9133e séance - après-midi
CS/15032

Conseil de sécurité: Le Directeur exécutif du PAM alerte que la crise alimentaire mondiale risque « d’échapper à tout contrôle »

Le Directeur exécutif du Programme alimentaire mondial (PAM) a alerté le Conseil de sécurité, cet après-midi, que la crise alimentaire mondiale risque « d’échapper à tout contrôle », rejoignant dans son analyse le Coordonnateur des secours d'urgence qui a indiqué que selon la note blanche du Bureau de la coordination des affaires humanitaire (OCHA), des centaines de millions de personnes dans le monde sont confrontées à des niveaux d’insécurité alimentaire catastrophiques, une situation aggravée par les conflits armés et la violence.    

Ainsi, au Yémen, quelque 19 millions de personnes, soit 60% de la population, sont en situation d’insécurité alimentaire aiguë.  Au Soudan du Sud, 7,7 millions de personnes devraient se trouver en situation de crise ou d’insécurité alimentaire aiguë pendant la haute saison, tandis qu’en Éthiopie, plus de 13 millions de personnes ont besoin d’une aide alimentaire.  Et dans le nord-est du Nigéria, 4,1 millions de personnes sont confrontées à des niveaux élevés d’insécurité alimentaire aiguë en raison des violences, a détaillé M. Martin Griffiths qui a signalé que l'insécurité alimentaire atteint également des niveaux « alarmants » en Afghanistan et en Somalie.    

L’Économiste en chef de l’Organisation pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), M. Maximo Torero, a quant à lui indiqué que la mise à jour semestrielle du rapport mondial sur les crises alimentaires, publiée lundi, prévoit que d’ici à la fin de 2022, 205 millions de personnes seront confrontées aux trois phases les plus élevées de crise alimentaire aiguë, soit le niveau le plus élevé depuis qu’est publié ce rapport.    

« Cette souffrance généralisée s'explique par l'impact direct et indirect des conflits et de la violence, ainsi que par le comportement des parties en présence », s’est insurgé le Coordonnateur des secours d'urgence qui a appelé, entre autres, à intensifier les moyens de résoudre de façon pacifique et négociée les conflits, s’attaquer aux causes profondes de l’insécurité alimentaire aiguë et maintenir un financement humanitaire permettant de résoudre ces crises.  

« Combler le déficit de financement humanitaire ou soutenir la production agricole sont des mesures indispensables, mais elles ne porteront pas leurs fruits si les routes continuent de rester bloquées et si les gens sont incapables de travailler la terre », a souligné pour sa part le Brésil.  À ses yeux, la trêve au Yémen, ou même l’Initiative céréalière de la mer Noire, montrent que même de « petits pas » en faveur de la paix et de la stabilisation peuvent entraîner des répercussions positives sur la sécurité alimentaire.   

Le Directeur exécutif du Programme alimentaire mondial (PAM) a de son côté alerté que la guerre en Ukraine est venue aggraver une situation extrêmement difficile, en précisant que l’explosion des prix des denrées, de l’essence et des engrais depuis le début du conflit a poussé 70 millions de personnes supplémentaires au bord de la famine.  Ce qui était une « vague de famine » dans le monde est devenu un « tsunami », s’est alarmé M. David Beasley qui a appelé à pleinement mettre en œuvre la résolution 2417 (2018), alertant que la crise alimentaire mondiale risque « d’échapper à tout contrôle ». 

À ce propos, la délégation des États-Unis a relevé que l’utilisation de la nourriture comme arme de guerre a eu des effets de contagion multiples qui ont grandement aggravé l’insécurité alimentaire, notant qu’avant la guerre, la Russie et l’Ukraine exportaient près du quart des céréales dans le monde, alors qu’aujourd'hui, « les champs de blé ukrainiens sont des champs de bataille ».   

En imputant l’insécurité alimentaire au conflit en Ukraine, on ignore la politique monétaire irresponsable des pays occidentaux, s’est défendue la Fédération de Russie, notant que l’augmentation du cours du dollar et des taux d’intérêt constitue une nouvelle menace pour les pays endettés.   Quant à l’accord d’Istanbul, il est largement entravé par les sanctions de ces mêmes pays qui empêchent notamment les navires russes chargés de céréales et d’engrais d’arriver dans les ports européens, a décrié la délégation russe, rejointe par la Chine qui s’est élevée contre l’augmentation artificielle des prix des denrées.  Ainsi, dans le cadre de l’Initiative céréalière de la mer Noire, des cargaisons de grains sont expédiées mais de nombreux conteneurs restent bloqués pour des raisons financières et bancaires, s’est indignée la délégation chinoise.  

Affirmant qu’aucune sanction ne vise le secteur alimentaire, la France a dit lutter pour que les produits agricoles ne deviennent en aucun cas une arme de guerre pour servir des buts géopolitiques.  La délégation a également signalé que les corridors de solidarité mis en place par l’Union européenne ont permis la sortie de plus de 10 millions de tonnes de céréales d’Ukraine depuis mars dernier, contribuant ainsi à faire baisser les prix et éviter une crise d’anticipation.  L’Italie a insisté pour sa part sur l’importance de mettre en œuvre une « diplomatie alimentaire ». 

Notant par ailleurs que les organes appropriés pour promouvoir les solutions axées sur le développement ne disposent pas de l’expertise technique et politique nécessaire en ce qui concerne les zones touchées par les conflits, le Brésil a estimé que la Commission de consolidation de la paix est particulièrement bien placée pour aider à combler cette lacune en jouant son rôle de passerelle entre les efforts de paix et de sécurité et les solutions de développement, ainsi qu’en mobilisant un soutien international, en coopération avec les agences basées à Rome. 

PROTECTION DES CIVILS EN PÉRIODE DE CONFLIT ARMÉ

Déclarations

M. Martin Griffiths, Secrétaire général adjoint aux affaires humanitaires et Coordonnateur des secours durgence, a rappelé que le Conseil a établi, il y a quatre ans, un lien entre sa responsabilité de maintenir la paix et la sécurité et son engagement à lutter contre l’insécurité alimentaire et la faim induites par les conflits.  Tel qu’indiqué le mois dernier dans une note blanche, le risque de famine et d’insécurité alimentaire généralisée du fait de conflits est désormais présent en Éthiopie, au nord-est du Nigéria, au Soudan du Sud et au Yémen.  L’insécurité alimentaire atteint également des niveaux alarmants en Afghanistan et en Somalie, où plus de 200 000 personnes sont déjà menacées par la famine, un chiffre qui devrait atteindre 300 000 d’ici à novembre.  Dans les quatre contextes qui précèdent, des évaluations récentes ont identifié des centaines de milliers de personnes confrontées à des niveaux de faim catastrophiques, ou phase 5 du Cadre intégré de classification de la sécurité alimentaire, qui surveille l’insécurité alimentaire dans le monde, a indiqué M. Griffiths, en précisant que la phase 5 est la plus dévastatrice.   

