9187e séance - matin
CS/15100

Le Conseil de sécurité entend le Procureur de la Cour pénale internationale, qui se trouve pour la première fois en Libye

Le Conseil de sécurité a entendu, aujourd’hui, l’exposé semestriel que le Procureur de la Cour pénale internationale (CPI) lui présente sur l’état de ses enquêtes en Libye.  M. Karim Asad Ahmad Khan s’est exprimé en visioconférence depuis Tripoli, une première, puisque jamais encore le Procureur de la CPI n’avait pu se rendre dans ce pays.

M. Karim Asad Ahmad Khan a mis en exergue le soutien apporté sur place par le nouveau Représentant spécial du Secrétaire général et Chef de la Mission d’appui des Nations Unies en Libye (MANUL), M. Abdoulaye Bathily, ainsi que ses efforts de coopération avec les autorités libyennes, conformément à la stratégie redéfinie de son Bureau, qu’il avait présenté le 28 avril dernier, lors de la précédente séance du Conseil sur le sujet.  Cette stratégie reposait sur une évaluation complète des progrès et des défis persistants; le renforcement des capacités du Bureau à agir sur le terrain; et une nouvelle approche dans les relations avec les autorités libyennes afin d’appuyer les efforts nationaux en vue de traduire les auteurs de crimes devant la justice.  Elle comportait, en outre, une diversification des axes d’enquête, qui portent notamment sur les allégations de crimes dans les centres de détention, des crimes perpétrés entre 2014 et 2020 et d’autres contre les migrants.  En juin, la Procureure adjointe de la CPI, Mme Nazhat Shameem, s’était rendue à Tripoli pour présenter cette nouvelle stratégie d’action aux autorités libyennes.

M. Khan a expliqué qu’il avait pu rencontrer une large gamme de représentants officiels et de la société civile, mais également des victimes et survivants des crimes de guerre et crimes contre l’humanité commis dans le pays depuis 2011.  Soulignant que le travail de la CPI n’avait rien, le Procureur s’est ensuite attardé sur les témoignages émouvants des survivants, d’un côté, mais surtout sur la frustration des rescapés qui exigent de la communauté internationale qu’elle tienne ses promesses par des actions concrètes.  En conséquence, les victimes veulent que leurs voix soient entendues et que des enquêtes soient menées par des juges indépendants, a-t-il témoigné, expliquant également qu’il avait préparé une feuille de route dans un objectif de transparence, dans ce sens, de sorte que le sentiment d’inaction n’existe plus.

Dans ce contexte, M. Khan a fait valoir la présence sur place, « très marquée », des membres de son équipe, qui ont conduit 20 missions sur l’ensemble du territoire pour collecter des éléments de preuves.  Il a également mis en avant l’entrée officielle de son Bureau au sein de l’équipe d’enquête conjointe chargée de soutenir les enquêtes sur les crimes commis contre les migrants et les réfugiés en Libye, qui comprend les autorités nationales compétentes de l’Espagne, de l’Italie, des Pays-Bas et du Royaume‑Uni avec le soutien de l’Agence de l’Union européenne pour la coopération des services répressifs (Europol).

Dans les remarques qu’il a faites à l’issue des interventions des membres du Conseil, M. Khan a affirmé qu’il existe désormais un consensus autour de la nécessité d’aborder la question de la traite des êtres humains et de l’esclavage en Libye.  Lors de la discussion, plusieurs des membres du Conseil se sont préoccupés des exactions et crimes à l’encontre des réfugiés ou des migrants et les Émirats arabes unis ont demandé que la lutte contre ces violences soit une des priorités urgentes de la Cour.

Au titre des résultats obtenus, le Procureur a mis l’accent sur le transfert d’auteurs de crimes dans plusieurs pays pour être jugés par des tribunaux nationaux, et sur le travail des médecins légistes à Tarhouna (60 km au sud-est de Tripoli), où des crimes graves avaient été commis, qui ont récupéré, jusqu’à présent, 250 corps des fosses communes.  L’Irlande et les États-Unis en particulier ont salué l’extradition de deux suspects depuis l’Éthiopie vers l’Italie et les Pays-Bas, mais ont en revanche regretté que le mandat d’arrêt à l’encontre de M. Saif Al-Islam Kadhafi ne soit pas encore exécuté.

