que les dispositions et les capacités en matière de protection de l’enfance soient intégrées dans tous les mandats pertinents des opérations de maintien de la paix et des missions politiques spéciales des Nations Unies. Mme Gamba s’alarmait de l’augmentation constante des violations à l’encontre des filles et dénonçait l’impact des engins explosifs, le recrutement d’enfants par des groupes armés et le refus de l’accès de l’aide humanitaire. Elle dénonçait une augmentation de plus de 20% des enlèvements, des viols et autres formes de violence sexuelle, ainsi que des attaques contre les écoles et les hôpitaux.
La plupart des intervenants dénonçaient l’impunité pour les crimes commis contre les enfants et mettaient en avant l’impératif de l’établissement des responsabilités afin de mettre fin aux violations les plus graves. Nombre de délégations demandaient aussi la pleine mise en œuvre des Principes de Paris et de la Déclaration sur la sécurité dans les écoles, voyant dans cette dernière un moyen d’atténuer les conséquences des conflits armés sur l’éducation, elle-même cruciale pour briser le cycle des conflits.
Au nom du Groupe des Amis des enfants touchés par les conflits armés, le Canada insistait sur la nécessité de garantir l’indépendance, l’impartialité et la crédibilité du mécanisme de surveillance et de communication de l’information et du mécanisme d’établissement des listes des états ou groupes qui commettent des exactions. Il jugeait également important que le Secrétaire général –qui annonçait dans son rapport l’inscription « avec effet immédiat » des situations au Mozambique, en Éthiopie et en Ukraine à la liste des pays dans lesquels la situation est préoccupante- utilise des critères et des procédures clairs pour l’inscription aux listes et la radiation des parties à un conflit armé. L’Ukraine et la Fédération de Russie faisaient toutes deux savoir qu’elles étaient disposées à coopérer avec la Représentante spéciale à ce sujet.
Les femmes et la paix et la sécurité
- 5 séances publiques: 18 janvier, 8 mars, 13 avril, 15 juin, 20 octobre
Voir aussi: Afghanistan; Ukraine
Plusieurs membres du Conseil de sécurité –Brésil, Norvège, Royaume-Uni et Émirats arabes unis- s’étaient engagés à, soit organiser un « débat signature » thématique consacré aux femmes et la paix et la sécurité, soit examiner une situation de pays sous cet angle à l’occasion de leur présidence mensuelle.
Dans ce cadre, la présidence norvégienne organisait, le 18 janvier, un débat ouvert sur le thème « Protéger la participation – Lutter contre la violence visant les femmes dans les processus de paix et de sécurité », présidé par la Ministre norvégienne des affaires étrangères. Y participaient notamment la Haute-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme, Michelle Bachelet, et une cinquantaine de délégations. Mme Bachelet rappelait que ses services avaient, en 2020, confirmé 35 meurtres de femmes défenseuses des droits humains, journalistes ou syndicalistes dans sept pays touchés par un conflit. Elle appelait à redoubler d’efforts pour permettre aux femmes de participer aux travaux du Conseil de sécurité sans crainte de représailles et à repousser les attaques visant à les réduire au silence et incriminer leurs droits, notamment dans les pays figurant à l’ordre du jour du Conseil. Le sort des Afghanes était largement évoqué, y compris par une militante d’une ONG afghane qui affirmait que toute mesure visant à reconnaître les Taliban équivaudrait à une approbation de l’oppression des femmes de ce pays. Plusieurs groupes de pays appelaient le Conseil à condamner publiquement les intimidations, menaces et représailles, à adopter des mesures efficaces de prévention et à dissuader la violence sexuelle en l’intégrant parmi les critères de désignation dans les régimes de sanctions. La Fédération de Russie réaffirmait toutefois son opposition à la « création de processus préférentiels pour la protection de certaines catégories de participants au règlement des conflits » et ajoutait que la participation des femmes à tous les aspects et à toutes les étapes du maintien de la paix ne devait « pas devenir une fin en soi ou un simple quota à atteindre ».
À l’occasion de la Journée internationale des femmes, le 8 mars, la présidence émirienne du Conseil organisait un débat ouvert au niveau ministériel, consacré aux « partenariats au service du programme pour les femmes, la paix et la sécurité: l’inclusion et la participation économiques des femmes, outils essentiels d’instauration de la paix ». La Directrice exécutive d’ONU-Femmes, Sima Bahous, mettait l’accent sur les énormes dividendes qu’apporte à la paix et la prospérité l’investissement dans l’autonomisation économique des femmes. De nombreuses initiatives menées à travers le monde pour garantir l’inclusion économique des femmes étaient évoquées par la soixantaine de participants au débat et, par la voix du Canada, le Groupe des Amis des femmes et de la paix et de la sécurité, fort de 56 États Membres, invitait le Conseil à renforcer sa coopération dans ce domaine avec la Commission de consolidation de la paix et le Conseil économique et social (ECOSOC), ainsi qu’avec les organisations régionales. Le débat était aussi l’occasion pour les intervenants d’exprimer leur solidarité à l’égard des femmes afghanes et plus encore à l’égard des femmes et filles ukrainiennes, 12 jours après l’invasion russe du pays, que de nombreuses délégations condamnaient une fois encore.
