Après le rejet de deux projets de résolution sur le renouvellement du mécanisme d’aide humanitaire transfrontalière en Syrie, le Conseil poursuit ses négociations
Deux projets de résolution visant à renouveler le mécanisme d’aide humanitaire transfrontalière en Syrie ont été rejetés aujourd’hui par le Conseil de sécurité. La Fédération de Russie a en effet voté contre le projet de résolution de l’Irlande et de la Norvège qui prévoyait une prorogation de 12 mois dudit mécanisme. Outre le veto russe, ce projet a recueilli 13 voix en sa faveur, pour une abstention, celle de la Chine.
Le projet concurrent de la Fédération de Russie, qui prévoyait une prorogation de six mois, a fait, lui, l’objet des votes négatifs de la France, des États-Unis et du Royaume-Uni, la Chine et la délégation russe votant pour ce texte, les 10 autres membres s’abstenant.
Les délégations ont exprimé leur amertume devant ce double rejet, la Fédération de Russie expliquant que ses avertissements au sujet du projet irlando-norvégien étaient « connus de tous ». Ce projet fait fi des intérêts de Damas, a déclaré le délégué, tandis que son homologue chinois a souligné la nécessité de respecter la souveraineté de la Syrie.
De leurs côtés, la France, les États-Unis et le Royaume-Uni ont expliqué que le renouvellement de six mois, tel que prévu par le projet russe, n’est pas suffisant pour permettre aux travailleurs humanitaires de planifier leurs opérations. Ces pays ont aussi rappelé qu’avec ce projet les opérations humanitaires s’interrompraient en plein hiver.
Les autres délégations ont regretté la désunion du Conseil, alors que les besoins humanitaires en Syrie n’ont jamais été aussi pressants et que le mécanisme expire ce 10 juillet. Les délégués des Émirats arabes unis, du Kenya, du Ghana et du Brésil ont exhorté leurs collègues à œuvrer à un compromis en suggérant un renouvellement d’une durée de neuf mois. L’Irlande a ainsi demandé une suspension de séance pour que les négociations puissent se poursuivre.
En début de séance, les membres du Conseil ont observé une minute de silence à la mémoire de Shinzo Abe, ancien Premier Ministre du Japon; et de José Eduardo dos Santos, ancien Président de l’Angola.
LA SITUATION AU MOYEN-ORIENT
Mise aux voix du projet de résolution (S/2022/538) présenté par l’Irlande et la Norvège
Explications de vote avant le vote
Avant la mise aux voix du projet de résolution de l’Irlande et de la Norvège, Mme MONA JUUL (Norvège) a déclaré que son projet a été guidé par le souci de la population syrienne. Le texte amendé propose une prorogation de six mois, puis une autre prorogation supplémentaire, ce qui démontre une volonté de compromis. Ce projet est équilibré et prend en compte les points de vue de tous les membres, a dit la déléguée.
Mme LINDA THOMAS-GREENFIELD (États-Unis) a aussi loué le texte de compromis, tout en indiquant qu’elle aurait souhaité davantage de points de passage. « Nous allons donc voter pour », a-t-elle dit, en exhortant les autres membres à en faire de même. Elle a rappelé que les convois humanitaires sont dûment inspectés et indiqué que tout renouvellement de moins de 12 mois bouleverserait les chaînes d’approvisionnement. Le point de passage de Bab el-Haoua est le plus surveillé au monde et constitue le moyen le plus efficace d’acheminer l’aide en Syrie. Voter contre cette résolution revient à voter contre les premiers efforts de reconstruction et à voter contre la transparence dans l’acheminement de l’aide, a souligné la déléguée.
M. MARTIN KIMANI (Kenya), qui s’exprimait au nom des 10 États Membres élus au Conseil de sécurité, a déclaré que le projet de résolution prend en compte les préoccupations légitimes de toutes les délégations tout en répondant aux besoins urgents et pressants de la population syrienne. Il s’est dit favorable à un renouvellement de 12 mois du mécanisme transfrontalier sur la base du texte rédigé par les co-porte-plumes afin de permettre aux acteurs humanitaires de continuer de travailler efficacement. Il a indiqué que les États arabes souhaitent que le mécanisme soit renouvelé et continue d’apporter une aide humanitaire urgente à des millions de Syriens dans le besoin.
