Haïti: sur fond de violence accrue des gangs armés, malgré les sanctions, le Conseil de sécurité reporte ses espoirs sur la conclusion d’un accord politique
Réuni cet après-midi à la demande de la Fédération de Russie pour faire le point sur la situation en Haïti, deux mois après l’imposition d’un régime de sanctions contre ce pays, le Conseil de sécurité a résonné d’appels à la solidarité internationale et à la conclusion d’un accord politique inter-haïtien. Le Conseil a toutefois affiché ses divisions sur le bien-fondé du déploiement d’une force de sécurité internationale appelée à suppléer la Police nationale d’Haïti (PNH) face aux gangs armés, comme le réclame Port-au-Prince.
Présentant les derniers développements, « dans un contexte où la violence des gangs atteint des niveaux alarmants », la Représentante spéciale du Secrétaire général en Haïti et Cheffe du Bureau intégré des Nations Unies en Haïti (BINUH) s’est tout d’abord félicitée que le siège du principal terminal pétrolier du pays ait pris fin, début novembre, grâce à un effort concerté de la PNH. Mme Helen La Lime a cependant ajouté que l’espoir suscité par cette opération s’est rapidement dissipé en raison de la montée en puissance de l’activité des gangs, marquée par des pics d’enlèvements, de meurtres et de viols.
Cette violence a alimenté la résurgence du choléra, accru l’insécurité alimentaire à des niveaux inimaginables, entraîné le déplacement de 155 000 personnes et perturbé l’éducation de milliers d’enfants, a déploré la Vice-Secrétaire générale de l’ONU, Mme Amina Mohammed, réaffirmant la solidarité de l’Organisation avec le peuple haïtien « en ces temps extrêmement difficiles ».
Alors que l’état catastrophique de l’économie haïtienne ne fait qu’aggraver le sort des millions de personnes qui vivent au milieu de cette violence, Mme La Lime a encore noté que l’adoption, le 21 octobre dernier, de la résolution 2653 (2022), qui prévoit un régime de sanctions ciblant les fauteurs de troubles, a été largement saluée par les Haïtiens. En tant que Président du Comité du Conseil de sécurité établi par cette résolution, l’Ambassadeur du Gabon, M. Michel Xavier Biang, a précisé que lesdites sanctions prévoient une interdiction de voyager, un gel des avoirs et un embargo sur les armes ciblé.
Ces sanctions ont semblé créer un « nouveau sentiment d’urgence » quant aux moyens de restaurer les institutions démocratiquement élues, a relevé Mme La Lime, en indiquant que le BINUH a activement soutenu les efforts visant à faire avancer le dialogue politique. Le processus a débouché sur l’élaboration d’un document de « consensus national » qui détaille les étapes devant conduire à la tenue d’élections dans un délai de 18 mois. Une avancée confirmée par le Ministre des affaires étrangère d’Haïti, qui a annoncé la signature, dans la matinée, de ce document par le Premier Ministre haïtien, M. Ariel Henry, à l’issue d’une réunion avec les représentants de la société civile, des partis politiques et du secteur privé. M. Jean Victor Généus a également fait état de la formation prochaine d’un Haut Conseil de la transition en vue d’organiser des élections dans le courant de 2023.
Contributeur au journal « Haïti Liberté », M. Kim Ives a émis un avis discordant sur les sanctions. Il a reproché au Conseil de vouloir « couper à la racine » la tentative d’autodéfense de comités civils créés pour combattre la criminalité en sanctionnant une seule personne, Jimmy Chérizier, connu sous le nom de « Barbecue » et porte-parole d’une fédération de quartiers, le « G9 ». Cet opposant au Gouvernement haïtien a été appuyé sur ce point par la Fédération de Russie, selon laquelle les sanctions voulues par les États-Unis et le Canada pourraient viser « non pas que des bandits et des chefs de gangs, mais aussi des personnalités politiques de l’opposition susceptibles de gêner les ambitions de ces deux pays ».