Le Procureur a néanmoins reconnu certaines difficultés en matière de coopération avec la Libye, et demandé aux autorités de ce pays de veiller au respect de leurs obligations en vertu de la résolution 1970 (2011) du Conseil.  M. Khan a également demandé à ses interlocuteurs libyens de faire toute la lumière sur les crimes relevant de la compétence de la CPI par les Forces armées libyennes.  La Libye, qui n’est pas État partie au Statut de Rome, a rappelé que la coopération avec le Bureau du Procureur reposait sur le mémorandum d’entente, en insistant en particulier sur la question de la complémentarité, de même que la nécessité que la CPI ne se substitue, en aucun cas, au système judiciaire libyen.

Cinq des membres actuels du Conseil de sécurité –les Émirats arabes unis, les États-Unis, l’Inde, la Chine et la Fédération de Russie– ne sont pas parties au Statut de Rome de la CPI, mais les deux premiers soutiennent ses activités en Libye.

En revanche, la Fédération de Russie a, une nouvelle fois, estimé que le travail de la CPI en Libye n’apportait rien, ajoutant que le pays n’avait rien à attendre d’un instrument de pression politique contre des États qui ne conviennent pas aux Occidentaux.  Pour la Fédération de Russie, il est temps pour le Conseil de reconnaître que le renvoi à la CPI de ce dossier, en 2011, était une erreur.

La Chine et l’Inde ont surtout commenté la situation générale en Libye.  Estimant que l’impasse politique actuelle et la mobilisation de groupes armés menaçaient de remettre en question l’Accord de cessez-le-feu permanent d’octobre 2020, l’Inde a appelé à résoudre les questions en suspens et à organiser, le plus tôt possible, des élections justes et transparentes.  Comme la Chine, elle a souhaité que le processus politique soit mené sans imposition ni ingérence extérieure. 

LA SITUATION EN LIBYE

Déclarations

M. KARIM ASAD AHMAD KHAN, Procureur de la Cour pénale internationale (CPI), qui intervenait par visioconférence depuis Tripoli, s’est félicité que ce soit la première fois que le Procureur de la CPI s’adresse au Conseil depuis ce pays.  Il a salué le Représentant spécial du Secrétaire général en Libye pour le soutien apporté à cette visite sur place.  Il faut agir mieux, a-t-il confirmé, soulignant que la justice n’est pas un idéal et qu’elle doit être effectivement ressentie par tous les Libyens.  M. Khan a dit avoir rencontré des victimes sur place.  Il a aussi dit avoir vu, il y a deux jours, à quelques heures de Tripoli en voiture, des sites où des personnes avaient été traitées de façon inhumaine.  Il a aussi fait état de fosses communes et le fait que des dépouilles aient été jetées dans des décharges publiques.  M. Khan a dit avoir rencontré des médecins légistes qui ont dû fouiller dans des gravats pour retrouver ces dépouilles, 250 corps ayant été récupérés.

Le Procureur a assuré le Ministère libyen de la justice que l’ONU était prête à resserrer son partenariat avec lui, compte tenu de l’immensité de la tâche.  À Tarhouna, où des crimes graves avaient été commis, il s’est entretenu avec des survivants.  Il a ainsi appris qu’un homme avait perdu 20 membres de sa famille; un autre, 15; et une mère avait fait une description émouvante, typique du caractère libyen, selon le Procureur de la CPI.  Il a aussi indiqué qu’un homme avait confié qu’il ne pouvait plus retourner vivre chez lui car la perte de sa famille était insoutenable.

Le travail que le Conseil a confié au Bureau du Procureur n’est pas abstrait: il est au quotidien, a insisté M. Khan.  Il a évoqué un sentiment qui laisse entendre que l’histoire se répète, les rescapés insistant que les promesses de la communauté internationale soient tenues et que les actions de celles-ci soient pertinentes.  Les victimes veulent que leurs voix soient entendues et que des enquêtes soient menées par des juges indépendants.  M. Khan a ensuite expliqué qu’il avait préparé une feuille de route dans un objectif de transparence dans ce sens, de sorte que le sentiment d’inaction n’existe plus.