Il a indiqué que cette souffrance généralisée s’explique par l’impact direct et indirect des conflits et de la violence, ainsi que par le comportement des parties en présence.  Ainsi, des civils sont tués et blessés, des familles sont déplacées de force de la terre dont elles dépendent pour leur subsistance, puis des restes explosifs de guerre perturbent l’accès des populations aux marchés et à la production agricole.  Ensuite, les infrastructures civiles essentielles à la sécurité alimentaire des populations sont endommagées ou détruites et les stocks de nourriture sont pillés, a expliqué M. Griffiths.  Le déclin économique et la hausse des prix qui s’ensuivent mettent la nourriture hors de portée des plus vulnérables.  Enfin, « la faim est utilisée comme une tactique de guerre ».   

Les organisations humanitaires qui apportent des secours aux populations dans ces crises sont par ailleurs confrontées à des interférences, du harcèlement et des attaques contre leur personnel, ainsi qu’au pillage ou au détournement de leurs biens.  D’autres facteurs de la faim, notamment la sécheresse, les changements climatiques, les effets de la pandémie de COVID-19 et la hausse des prix mondiaux des produits de base aggravent encore l’insécurité alimentaire.  À ces facteurs s’ajoutent les effets de la guerre en Ukraine, qui augmente les prix des aliments, des engrais et de l’énergie, a-t-il noté.   

Poursuivant, M. Griffiths a précisé qu’au Yémen, après sept ans de conflit armé, quelque 19 millions de personnes, soit 60% de la population, sont en situation d’insécurité alimentaire aiguë.  On estime que 160 000 personnes sont menacées de catastrophe et que 538 000 enfants souffrent de malnutrition sévère.  Au Soudan du Sud, 63% de la population, soit 7,7 millions de personnes, devraient se trouver en situation de crise ou d’insécurité alimentaire aiguë pendant la haute saison de cette année.  Ce pays est en outre l’un des plus dangereux pour les travailleurs humanitaires, avec 319 attaques visant le personnel l’an dernier.   

En Éthiopie, a-t-il enchaîné, plus de 13 millions de personnes ont besoin d’une aide alimentaire vitale dans les régions d’Afar, Amhara et au Tigré, où 87% de la population se trouve en situation d’insécurité alimentaire, dont plus de la moitié dans une situation grave.  Enfin, dans le nord-est du Nigéria, 4,1 millions de personnes sont confrontées à des niveaux élevés d’insécurité alimentaire aiguë dans les États d’Adamawa, Borno et Yobe en raison de conflits.   

Le Secrétaire général adjoint aux affaires humanitaires a ensuite énuméré les recommandations contenues dans la note blanche afin de répondre aux besoins de ces pays, à savoir: intensifier les moyens de résoudre de façon pacifique et négociée les conflits et la violence, encourager les États et les groupes armés à respecter leurs obligations en vertu du droit international humanitaire et des droits humains, soutenir une réponse intégrée permettant de s’attaquer aux facteurs sous-jacents de l’insécurité alimentaire aiguë et, enfin, maintenir le financement humanitaire nécessaire pour venir à bout des crises, alors que moins de la moitié des sommes requises sont disponibles.

M. MAXIMO TORERO, Économiste en chef de lOrganisation pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), a indiqué que la mise à jour semestrielle du rapport mondial sur les crises alimentaires, publiée lundi, prévoit que d’ici à la fin de cette année, 205 millions de personnes seront confrontées aux trois phases les plus élevées de crise alimentaire aiguë.  C’est le niveau le plus élevé depuis qu’est publié le rapport mondial et cela représente une augmentation par rapport aux 193 millions de personnes signalées dans l’édition 2022, a-t-il souligné, avertissant que sans aide humanitaire urgente, un nombre record de 970 000 personnes devraient faire face à des conditions de famine dans cinq pays.  De plus, les impacts directs et indirects de la guerre en Ukraine sur ces pays risquent de s’aggraver au second semestre 2022 et début 2023.   

M. Torero a souhaité informer le Conseil sur la situation en Somalie, bien qu’elle ne figure pas dans la note blanche de l’OCHA.  Il y a deux semaines, a-t-il dit, le Comité d’examen des situations de famine du Cadre intégré de classification de la sécurité alimentaire a conclu que les populations agropastorales de deux districts et les populations déplacées de la ville de Baidoa, dans la région de Bay, seront confrontées à la famine entre octobre et décembre 2022, sans aide humanitaire significative.  Ces conditions devraient persister jusqu’en mars 2023 au moins, et 300 000 personnes devraient être au niveau 5 de l’échelle du Cadre intégré de classification de la sécurité alimentaire entre octobre et décembre, a-t-il expliqué. 

En Afghanistan, a-t-il poursuivi, quelque 19 millions de personnes sont confrontées à une insécurité alimentaire aiguë élevée, et la flambée des prix des aliments, du carburant et des engrais découlant de la guerre en Ukraine ne fait qu’aggraver une situation déjà brutale, a constaté le haut fonctionnaire, avant de saluer la résilience du secteur agricole, dont dépendent 80% des moyens de subsistance des Afghans.   

Actuellement, a encore indiqué M. Torero, il n’y a pas de données actualisées sur la sécurité alimentaire en Éthiopie, mais il est fort probable que la situation se soit considérablement aggravée en 2022.  Parallèlement à la sécheresse, qui touche les régions du sud, la reprise des hostilités dans le Tigré menace directement la récolte Meher d’octobre.  Au Soudan du Sud, en proie à des violences intercommunautaires accrues et à de graves inondations, on estime que près des deux tiers de la population totale sont confrontés au niveau 5 de l’échelle du Cadre intégré de classification de la sécurité alimentaire entre octobre et décembre, soit la pire insécurité alimentaire aiguë pendant la période de soudure.  Dans le comté de Leer, où la phase 5 a été signalée, les affrontements armés ont continué de provoquer des déplacements en 2022, a-t-il ajouté.   

