Conseil de sécurité: sans une solution politique, le Soudan n’est pas à l’abri d’un « effondrement économique et sécuritaire », prévient le Représentant spécial
« À moins de rectifier la trajectoire actuelle, le Soudan se dirigera vers un effondrement économique et sécuritaire, assorti de souffrances humanitaires considérables », a mis en garde ce matin le Représentant spécial du Secrétaire général pour ce pays, M. Volker Perthes, en n’excluant pas une issue comparable à celle que connaissant la Libye ou le Yémen.
Venu présenter le dernier rapport en date du Secrétaire général sur la situation au Soudan et les activités de la Mission intégrée des Nations Unies pour l’assistance à la transition au Soudan (MINUATS), qu’il dirige, M. Perthes a constaté que le pays n’a toujours pas de gouvernement depuis le coup d’État perpétré par l’armée le 25 octobre 2021 et que les manifestations qui se tiennent régulièrement pour protester contre cette prise de pouvoir inconstitutionnelle sont férocement réprimées.
En conséquence, et en l’absence d’accord politique pour revenir à une transition acceptée de tous, la situation sur les plans économique, humanitaire et sécuritaire se détériore, marquée par la hausse de la criminalité et de l’anarchie dans le pays et des conflits intercommunautaires au Darfour. Partout, des femmes signalent leur inquiétude croissante quant à leur sécurité, même en plein jour, a relaté le Représentant spécial, pour qui le Soudan pourrait sombrer dans le conflit et les divisions comme cela a été le cas de la Libye ou du Yémen, alors que la région est déjà instable.
Le haut fonctionnaire a cependant salué les récentes mesures prises par les signataires de l’Accord politique pour débuter la constitution et l’entraînement de forces conjointes de sécurité. Un premier groupe d’environ 2 000 éléments issus des mouvements armés signataires est en cours de formation par les Forces armées soudanaises afin d’établir le noyau dur de ce qui sera une force de 12 000 hommes, s’est-il félicité.
Sur le plan politique, M. Perthes a rappelé que depuis la démission du Premier Ministre Hamdok le 2 janvier, la MINUATS avait lancé des consultations intensives en faveur d’un processus politique. Le rapport y relatif, rendu public le 28 février, synthétise les résultats des 110 réunions de concertation avec plus de 800 participants, dont des femmes.
Le Chef de la MINUATS a annoncé que l’ONU, l’Union africaine (UA) et l’Autorité intergouvernementale pour le développement (IGAD) avaient convenu d’unir leurs efforts pour soutenir le Soudan lors de la prochaine phase de ce processus. Cependant, pour qu’il ait une chance d’aboutir, des conditions préalables doivent être réunies, a averti M. Perthes, en citant la fin de la violence et la garantie du droit de manifester pacifiquement; la libération des prisonniers politiques ; et un engagement ferme à éliminer progressivement l’état d’urgence dans tout le pays. Il a aussi exhorté les autorités soudanaises à redoubler d’efforts pour garantir les pleines mises en œuvre du Plan national de protection des civils et de l’Accord de paix de Djouba.
Pour sa part, le représentant soudanais a insisté sur le fait que la MINUATS doit s’en tenir à faciliter le dialogue politique entre les parties sans essayer d’en influencer l’issue. S’agissant de l’Accord de Djouba, il a assuré que les autorités en place y restent attachées et que le Président du Conseil de souveraineté s’est rendu à El-Fasher, ce qui a permis de déboucher sur un accord sur le processus de désarmement, démobilisation et réintégration (DDR) et une condamnation des exactions perpétrées contre des sites de l’ONU.
Le pillage de la base logistique de la MINUATS a d’ailleurs été condamné par les membres du Conseil, notamment les A3 –Ghana, Gabon, et Kenya–, qui ont du reste salué les accords frontaliers passés entre le Soudan et l’Éthiopie pour éviter une reprise des heurts de 2021 et encourager la poursuite des négociations avec les groupes armés non-signataires de l’Accord de Djouba. Les pays africains siégeant au Conseil ont par ailleurs relevé que la situation socioéconomique du Soudan pâtit gravement de la suspension de l’aide financière internationale, laquelle pourrait encore s’aggraver en raison de la guerre en Ukraine.
Selon M. Perthes, les effets conjugués des conflits, de la crise économique et de mauvaises récoltes doubleront probablement le nombre de personnes souffrant de la faim aiguë au Soudan, pour atteindre 18 millions de personnes d’ici à septembre 2022, a-t-il précisé. L’absence d’investissements étrangers et la chute des exportations y sera pour beaucoup, sans compter que le Soudan risque de manquer les échéances fixées par la Banque mondiale et le Fonds monétaire international (FMI) pour les négociations en vue d’un soutien économique et budgétaire et un allègement de la dette de 50 milliards de dollars, après être devenu éligible en juin dernier à l’initiative en faveur des pays pauvres et très endettés (PPTE).