Le Procureur a indiqué que, pour la première fois depuis 2011, il avait pu faire état d’une présence très marquée des membres de son équipe, avec 20 missions sur l’ensemble du territoire avec des éléments de preuve, y compris des photos et vidéos.  En septembre, le Bureau a aussi rejoint l’équipe d’enquête conjointe, se réjouissant qu’il existe un partenariat qui n’a rien d’un partenariat de façade.  Cela a permis que des personnes soient transférées dans plusieurs pays pour que des tribunaux nationaux puissent juger des auteurs de crimes.  M. Khan a rappelé qu’il avait, en avril, insisté sur la prise de mesures solides et sur des enquêtes sérieuses, ajoutant qu’il s’employait à les réaliser.

Des demandes sont en cours car les victimes veulent nous voir agir, a affirmé M. Khan, pour qui c’est une nouvelle façon d’agir au titre de la mise en œuvre de la résolution 1970 (2011).  Il a précisé que le Bureau tente de renouer la coopération avec les autorités libyennes et avec des représentants de la société civile.  Les représentants d’ONG vont d’ailleurs se réunir à La Haye dans le cadre de ce partenariat.  Reconnaissant que la coopération n’est pas parfaite et que certaines difficultés persistaient, il a néanmoins mis l’accent sur la nécessité pour les autorités libyennes de respecter leurs obligations en vertu de la résolution mentionnée.

M. Khan a expliqué avoir aussi déclaré à ses interlocuteurs libyens qu’il faudrait faire la lumière sur les crimes relevant de la compétence de la CPI par les Forces armées libyennes.  Depuis Nuremberg, a-t-il rappelé, il faut absolument juger de tels crimes.  Le Procureur de la CPI a ensuite décrit le témoignage émouvant d’une mère qui a souhaité simplement obtenir des informations sur le sort de son fils et de pouvoir l’enterrer, citant un verset du Coran « nous venons de Dieu et nous retournons à Dieu ».  Lorsque nous sommes en face à des personnes qui ne croient plus trop à la justice et à la paix, il faut répondre que les normes juridiques émanent de valeurs humaines, et qu’il convient d’aller plus loin pour promouvoir la paix et la justice sur terre, a conclu M. Khan.

M. JUAN RAMÓN DE LA FUENTE RAMÍREZ (Mexique) a pris note du fait que les autorités libyennes ont amélioré leur coopération avec le Procureur de la Cour pénale internationale (CPI) et son équipe, comme le montre le fait que M. Khan présente son exposé depuis Tripoli.  Il a également reconnu les progrès réalisés, en particulier l’accélération de la collecte de preuves.  Le représentant a estimé que la coopération entre le Bureau du Procureur et les autorités nationales, conformément au principe de complémentarité, doit se maintenir au plus haut niveau.  Elle doit également être active avec les pays tiers, ainsi qu’avec Europol.  Dans ce contexte, il s’est félicité de l’arrestation et de l’extradition de deux individus accusés de traite des êtres humains en Libye.  Ces individus ont été arrêtés en Éthiopie et extradés vers l’Italie et les Pays-Bas respectivement.  S’agissant des activités juridictionnelles, M. de la Fuente Ramírez a souligné l’importance de veiller à ce que les mandats d’arrêt soient exécutés pour que les affaires ne restent pas sans suite.  Il a salué l’allocation de ressources supplémentaires à l’équipe chargée d’enquêter sur la situation en Libye.  Selon lui, l’ONU doit assumer les coûts des situations déférées à la CPI par le Conseil de sécurité.

M. XING JISHENG (Chine) a réaffirmé la conviction de son pays que l’instabilité en Libye ne pourra être résolue que par le biais de solutions politiques.  À cet égard, il a appelé les partis politiques à trouver un consensus pour que se tiennent rapidement de nouvelles élections « afin de passer à une nouvelle étape », à l’issue de laquelle l’intégrité territoriale et la souveraineté de la Libye seront restaurées.  Pour le représentant, la CPI doit, dans le contexte actuel, respecter le principe de complémentarité conformément au Statut de Rome et travailler en vue d’apporter une véritable contribution à la paix et à la stabilité en Libye.