De même, dans le nord du Nigéria, avec la fin de la saisons des pluies en septembre, la violence risque de connaître un saut saisonnier, ce qui aura pour effet de perturber les systèmes alimentaires, de limiter l’accès aux marchés et de provoquer de nouveaux déplacements, a-t-il prévenu, ajoutant qu’environ 4,14 millions de personnes sont confrontées à une insécurité alimentaire aiguë dans les États du nord-est d’Adamawa, Borno et Yobe, pour l’essentiel inaccessibles à l’aide humanitaire.  En revanche au Yémen, les perspectives d’insécurité alimentaire devraient être meilleures que prévues, a observé l’Économiste en chef, selon lequel les effets d’entraînement supposés de la guerre en Ukraine sur les marchés internationaux ne se sont pas encore manifestés.  En outre, le financement de l’aide alimentaire s’est légèrement amélioré et d’importantes réductions du nombre de bénéficiaires ont été évitées, tandis que le conflit s’est considérablement atténué après la trêve conclue en avril.  Dans ce contexte, la prévention des conflits reste le moyen le plus efficace de prévenir la famine, a-t-il conclu, ajoutant que « quand le Conseil parle, le monde écoute ».   

M. DAVID BEASLEY, Directeur exécutif du Programme alimentaire mondial (PAM), a indiqué que la guerre en Ukraine est venue aggraver une situation extrêmement difficile.  Il a précisé que depuis le début du conflit, l’envolée des prix des denrées, de l’essence et des engrais ont poussé 70 millions de personnes supplémentaires au bord de la famine.  Ce qui était une « vague de famine » dans le monde est devenu un « tsunami », a déclaré M. Beasley qui a ajouté que, dans les 82 pays où le PAM opère, 345 millions de personnes souffrent d’une insécurité alimentaire aiguë, c’est-à-dire qu’ils s’approchent d’une situation de famine.  C’est un chiffre sans précédent, puisque c’est 2,5 fois plus de personnes qu’avant le début de la pandémie, s’est-il alarmé.  Et près de 50 millions de personnes sont dans une situation encore plus grave puisqu’elles sont au bord de la famine.  Il a averti du risque de multiples famines cette année et en 2023 si la crise des prix des denrées venait à se transformer en crise d’approvisionnement.  

M. Beasley a exhorté les membres du Conseil à user de leur influence pour garantir le respect du droit international humanitaire (DIH), assurer un accès humanitaire et élaborer les solutions politiques négociées pour mettre fin aux conflits.  Il a notamment alerté que la reprise des combats dans le nord de l’Éthiopie risque de pousser de nombreuses familles dans une grave insécurité alimentaire, alors que le PAM avait réussi, pendant la trêve, à apporter une aide à près de 5 millions de personnes dans le Tigré.  Nous devons acheminer des denrées dans le nord de l’Éthiopie maintenant, a-t-il insisté.  Il a ensuite détaillé la situation critique au Nigéria et celle au Soudan du Sud, où la recrudescence de la violence vient se combiner aux effets des inondations dans 7 des 10 États du pays.  Près de 7,7 millions de personnes, soit plus de 60% de la population sud-soudanaise, fait face à une insécurité alimentaire critique.   

Exhortant les membres du Conseil à faire montre du leadership humanitaire dont le monde a besoin, le Directeur exécutif du PAM a appelé à pleinement mettre en œuvre la résolution 2417 (2018) et à briser le cercle vicieux entre faim et conflit qui engendre la crise alimentaire mondiale, laquelle risque « d’échapper à tout contrôle ».  

M. RONALDO COSTA FILHO (Brésil) a constaté que l’état de l’insécurité alimentaire mondiale, en particulier dans les pays impliqués dans des conflits, est plus alarmant que jamais.  Selon le dernier rapport mondial en date sur les crises alimentaires, nous assistons au plus grand nombre de personnes en situation de crise, ou pire, depuis la première publication du rapport.  Ce chiffre –205 millions de personnes– est presque équivalent à la population totale du Brésil, a fait remarquer le représentant.  Selon toutes les mesures et tous les paramètres, un tel niveau d’insécurité alimentaire est inacceptable.   

Le conflit en Ukraine, associé aux effets des sanctions unilatérales appliquées par certains pays, a aggravé cette situation, a poursuivi le représentant.  De manière générale, les conflits armés et l’insécurité alimentaire forment un cycle pervers qui enferme les populations et les pays dans une spirale de détérioration des conditions de vie.  En effet, les conflits provoquent des déplacements forcés, la destruction d’infrastructures essentielles et la dégradation de sols autrement viables.  Et l’insécurité alimentaire intensifie la rivalité pour les ressources et entrave toute autre forme de développement humain qui pourrait conduire aux conditions de stabilisation nécessaires à une paix durable.  « Nous devons briser ce cycle et, pour ce faire, nous avons besoin d’actions concrètes dans le cadre des trois piliers de l’ONU », a expliqué M. Costa Filho. 

Sur le plan humanitaire, l’assistance humanitaire est menacée par deux facteurs simultanés, à savoir la hausse des prix des denrées alimentaires et du nombre de personnes souffrant d’insécurité alimentaire aiguë, a poursuivi le représentant.  Ces deux caractéristiques mettent le système sous pression et creusent le déficit de financement.  Les pays donateurs et tous ceux qui sont en mesure de le faire doivent redoubler d’efforts, a insisté M. Costa Filho.   

Le représentant a ensuite souligné le rôle clef du développement durable dans l’atténuation de l’insécurité alimentaire et la promotion de solutions durables dans les pays touchés par des conflits.  Les actions visant à générer ou à reconstruire les capacités de production, telles que la livraison de semences et l’amélioration de la production agricole, sont essentielles pour empêcher producteurs et consommateurs de tomber dans le déplacement interne et l’insécurité alimentaire grave.  Les investissements dans ces solutions durables peuvent également être des moyens concrets de prévenir les conflits, lorsqu’ils sont accompagnés de systèmes d’alerte précoce efficaces, ainsi que de promouvoir la stabilisation à long terme dans les scénarios postconflit.   

« Le Brésil dispose d’un vaste savoir-faire en matière de production accrue avec moins d’intrants et de maximisation des rendements agricoles, même dans des conditions défavorables, d’une grande expérience de la coopération Sud-Sud et de partenariats de longue date avec le PAM et la FAO », a expliqué le représentant.  Il a appelé tous les États Membres à redoubler d’efforts non seulement pour fournir une aide humanitaire, mais aussi des capacités techniques et des transferts de technologies, afin que les pays touchés par des conflits puissent être en mesure de réaliser leurs objectifs. 