C’est sous la présidence du Royaume-Uni que se tenait, le 13 avril, le débat annuel du Conseil sur les violences sexuelles liées aux conflits, consacré à « la responsabilité comme stratégie de prévention – mettre fin aux cycles de violences sexuelles commises en période de conflit ». La Représentante spéciale chargée de cette question, Pramila Patten, présentait le rapport annuel du Secrétaire général sur le sujet et s’interrogeait sur la portée pratique, pour les femmes de pays en conflit, de la dizaine de résolutions adoptées par le Conseil sur les femmes et la paix et la sécurité, dont cinq portent sur la prévention des violences sexuelles dans les conflits. Le Conseil entendait les témoignages de trois victimes directes de telles violences, respectivement en Éthiopie dans le cadre du conflit au Tigré, en Syrie et en Iraq. Représentante de la communauté yézidie, particulièrement ciblée par Daech en Iraq, Nadia Murad, lauréate du prix Nobel de la paix, annonçait à cette occasion la création du « Code Murad », appelé à servir de directives pour la collecte d’informations et de preuves fournies par les survivantes de telles violences. La lutte contre l’impunité était au cœur des quelque 70 interventions, qui dénonçaient les crimes commis dans de nombreux pays en conflit, parmi lesquels étaient également cités le Myanmar, le Yémen, la Somalie, la République centrafricaine, l’Afghanistan et l’Ukraine.
Le 15 juin, le Conseil tenait un débat ouvert sur le « rôle des organisations régionales dans l’application du programme sur les femmes et la paix et la sécurité face aux troubles politiques et aux prises de pouvoir par la force », présidé par la Ministre de l’Europe et des affaires étrangères de l’Albanie. Après le Secrétaire général et la Directrice exécutive d’ONU-Femmes, le Conseil entendait des représentants de l’Union africaine, l’Union européenne, l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) et la Ligue des États arabes, venus exposer leurs efforts et présenter leurs plans d’action et réseaux régionaux sur le sujet, avant qu’une cinquantaine de délégations ne prennent la parole. Parmi celles-ci, les représentants du Groupe des Amis des femmes et de la paix et de la sécurité et du Groupe des Amis du Réseau des femmes d’influence en Afrique demandaient que soient prises des mesures rapides et concertées pour appliquer pleinement la résolution 1325 (2000).
Le 20 octobre se tenait le débat annuel sur le Programme pour les femmes et la paix et la sécurité, consacré plus spécialement à la résilience et au leadership des femmes en faveur de la paix dans les régions en conflit, avec la participation notamment de la Vice-Secrétaire générale, Amina Mohamed, de la Directrice exécutive d’ONU-Femmes et de plus de 75 États Membres. Lorsque l’on ouvre la porte à la participation des femmes, on fait un pas de géant vers la prévention des conflits et la consolidation de la paix, affirmait Mme Mohamed. Les délégations rivalisaient de conseils et d’exemples nationaux pour faire progresser les objectifs maintes fois énoncés: garantir aux femmes un siège à la table des négociations de paix, renforcer leur leadership pour la consolider, protéger les défenseuses des droits humains et mobiliser les financements nécessaires. La Fédération de Russie faisait toutefois observer que l’adoption de plans d’action pour la mise en œuvre de la résolution 1325 (2000) ne devait pas uniquement consister à « cocher des cases » et qu’il fallait avant tout investir dans l’éducation des filles. Une représentante afghane de la société civile rappelait que, « lorsqu’il s’agit des femmes, de la paix et de la sécurité, il y a un écart important, ici à l’ONU, entre les paroles et les actes », ajoutant que « les Taliban n’ont aucun respect pour les mots ». Une des préoccupations majeures des intervenants portait sur les représailles dont sont victimes des représentantes de la société civile invitées à parler devant le Conseil de sécurité, un aspect de la protection des femmes qui avait été le thème de la séance du 18 janvier.
Questions générales relatives aux sanctions
- 2 séances publiques: 7 février, 9 décembre
- 1 résolution: 2664 (2022)
Voir aussi: Organes subsidiaires du Conseil de sécurité; Tous les pays faisant l’objet de sanctions
Le 7 février, la présidence russe du Conseil organisait un débat consacré à la « prévention des conséquences humanitaires et des conséquences involontaires des sanctions ». La note de cadrage de la présidence rappelait que les sanctions restent un moyen important, prévu par la Charte des Nations Unies, de maintenir la paix et la sécurité internationales sans recourir à l’emploi de la force. Elle reconnaissait que le passage de sanctions globales à des sanctions ciblées avait permis de réduire l’ampleur des effets néfastes des sanctions, mais ajoutait que « des conséquences involontaires subsistent néanmoins » et qu’il est attendu du Conseil de sécurité qu’il « soit à même de réduire ces effets néfastes et qu’il s’y emploie ».