M. RICHARD M. MILLS, JR. (États-Unis) a salué les efforts de la Cour pour enquêter sur les atrocités commises contre le peuple libyen, depuis février 2011, et en poursuivre les principaux auteurs.  Il s’est félicité du renouvellement de la Mission d’appui des Nations Unies en Libye (MANUL) et de la nomination du Représentant spécial, ainsi que des efforts redoublés pour obtenir un accord sur un cadre constitutionnel pour les élections.  Il a également noté que le rapport de la Mission chargée d’établir les faits appelait à s’attaquer d’urgence à la prolifération et à la légitimation des groupes armés agissant en Libye, au fi de toute autorité étatique.  Comme rapporté, ce matin, sur la situation à Tarhuna, ladite Mission a trouvé des motifs raisonnables de croire que des membres de la milice al-Kaniyat ont commis des crimes de guerre et un certain nombre de crimes contre l’humanité.  Les États-Unis continuent de penser que la résolution de l’incertitude politique et la promotion de la responsabilité en Libye contribueront grandement à remédier à l’instabilité chronique dans ce pays.  Le délégué a appelé les autorités libyennes à faire progresser les efforts de responsabilisation, notamment par la coopération avec la CPI dans les domaines identifiés dans le rapport du Procureur, tels que l’accès aux documents clefs, le soutien à un engagement technique plus important et la réponse rapide aux demandes d’assistance et de visas.  D’autre part, les anciens hauts responsables du « régime Kadhafi », tels que Saif al-Islam Kadhafi, qui fait toujours l’objet d’un mandat d’arrêt de la CPI pour crimes contre l’humanité et crimes de guerre, doivent être traduits en justice, selon le délégué, tandis que « les victimes et les survivants méritent la justice qui leur a échappé ».  Il a souligné que l’enquête de la Cour sur la situation en Libye et contre Saif al-Islam Kadhafi était en cours depuis plus de 11 ans, et que les autorités libyennes n’avaient toujours pas coopéré pour aider à le traduire en justice à La Haye.  Enfin, préoccupé par le sort des migrants, y compris les femmes et les enfants victimes de violences sexuelles fuyant la Libye, le délégué a exhorté les autorités libyennes à prendre des « mesures crédibles » pour démanteler les réseaux de trafic et de contrebande.

Mme RUCHIRA KAMBOJ (Inde) a rappelé d’emblée que son pays n’est pas signataire du Statut de Rome, avant de mettre en garde contre le fait que l’impasse politique et la mobilisation de groupes armés avaient le potentiel de mettre en question l’Accord de cessez-le-feu permanent d’octobre 2020.  Il faut résoudre les questions en suspens et organiser, le plus tôt possible, des élections justes et transparentes, a souligné la représentante.  Pour ce faire, le processus politique doit être mené sans imposition ni ingérence extérieure aux fins de parvenir à une paix durable, a-t-elle ajouté.

Mme JAYNE JEPKORIR TOROITICH (Kenya) a pris note de l’interaction accrue entre la CPI et les autorités libyennes, avant de demander que le soutien octroyé aux autorités libyennes dans les domaines des enquêtes, des poursuites et du judiciaire soit également accru.  La représentante a aussi demandé une collaboration plus étroite dans le partage de l’information et une intensification des efforts et des actions, en particulier en raison des complications induites par l’ingérences d’intérêts extra-régionaux dans l’immigration de l’Afrique à l’Europe à travers la Méditerranée.  Il est important d’examiner comment les politiques nationales explicites et implicites des pays qui prétendent aider à endiguer la migration irrégulière peuvent contribuer à l’indignité pour les migrants, les réfugiés et les demandeurs d’asile, a estimé la représentante.

M. ARIAN SPASSE (Albanie) a demandé aux autorités libyennes de s’engager activement et de bonne foi avec le Bureau du Procureur de la CPI pour faire avancer l’établissement de la justice.  L’Albanie prend note de la coopération plus étroite entre la MANUL et les autorités libyennes, et se félicite de la visite du Procureur, le 6 novembre, et de sa rencontre avec le Ministre de la justice Halima Ibrahim.  S’il y a vu un signe encourageant, le délégué a toutefois appelé à aller plus loin.  Le Bureau a, selon lui, besoin d’un accès « complet et sécurisé » à l’ensemble du territoire, aux documents pertinents ainsi qu’aux lieux des crimes, en particulier lorsque des témoins clefs sont menacés.