Mme La Lime a, quant à elle, soutenu que les sanctions seront plus efficaces dans le cadre d’une approche globale comprenant à la fois le dialogue politique en cours et un soutien opérationnel renforcé à la PNH. Cette dernière a besoin d’une assistance « sous la forme d’une force spécialisée », comme indiqué dans la lettre du Secrétaire général du 8 octobre et comme réclamé par le Gouvernement et la société civile d’Haïti. La Représentante spéciale a été rejointe par plusieurs délégations, à commencer par celle des États-Unis, co-porte-plume sur ce dossier, qui a insisté sur l’importance d’une « force multinationale non onusienne » pour appuyer la PNH et rétablir l’ordre.
Voisine d’Haïti, la République dominicaine, représentée par son Ministre des affaires étrangères, M. Roberto Álvarez Gil, a abondé dans le même sens, soulignant la nécessité, en sus de la formation de la PNH, d’une « force robuste, capable de rétablir la paix et de mettre fin à la violence déchaînée par des gangs armés ». Une position partagée par la Norvège et le Ghana, qui ont tous deux souhaité que soient élargies les consultations sur les propositions de déploiement d’une « mission internationale d’assistance à la sécurité » en Haïti. Plus mesurée, la France a appelé à soutenir plus efficacement la PNH avec des équipements, des financements et de la formation.
Favorable elle aussi aux sanctions, la Chine a, de son côté, rappelé qu’elle avait été la première à proposer ce train de mesures contre les gangs et leurs parrains et qu’elle avait demandé au Secrétaire général de formuler des recommandations sur la façon d’aider la PNH à les combattre. De l’avis de la Fédération de Russie, il n’existe pas de formule toute faite pour remettre le pays sur la voie du développement durable. « Nous doutons, comme d’ailleurs la majorité des Haïtiens, que le déploiement d’une force internationale de sécurité pourra changer fondamentalement la situation dans ce domaine », a souligné la délégation russe, pour qui l’état de délitement avancé des institutions haïtiennes est le résultat de « l’ingérence au long cours des États-Unis et des effets néfastes de la colonisation française ».
La Vice-Secrétaire générale de l’ONU a, pour sa part, exhorté tous les pays ayant la capacité de le faire à accorder une attention urgente à la demande d’une « force armée internationale spécialisée » soumise par le Gouvernement haïtien en vue de rétablir la sécurité et d’atténuer la crise humanitaire. « C’est absolument essentiel pour que Haïti retrouve la stabilité institutionnelle et reprenne le chemin de la paix et du développement durable », a plaidé Mme Mohammed, tandis que le Canada, au nom du Groupe consultatif ad hoc sur Haïti de l’ECOSOC, insistait sur la nécessité d’un « très fort consensus » avant tout déploiement d’une « mission de paix ».
LA QUESTION CONCERNANT HAÏTI
Déclarations
Mme AMINA J. MOHAMMED, Vice-Secrétaire générale de l’ONU, a indiqué que, lors de sa dernière visite en Haïti en février dernier, elle a constaté de gros efforts de reconstruction consécutifs au tremblement de terre qui a frappé la péninsule méridionale en 2021. Elle a dit avoir été encouragé par les efforts nationaux de redressement et par la solidarité des partenaires internationaux d’Haïti. Beaucoup espéraient alors que les négociations politiques traceraient une nouvelle voie vers la stabilité et le développement durable, mais, en cette fin d’année, le pays est plongé dans une crise d’une ampleur et d’une complexité sans précédent, a-t-elle déploré. Les efforts pour engager le dialogue n’ont pas réussi à créer un consensus sur la voie à suivre, a observé Mme Mohammed, avant de dénoncer la violence des gangs, qui paralyse le pays et entrave la libre circulation des personnes, des biens et de l’aide humanitaire. Cette violence a alimenté la résurgence du choléra, accru l’insécurité alimentaire à des niveaux inimaginables, entraîné le déplacement de 155 000 personnes et perturbé l’éducation de milliers d’enfants, s’est-elle émue, réaffirmant la solidarité de l’ensemble de l’Organisation avec le peuple haïtien « en ces temps extrêmement difficiles ».