Les responsables des affaires politiques et des affaires humanitaires du Secrétariat détaillaient les évolutions considérables apportées depuis les années 1990, y compris la quasi-normalisation des exonérations humanitaires. Les membres du Conseil saluaient notamment la résolution 2615 (2021) de décembre 2021 qui consacrait des exemptions humanitaires au régime de sanctions contre l’Afghanistan. Plusieurs vantaient leur rôle dans l’adoption d’exceptions humanitaires à plusieurs des 14 régimes de sanctions alors en vigueur. Intervenaient aussi plusieurs pays faisant l’objet de sanctions. Diverses suggestions étaient présentées pour améliorer la « boîte à outil » des sanctions et des exemptions. Le débat ne faisait pas l’économie de commentaires sur les sanctions unilatérales, que dénonçaient plusieurs membres du Conseil, le Kenya estimant qu’elles avaient sapé la foi dans le multilatéralisme. Les États-Unis faisaient observer que certains membres du Conseil ne respectaient pas les régimes de sanctions multilatéraux qu’ils avaient pourtant contribué à faire voter et défendaient la légalité internationale des sanctions unilatérales.
Les États-Unis travaillaient avec la Norvège à un projet de résolution générale concernant les exemptions humanitaires aux régimes de sanctions, qui était présenté le 9 décembre. Adoptée par 14 voix pour et une abstention –celle de l’Inde- la résolution 2664 (2022) décidait que, « sans préjudice des obligations imposées aux États Membres de geler les fonds et autres avoirs financiers ou ressources économiques des personnes, groupes, entreprises et entités désignés par lui ou ses comités des sanctions », les mesures visant à répondre aux besoins humanitaires essentiels « sont autorisées et ne constituent pas une violation des mesures de gel des avoirs ». La décision venait « annuler et remplacer les résolutions antérieures qui seraient divergentes ». Le Conseil précisait qu’en « l’absence de décision explicite contraire », ces mesures s’imposeraient aussi aux renouvellements des régimes en cours et à l’imposition de régimes futurs. Dans le cas du régime de sanctions concernant Al-Qaida, Daech et leurs affiliés, l’exemption était mise en œuvre pour deux ans, charge au Conseil de se prononcer pour la suite à lui donner. Les acteurs humanitaires bénéficiant des exemptions étaient priés de fournir des « efforts raisonnables » pour réduire au maximum les avantages interdits que la « fourniture directe ou indirecte de l’aide », ou son détournement pourraient procurer aux personnes ou entités visées par les sanctions.
Plusieurs membres du Conseil insistaient sur le caractère historique de ce texte, qui devait limiter les entraves aux efforts des acteurs humanitaires, même si certains pays réticents face aux sanctions le jugeaient encore trop limité. L’Inde expliquait son abstention par sa crainte de voir des organisations terroristes contrôlant certains territoires profiter des exemptions.
Exposés des présidents des organes subsidiaires du Conseil de sécurité
- 2 séances publiques: 23 novembre, 12 décembre
Voir aussi: Non-prolifération des armes de destruction massive; Menaces contre la paix et la sécurité internationales résultant d’actes de terrorisme; Questions générales relatives aux sanctions; Tous les pays pour lesquels il existe un Comité des sanctions du Conseil de sécurité
Les séances consacrées au Comité 1540 seul sont traitées sous « Non-prolifération - Armes de destruction massive ». Les exposés concernant un comité des sanctions spécifique à un pays précis sont traités sous le pays concerné.
Le 23 novembre, le Conseil entendait les présidents des comités des sanctions liés aux questions de terrorisme: Comité 1267/1989/2253 chargé de superviser les sanctions ciblées relatives à l’État islamique d’Iraq et du Levant (Daech), à Al-Qaida et aux individus, groupes, entreprises et entités y associés; Comité 1373 relatif à la lutte contre le terrorisme; et Comité 1540 concernant la lutte contre la dissémination d’armes de destruction massive à des entités non étatiques. Il était en particulier rappelé que Daech et ses affiliés continuaient d’exploiter les failles sécuritaires pour recruter, organiser et exécuter des attaques complexes et que les « franchises » du groupe étendaient leur action en Afrique. Les rapports notaient en outre que l’insécurité alimentaire mondiale pourrait avoir pour effet d’exacerber les conditions propices au terrorisme et accroître la menace actuelle posée par Daech. De manière générale, les membres du Conseil reconnaissaient le rôle essentiel joué par les trois comités face à une menace terroriste toujours plus diversifiée. Les États-Unis invitaient toutefois les comités à éviter les doublons.