Un grand nombre de ces mesures, sinon toutes, ne sont pas du ressort du Conseil de sécurité, a reconnu M. Costa Fihlo.  Toutefois, il arrive souvent que les organes appropriés pour promouvoir les solutions axées sur le développement ne disposent pas de l’expertise technique et politique nécessaire en ce qui concerne les zones touchées par les conflits.  À cet égard, le Brésil estime que la Commission de consolidation de la paix est particulièrement bien placée pour aider à combler cette lacune en jouant son rôle de passerelle entre les efforts de paix et de sécurité et les solutions de développement, ainsi qu’en mobilisant le soutien international, en coopération avec les agences basées à Rome et l’ensemble du système des Nations Unies, tout en préservant son approche axée sur la demande et son alignement sur les priorités de consolidation de la paix du pays en question. 

Enfin, et surtout, il y a l’aspect de la paix et de la sécurité, a relevé le représentant.  Combler le déficit de financement humanitaire ou soutenir la production agricole sont des mesures indispensables, mais elles ne porteront pas leurs fruits si les routes continuent de rester bloquées et si les gens sont incapables de travailler la terre.  La trêve au Yémen, ou même l’Initiative céréalière de la mer Noire, montrent que même de petits pas en faveur de la paix et de la stabilisation peuvent entraîner des répercussions positives sur la sécurité alimentaire.  Nous devons préserver et mettre à profit ces avancées progressives, a plaidé le représentant.  Le Conseil, qui dispose d’un cadre pour y parvenir, doit devenir la colonne vertébrale de notre action en matière de sécurité alimentaire et de conflits, a-t-il ajouté. 

M. FERGAL TOMAS MYTHEN (Irlande) a souligné la responsabilité collective du Conseil de sécurité d’agir envers ceux qui meurent de faim en raison de conflits non résolus et de l’insécurité.  Les recommandations contenues dans la note blanche montrent le lien qui existe entre la faim et les conflits, a-t-il relevé, phénomène « intrinsèquement lié à notre responsabilité de maintenir la paix et la sécurité internationales ».  Selon lui, il est indéniable que les conflits « exacerbent, alimentent et prolongent la faim et la famine ».  « Notre incapacité à relever le Défi Faim zéro procède en grande partie des conflits armés », a noté le représentant, en ajoutant que les besoins concernant l’aide humanitaire dépassent maintenant notre capacité d’y répondre.  Cette crise mondiale de l’insécurité alimentaire est exacerbée par l’invasion russe de l’Ukraine et les changements climatiques, notamment la sécheresse dans la Corne de l’Afrique.   

Le représentant a dénoncé l’utilisation par certains de la faim comme une arme de guerre, notamment au Yémen et au Nigéria.  De même, des travailleurs humanitaires ont été pris pour cible, enlevés et même tués au Soudan du Sud, au Tigré et ailleurs.  L’Irlande condamne ces actes dans les termes les plus forts et considère que ces violations du droit international humanitaire ne doivent pas rester impunies.   

Toutefois, la solution à la faim induite par les conflits n’est pas l’aide humanitaire mais bien la paix, a poursuivi le représentant.  Pour y parvenir, il incombe aux membres du Conseil de sécurité de faire pression sur les parties belligérantes pour assurer la protection des civils, a-t-il conclu.  

M. DAI BING (Chine) a rappelé que la sécurité alimentaire est un élément clef de la paix pérenne et un enjeu de longue date pour la communauté internationale.  Nous devons éliminer la faim, a-t-il plaidé, appelant à promouvoir le règlement politique des conflits qui détruisent les productions et les infrastructures agricoles et entraînent des déplacements forcés, avec pour effet d’aggraver l’insécurité alimentaire.  Il est donc crucial que la communauté internationale s’emploie à appuyer les processus politiques dans les foyers de tension. 

Il convient également de veiller à ce que les chaînes d’approvisionnement ne soient pas perturbées, a ajouté le représentant.  Il y a suffisamment de nourriture pour tous, mais la répartition et la distribution laissent à désirer, a-t-il souligné, avant de s’élever contre l’augmentation artificielle des prix des denrées.  Ainsi, dans le cadre de l’Initiative céréalière de la mer Noire, des cargaisons de grains sont expédiées mais de nombreux conteneurs restent bloqués pour des raisons financières et bancaires, s’est-il indigné, appelant à « libérer ces livraisons ».  

Le représentant a ensuite constaté que 50 pays dans le monde sont aujourd’hui en situation d’insécurité alimentaire et que nombre d’entre eux sont situés en Afrique.  Réitérant l’appel de l’ONU à ne laisser personne sur le bord de la route, il a préconisé une intensification de l’aide publique au développement des pays développés, laquelle devrait s’élever à 0,7% du revenu national brut.  Il a d’autre part appelé à un renforcement des capacités de production alimentaire des pays en développement, prônant pour cela un rééquilibrage avec le monde développé.  Ces efforts doivent selon lui s’accompagner d’investissements accrus dans l’agriculture et de transferts de technologies.  

En tant que pays le plus peuplé au monde, la Chine nourrit un cinquième de la population mondiale avec moins de 5% des terres arables de la planète, a fait observer le représentant.  En outre, elle apporte davantage de financements dans le cadre de la coopération Sud-Sud que n’importe quel autre pays en développement.  Enfin, elle coopère avec plus de 140 pays en la matière et fournit des techniques agricoles qui bénéficient à 1,5 million d’exploitants agricoles, a-t-il fait valoir. 

Mme LANA ZAKI NUSSEIBEH (Émirats arabes unis) a insisté sur l’ampleur « biblique » de la crise alimentaire actuelle.  Au Yémen, les houthistes doivent éviter toute violation de la trêve humanitaire, a dit la déléguée, avant de relever que la situation dans la Corne de l’Afrique est aggravée par les conflits.  Elle a jugé essentielle une trêve humanitaire indéfinie en Éthiopie.  Au niveau international, la déléguée a appelé les parties belligérantes à assurer un accès humanitaire pour lutter contre l’insécurité alimentaire mondiale, laquelle a été aggravée par la guerre en Ukraine.  Elle a aussi souligné l’importance que les engrais russes accèdent aux marchés mondiaux.  Changements climatiques et insécurité alimentaire sont intimement liés, a par ailleurs souligné la déléguée. 