Pour d’autres délégations, dont l’Albanie et l’Irlande, il ne fait aucun doute que le Soudan subit les conséquences de l’invasion de l’Ukraine par la Fédération de Russie, qui a fait grimper les prix des denrées alimentaires. La déléguée russe a réfuté ces informations relayées « dans certains médias occidentaux », en expliquant que cela n’a rien à voir avec l’opération militaire spéciale menée en Ukraine mais plutôt avec le fait que son pays a été exclu du système SWIFT, ses navires bloqués, tout comme sa coopération avec certains organismes humanitaires.
Pour le Royaume-Uni, c’est le régime militaire qui est à l’origine de la suspension du soutien économique de la communauté internationale. Les sanctions unilatérales ne font que créer de nouveaux problèmes, a en revanche considéré la Chine, en appelant à « changer de logique et à traiter tous les pays sur un pied d’égalité ».
Le Soudan a par ailleurs regretté que le dernier rapport en date du Secrétaire général relaie « des faits erronés », notamment au sujet des violations des droits de la personne, abondamment dénoncées par le Représentant spécial, et reprenne des faits antérieurs à la période à l’examen. À l’avenir, il gagnerait à être davantage impartial, a souhaité la délégation, son homologue russe déplorant la « politisation » de ce document de travail. La Chine a pour sa part appelé la Mission à s’acquitter du mandat qui lui a été fixé et à tenir compte du point de vue des autorités soudanaises.
RAPPORTS DU SECRÉTAIRE GÉNÉRAL SUR LE SOUDAN ET LE SOUDAN DU SUD - S/2022/172
Déclarations
M. VOLKER PERTHES, Représentant spécial du Secrétaire général pour le Soudan et Chef de la Mission intégrée des Nations Unies pour l’assistance à la transition au Soudan (MINUATS), a relevé que depuis son dernier exposé au Conseil en janvier, la situation au Soudan ne s’est pas améliorée. Le pays est resté sans gouvernement depuis le coup d’État du 25 octobre 2021, des manifestations contre cet évènement se poursuivent, férocement réprimées. En conséquence, et en l’absence d’accord politique pour revenir à une transition acceptée, les situations économique, humanitaire et sécuritaire se détériorent. Le temps n’est pas du côté du Soudan, a-t-il noté, tout en se disant animé d’un sentiment d’urgence qui est également de plus en plus ressentie par les acteurs soudanais soucieux de la stabilité et de l’existence même de leur pays.
Sur le plan économique, le Représentant spécial a souligné que le 7 mars dernier, la Banque centrale a annoncé le flottement de la devise, aboutissant à une chute immédiate de la valeur de la livre soudanaise de plus de 35% par rapport au dollar américain. Dans le même temps, il y a eu une hausse des prix, entre autres, du pain, du carburant, de l’électricité, de médicaments, des soins de santé et des transports publics. Le Soudan risque également de perdre des milliards de soutien extérieur, car les décaissements de la Banque mondiale, du Fonds monétaire international (FMI) et d’autres bailleurs de fonds importants ont été suspendus, et continueront de l’être tant qu’aucun gouvernement ne sera en place. En bref, a résumé le haut fonctionnaire, aucun investissement étranger n’arrive et les exportations diminuent. De plus, le Soudan risque de manquer les échéances fixées par la Banque mondiale et le FMI pour les négociations en vue d’un soutien économique et budgétaire et un allègement de la dette de 50 milliards de dollars pour lequel le pays était bien parti, après être devenu éligible à l’initiative pays pauvre et très endetté (PPTE) en juin dernier.
M. Perthes a indiqué que les manifestations à Khartoum et ailleurs, bien qu’encore essentiellement politiques, ou « anti-coup », prennent progressivement une dimension socioéconomique, avec des slogans de plus en plus forts dénonçant la hausse du prix du pain et la détérioration des conditions de vie. L’aide humanitaire internationale s’est poursuivie et n’a jamais été en pause, mais le nombre de Soudanais dans le besoin augmente. La combinaison des effets des conflits, de la crise économique et des mauvaises récoltes doublera probablement le nombre de personnes confrontées à la faim aiguë au Soudan, pour atteindre 18 millions de personnes d’ici à septembre 2022, a-t-il prédit.