Explications de vote après le vote
À l’issue du vote, Mme GERALDINE BYRNE NASON (Irlande) a dit qu’elle est très déçue du veto contre le projet de résolution présenté par la Norvège et sa délégation. Ce projet aurait pu aider les populations dans le nord-ouest de la Syrie en utilisant toutes les modalités possibles, aussi bien transfrontalières qu’à travers les lignes de front. Ce texte aurait permis d’améliorer les premiers efforts de reconstruction et de renouveler pour 12 mois le mécanisme sauf décision dans le sens contraire prise par le Conseil de sécurité après six mois. Elle a souligné que les opérations transfrontières permettent à des millions de Syriens de survivre alors que la situation humanitaire n’a fait qu’empirer ces derniers mois. La nourriture manque, les prix des denrées alimentaires flambent, et en dépit de tout cela, les membres du Conseil ne peuvent tomber d’accord. Elle a regretté que le compromis n’a pas été possible en raison de l’utilisation du veto. Mais ce veto n’est pas la fin et le Conseil doit parvenir immédiatement à une solution permettant de renouveler le mandat du mécanisme d’aide transfrontière.
Mme THOMAS-GREENFIELD (États-Unis) a indiqué que ce jour est « à marquer d’une pierre noire ». Les retombées de ce vote pour la population syrienne seront rapides et terribles. Nous parlons d’une question de vie et de mort et nombreux sont ceux qui vont mourir en raison de ce veto, a accusé la déléguée, en jugeant inacceptable que la Fédération de Russie ait fait passer ses intérêts avant toute autre considération. Elle a promis qu’elle allait continuer les pourparlers pour parvenir à une prorogation.
M. DMITRY A. POLYANSKIY (Fédération de Russie) a dénoncé l’entêtement des délégations de la Norvège et de l’Irlande. « Nos avertissements n’ont pas été pris en compte alors qu’ils étaient bien connus. » Il a estimé que le projet faisait fi des intérêts de Damas et du fait que l’ONU ne s’est pas acquittée de ses tâches durant l’année écoulée. Il a détaillé son projet qui proroge de six mois le mécanisme, avant de dénoncer le « cynisme » de sa collègue américaine et sa volonté d’induire en erreur la communauté internationale. Notre projet prévoit bien la prorogation, a insisté le délégué, en ajoutant que la seule autre option est la fermeture du point de passage.
Mme BARBARA WOODWARD (Royaume-Uni) a regretté le veto irresponsable de la Fédération de Russie qui, a-t-elle averti, aura des conséquences tragiques pour les millions de personnes qui dépendent de l’aide. Un renouvellement de 12 mois est essentiel pour donner espoir aux 4,1 millions de Syriens dans le besoin. Le texte est équilibré et a reçu un appui vaste des membres du Conseil. Selon elle, un renouvellement de six mois présente un grave danger pour l’approvisionnement. La délégation ne soutient pas le projet de la Fédération de Russie qui coupe en deux l’aide et qui appuie le régime Assad.
Mme ALICIA GUADALUPE BUENROSTRO MASSIEU (Mexique) a déploré que le Conseil de sécurité ait échoué à renouveler le mécanisme d’aide transfrontalier en Syrie, soulignant que l’aide ne doit pas être l’otage de considérations politiques. Elle a regretté que ce projet exclusivement humanitaire ait été bloqué par des raisons politiques. Cela aura des conséquences dramatiques, a-t-elle averti avant d’appeler le Conseil à trouver une solution pour les Syriens. L’Assemblée générale devra débattre de ce veto, a rappelé la représentante qui a demandé au Président du Conseil de faire un rapport spécial sur celui-ci.
Mme ALBANA DAUTLLARI (Albanie) a dit que c’est une journée bien « triste et tragique », alors que la prorogation de 12 mois ne devrait pas faire débat. Quelle est la raison d’être de ce Conseil qui ne parvient pas à venir au secours de la population syrienne?
Mise aux voix du projet de résolution (S/2022/541) présenté par la Fédération de Russie
Explication de vote avant le vote
Avant le vote, Mme THOMAS-GREENFIELD (États-Unis) a annoncé qu’elle allait voter contre le projet russe, un renouvellement de six mois n’étant pas suffisant comme l’ont clairement indiqué les travailleurs humanitaires. Ce projet bénéficie davantage au régime syrien qu’aux travailleurs humanitaires qui ne pourront pas planifier leurs efforts sur cette période de six mois. Cela veut dire aussi que l’aide s’interromprait en plein hiver, a-t-elle relevé, en rappelant que le projet de l’Irlande et de la Norvège prenait dûment compte des préoccupations de la Fédération de Russie.
Explications de vote après le vote
À l’issue du vote, M. POLYANSKIY (Fédération de Russie) a regretté le veto des pays occidentaux. En rejetant le projet de résolution présenté par la Fédération de Russie, ils ont montré leur vrai sentiment à l’égard du peuple syrien en enterrant le mécanisme transfrontalier. Ce faisant, ils vont faire souffrir le peuple syrien. La Fédération de Russie, a-t-il assuré, continuera d’aider le peuple syrien.