« Comme toujours, ce sont les communautés vulnérables qui souffrent le plus », a souligné la Vice-Secrétaire générale, selon laquelle 90% des cas de choléra se trouvent dans des zones souffrant déjà de taux élevés de malnutrition aiguë sévère. Mme Mohammed s’est également alarmée des informations faisant état de violences sexuelles généralisées par des gangs armés, assurant que « l’ONU continuera de donner une voix aux femmes et aux filles vivant dans des communautés contrôlées par ces bandes », tout en s’employant à réduire leur vulnérabilité à la violence et à demander que des comptes soient rendus pour ces crimes odieux. Dans ce contexte, elle a appelé à davantage de solidarité de la part de la communauté internationale. Saluant les mesures déjà prises, notamment les sanctions ciblées destinées à soutenir la stabilité d’Haïti, elle a estimé qu’il est temps de transformer la crise actuelle en une opportunité pour permettre au pays de « rebondir plus fort ».
Mme Mohammed a ainsi exhorté tous les pays ayant la capacité de le faire à accorder une attention urgente à la demande d’une force armée internationale spécialisée soumise par le Gouvernement haïtien en vue de rétablir la sécurité et d’atténuer la crise humanitaire. « C’est absolument essentiel pour que Haïti retrouve la stabilité institutionnelle et reprenne le chemin de la paix et du développement durable », a-t-elle soutenu, réitérant l’appel lancé en octobre par le Secrétaire général en faveur d’un soutien international à la Police nationale d’Haïti. Malgré la fin du siège du terminal pétrolier de Varreux, la solidarité et l’action de la communauté internationale restent nécessaires, a insisté la Vice-Secrétaire générale, pour qui cette crise est « un test de notre solidarité avec des personnes en profonde souffrance ». Au-delà de l’urgence immédiate, Haïti aura également besoin d’un soutien international pour s’attaquer aux causes structurelles de cette crise et briser les cycles qui ont entravé son développement pendant si longtemps, a ajouté la haute fonctionnaire, en affirmant que le développement inclusif et durable est « l’outil ultime de prévention des crises de l’humanité ».
Mme HELEN LA LIME, Représentante spéciale du Secrétaire général en Haïti et Cheffe du Bureau intégré des Nations Unies en Haïti (BINUH), a présenté les derniers développements sur les plans politique, sécuritaire et des droits humains en Haïti, « dans un contexte où la violence des gangs atteint des niveaux alarmants ». Le siège du principal terminal pétrolier d’Haïti, qui avait coïncidé avec des mois de protestations, de perturbations « orchestrées » et de barrages routiers armés à travers le pays, a pris fin début novembre grâce à un effort concerté de la Police nationale d’Haïti. Le carburant a commencé à circuler dans un certain nombre de quartiers de la région de Port-au-Prince, ce qui a permis aux hôpitaux et aux entreprises de rouvrir, créant ainsi « l’apparence d’un possible retour à la normale », a précisé la haute fonctionnaire.
Cet espoir a cependant été rapidement dissipé, car un nouveau niveau d’activité des gangs s’est immédiatement fait sentir dans la capitale, marqué par des pics d’enlèvements, de meurtres et de viols. Le mois de novembre a été marqué par 280 homicides volontaires, « le chiffre le plus élevé jamais enregistré » et le nombre d’enlèvements avec demande de rançon est tout aussi inquiétant, s’est alarmée la Représentante spéciale. Les enlèvements signalés en 2022 ont jusqu’à présent dépassé les 1 200 cas –le double du nombre enregistré en 2021– faisant de chaque déplacement pour les Haïtiens une véritable « épreuve ». La hausse des viols enregistrés reflète un mode opératoire horrible de la part des gangs qui se servent de la violence sexuelle pour intimider et soumettre des communautés entières. La brutalité avec laquelle ces violences sont commises est devenue un signe de notoriété pour leurs auteurs, s’est indignée Mme La Lime.
La situation économique catastrophique en Haïti ne fait qu’aggraver le sort des millions de personnes qui vivent au milieu de cette violence. « Toutes les routes principales d’entrée et de sortie de la capitale sont contrôlées par les gangs, ce qui entrave le commerce », a expliqué la Représentante spéciale. Près de la moitié de la population souffre d’insécurité alimentaire, et quelque 20 000 personnes sont confrontées à des conditions proches de la famine. Outre l’ampleur des déplacements, 34% des écoles restent fermées. Et tandis que les autorités haïtiennes font de leur mieux, avec le soutien des Nations Unies, pour gérer le choléra, les cas suspects ont atteint 15 000, dans les 10 départements du pays.