Il a aussi réitéré son appel aux autorités libyennes pour qu’elles remettent à la justice le fils du colonel Kadhafi, Saif al-Islam Kadhafi, afin qu’il puisse être jugé par une cour de justice, « ce que lui et son père ont refusé à des milliers de Libyens ».  Le délégué s’est dit préoccupé par la poursuite des violences à l’encontre des migrants, telles que décrites dans les rapports de l’ONU: ce sont des violations flagrantes qui doivent cesser immédiatement.  Il a salué à cet égard les progrès réalisés dans la collecte de preuves et l’émission de nouveaux mandats d’arrêt pour les crimes commis contre les migrants, appelant le Bureau à poursuivre ses enquêtes. 

M. CHANAKA LIAM WICKREMASINGHE (Royaume-Uni) a noté que c’est dans un contexte libyen difficile que les importants résultats signalés dans le dernier rapport ont été obtenus, citant un paysage politique complexe marqué notamment par des divisions de l’exécutif, ce qui augmente le risque de violences persistantes.  À cet égard, le Royaume-Uni se félicite de la nomination du nouveau Représentant spécial Abdoulaye Bathily et du renouvellement pour une période de 12 mois du mandat de la Mission d’appui des Nations Unies en Libye (MANUL).  Pour le représentant, le leadership de l’ONU est essentiel pour rétablir l’assise électorale de la Libye après l’échec des élections présidentielles de décembre 2021.  Il a rappelé qu’il est de la responsabilité du Gouvernement intérimaire d’unité nationale de s’assurer que les prochaines élections seront libres, équitables et inclusives.  Réaffirmant la détermination de son pays à travailler avec le Bureau du Procureur et les autorités libyennes, le représentant a exhorté celles-ci à poursuivre les efforts en cours pour accélérer les progrès vers la justice.

Mme TRINE SKARBOEVIK HEIMERBACK (Norvège) a estimé que la présence du Procureur et de son adjoint en Libye témoigne de leur attachement à la justice.  Elle s’est félicitée de la nomination de M. Abdoulaye Bathily comme Représentant spécial du Secrétaire général et Chef de la MANUL.  La déléguée a toutefois appelé toutes les parties libyennes à redoubler d’efforts pour s’entendre sur un cadre électoral juste et libre.  Elle a encouragé les autorités libyennes à faire davantage d’efforts pour faciliter la collecte d’éléments de preuve sur les crimes commis.  Notant les progrès accomplis, elle a relevé que plus de 20 missions ont été menées et salué la présence du Bureau du Procureur dans le pays.  Par ailleurs, a-t-elle noté, deux suspects ont été récemment extradés en Italie et aux Pays-Bas, et de nouveaux mandats d’arrêt ont été émis, grâce à un partenariat fondé sur la complémentarité qui conduit à des résultats concrets.  En conclusion, la déléguée a mis l’accent sur le caractère essentiel de la reddition de comptes en Libye. 

Mme SIOBHÁN MILEY (Irlande) a dit être consciente de l’environnement opérationnel, sécuritaire et politique « très difficile » dans lequel le Bureau du Procureur opère en Libye.  Elle s’est dite satisfaite des progrès accomplis par le Procureur dans la mise en œuvre de sa stratégie d’enquête renouvelée et de la transparence avec laquelle il a documenté ces étapes.  La représentante s’est également félicitée du maintien d’une présence constante du Bureau du Procureur dans la région et de la fourniture de ressources supplémentaires à ses efforts d’enquête, notamment des experts en matière de violence sexuelle et sexiste.  Ces actions ont permis à l’équipe d’accroître ses contacts avec les victimes, les survivants et les témoins, ainsi que d’accélérer les efforts de collecte de preuves, a-t-elle dit.

Mme Miley a estimé que la coopération avec l’équipe conjointe chargée d’enquêter sur les crimes contre les migrants avait déjà donné des résultats tangibles, notamment avec l’arrestation en Éthiopie et l’extradition vers l’Italie et les Pays-Bas de deux suspects.  Cependant, des progrès supplémentaires sont nécessaires, notamment en ce qui concerne l’exécution du mandat d’arrêt contre Saif Al-Islam Kadhafi, non exécuté à ce jour, a-t-elle déclaré, appelant les autorités libyennes à coopérer avec la Cour à cet effet.  Bien que des personnalités politiques et du Ministère public aient exprimé la volonté de s’engager avec le Bureau du Procureur, nous avons besoin de voir des actions plus concrètes, a-t-elle conclu.