Mme JUUL (Norvège), qui s’est abstenue, a insisté sur l’impératif de renouveler le mécanisme, rappelant que son projet de résolution prévoyait une prolongation de six mois, plus six autres mois. C’est une proposition concrète pour appuyer la planification de l’aide humanitaire et la mise en œuvre des projets de reconstruction rapide dans le pays. Le projet de résolution russe prévoyait un renouvellement de six mois ce qui est insuffisant. C’est la raison de notre abstention, a-t-elle précisé. Il faut trouver une solution car il n’y a pas de temps à perdre, ceux qui dépendent de l’aide doivent recevoir le soutien du Conseil.
M. NICOLAS DE RIVIÈRE (France) a dénoncé le veto utilisé par la Fédération de Russie, mettant en péril la vie de millions de personnes. L’aide transfrontalière est vitale et il n’y a pas d’autre alternative, a-t-il insisté. Selon lui, le texte russe ne tient pas compte des besoins en Syrie qui n’ont jamais été aussi élevés. Le renouvellement de six mois n’est pas suffisant comme les travailleurs humanitaires l’ont clairement dit, a souligné le délégué. Il a noté que dans ces circonstances, toute planification serait impossible et que l’aide s’interromprait en plein hiver, en expliquant pourquoi il a voté contre.
M. ZHANG Junde (Chine) a regretté le manque de consensus du Conseil sur la livraison de l’aide. La Chine appuie la Syrie et joue un rôle actif dans l’amélioration de la situation. La souveraineté de la Syrie et le rôle moteur du Gouvernement doivent être respectés, a dit le délégué, en demandant que l’aide au travers des lignes de front soit le canal principal. Il a par ailleurs indiqué que les sanctions que frappent la Syrie sont le principal obstacle à l’amélioration de la situation humanitaire dans le pays.
Mme LANA NUSSEIBEH (Émirats arabes unis) a regretté que le Conseil n’a pas pu voter pour le renouvellement du mécanisme transfrontalier. Le Conseil devrait pourtant envoyer un message positif au peuple syrien en ce jour de l’Eïd al-Adha. La représentante a proposé une prorogation de neuf mois du mandat mécanisme en guise de compromis.
M. KIMANI (Kenya) a indiqué avoir voté pour le texte présenté par l’Irlande et le Norvège. C’est un texte de compromis entre une large majorité des membres du Conseil. Il a lui aussi suggéré un renouvellement de neuf mois du mandat du mécanisme d’aide en guise compromis.
Mme CAROLYN OPPONG-NTIRI (Ghana) a mentionné son soutien au projet irlando-norvégien, car la durée de 12 mois était satisfaisante. Elle s’est dite ouverte à un compromis, en suggérant elle aussi une durée de neuf mois.
M. RONALDO COSTA FILHO (Brésil) a souligné la gravité de la situation humanitaire en Syrie et estimé que l’aide au travers des lignes de front ne peut se substituer au mécanisme. L’aide est vitale, a dit le délégué, en appelant au compromis. « Nous devons montrer au monde que le Conseil peut agir au profit de ceux qui ont un besoin désespéré d’une aide. » Il a enfin suggéré à son tour une durée de neuf mois pour le renouvèlement du mécanisme.
M. BASSAM SABBAGH (République arabe syrienne) a déploré la politisation de l’aide humanitaire par les pays occidentaux, dénonçant une politique de deux poids deux mesures. La crise humanitaire est la conséquence de la politique erronée des États-Unis, du Royaume-Uni et de la France en Syrie, a-t-il accusé, soulignant que son pays est ouvert à une aide humanitaire sans conditions et sans marginalisation. Le représentant a également dénoncé les sanctions américaines et européennes qui sont à l’origine de la crise humanitaire, et a demandé la levée de ces mesures coercitives, ajoutant que la Syrie a besoin de projets de relèvement dans le domaine de l’énergie et la fourniture d’eau et d’électricité. Les Syriens vivent de longues heures sans électricité à cause des sanctions. Il nous faut aussi des projets de déminage, notamment pour appuyer le retour sûr des déplacés dans leurs foyers. Le délégué a souligné l’importance de contrôler et faire le suivi de l’aide pour qu’elle ne tombe pas entre les mains des organisations terroristes. Ce travail de contrôle et de suivi est facile pour le Croissant rouge syrien. Le représentant a demandé une prorogation de six mois du mandat du mécanisme d’aide humanitaire transfrontière, avant de qualifier d’inacceptable le projet de l’Irlande et de la Norvège. Le délégué a salué le projet équilibré présenté par la délégation russe qui répond aux préoccupations de la Syrie et qui aurait permis au Conseil d’assumer sa responsabilité.