En l’absence de solution politique à la crise, la situation sécuritaire s’est également aggravée à travers tout le pays. La criminalité et l’anarchie progressent, et les conflits intercommunautaires au Darfour se sont intensifiés. Plus concrètement, les agriculteurs ont été dépossédés de leur terre, les biens des ménages pillés et des villages incendiés. Des femmes de toutes les parties du pays signalent leur inquiétude croissante quant à leur sécurité, même en plein jour. Lors des dernières violences recensées ce mois-ci, au moins 48 personnes ont été tuées et plus de 12 000 autres déplacées dans le cadre d’un conflit intercommunautaire lié à une dispute autour du contrôle de ressources aurifères à Jebel Moon, au Darfour occidental. La MINUATS a exhorté à plusieurs reprises les autorités à prendre les mesures nécessaires pour prévenir d’autres conflits. En outre, la Mission appuie la mise en œuvre des arrangements de sécurité au Darfour à travers la Commission permanente du cessez-le-feu qu’elle préside, le Représentant spécial précisant que le rôle et le mandat de la Commission restent limités à la protection des civils. Il a salué les récentes mesures prises par les signataires de l’Accord politique pour commencer la formation et la mise en place de forces conjointes de maintien de la sécurité. Un premier groupe d’environ 2 000 membres des mouvements armés signataires est en cours de formation par les forces armées soudanaises afin d’établir le noyau de ce qui devra former une force de 12 000 hommes.
M. Perthes a souligné que les revendications pour la fin du régime militaire se poursuivent à Khartoum et ailleurs. Dans le même temps, les manifestants continuent d’être tués ou gravement blessés et les arrestations ciblent de plus en plus les leaders de la contestation et des dirigeants politiques accusés d’infractions pénales. De nombreuses personnes interpellées n’ont pas accès à leur famille, à des avocats et à des soins médicaux. Alors que certains ont été relâchés, nombre d’entre eux étaient toujours détenus, a constaté le Représentant spécial. Dans le même temps, les femmes continuent d’être ciblées, victimes de violences et d’intimidation par des membres des forces de sécurité. Au 22 mars, il a été indiqué que 16 d’entre elles auraient été violées lors de manifestations à Khartoum, mais les chiffres pourraient être plus élevés en raison du peu de plaintes.
En réponse, le Groupe de travail sur la violence sexuelle, qui réunit l’ONU, la société civile locale et la cellule gouvernementale de lutte contre la violence contre les femmes du ministère soudanais des affaires sociales, continue de se réunir régulièrement pour coordonner et renforcer son action. M. Perthes a salué l’invitation et l’accès aux prisonniers donné par les autorités soudanaises à l’expert onusien des droits humains Adama Dieng en fin février. Des rapports inquiétants ont également fait état d’une hausse des tensions entre et au sein des différentes forces de sécurité. Des interlocuteurs craignent qu’en l’absence de solution politique, le Soudan puisse sombrer dans le conflit et les divisions comme on l’a vu en Libye, au Yémen et ailleurs, surtout que la région est déjà en proie à l’instabilité.
Par ailleurs, à la suite de la démission du Premier Ministre Hamdok le 2 janvier, la MINUATS a lancé des consultations intensives autour d’un processus politique. Elles se sont déroulées sur une période de cinq semaines pour entendre les Soudanais sur la sortie de crise et la restauration d’une démocratie crédible. Le rapport de ces consultations, publié le 28 février, donne un aperçu des avis et points de convergence et de divergence partagés avec la mission au cours de 110 réunions de concertation avec plus de 800 participants dont des femmes. Le Représentant spécial a évoqué un consensus sur la nécessité d’une armée professionnelle unifiée, ainsi que la mise en place de conditions pour des élections crédibles et un processus constitutionnel inclusif. Il a annoncé que l’ONU, l’Union africaine (UA) et l’Autorité intergouvernementale pour le développement (IGAD) ont convenu d’unir leurs efforts pour soutenir le Soudan au cours de la prochaine phase de ce processus politique, en tirant parti de leurs avantages comparatifs. Notre intention, a-t-il expliqué, est de faciliter une approche inclusive, un processus politique contrôlé et dirigé par les Soudanais, avec la pleine et entière participation significative des femmes, en se concentrant sur un nombre limité de priorités urgentes pour faire face à la crise actuelle et rétablir l’ordre constitutionnel. Au cours des deux dernières semaines, les trois organisations ont planché sur une approche commune, dans le but de jeter les bases de ce processus, y compris la tenue de consultations individuelles et conjointes avec certaines des principales parties prenantes.
Pour que ces pourparlers politiques aient une chance d’aboutir, des conditions doivent être créées, a prévenu M. Perthes. Il a ainsi évoqué la fin de la violence et la garantie du droit de manifester pacifiquement; la libération des prisonniers politique ; et un engagement ferme à éliminer progressivement l’état d’urgence dans le pays. « À moins que la trajectoire actuelle ne soit corrigée, le pays se dirigera vers un effondrement économique et sécuritaire, avec d’importantes souffrances humanitaires », a mis en garde le Représentant spécial, en appelant toutes les parties prenantes soudanaises à faire certains compromis.