M. JUAN GOMEZ ROBLEDO VERDUZCO (Mexique) s’est dit reconnaissant au Secrétaire général et à la Türkiye pour l’accord conclu qui a permis d’exporter des céréales depuis l’Ukraine, constatant toutefois que le fait de mettre davantage de céréales sur les marchés ne s’était pas traduit par une réduction de la famine dans plusieurs régions du monde.  En ce sens, il est tout aussi important que les engrais et les produits alimentaires russes puissent atteindre les marchés mondiaux, a-t-il observé.  Mettre fin à la faim et à la malnutrition, faire face aux crises humanitaires, prévenir et résoudre les conflits ne sont pas des tâches distinctes, ce sont différents aspects d’un même défi, a-t-il insisté.  Ce n’est pas une coïncidence si les cinq pays identifiés par le PAM comme étant les plus menacés par la famine –l’Afghanistan, l’Éthiopie, la Somalie, le Soudan du Sud et le Yémen– sont tous en situation de conflit.   

Pour le représentant, l’insécurité alimentaire et la famine doivent être traitées de manière différenciée.  Pour s’attaquer aux causes structurelles des risques de famine, il a appelé à appuyer la recherche de solutions politiques pacifiques et négociées aux conflits armés et à la violence.  Et pour lutter directement contre l’insécurité alimentaire, il faut encourager la hausse de la production locale, réduire le gaspillage alimentaire, rendre les engrais abordables, améliorer les systèmes de protection sociale pour les personnes vulnérables et accroître la fonctionnalité des chaînes d’approvisionnement en engrais et en semences.   

Enfin, des ressources doivent être mobilisées pour assurer un financement adéquat du PAM, a ajouté le délégué qui a jugé « honteux » que le PAM ne dispose que d’un tiers du budget nécessaire pour pouvoir répondre de manière adéquate aux risques de famine.  Il est tout aussi « inacceptable » que, dans un monde d’abondance matérielle, des millions de personnes souffrent d’insécurité alimentaire ou soient confrontées à la famine.   

Mme MONA JUUL (Norvège) a dit avoir pris connaissance avec inquiétude des données de l’OCHA sur l’insécurité alimentaire en Éthiopie, dans le nord-est du Nigéria, au Soudan du Sud et au Yémen.  Elle s’est également alarmée des niveaux d’insécurité alimentaire en Somalie et en Afghanistan, jugeant évident que, conformément à la résolution 2417 (2018), le Conseil de sécurité ait un rôle préventif à jouer pour briser le cycle des conflits armés et de la faim.  Pour la représentante, le conflit en cours dans la Corne de l’Afrique nécessite l’attention immédiate du Conseil.  En effet, a-t-elle souligné, depuis plusieurs années, les civils de cette région ont connu une insécurité alimentaire généralisée en raison du conflit et des violences, et la reprise des combats au Tigré a de graves conséquences pour la région.  Le Conseil devrait d’urgence encourager et soutenir les « bons offices » de l’Union africaine et de l’ONU afin d’obtenir un cessez-le-feu et le début de pourparlers, a plaidé la représentante.

Saluant les recommandations spécifiques contenues dans la note blanche de l’OCHA, la représentante a mis l’accent sur l’impact sexospécifique de l’insécurité alimentaire induite par les conflits, notamment pour les femmes et les enfants.  Elle a par conséquent souhaité voir les femmes jouer un rôle actif dans la prévention de l’insécurité alimentaire et des conflits ainsi que dans la conception et la mise en œuvre des efforts de consolidation de la paix et les réponses humanitaires.

Mme Juul a par ailleurs rappelé que l’insécurité alimentaire mondiale a été exacerbée par la guerre illégale de la Russie contre l’Ukraine.  Après avoir à nouveau félicité le Secrétaire général pour ses efforts en faveur de l’Initiative céréalière de la mer Noire, la représentante a invité la communauté internationale à augmenter ses financements et à intensifier ses investissements dans la production alimentaire et la résilience, et ce, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur des zones de conflit.  C’est ce qu’a fait la Norvège, dont la nouvelle stratégie de sécurité alimentaire se concentre sur les petits producteurs et la résilience climatique, a-t-elle fait valoir, avant d’appeler de ses vœux un renforcement des partenariats avec l’Union africaine et d’autres organisations régionales en tant qu’éléments essentiels de prévention des conflits et de l’insécurité alimentaire.

M. MADHU SUDAN RAVINDRAN (Inde) a dit que, pour gérer la sécurité alimentaire nationale et répondre aux besoins des pays voisins et d’autres pays en développement vulnérables, le Gouvernement indien a mis en place certaines mesures concernant les exportations de céréales.  Ces mesures permettent l’exportation vers des pays qui en font la demande pour répondre à leurs besoins en matière de sécurité alimentaire.   

Le représentant a salué les efforts déployés par le Secrétaire général pour créer un groupe d’intervention en cas de crise mondiale sur l’alimentation, l’énergie et les finances pour permettre les exportations de céréales d’Ukraine via la mer Noire et pour faciliter les exportations de produits alimentaires et d’engrais russes.  Un accès humanitaire rapide aux personnes dans le besoin dans toutes les zones touchées par les conflits et la violence est essentiel, a insisté le représentant, qui a rappelé l’importance des principes relatifs à l’aide humanitaire, notamment l’humanité, la neutralité, l’impartialité et l’indépendance.  L’aide humanitaire ne doit jamais être politisée, a plaidé le représentant.  Il faut aussi éviter de lier l’aide humanitaire et l’aide au développement aux progrès des processus politiques.  Il a dit être inquiet des tendances au pillage de l’aide humanitaire, y compris celui des carburants, qui sont indispensables au Programme alimentaire mondial.   

Selon le représentant, les pénuries croissantes de céréales ne peuvent être résolues qu’en allant au-delà des contraintes actuelles.  À cet égard, il faut lever les limites imposées aux exportations de produits alimentaires.  L’appui au renforcement des capacités des pays confrontés à la famine, dans la conception, la mise en œuvre et le suivi des politiques et programmes liés à l’alimentation est nécessaire.  Au cours des trois derniers mois seulement, l’Inde a exporté plus de 1,8 million de tonnes de blé vers ses partenaires les plus proches, notamment l’Afghanistan, le Myanmar, le Yémen et le Soudan.  L’Inde continuera de joindre le geste à la parole lorsqu’il s’agira d’aider ses partenaires dans le besoin, a conclu le représentant.   