M. GENNADY V. KUZMIN (Fédération de Russie) a noté qu’en se rendant en Libye, le Procureur de la CPI pouvait désormais se rendre compte de ses propres yeux des souffrances endurées par le peuple libyen, victime de la chute brutale de leur pays provoquée par l’agression de l’OTAN en 2011.  Il a estimé que, depuis deux ans, aucun progrès n’avait été enregistré par le Bureau du Procureur, le Conseil étant réduit à examiner les appétits financiers croissants de la CPI.  Le représentant a estimé que la Cour ne se gêne même plus pour manifester, dans cette salle, que sa reddition de comptes devant le Conseil est devenue une formalité ennuyeuse, ce nouveau rapport, comme les précédents, témoignant d’une absence à peu près totale de résultat de sa part sur le dossier libyen.  Il a estimé qu’il était temps pour le Conseil de reconnaître que le renvoi à la CPI de ce dossier, en 2011, était une erreur, ajoutant que la Cour devrait plutôt enquêter sur les accusations mensongères contre l’ancien dirigeant Mouammar Kadhafi ayant conduit aux bombardements illégaux en Libye, lesquels ont tué des milliers de civils et détruit l’économie d’un pays jadis prospère.

Pour le représentant, la Libye n’a rien à attendre d’un instrument de pression politique contre des États qui ne conviennent pas aux Occidentaux.  Il s’est ensuite élevé contre les montants colossaux reçus des Occidentaux par la Cour pour masquer leurs crimes en Libye comme en Iraq.  « Ils agissent à présent de même en Ukraine », a-t-il affirmé, soulignant que les pays en développement parties à la CPI manifestent de plus en plus de mécontentement à cet égard.  En conclusion, le représentant a appelé toutes les parties à la crise libyenne à s’efforcer de progresser, par la voie politique, vers un retour à la normale dans leur pays.

Mme ANNETTE ANDREE ONANGA (Gabon) a considéré l’accent mis par le Procureur sur le dialogue avec les victimes, les communautés locales et la société civile comme un aspect positif à même de contribuer au succès de l’entreprise de la CPI en Libye.  La lutte contre l’impunité doit demeurer un impératif pour tous, a-t-elle souligné, ce qui nécessite l’appui continu de la communauté internationale, afin d’outiller pleinement le Procureur et son Bureau dans sa délicate mission.

La représentante a aussi rappelé que la mise en place des conditions d’une justice réparatrice -l’aboutissement du processus politique, la cessation des hostilités et la résolution pacifique et durable de la crise- était essentielle pour mettre fin aux meurtrissures du peuple libyen.

M. VINICIUS FOX DRUMMOND CANÇADO TRINDADE (Brésil) s’est félicité de la présence accrue du Bureau du Procureur dans la région, qui augmente sa capacité non seulement à enquêter, mais aussi à approfondir le dialogue de manière constructive avec les autorités nationales.  Selon lui, les efforts de coopération peuvent offrir des possibilités de renforcer les institutions locales, afin que les États concernés puissent s’acquitter de leur responsabilité principale d’enquêter et de poursuivre les crimes commis sur leur territoire.  Après avoir encouragé le Procureur à dialoguer avec les autorités libyennes, le représentant a souligné que la Mission d’appui des Nations Unies en Libye (MANUL) peut également contribuer à la lutte contre l’impunité.  À cet égard, il a salué le fait que la MANUL ait fourni une assistance au Bureau du Procureur pour ses missions en Libye.  Par ailleurs, il a noté avec satisfaction la coopération entre les pays tiers et les organisations régionales pour aider à poursuivre les auteurs de crimes commis contre les migrants et appuyer les efforts relatifs au retrait des forces étrangères du territoire libyen.  « La présence de combattants étrangers, y compris de mercenaires, constitue une menace supplémentaire pour la stabilité et l’état de droit de la Libye. »