M. JAMES KARIUKI (Royaume-Uni) a commencé par réaffirmer l’appui de son pays aux efforts de la MINUATS visant à surveiller la situation au Soudan, y compris les droits humains, comme mandaté par le Conseil de sécurité. Il a ensuite constaté que, depuis la dernière réunion sur le Soudan, l’évolution de la situation ne prête guère à l’optimisme. En effet, a-t-il dit, l’armée a pris le pouvoir le 25 octobre, affirmant que le Gouvernement civil ne parvenait pas à mettre en œuvre les principaux aspects de la transition. Pourtant, a observé le représentant, le pays était sur la voie d’une transition pacifique. Le coup d’État a, malheureusement, mis ces avancées en péril. Dans ce contexte, il s’est félicité des efforts déployés par l’ONU et l’Union africaine en vue de relancer les pourparlers et de rétablir la transition. Exhortant toutes les parties, y compris les militaires, à s’engager pleinement et de bonne foi dans la prochaine phase de négociations, il a également appelé les autorités soudanaises à autoriser les manifestations pacifiques, à lever l’état de d’urgence et à remettre en liberté détenus politiques, journalistes et militants.
De l’avis du délégué, la crise politique et les actions des militaires ont contribué à des retards dans la mise en œuvre de l’Accord de Djouba, entraînant davantage de violence et de marginalisation dans des régions comme le Darfour. Le coup d’État a eu pour conséquence regrettable d’aggraver les difficultés économiques et les besoins humanitaires croissants à travers le pays, a-t-il souligné, ajoutant que le régime militaire est à l’origine de la pause dans le soutien économique international. Nous espérons que le rétablissement rapide d’un gouvernement de transition dirigé par des civils créera des conditions propices à des réformes économiques et à un soutien international, notamment à un allégement de la dette, a conclu le représentant, en réitérant le soutien du Royaume-Uni au processus ONU-UA-IGAD.
Mme NATHALIE BROADHURST ESTIVAL (France) a estimé que la feuille de route présentée par le Représentant spécial n’est en aucun cas une « prescription », mais qu’elle consiste à identifier des convergences pour renouer le fil du dialogue. Elle a appelé de nouveau l’ensemble des acteurs internationaux à soutenir l’action de l’ONU, de l’UA et de l’IGAD, à ne pas interférer avec leurs efforts et à ne pas exploiter les fragilités du Soudan pour des question d’intérêt national. La priorité immédiate demeure de rétablir une transition démocratique, a identifié la représentante, soulignant l’impasse politique depuis le coup d’État qui remet en cause les acquis de la transition et menace la stabilité du pays: « La répression des manifestations, les violences sexuelles et le harcèlement de la société civile aggravent chaque jour les tensions, et la France les condamne. » Il incombe maintenant aux autorités militaires de créer les conditions d’une sortie de crise, en décidant le retour à l’ordre constitutionnel, en garantissant les libertés fondamentales, en libérant les détenus politiques et en poursuivant les responsables d’exactions contre les civils, a fait valoir Mme Broadhurst Estival. Elle a poursuivi en exigeant que le droit des Soudanaises et des Soudanais à exprimer pacifiquement leurs opinions sans crainte de violences soit garanti, souhaitant la coopération des autorités soudanaises avec la MINUATS dans la mise en œuvre de son mandat relatif aux droits de l’homme.
Également préoccupée par la recrudescence des violences au Darfour et dans les « Deux Régions », la déléguée a toutefois salué la poursuite des travaux du comité du cessez-le-feu, appuyés par la MINUATS, qui ont permis quelques avancées. Les autorités et les parties signataires doivent impérativement accélérer le déploiement de la force conjointe et s’accorder sur les modalités de la réintégration des combattants et l’accès humanitaire doit être garanti. Mme Broadhurst Estival a également encouragé les autorités à poursuivre leurs contacts avec les groupes non-signataires des accords de Djouba ainsi que leurs efforts pour apaiser les tensions dans l’est du Soudan.
Mme LINDA THOMAS-GREENFIELD (États-Unis) a jugé essentiel que la MINUATS soit en mesure de fournir une représentation complète et équilibrée de la situation au Soudan dans ses rapports au Conseil. Les États-Unis appuient pleinement les efforts de collaboration de la Mission, de l’UA et de l’IGAD pour faciliter un processus politique dirigé par les Soudanais, lequel rétablira une transition civile vers la démocratie. Pour que ce processus soit efficace, les services militaires et de sécurité doivent prendre des mesures concrètes pour créer un environnement dans lequel tous les acteurs peuvent participer en toute sécurité aux négociations, a plaidé la représentante. Elle a appelé les autorités soudanaises à mettre immédiatement fin aux détentions injustes d’activistes de la société civile, d’hommes politiques, de journalistes, de personnalités culturelles et de travailleurs humanitaires. De même, les autorités doivent autoriser les médias à rouvrir et mettre fin aux coupures de communication. Nous appelons également les autorités à tenir sans délai pour responsables les responsables d’atteintes et de violations des droits humains, y compris l’usage excessif de la force contre des manifestants pacifiques, a dit Mme Thomas-Greenfield.