M. MARTIN KIMANI (Kenya) a commencé par regretter que les pays concernés par l’insécurité alimentaire ne soient pas présents lors de la séance du Conseil de sécurité pour témoigner de leur situation.  Il a ensuite relevé que le contexte actuel était compliqué par une crise alimentaire et énergétique mondiale dont les causes s’étendent bien au-delà des situations nationales et dépendent de facteurs géopolitiques, économiques et climatiques. 

Estimant que les organisations humanitaires devraient être soutenues dans leurs appels à financements et à un accès sans entrave, le représentant a cependant jugé crucial de ne pas se concentrer exclusivement sur les réponses d’urgence.  Nous savons en effet que, dans la plupart des pays et des régions touchés par des conflits violents, les causes de l’insécurité alimentaire incluent les changements climatiques, les lacunes de développement et la pauvreté qui en résulte, a-t-il fait valoir.  Il a donc exhorté les États, les organismes régionaux et les entités des Nations Unies à renouveler leur engagement en faveur de l’objectif de développement durable « Faim zéro » d’ici à 2030. 

Le représentant a d’autre part estimé que le moment est venu pour le Conseil de sécurité de renouer avec son mandat préventif, notamment au regard de la crise climatique au Sahel et dans la Corne de l’Afrique.  Il existe suffisamment de preuves que le dérèglement climatique aggrave les conflits et peut même être un moteur direct, a-t-il souligné, avant de prier le Conseil de tenir compte de l’appel lancé par les pays de la région pour une action liant action climatique et missions de maintien de la paix et politiques de l’ONU.  

Pour M. Kimani, le Conseil doit maintenir son soutien à l’action humanitaire tout en progressant dans son mandat de protection des civils dans les situations de menaces pour la paix et à la sécurité internationales.  Pour ce faire, le Conseil doit redoubler d’efforts pour encourager, faciliter et faire appliquer les règlements politiques qui débouchent sur des cessez-le-feu, le dialogue, la réconciliation et la reconstruction postconflit.  Quant aux situations où il n’y a pas de paix à maintenir mais où des groupes terroristes représentent une menace dévastatrice pour les civils, le Conseil devrait reconsidérer sa réticence persistante à appuyer le soutien financier des Nations Unies aux efforts d’exécution, a ajouté le représentant, appelant à davantage tenir compte des recommandations de la Commission de consolidation de la paix. 

Mme ANNETTE ANDRÉE ONANGA (Gabon) a appelé à redoubler d’efforts pour mettre fin aux conflits partout où ils éclatent et désamorcer les tensions, afin de donner une chance à la paix et aux programmes de développement.  « Il est primordial de renforcer nos efforts pour apaiser les conflits et de façon concomitante, accroître l’assistance humanitaire d’urgence à la mesure des besoins alimentaires et de la détresse des populations affectées », a-t-elle affirmé.  L’effet conjugué de conflits ravageurs, d’une assistance humanitaire limitée et de populations prises au piège des conséquences des changements climatiques est une source de préoccupation qui fait redouter une catastrophe humanitaire de grande ampleur, a averti la représentante, en évoquant la situation sans précédent dans la région de la Corne de l’Afrique.  

La représentante a appelé à remédier aux causes profondes des déficiences structurelles auxquelles plusieurs pays sont confrontés, « qu’il s’agisse des carences en matière de gouvernance sur le plan national et international, ou des limites avérées dans la mise en œuvre des engagements en matière de développement durable, ou encore, de façon plus spécifique, de la prise en charge de la crise climatique ». 

M. ARIAN SPASSE (Albanie) a jugé nécessaire de se demander si, à l’écoute des défis auxquels sont confrontés le PAM, l’OCHA et la FAO pour fournir une aide alimentaire aux nécessiteux en raison des conflits, de nouvelles notes blanches permettraient de faciliter une action plus rapide du Conseil de sécurité à cet égard.  En outre, a-t-il poursuivi, quelles autres actions pourraient être entreprises pour renforcer la capacité d’anticipation du Conseil?  Et quelle serait la meilleure façon de garantir l’obligation de rendre compte des cas de faim induite par les conflits en violation du droit international humanitaire? s’est encore demandé le représentant.  Il a estimé que l’action humanitaire et le respect du droit international humanitaire ne peuvent qu’atténuer les conséquences d’un conflit sur les systèmes alimentaires.  Il a donc jugé urgent de trouver des solutions politiques pacifiques et négociées aux conflits armés et à la violence.  Le représentant a aussi plaidé pour une alerte et une action précoces, qui mènent à la prévention.  Il a fait remarquer que la prévention de la faim induite par les conflits passe par le respect du droit international humanitaire par les parties au conflit, pour éviter que la faim soit utilisée comme méthode de guerre.  Il est également urgent pour le délégué de donner aux populations les moyens de sécuriser leur accès à la nourriture et de garantir leur participation aux processus d’élaboration des politiques et de prise de décisions.  Il a prôné une réponse intégrée pour s’attaquer aux moteurs de l’insécurité alimentaire aiguë et soutenir le financement des réponses aux crises humanitaires.  Il a aussi appelé à tenir pour responsables ceux qui violent le droit international humanitaire et à mener des enquêtes indépendantes, impartiales sur les allégations de violations graves et d’abus des droits humains et du droit international humanitaire. 

Mme LINDA THOMAS-GREENFIELD (États-Unis) a fait état d’une obligation morale et juridique d’agir face à l’insécurité alimentaire découlant des conflits armés.  Au-delà des exposés et des chiffres, il s’agit d’humanité pure et d’êtres humains, de vie et de mort.  Or, depuis l’adoption de la résolution 2417 (2018), la crise de l’insécurité alimentaire n’a fait qu’empirer, sa principale cause restant les conflits.  S’agissant de la « guerre russe » en Ukraine, l’utilisation de la nourriture comme arme de guerre a eu des effets de contagion multiples qui ont grandement aggravé l’insécurité alimentaire, a-t-elle relevé.  Avant la guerre, la Fédération de Russie et l’Ukraine représentaient près du quart des exportations de céréales dans le monde, alors qu’aujourd’hui, les champs de blé ukrainiens sont des champs de bataille.  « Mettez fin à la guerre » afin de résoudre partiellement ce problème, a réagi la représentante face aux critiques de la délégation russe.   