Le 12 décembre, les présidents d’organes subsidiaires dont les pays allaient quitter le Conseil de sécurité le 31 décembre, à savoir les Représentants permanents d’Inde, d’Irlande, du Kenya, du Mexique et de Norvège -qui dirigeaient au total cinq comités de sanctions de pays et six autres organes subsidiaires- présentaient le bilan de leur mandat. Plusieurs en profitaient pour se féliciter de l’adoption, trois jours plus tôt, de la résolution 2664 (2022) établissant un régime général d’exemptions humanitaires aux sanctions. L’Inde souhaitait que la nomination des présidents des comités de sanctions respecte le consensus de tous les membres du Conseil et pas uniquement celui des membres permanents et plaidait pour davantage de coopération au sein des comités, et de transparence dans le fonctionnement général du Conseil. Elle soulignait en outre que la crédibilité d’un comité dépend aussi de l’objectivité et de l’équité de ses décisions, hors de toute préférence politique.
Méthodes de travail
- 1 séance publique: 28 juin
Voir aussi: Rapport annuel
Le 28 juin, le Conseil tenait sa séance annuelle sur ses méthodes de travail. Du fait de la pandémie de COVID-19, c’était la première fois depuis trois ans qu’il prenait la forme d’un débat ouvert et en personne, qui attirait les délégations de 50 États Membres. Invitée au débat, la Directrice exécutive de Security Council Report, Karin Landgren, constatait que l’activité du Conseil était plus que jamais l’objet de toutes les attentions, que ce soit au sein même de l’Organisation, par les médias, les cercles universitaires ou encore le grand public, et plus encore depuis l’invasion de l’Ukraine par un membre permanent du Conseil doté du droit de veto.
C’était l’occasion pour les intervenants de commenter l’adoption deux mois plus tôt par l’Assemblée générale de sa résolution 76/262, qui prévoit sa réunion automatique dans les 10 jours suivant l’utilisation du veto au Conseil. Les États-Unis se félicitaient que le texte ait déjà été appliqué, après le veto russo-chinois du 26 mai sur la question de la prolifération nucléaire en République populaire démocratique de Corée. La question du veto amenait d’autres États Membres à rappeler les propositions de code de conduite du Groupe ACT et l’initiative franco-mexicaine sur la non-utilisation du droit de veto en cas d’atrocité de masse.
Les discussions portaient encore sur le nécessaire équilibre entre transparence dans les travaux du Conseil et confidentialité nécessaire au rapprochement des points de vue et sur la prise en compte accrue des aspects de genre, y compris la participation plus forte des femmes aux séances, notamment par le biais des interventions de la société civile, dont la contribution aux travaux du Conseil était saluée. Un certain nombre de membres du Conseil se montraient favorables à la poursuite de la tenue de séances virtuelles sur la base de l’expérience acquise pendant la pandémie, mais la Fédération de Russie continuait de refuser de leur reconnaître un statut officiel, jugeant essentiel de maintenir les réunions en personne afin de garantir la meilleure coopération possible entre membres du Conseil. Par ailleurs, la Chine se félicitait de l’extension de la pratique inaugurée en 2019 du partage entre deux États –en général un membre permanent et un membre élu– du rôle de « porte-plume » sur un dossier donné, qui permet d’éviter qu’un membre impose une approche trop nationale sur la question.
Rapport annuel
- 1 séance publique: 20 mai
Voir aussi: Méthodes de travail
Le 20 mai, le Conseil de sécurité adoptait sans vote son projet de rapport annuel à l’Assemblée générale, couvrant la période allant du 1er janvier au 31 décembre 2021. Le rapport était présenté par le représentant de la France, qui rappelait que l’année 2021 était restée marquée par la pandémie de COVID-19, laquelle avait continué d’affecter les méthodes de travail du Conseil, restées hybrides du fait des nombreuses réunions tenues en visioconférence. Le représentant de la France se félicitait que le Conseil ait pu toutefois renouer en fin d’année avec ses missions sur le terrain en se rendant au Sahel. Il soulignait l’importance du multilinguisme, faisant remarquer que ce principe avait beaucoup souffert pendant la pandémie. Il se félicitait par ailleurs que davantage de femmes aient pu intervenir devant le Conseil, de même que d’une augmentation significative des contributions de la société civile, « précieuse pour nos travaux ». Constatant qu’il « existe bien sûr des sujets de désaccord importants entre les membres du Conseil », il rappelait la responsabilité collective de ses membres à faire preuve d’esprit de compromis et à respecter scrupuleusement la lettre et l’esprit de la Charte.