C’est parce que les États-Unis sont aux côtés du peuple soudanais dans sa quête d’un Soudan démocratique, respectueux des droits de l’homme et prospère que Washington a désigné la police soudanaise comme auteure de graves atteintes aux droits humains commises lors de manifestations prodémocratie. Nous continuerons de tout mettre en œuvre pour arrêter la violence et faire pression pour une restauration de la transition démocratique au Soudan, a justifié la représentante. Elle a également promis que les États-Unis continueront à faire pression pour un accès humanitaire soutenu et sans entrave à toutes les populations touchées par le conflit et déplacées. Enfin, elle a condamné la violence au Darfour et ailleurs au Soudan, exprimant son inquiétude quant à son impact sur le peuple soudanais, avant d’exhorter les autorités soudanaises à mettre en œuvre le plan national de protection civile du Gouvernement soudanais.
Au nom des A3 (Gabon, Kenya, et Ghana), M. HAROLD ADLAI AGYEMAN (Ghana) s’est dit préoccupé par l’impasse politique au Soudan, qui a fait dérailler le processus de transition. Appelant de ses vœux le rétablissement d’un gouvernement civil, il a déploré l’absence, dans les circonstances actuelles, d’un Premier Ministre et de composantes émanant du Conseil de souveraineté. Sur cette base, le représentant a exhorté toutes les parties prenantes à mettre au cœur de leurs discussions les intérêts du peuple soudanais, afin d’ouvrir la voie à la paix et à la stabilité. Saluant à cet égard l’ouverture d’un processus intrasoudanais, il a noté que l’évaluation réalisée par l’Union africaine et l’IGAD fait état de défiance de part et d’autre. Il a donc appelé les dirigeants soudanais, la MINUATS et les organes régionaux à favoriser la confiance entre les différentes parties. Évoquant ensuite la poursuite de conflits intermittents et de violences entre communautés, il a demandé à chacun de faire preuve de retenue et de protéger les civils. Il a également appelé les autorités soudanaises à ne pas réprimer les personnes qui manifestent pacifiquement pour le retour à l’ordre constitutionnel. Après avoir dénoncé le pillage de la base logistique de la MINUATS, il a salué les accords frontaliers passés entre le Soudan et l’Éthiopie pour éviter une reprise des heurts de 2021 et encouragé la poursuite des négociations avec les groupes armés non-signataires de l’Accord de Djouba. Il a par ailleurs relevé que la situation socioéconomique du Soudan pâtit gravement de la suspension de l’aide financière internationale, avant d’avertir d’une possible aggravation en raison de la guerre en Ukraine. Selon le délégué, il importe par conséquent de régler les différends politiques pour aider les bailleurs de fonds à se réinvestir dans le pays.
Mme ANNA M. EVSTIGNEEVA (Fédération de Russie) a noté la complexité de la situation au Soudan avec une crise politique qui s’installe, la cessation du soutien des bailleurs de fonds et une crise économique et humanitaire. Elle a soutenu l’approche consistant à engager un dialogue national pour permettre à tous les acteurs soudanais d’œuvrer à une sortie de crise durable, ainsi que la poursuite du régime de cessez-le-feu sur tout le territoire, ainsi que l’attachement de sa délégation à l’accord de paix de Djouba. La représentante a également salué les efforts de l’IGAD et de l’UA au Soudan avant d’appeler toutes les parties soudanaises à accorder la priorité aux intérêts nationaux en soutenant le règlement des difficultés actuelles par la voie du dialogue.
S’agissant du dernier rapport en date du Secrétaire général sur la situation au Soudan, la Fédération de Russie lui reproche sa « politisation ». Ce document se concentre sur des questions « certes importantes, mais secondaires », au lieu de retenir aussi les progrès accomplis pendant cette période de transition, a regretté la représentante. Elle a donc demandé à la Mission politique spéciale de respecter à la lettre son mandat et de se garder de toute politisation. La Fédération de Russie est contre les mesures de pression politique et de chantage économique utilisées jusque-là au Soudan, a poursuivi la déléguée, convaincue que les Soudanais peuvent régler eux-mêmes leurs problèmes. Ces mesures n’ont fait que contribuer à l’instabilité dans le pays, a-t-elle estimé.