S’agissant de la crise alimentaire en Éthiopie, notamment au Tigré, elle a noté que 20 millions de personnes se trouvent en situation d’insécurité alimentaire, tandis que les chaînes d’approvisionnement sont grandement perturbées.  L’aide humanitaire ne devrait pas être utilisée à des fins militaires, mais plutôt afin de sauver des vies, a plaidé la représentante.  Dans le nord-est du Nigéria, les attaques répétées contre les agriculteurs réduisent d’autant les récoltes et les aires cultivées.  La déléguée a ensuite appelé le Gouvernement du Soudan du Sud à faciliter l’acheminement de l’aide humanitaire, notant par ailleurs que selon le PAM, près de 50 millions de personnes dans 45 pays risquent de sombrer dans le gouffre sans aide humanitaire.  Elle s’est ensuite félicitée du fait que 103 pays participent à l’élaboration d’une feuille de route pour la sécurité alimentaire mondiale.   

M. HAROLD ADLAI AGYEMAN (Ghana) a suggéré que relever les défis de l’insécurité alimentaire, le règlement pacifique des conflits armés et de la violence reste le moyen le plus sûr de garantir la sûreté et la sécurité des civils et d’éviter les risques de famine qui accompagnent les conflits.  Il faut donner la priorité aux pauses humanitaires et aux trêves qui peuvent offrir l’occasion de centrer les besoins de protection des populations civiles, a plaidé le représentant.   

Il faut ensuite respecter le droit international humanitaire et renouveler l’engagement des États et des acteurs non étatiques en faveur de la préservation et de la protection de l’action humanitaire.  Cela nécessite des mesures visant à prévenir l’utilisation de la famine comme arme de guerre contre les populations civiles, le ciblage délibéré de leurs moyens de subsistance.  Les auteurs de violations flagrantes des lois sur les conflits armés doivent répondre de leurs actes.   

Pour le Ghana, les parties aux conflits doivent rendre des comptes si elles ciblent les travailleurs humanitaires et entravent l’acheminement de l’aide humanitaire.  À cet égard, les risques que représentent pour les civils et les travailleurs humanitaires la désinformation, la mésinformation et le discours de haine pendant les conflits armés doivent être combattus.  Le représentant a souligné la nécessité pour le Conseil d’améliorer les arrangements de suivi, d’analyse et de communication de l’information en réponse aux violences sexuelles dans les conflits armés.   

M.  Agyeman a encouragé le renforcement de l’appui aux arrangements régionaux pour aider à soutenir les efforts de protection des civils.  Certaines organisations régionales disposent également d’une architecture de sécurité alimentaire qui pourrait être exploitée pour mieux gérer l’insécurité alimentaire pendant les conflits, a fait remarquer le représentant.   

M. JAMES KARIUKI (Royaume-Uni) a dit attendre avec intérêt que le Secrétaire général continue de tirer la sonnette d’alarme sur l’impact des conflits et de la faim, ajoutant que tous les États Membres devraient le soutenir dans cette démarche.  Le représentant a appelé les parties au conflit à respecter le droit international humanitaire, y compris la protection des travailleurs humanitaires.  Elles doivent faciliter un accès humanitaire rapide et sans entraves, notamment en supprimant les obstacles bureaucratiques à l’aide.  Le représentant a dit être préoccupé par le fait que l’acheminement de l’aide à la région du Tigré, dans le nord de l’Éthiopie, n’a pas été possible depuis la reprise du conflit à la fin du mois d’août.  Il a donc appelé à un accès immédiat au carburant, à l’argent et à la nourriture.   

Il faut également une action concertée pour protéger les systèmes alimentaires et promouvoir la résilience, a plaidé le représentant.  Les populations doivent pouvoir cultiver leurs terres en toute sécurité afin que les familles puissent nourrir les 1,74 million d’enfants qui souffrent maintenant de malnutrition aiguë.  Il faut aussi veiller à ce que les marchés alimentaires mondiaux soient ouverts afin que le coût de l’alimentation n’augmente pas.   

À cet égard, le représentant a réaffirmé l’importance de poursuivre la mise en œuvre de l’accord sur les céréales de la mer Noire, qui a contribué à une baisse de 5,1% des prix mondiaux du blé.  Quelque 23 000 tonnes de blé ukrainien sont arrivées à Djibouti le mois dernier, dont une partie a déjà atteint l’Éthiopie.  Le Programme alimentaire mondial (PAM) a déclaré que c’était suffisant pour nourrir 1,5 million de personnes avec des rations complètes pendant un mois.   

Il est urgent de mettre fin aux conflits et d’investir dans une paix durable, a répété le représentant, qui a dit la fierté du Royaume-Uni d’être l’un des principaux donateurs des appels humanitaires de l’ONU en fournissant une aide humanitaire de 3,5 milliards de dollars au cours des trois prochaines années.   

M. VASSILY A. NEBENZIA (Fédération de Russie) s’est dit préoccupé par les problèmes de sous-nutrition liés aux conflits qui sont observés dans une vingtaine de pays, dont cinq font face à un risque de famine.  Hélas, a-t-il dit, ce sujet grave est exploité par certains de façon éhontée comme moyen de pression géopolitique.  Selon lui, cette situation a commencé bien avant l’opération militaire spéciale en Ukraine, même si les pays occidentaux voient dans le rappel de ce fait de la désinformation et de la propagande.  En mai de cette année, a poursuivi le représentant, le monde s’est souvenu que les céréales représentent une source d’exportations importante depuis l’Ukraine.  Il a également été rappelé que 30% du blé mondial est exporté depuis la région de la mer Noire, sans préciser que la plus grande partie vient de Russie.  On a aussi dit que si le port d’Odessa était bloqué par la Russie, des millions de personnes mourraient.  Or, a-t-il martelé, la Russie n’a pas bloqué l’exportation de céréales, comme l’atteste le couloir humanitaire prévu à cet effet.  Les vraies raisons du blocage des exportations ukrainiennes sont tout autres, a affirmé le délégué, avant de rappeler qu’avant même la conclusion de l’accord d’Istanbul, les prix du blé avaient baissé, revenant à leur niveau de 2021.  Malgré cela, trois millions de tonnes de céréales ont ensuite pu être exportées, ce qui aurait dû entraîner une baisse des prix.  Celle-ci ne s’est pourtant pas concrétisée dans les pays du Sud, a-t-il constaté.  En effet, la moitié de toutes les cargaisons sont destinées à des pays à revenu supérieur, contre 3% seulement aux pays les plus pauvres.  Ce que l’on voit, c’est que la plupart des cargaisons vont vers l’Union européenne (UE), laquelle affirme qu’une partie du blé qui arrive chez elle est réexportée vers des pays dans le besoin.  Cette tâche est pourtant déjà effectuée par nos partenaires turcs, a signalé le représentant, ajoutant ne pas savoir grand-chose du retraitement opéré par l’UE.   