Mme DIARRA DIME-LABILLE (France) a réaffirmé le plein soutien de la France à la CPI et a souhaité que le Bureau du Procureur puisse exercer ses prérogatives sans entrave ni obstruction.  S’agissant de la mise en œuvre de la résolution 1970 du Conseil de sécurité, elle a répété que la lutte contre l’impunité est l’un des éléments clefs du règlement du conflit et de la réconciliation entre les parties libyennes.  Pour la représentante, le décès des auteurs présumés des crimes les plus graves ne saurait valoir justice pour les victimes.  C’est pourquoi, a-t-elle dit, la France se félicite de la mise en œuvre ces derniers mois, par le Bureau, de la stratégie d’enquête révisée présentée en avril dernier.  Elle a salué, à cet égard, l’augmentation des effectifs spécialisés attribués à l’enquête en Libye et l’accroissement des visites sur le terrain, notamment celle effectuée, en juin, à Tripoli par la Procureure adjointe de la CPI.  Elle s’est également réjouie que cette présence renforcée ait permis un engagement accru du Bureau auprès des victimes, des témoins et des communautés touchées.  Elle a toutefois encouragé les autorités libyennes à coopérer davantage avec le Bureau, en particulier en ce qui concerne l’accès à la documentation nécessaire aux enquêtes ou la délivrance de visas sollicités par le Bureau.

Les crimes les plus graves commis en Libye, depuis 2011, doivent tous faire l’objet d’enquêtes et de poursuites, « y compris les crimes commis par Daech, les crimes commis à Tarhouna et les crimes contre les migrants et les réfugiés », a insisté la représentante.  Soulignant l’importance de l’aide apportée en la matière au Bureau du Procureur par les organisations internationales et régionales, ainsi que par les représentants de la société civile en Libye, Mme Dime-Labille a salué, à ce titre, la coopération avec la Mission d’appui des Nations Unies en Libye (MANUL) et Europol.  Elle s’est cependant déclarée préoccupée par les détentions arbitraires et certaines conditions de détention inhumaines, appelant les autorités en charge des lieux de détention concernés à en ouvrir, sans délai, l’accès aux observateurs et enquêteurs internationaux.  Enfin, après s’être alarmée des disparitions forcées, des violences sexuelles et du sort des migrants et des réfugiés, la représentante a dénoncé la répression accrue contre la société civile et les défenseurs des droits de l’homme, ainsi que les pressions visant magistrats et juristes, estimant que ces violations « obèrent toute consolidation d’un système démocratique en Libye ».

M. SUOOD RASHED ALI ALWALI ALMAZROUEI (Émirats arabes unis) a estimé que l’enquête sur les crimes commis contre les migrants est « l’une des priorités urgentes de la Cour », et jugé nécessaire que les investigations soient menées dans le cadre d’une coopération proactive avec les autorités nationales libyennes, en complément des efforts déployés localement par celles-ci.  Nous prenons note de l’arrestation de deux suspects impliqués dans la traite de personnes d’Afrique vers l’Europe via la Libye, a-t-il dit.  Le représentant a rappelé l’importance d’intensifier la coopération internationale afin de démanteler les réseaux de criminalité transnationale organisée, y compris dans les pays d’origine, de destination et de transit.  Enfin, il a apporté le plein soutien de son pays aux activités de la MANUL et du nouveau Représentant spécial pour permettre la relance des processus politiques et de paix en Libye.

Mme CAROLYN ABENA ANIMA OPPONG-NTIRI (Ghana) a pris note des mesures prises par le Bureau du Procureur de la CPI pour dialoguer avec les autorités libyennes dans le cadre de la mise en œuvre du principe de complémentarité.  Les autorités libyennes, a-t-elle appuyé, doivent permettre l’accès à la documentation pertinente pour les enquêtes du Bureau, soutenir l’engagement avec les autorités techniques pertinentes en Libye, y compris celles impliquées dans la médecine légale et l’analyse des scènes de crime, et répondre rapidement à toutes les demandes d’assistance et de visa.  Si elle doit s’acquitter du mandat qui lui a été confié par le Conseil, le Ghana n’ignore pas les défis auxquels la CPI est confrontée.  La déléguée a espéré qu’avec la nomination du nouveau Représentant spécial, les efforts produiront les résultats nécessaires pour permettre à la situation politique et sécuritaire de s’améliorer.  Elle s’est dite heureuse de constater que le Bureau avait pris des mesures pour protéger les victimes, les témoins et les communautés affectées, en renforçant sa capacité à interagir avec les groupes de victimes et les organisations de la société civile.  Enfin, concernant la traite des personnes, la détention illégale et les mauvais traitements infligés aux migrants, la déléguée a salué la coopération étroite avec d’autres pays et agences ayant permis l’arrestation et l’extradition récentes de deux suspects de crimes contre des migrants et des réfugiés, de l’Éthiopie vers les Pays-Bas et l’Italie, respectivement.  À cet égard, elle a encouragé le Bureau à poursuivre ses mesures de coopération proactives avec les autorités nationales et les organisations régionales telles qu’Europol.