La déléguée a ensuite réfuté les informations relayées dans certains médias occidentaux accusant la Fédération de Russie d’être à l’origine de la flambée des prix des denrées alimentaires, en expliquant que cela n’a rien à voir avec l’opération militaire spéciale menée en Ukraine mais tout avec le fait que la Russie est exclue du système SWIFT, ses navires bloqués tout comme sa coopération avec certains organismes humanitaires. « N’écoutez pas les sirènes actuelles de la propagande antirusse », a-t-elle lancé aux autres membres du Conseil. Avant de conclure, la représentante a demandé que le délai du 31 août 2022 soit respecté pour l’élaboration de critères clairs de réévaluation de la situation au Soudan et le bien-fondé du régime des sanctions qui le vise.
M. T. S. TIRUMURTI (Inde) a relevé qu’une confiance et une compréhension mutuelles des parties soudanaises est cruciale pour sortir de l’impasse actuelle. Le processus de transition doit être inclusif afin de répondre aux préoccupations de toutes les parties. Le document constitutionnel de 2019 doit rester la base du processus de transition, a-t-il indiqué, avant de saluer les initiatives conjointes de l’ONU, de l’UA et de l’IGAD pour relancer les négociations entre les parties soudanaises.
Sur le plan économique, les derniers développements dans le pays ont conduit la communauté internationale à suspendre le soutien économique apporté au pays, a par ailleurs noté le représentant qui a souligné que le Soudan a besoin de « notre soutien à tous ». Il a déploré les cas de violences et de pillages au Darfour et a salué les mesures gouvernementales pour calmer la situation. La création d’une autorité pour l’égalité des sexes au sein de la police est également louable. Le délégué a espéré que le prochain rapport de la MINUATS prendra en compte les préoccupations formulées par la délégation soudanaise au sujet du non-respect du mandat de la MINUATS.
M. BING DAI (Chine) a estimé qu’en dépit des difficultés récentes, le processus de transition au Soudan va dans la bonne direction. La communauté internationale doit faire preuve de patience et aider le pays à évoluer en fonction de sa situation, a plaidé le représentant. Pour ce faire, il convient, selon lui, de faire progresser la transition avec le soutien de la communauté internationale. Dans ce cadre, le lancement du processus intrasoudanais doit être appuyé et bénéficier de la participation active de toutes les factions politiques soudanaises. De même, afin de prévenir toute interférence, la MINUATS doit se concentrer sur ses mandats et respecter le point de vue des autorités soudaines, a souligné le délégué, insistant sur le fait que les moyens de parvenir à la démocratie sont « divers » et qu’il importe d’éviter d’imposer des « conditions extérieures ».
Qualifiant par ailleurs la situation au Darfour de « stable », malgré la persistance d’affrontements communautaires et d’activités criminelles, il a condamné le pillage d’installations de la MINUATS et du PAM, avant de demander à être informé sur les progrès des enquêtes menées sur ces exactions. Il a également jugé essentiel de relancer la croissance économique du pays, au moment où l’inflation est forte et les revenus des ménages de plus en plus faibles, ce qui contribue à l’instabilité. À ses yeux, le fait que certains pays et organisations aient décidé de suspendre leur assistance au Soudan ne contribue pas à son relèvement. Il a donc appelé la MINUATS à mobiliser l’aide au gouvernement en place, estimant en outre qu’il convient de lever les sanctions à l’encontre du Soudan. Après le retrait de la MINUAD, il est aujourd’hui urgent d’augmenter les capacités des forces soudanaises, a-t-il affirmé, constatant que les sanctions unilatérales ne font que créer de nouveaux problèmes sur les plans alimentaire, énergétique et humanitaire. Il faut changer de logique et traiter tous les pays sur un pied d’égalité, a fait valoir le représentant.
Mme GERALDINE BYRNE NASON (Irlande) a condamné l’utilisation continue contre des civils, depuis le coup d’État d’octobre dernier au Soudan, de tactiques violentes par les forces de sécurité, qui ont fait des centaines de morts et de blessés, ainsi que la violence sexuelle à laquelle il est recouru pour intimider et punir femmes et hommes exerçant leurs droits civils et politiques. Elle s’est également dite préoccupée par la détention de manifestants, de militants et de personnalités politiques de premier plan, ce qui entrave le règlement politique de la crise. Mme Byrne Nason a souligné l’urgence de reprendre le chemin de la transition, de la consolidation de la paix et de la mise en œuvre de l’Accord de paix de Djouba, appelant aussi les autorités soudanaises à respecter leurs engagements en matière de justice transitionnelle, y compris l’obligation de coopérer avec la Cour pénale internationale.