Dans ces conditions, comment peut-on continuer de croire que cette situation bénéficie aux pays les plus pauvres, s’est interrogé le représentant.  En imputant l’insécurité alimentaire au conflit en Ukraine, on ignore la politique monétaire irresponsable des pays occidentaux, a-t-il tonné, notant que l’augmentation du cours du dollar et des taux d’intérêt constitue une nouvelle menace pour les pays endettés.  Quant à l’accord d’Istanbul, il est largement entravé par les sanctions de ces mêmes pays, qui empêchent notamment les navires russes chargés de céréales et d’engrais d’arriver dans les ports européens.  Dénonçant l’hypocrisie des responsables de l’UE qui vont jusqu’à interdire aux transporteurs européens de véhiculer les cargaisons russes et de les acheminer vers des pays tiers, il a estimé que les marchés ont été déstabilisés par cette situation portuaire.  Nos producteurs sont pourtant prêts à les expédier à titre gracieux vers les pays qui en ont besoin, a-t-il assuré, ajoutant que, selon la CNUCED, si les agriculteurs de ces pays n’obtiennent pas les engrais d’ici à novembre, les prix vont encore augmenter, ce qui aggravera d’autant l’insécurité alimentaire.  Invitant l’ONU à contribuer aux efforts visant à empêcher que cette situation ne s’aggrave, il a déploré qu’en raison des restrictions bancaires, la Russie ne peut même pas venir en aide au PAM.  Elle cherche néanmoins des possibilités pour contribuer à la sécurité alimentaire mondiale, comme le prouve l’envoi de 6,6 millions de tonnes de céréales cette année, le total devant atteindre 50 millions à terme.  Pour cela, il est impératif selon lui que l’accord d’Istanbul soit pleinement mis en œuvre, sans sélectivité.  Avant de conclure, le représentant a souhaité attirer l’attention du Conseil sur la situation en Syrie, où l’insécurité alimentaire est la conséquence des actions occidentales, et sur les répercussions du gel à l’étranger des avoirs de l’Afghanistan, dont la population est au bord de la famine.   

Mme NATHALIE BROADHURST ESTIVAL (France) a déclaré que l’année 2022 marquerait un sombre record s’agissant du nombre de personnes en situation d’insécurité alimentaire, en raison des conflits, de la pandémie de COVID-19 et des changements climatiques.  La guerre d’agression de la Russie contre l’Ukraine aggrave l’insécurité alimentaire et accroît le risque de famine dans le monde.  En 2022-2023, ce sont jusqu’à 13 millions de personnes supplémentaires qui pourraient faire face à la sous-alimentation du fait de cette guerre, a insisté la représentante.  Selon elle, aucune sanction ne vise le secteur alimentaire et la France lutte pour que les produits agricoles ne deviennent en aucun cas une arme de guerre pour servir des buts géopolitiques.   

Seule une approche multilatérale, coordonnée et inclusive permettra de contrer le risque de famine et de prévenir les effets désastreux de la guerre menée par la Russie en Ukraine, a ajouté Mme Broadhurst Estival, qui a dit soutenir l’initiative lancée par le Secrétaire général, en réponse à la crise mondiale sur l’alimentation, l’énergie et les finances.  Les pays les plus exposés doivent recevoir les denrées qui leur sont nécessaires.  À ce titre, les accords conclus à Istanbul le 22 juillet dernier doivent être mis en œuvre afin que les céréales parviennent à ceux qui en ont besoin le plus urgemment.  Ce mécanisme doit être reconduit au-delà de sa durée initiale de quatre mois.  Les corridors de solidarité mis en place par l’Union européenne ont par ailleurs permis la sortie de plus de 10 millions de tonnes de céréales d’Ukraine depuis mars dernier, contribuant ainsi à faire baisser les prix et éviter une crise d’anticipation.   

Pour sa part, la France, avec l’Union européenne, a lancé l’initiative « Food & Agriculture Resilience Mission » (FARM) qui vise à soutenir les pays les plus touchés par la crise alimentaire mondiale, en améliorant la transparence des marchés agricoles, en favorisant un accès équitable aux denrées et produits agricoles à un prix raisonnable et en renforçant la production locale durable pour réduire les dépendances.  La représentante a appelé tous les acteurs à contribuer à ces efforts internationaux, y compris le secteur privé.   

La France, a indiqué Mme Broadhurst Estival, a augmenté sa contribution financière pour la sécurité alimentaire et la nutrition, qui devrait dépasser 706 millions d’euros cette année.  Elle soutient les projets portés par la société civile.  La représentante a également mentionné le doublement de l’appui financier de la France au PAM cette année et le financement du secrétariat établi par le Fonds international de développement agricole (FIDA).   

Prévenir la famine et les crises alimentaires implique également que toutes les parties aux conflits respectent leurs obligations dans le cadre du droit international humanitaire y compris les résolutions 2417 (2018) et 2573 (2021), a poursuivi la représentante.  La protection des civils et des infrastructures civiles est un impératif absolu.  L’accès humanitaire doit être garanti.  À plus long terme, la réponse à l’insécurité alimentaire passe nécessairement par une transformation des systèmes alimentaires, qui doivent devenir durables et résilients pour répondre aux effets des changements climatiques, à l’érosion de la biodiversité et à l’enjeu de l’accroissement de la population humaine.   

M. MAURIZIO MASSARI (Italie) a souligné la situation dramatique qui prévaut dans la région de la Corne de l’Afrique.  Il a fait savoir qu’avec les États-Unis, le Qatar et le Royaume-Uni, sa délégation organisera, durant la semaine du débat général, un évènement sur la situation humanitaire dans cette région en espérant sensibiliser le plus grand nombre.  Il a précisé que la sécurité alimentaire a toujours été une priorité de l’Italie et mentionné le soutien financier, politique et technique accru apporté à l’ONU, par l’entremise notamment des agences onusiennes basées à Rome.  Il a appelé tous les États Membres à augmenter leur appui.  Pour éviter le scénario du pire, un changement profond dans les attitudes et engagements est nécessaire, a souligné le délégué, en insistant sur l’importance cruciale d’une « diplomatie alimentaire » pour atténuer les effets de la crise alimentaire mondiale.   

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