M. TAHER M. T. ELSONNI (Libye) s’est félicité de la visite du Procureur de la CPI en Libye et de son intervention devant le Conseil depuis Tripoli.  Même si cette visite est tardive, elle n’en est pas moins cruciale, a-t-il commenté.  Il a signalé que M. Khan avait eu l’occasion de s’entretenir avec une large gamme d’interlocuteurs pour parvenir à la vérité, mais avait ainsi pu resserrer les liens avec le Représentant spécial et Chef de la MANUL.  Il a en particulier appuyé les entretiens avec les victimes de crimes et la nécessité d’établir les faits et de prévenir l’impunité pour leurs auteurs.  Paraphrasant M. Khan, le représentant a déclaré qu’il ne faudrait pas que « l’histoire en Libye ait un début, mais aucune fin ».  Il a réitéré l’attachement de son pays à la lutte contre l’impunité et à la justice, conformément à la législation nationale et selon les principes de souveraineté et de la justice libyenne.  Il a tenu à rappeler, à cet égard, que la coopération avec le Bureau du Procureur de la CPI reposait sur le mémorandum d’entente, en soulignant la question de la complémentarité, et la nécessité que la CPI ne se substitue, en aucun cas, au système judiciaire libyen.

Le charnier à Tarhouna reste un cauchemar à mesure que les recherches avancent pour faire la lumière sur ce crime odieux commis il y a une dizaine d’années, a ajouté le représentant.  Il a demandé à M. Khan de délivrer des mandats d’arrêt contre les auteurs de crimes se trouvant à l’étranger et contre tous ceux qui leur prêtent main forte.  D’un autre côté, et malgré les difficultés, la Libye condamne tout acte criminel contre les migrants, qui sont des actes individuels, notamment à Misrata.  Les enquêtes sont en cours sur les crimes contre les migrants, a-t-il précisé, en exhortant à éliminer d’abord les réseaux de la traite d’êtres humains dans les pays de transit et d’accueil, et en appelant l’Europe à assumer sa responsabilité sur ce dossier.

La réconciliation nationale commence par la reconnaissance des crimes, la justice et l’assistance aux victimes, a poursuivi le représentant, qui a réitéré, en concluant, la primauté des institutions judiciaires libyennes, qui sont tout à fait en mesure de dispenser la justice en toute intégrité.  Tôt ou tard, justice sera faite pour les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité commis, imprescriptibles, a-t-il assuré.  Il a pressé la CPI d’accélérer les enquêtes et de présenter les résultats dans les meilleurs délais afin de révéler l’identité des individus ou groupes ayant commis les crimes.  Il convient d’identifier ces individus et de rappeler aux pays qui les soutiennent de s’abstenir de la politisation d’une question, d’ores et déjà, délicate, a-t-il conclu.

M. KARIM ASAD AHMAD KHAN, Procureur de la Cour pénale internationale, reprenant la parole pour commenter les déclarations des délégations, a dit être le premier à reconnaître que la résolution 1970 (2011) n’avait pas de pouvoir transformateur.  « J’aurais aimé que ce soit le cas mais il faut avoir cette perspective à l’esprit lorsque l’on analyse le rôle de la CPI », a ajouté le Procureur.  M. Khan a également dit que son Bureau n’était pas « obsédé » par la Libye; il essaie au contraire d’intervenir dans d’autres situations, en dépit des considérations politiques.  Mais, il y a un consensus sur la nécessité d’aborder la question de la traite des êtres humains et de l’esclavage en Libye.  Il faut donc réfléchir avec toutes les parties, société civile comprise, afin de faire en sorte que les victimes et les Libyens qui n’ont que trop souffert connaissent enfin la justice.  Je suis prêt à travailler avec les autorités libyennes pour cela, a conclu le Procureur.

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