Abordant ensuite la « catastrophe économique » à laquelle est confronté le Soudan, la représentante a affirmé qu’elle découle directement du coup d’État militaire. Les réformes économiques et de gouvernance durement gagnées ont été annulées par cet acte, a-t-elle regretté, avant même qu’elles n’aient eu la chance de profiter pleinement au peuple. En outre, il ne fait aucun doute à ses yeux que le Soudan subit les conséquences de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, qui fait grimper les prix des denrées alimentaires de base, a poursuivi la représentante, en rappelant que le PAM et la FAO ont annoncé que le nombre de personnes souffrant de faim aiguë au Soudan doublera probablement, pour atteindre plus de 18 millions d’ici à septembre 2022. En attendant le retour à l’ordre constitutionnel et à une transition démocratique civile, l’UE et la communauté internationale veilleront à ce que l’aide humanitaire continue d’être acheminée vers ceux qui en ont le plus besoin au Soudan, a assuré Mme Byrne Nason. Elle a conclu en soutenant le travail de l’Envoyé spécial Volker, aux côtés de l’UA et de l’IGAD, pour faciliter le processus de consultation politique. L’Irlande appelle toutes les parties à s’engager dans ce processus de bonne foi et avec un esprit d’ouverture afin de trouver un accord sur une sortie de crise et une transition menée par les civils.
M. FERIT HOXHA (Albanie) a regretté qu’aucun exposé n’ait été fait par un représentant de la société civile aujourd’hui, avant de se dire profondément préoccupée par les violations des droits humains commises au Soudan, en particulier par les forces de sécurité - y compris l’utilisation de balles réelles contre des manifestants et le recours à l’intimidation, au harcèlement et à la violence sexuelle contre les femmes et les filles. Pour le délégué, les auteurs doivent être tenus pour responsables de leurs actes. Il a ensuite salué les efforts de l’expert des droits de la personne des Nations Unies, M. Adama Dieng, réaffirmant que son travail doit se poursuivre sans entrave, et les autorités soudanaises pleinement coopérer avec lui. Le délégué a encouragé toutes les parties prenantes soudanaises à continuer de s’engager de manière constructive dans le processus politique pour restaurer une transition constitutionnellement légitime et reprendre le chemin d’une autorité civile et de la démocratie au Soudan. Il a constaté que ces derniers mois, l’instabilité politique à Khartoum a débordé, notamment au Darfour, où la violence est exacerbée par le retour des combattants de Libye. La communauté internationale se tient prête à renouer avec les autorités soudanaises politiquement, économiquement et financièrement, si une véritable volonté politique est observée sur le terrain, a assuré le représentant.
Mme MONA JUUL (Norvège) a salué le rôle joué par la MINUATS dans la conclusion de la première phase des consultations politiques au Soudan. Alors que le processus passe à la phase suivante, elle s’est félicitée de la coopération étroite entre l’ONU, l’Union africaine et l’IGAD, avant d’exhorter toutes les parties prenantes soudanaises à s’engager de manière constructive et inclusive dans ces pourparlers. Elle a toutefois constaté un ralentissement dans la mise en œuvre de l’Accord de Djouba, estimant que cette situation exige des signataires qu’ils s’impliquent de manière constructive et s’abstiennent de toute action illégale. Nous attendons des autorités soudanaises ainsi que des signataires et non-signataires de l’Accord qu’ils prennent des mesures urgentes de désescalade et réduisent le risque de nouveaux conflits, au Darfour comme dans le reste du pays, a-t-elle affirmé. Rappelant à cet égard que les autorités nationales sont responsables au premier chef de la protection des civils, notamment des enfants, elle a souhaité que le plan national prévu à cet effet soit rapidement mis en œuvre, avec le soutien de la MINUATS. Pour la représentante, seuls la reprise économique, la poursuite du développement et la relance de l’application de l’Accord de paix permettront au pays d’avancer vers la transition démocratique.
Préoccupé par l’impasse politique au Soudan, M. JOÃO GENESIO DE ALMEIDA FILHO (Brésil), a mis en garde contre ses conséquences potentielles à l’intérieur et à l’extérieur du pays. Constatant aussi le revers subi par la société civile soudanaise depuis le coup d’État, il a regretté que la transition civile amorcée en 2019 est maintenant dans l’impasse. Il a appelé à trouver un accord sur les préoccupations et valeurs commune, insistant en outre sur l’importance de consultations inclusives. Ces consultations ont permis à différentes voix de participer au débat politique, dont les femmes et les jeunes, a noté le délégué en insistant sur l’importance de l’inclusivité et d’un processus mené par les Soudanais eux-mêmes.