L’annonce de l’adoption de la résolution 2653 (2022), le 21 octobre dernier, a été largement saluée par les Haïtiens, a poursuivi la haute fonctionnaire. Les sanctions bilatérales qui ont suivi ont semblé susciter un nouveau sentiment d’urgence quant aux moyens de restaurer les institutions démocratiquement élues. Certains membres de la société civile, a expliqué Mme La Lime, ont appelé les personnes visées à quitter leurs fonctions. Alors que le débat s’intensifiait, le BINUH a poursuivi ses efforts pour faire avancer le dialogue politique. En octobre et novembre, des organisations de la société civile ont lancé un nouveau cycle de consultations inclusives sur une feuille de route transitoire, avec des membres de l’accord de Montana, des associations du secteur privé, des syndicats et des organisations religieuses. Un document de « consensus national » a été élaboré à l’issue de ce processus. Il comprend, a précisé Mme La Lime, des étapes pour amener le pays à tenir des élections dans un délai de 18 mois, avec un conseil de transition et un mécanisme de surveillance.
« Au moment où j’informe le Conseil, des consultations intensives, associées à des efforts pour élargir le soutien au document de ‘ consensus national ’, sont en cours », a informé la Représentante spéciale, qui a encouragé tous les secteurs de la société à mettre de côté leurs différences et à forger une voie commune pour faire avancer le pays. Alors que le Gouvernement continue à investir dans la Police nationale d’Haïti, avec six nouveaux véhicules blindés reçus en octobre et une douzaine d’autres attendus pour 2023, celle-ci continue à manquer de ressources et n’est pas suffisamment équipée pour faire face à « l’énormité de la tâche » à accomplir. Les défis posés par les gangs sont encore aggravés par le fait que la Police nationale continue de se réduire, son effectif opérationnel étant passé à moins de 13 000 personnes, dont moins de 9 000 sont disponibles en tant qu’officiers en service actif, a relevé la Représentante spéciale. Certes, quelques opérations efficaces contre les gangs de Port-au-Prince ont été montées, mais maintenir ces gains de sécurité reste un défi.
« La Police nationale d’Haïti a besoin d’une assistance sous la forme d’une force spécialisée, comme indiqué dans la lettre du Secrétaire général du 8 octobre », a fait valoir la Représentante spéciale. Les groupes de la société civile, les organisations politiques, les chambres de commerce et les groupes religieux demandent de plus en plus un soutien opérationnel international à la police -avec des paramètres clairs sur les termes de l’engagement et une approche intégrée- qui travaillerait aux côtés de la Police nationale, et ne se substituerait pas à elle.
Un nombre important d’interlocuteurs haïtiens soutiennent l’adoption de sanctions comme un outil crucial dans la lutte contre la corruption et l’impunité, a poursuivi Mme La Lime. Néanmoins, les sanctions seront plus efficaces dans le cadre d’une approche globale, qui comprend à la fois le dialogue politique en cours et un soutien opérationnel renforcé à la PNH, comme indiqué dans la lettre du Secrétaire général. Ces trois approches en parallèle seront essentielles pour rétablir l’ordre, la confiance du public et l’espoir d’un avenir meilleur pour le pays. Les Haïtiens ne méritent rien de moins, a-t-elle conclu.
M. MICHEL XAVIER BIANG (Gabon), s’exprimant en tant que Président du Comité du Conseil de sécurité établi par la résolution 2653 (2022) concernant Haïti, a rappelé que cette résolution exige la cessation immédiate de la violence, des activités criminelles et des atteintes aux droits humains, qui compromettent la paix, la stabilité et la sécurité d’Haïti et de la région, notamment les enlèvements, les violences sexuelles et fondées sur le genre, la traite des personnes et le trafic de migrants, ainsi que les homicides, les exécutions extrajudiciaires et le recrutement d’enfants par les groupes armés et les réseaux criminels. Le représentant a précisé que ladite résolution a pris trois mesures de sanctions portant respectivement sur l’interdiction de voyager, un gel des avoirs et un embargo sur les armes ciblé. Il a expliqué que le Conseil de sécurité a décidé que le Comité allait promulguer les directives nécessaires pour favoriser la mise en œuvre des mesures de sanctions susmentionnées.