M. JUAN GÓMEZ ROBLEDO VERDUZCO (Mexique) a indiqué qu’après la fin de la première étape des consultations, il sera essentiel pour les parties d’assumer leur responsabilité et d’avancer dans le même esprit constructif. Bien que des divergences persistent, il existe aussi des domaines de consensus et c’est sur ceux-ci que vous devez vous concentrer, a-t-il dit à l’endroit des parties soudanaises. Le représentant a dit craindre que la situation sécuritaire, au Darfour notamment, ne menace de ralentir le processus politique. Il a condamné les violences intercommunautaires, ainsi que les agressions sexuelles contre les femmes, les graves violations contre les enfants et les disparitions de mineurs. Il est également déplorable que l’octroi de larges pouvoirs aux forces de sécurité pour faire face aux manifestations de ces derniers mois s’est traduit par des abus et violations des droits humains, a-t-il regretté. Préoccupé par le pillage de l’assistance humanitaire au Darfour, il a appelé les autorités à garantir la sécurité du personnel et des fournitures humanitaires. Il a ensuite exhorté les autorités soudanaises à redoubler d’efforts pour garantir la pleine mise en œuvre du Plan national de protection des civils et faire avancer la mise en œuvre de l’Accord de paix de Djouba.
Mme LANA ZAKI NUSSEIBEH (Émirats arabes unis) s’est félicitée de la poursuite des efforts de consultations entre les parties soudanaises pour faire avancer le processus de transition. Elle s’est cependant déclarée préoccupée par la situation socioéconomique et humanitaire du Soudan, regrettant à cet égard les effets négatifs qu’a eu la suspension de l’aide internationale sur l’économie du pays. Les prix alimentaires ont brusquement augmenté et la fourniture de biens et services essentiels connaît de graves contraintes, aggravées par la crise climatique, a-t-elle relevé, avant d’appeler les États Membres à répondre aux besoins humanitaires du pays. Elle a d’autre part déploré que moins de 5% des Soudanais sont complètement vaccinés contre la COVID-19, ce qui exige selon elle d’accroître les investissements dans le système sanitaire national. Pour ce qui est de la situation sécuritaire, la représentante a salué les efforts du gouvernement en place destiné à maintenir l’ordre. Elle a également estimé que l’opérationnalisation du Comité du cessez-le-feu permanent au Darfour est essentielle pour la stabilité, en particulier dans le contexte d’intégration des forces armées. Face à ces différents défis, a-t-elle ajouté, notre responsabilité principale doit être de favoriser les progrès de la transition politique et de soutenir les aspirations du « peuple frère » du Soudan.
M. AMMAR MOHAMMED MAHMOUD MOHAMMED (Soudan) est revenu sur les efforts consentis pour garantir le succès de la transition politique dans son pays en assurant que les acteurs de la société soudanaise continuent de participer au dialogue politique, en particulier les jeunes. Il a reconnu les difficultés rencontrées par le processus politique, tout en assurant que les autorités restent engagées à réaliser les objectifs et valeurs de 2019.
Pour cela, les autorités soudanaises souhaitent parvenir à un consensus sur une vision d’ensemble fondée sur un dialogue avec tous les acteurs du pays sans exception, la mise en place d’un gouvernement, des amendements constitutionnels et des élections libres et justes au terme du processus de consultations. À cet égard, le représentant a insisté sur le fait que le rôle de la MINUATS doit se limiter à faciliter le dialogue politique entre les parties sans essayer d’influencer l’issue de ces consultations. S’agissant de la mise en œuvre de l’Accord de Djouba, il a assuré que les autorités soudanaises y restent attachées et que le Président du Conseil souverain s’est rendu à Al-Fashar, ce qui a débouché entre autres sur un accord sur le processus de désarmement, démobilisation et réintégration (DDR) et une condamnation des exactions perpétrées contre des sites de l’ONU. Le représentant a de nouveau constaté qu’actuellement, les entités internationales et les bailleurs de fonds n’honorent pas leurs engagements financiers alors que le Gouvernement soudanais fait de son mieux pour traverser cette période politique très complexe. Il les a exhortés à soutenir son pays sans tarder.
Sur le plan économique, le Soudan continue de mettre en œuvre des réformes « lourdes mais nécessaires », comme le flottement complet du taux de change de la livre soudanaise, a expliqué le représentant, le but étant de stabiliser le taux de change et de renforcer la capacité d’attirer des ressources financières dans le pays. La reprise de la coopération et l’assistance au développement avec les partenaires bilatéraux et les institutions financières internationales sont essentielles, a-t-il insisté, avant d’appeler la communauté internationale à prêter l’assistance humanitaire requise aux nombreux réfugiés soudanais.
Évoquant le dernier rapport en date du Secrétaire général, le Soudan a regretté que ce rapport relate « des faits erronés », notamment au sujet des violations des droits de la personne, et reprenne des faits antérieurs à la période à l’examen. À l’avenir, ce rapport gagnerait à être plus professionnel et impartial, a estimé le représentant, pour aider le Conseil de sécurité à réellement suivre la situation sur le terrain.