En ce qui concerne la nomination des membres du groupe de quatre experts, M. Biang a indiqué avoir fait circuler le 12 décembre dernier une liste de quatre candidats spécialisés dans les réseaux criminels. Ce groupe d’experts, créé pour une période initiale de 13 mois, est placé sous l’autorité du Comité. Il sera chargé de présenter au Conseil de sécurité, après concertation avec le Comité, un rapport d’activité le 15 mars 2023 au plus tard, un rapport final le 15 septembre 2023 au plus tard, et d’autres rapports périodiques dans l’intervalle.
M. KIM IVES, du journal Haïti Liberté, a estimé que ce Conseil n’a que des « demi-vérités » en sa possession concernant la situation en Haïti. « On vous a dit que les gangs ont mis le pays en coupe réglée et que le pouvoir de ce Conseil est nécessaire pour y mettre un terme. » L’autre moitié de vérité, celle que vous ignorez, est que les deux interventions militaires de l’ONU ont, par le passé, tellement fragilisé l’État que les gangs se sont engouffrés dans le vide créé, a-t-il tranché. Il a aussi mis en garde contre la confusion entre ces gangs et les comités civils d’autodéfense qui se sont formés pour combattre la criminalité. « Les bons et les mauvais sont mis dans le même panier des gangs. »
M. Ives a reproché au Conseil de vouloir désormais couper à la racine cette tentative d’autodéfense en sanctionnant une seule personne, laquelle est accusée d’avoir commis des violations. Cet homme est Jimmy Cherizier, connu sous le nom de « Barbecue », porte-parole d’une fédération de quartiers, le G9, et qui était à ses débuts un policier exemplaire, a-t-il expliqué. Le G9 a essayé de faire baisser la violence et établi une trêve en juillet 2020, a dit l’intervenant, avant de dénoncer les efforts de désinformation de l’oligarchie haïtienne visant à faire croire que Mme La Lime contrôlait le G9. Un élément de fiction, à force d’être répété, peut devenir un fait, « ce qui a poussé l’ONU à sanctionner un combattant engagé dans la lutte contre la criminalité ». Une erreur de cette ampleur s’explique par les informations erronées reçues par ce Conseil, a-t-il avancé. « Les sanctions doivent être étayées par des éléments de preuve et ne doivent pas résulter de machinations politiques. »
M. Ives a critiqué Mme La Lime pour avoir dit à ce Conseil que le Premier Ministre, M. Ariel Henry, veut le dialogue alors qu’il n’a quasiment aucune légitimité. « Pourquoi Mme La Lime parle de gangs criminels et ne qualifie pas M. Henry de criminel? » Il a estimé que ces éléments ont ouvert la voie à l’appel lancé par M. Henry à ce Conseil pour une intervention militaire en Haïti, malgré l’opposition de la population. « La situation ne pourra pas être réglée par une énième intervention étrangère ou par des sanctions », a-t-il argué. Selon lui, le peuple haïtien doit résoudre ses problèmes de lui-même, l’ONU devant, pour sa part, lui fournir une aide économique désintéressée.
M. VASSILY A. NEBENZIA (Fédération de Russie) a jugé utile d’inviter des experts capables, comme M. Kim Ives, de communiquer des informations complémentaires pour que le Conseil de sécurité puisse examiner les questions dont il est saisi sous différents angles. Selon le représentant, il n’existe pas de formule toute faite et de solution rapide pour remettre le pays sur la voie du développement durable. « Nous doutons, comme d’ailleurs la majorité des Haïtiens, que le déploiement d’une force internationale de sécurité pourra changer fondamentalement la situation dans ce domaine », a-t-il ajouté, affirmant que les institutions politiques et du droit sont dans un état avancé de délitement en raison de l’ingérence au long cours des États-Unis en Haïti et des effets néfastes de la colonisation française. Sur ce dernier point, il s’est dit effaré que, récemment, les descendants des opprimés d’hier aient dû payer des sommes exorbitantes aux banques parisiennes des anciens oppresseurs. Les élites haïtiennes ont le sentiment d’être dépendants de leurs protecteurs et parrains extérieurs, a-t-il dit, jugeant que, dans ce contexte, la première responsabilité de la communauté internationale est d’organiser un dialogue pan-national pour qu’émerge une classe politique « capable de faire le ménage dans sa maison ». Nous savons comment opère Washington quand les États-Unis souhaitent soumettre un pays: ils mettent en place un régime de sanctions ciblant des entités qui lui font de l’ombre, a-t-il ensuite lancé, avertissant que les sanctions voulues par les États-Unis et le Canada pourraient viser non pas que des bandits et des chefs de gangs, mais aussi des personnalités politiques de l’opposition susceptibles de gêner les ambitions de ces deux pays. Le représentant a assuré que la Russie reste prête à continuer de veiller à ce que les Haïtiens jouissent de l’ordre du droit et qu’ils puissent exprimer leurs aspirations dans le cadre de processus souverains et démocratiques.
M. JUAN RAMÓN DE LA FUENTE RAMÍREZ (Mexique) a rappelé que l’assassinat du Président Moïse, qui n’est toujours pas résolu, avait précipité les niveaux de violence qui entravent la tenue des élections en Haïti, tandis que des gangs ont pris le contrôle de lieux stratégiques et entravent l’acheminement de l’aide humanitaire et des biens essentiels. Une situation qui a incité le Mexique et les États-Unis à promouvoir une résolution visant à sanctionner ces criminels, a rappelé le représentant. Après l’adoption de la résolution 2653 (2022), le nouveau régime de sanctions a commencé à avoir un impact sur la situation sur le terrain, a-t-il dit. Nous sommes convaincus qu’avec le début des travaux du Comité des sanctions, soutenu par un groupe d’experts nouvellement nommé, des mesures continueront d’être prises contre les responsables de la violence et de l’instabilité, y compris ceux impliqués dans le trafic d’armes. Dans le même temps, les principaux acteurs politiques doivent parvenir à un consensus minimum sur l’avenir de leur propre pays, a préconisé le représentant. Il est également nécessaire de mettre fin à la corruption, principale cause de l’inégalité, de la pauvreté, de la frustration, de la violence, de la migration et de graves conflits sociaux.
M. ROBERT A. WOOD (États-Unis) a déclaré que son pays continue d’essayer de remédier à la dégradation de la situation humanitaire et à l’insécurité en Haïti. Il s’est dit encouragé par la volonté affichée par le Premier Ministre haïtien de parvenir à un accord d’ici à la fin de l’année, tout en faisant part de son « optimisme prudent » malgré l’implication de la société civile et du secteur privé. Le représentant a également salué l’action du Gabon, qui, à la tête du nouveau comité de sanctions, a élaboré des directives de travail. Avec le Mexique, qui est l’autre porte-plume sur ce dossier, nous avons présenté la résolution sur le régime de sanctions qui est une étape importante pour le peuple haïtien, a expliqué le représentant. Selon lui, ces mesures auront une incidence pour les dirigeants des gangs armés à l’origine de la crise. « Nous continuerons à cibler ces criminels ainsi que ceux qui les financent », a-t-il promis. Tout en se réjouissant que la Police nationale d’Haïti ait réussi à lever le blocage du terminal de Varreux, le représentant a constaté que les enlèvements, les violences sexuelles, les affrontements entre bandes rivales et les barrages routiers continuent de poser de grandes difficultés. Dans ce contexte, il a insisté sur le soutien de la communauté internationale, y compris au sujet de la force multinationale non onusienne demandée par le Gouvernement haïtien. Les États-Unis, a-t-il assuré, continueront à fournir une aide bilatérale à Haïti, notamment pour répondre aux situations de quasi-famine et au choléra. Dans l’immédiat, ils appellent les donateurs à accroître leur soutien dans cette période cruciale. Le représentant a rappellé également la nécessité de trouver des solutions inclusives pour faire avancer un accord politique et de mener des réformes dans les secteurs de la sécurité et de l’économie.
Mme SIOBHÁN MILEY (Irlande), si elle s’est félicitée de la fin du blocus du terminal de Varreux, qui a réactivé l’approvisionnement en carburant en Haïti, a considéré que le peuple d’Haïti ne connaîtra la paix que lorsque l’État reprendra le contrôle du territoire national. Elle a donc salué les efforts déployés pour apporter un soutien à la Police nationale d’Haïti à cet égard. Pour la représentante, alors qu’une catastrophe humanitaire est en train de se produire dans le pays, les souffrances prolongées du peuple haïtien persisteront sans une résolution immédiate et durable de la crise politique. Aussi a-t-elle réitéré son appel urgent à tous les acteurs politiques en Haïti pour qu’ils mettent de côté leurs intérêts particuliers dans l’intérêt supérieur du peuple haïtien afin de trouver une solution qui conduira au rétablissement d’un gouvernement, d’un corps législatif et d’un système judiciaire opérationnels.
M. RONALDO COSTA FILHO (Brésil) a salué les progrès réalisés sur le terrain depuis la dernière réunion d’octobre, notamment avec la libération de la gare routière de Varreux responsable de 70% de l’approvisionnement en carburant d’Haïti. Cela montre la capacité et l’engagement de la Police nationale d’Haïti, a estimé le représentant tout en reconnaissant une situation générale difficile et inquiétante, car les gangs continuent d’être une force perturbatrice au sein de la société, rendant presque impossible la reprise de la normalité institutionnelle et le bon fonctionnement des services publics. De plus, il a souligné que l’épidémie actuelle de choléra pose des risques importants pour la population haïtienne, si elle n’est pas contrôlée de manière adéquate. Alors qu’Haïti reste profondément plongé dans une crise multidimensionnelle, l'absence de progrès sur le front politique au cours des derniers mois est stupéfiante, a déploré le représentant, en notant que l’impasse politique actuelle et les crises humanitaire et sécuritaire en Haïti se renforcent mutuellement. Face à ce constat, il a jugé qu’un accord politique entre les principaux groupes politiques en Haïti est essentiel pour que le pays entame un processus de guérison et rétablisse une gouvernance institutionnelle et démocratique.
Par ailleurs, le représentant du Brésil a espéré que le régime de sanctions adopté à l’unanimité en octobre dernier établira des sanctions ciblées contre ceux qui se livrent à la violence ou la soutiennent, qu’ils soient puissants ou non. Prenant note des options communiquées par le Secrétaire général dans sa lettre du 9 octobre pour renforcer la sécurité en Haïti et de l’appel du Gouvernement haïtien à recevoir un soutien armé spécialisé pour aider à contrôler la crise humanitaire dans le pays, il a dit attendre avec intérêt de discuter avec les membres du Conseil d’une résolution sur la question. Il a ensuite exhorté tous les acteurs politiques haïtiens à approfondir le dialogue actuel et à s’accorder d’urgence sur une voie politique à suivre. Le Brésil croit aux solutions dirigées par les Haïtiens, qui ne se concrétiseront que si les parties prenantes haïtiennes acceptent de parler et de faire des compromis, ouvrant la voie à des élections équitables et à la reprise du fonctionnement normal de l’institution haïtienne, a-t-il conclu
M. MARTIN KIMANI (Kenya) a estimé que les gangs peuvent être vaincus grâce à un processus politique crédible, des forces de maintien de l’ordre robustes et un soutien institutionnel. Une nouvelle intervention de ce Conseil devra éviter les erreurs désastreuses du passé et être assortie d’un concept d’opérations et d’une stratégie de sortie clairs, a-t-il estimé. Pour gagner la confiance de la population, a-t-il ajouté, des contributions africaines et caribéennes seront cruciales. Il a aussi plaidé pour une enquête transparente et neutre sur les dimensions internationale et historique des crises affectant le pays.
M. HAROLD ADLAI AGYEMAN (Ghana) a jugé que tant que les activités des gangs violents d’Haïti ne seront pas freinées, il ne pourra y avoir de sécurité et de stabilité dans le pays. Bien que ces dernières semaines les forces de sécurité haïtiennes aient réussi à reprendre le contrôle du terminal pétrolier de Varreux, et que la distribution de carburant ait repris dans la capitale, des gangs contrôlent toujours les principales routes vers le nord et le sud, obstruant l’approvisionnement d’autres régions, a-t-il constaté. Dans ce contexte, il a dit attendre avec impatience la constitution du groupe d’experts dont le travail devrait contribuer à la mise en œuvre de sanctions ciblées contre les chefs de gangs et leurs parrains à l’intérieur comme à l’extérieur d’Haïti. Le représentant a préconisé que soient renforcées les consultations régionales sur les propositions en suspens concernant le déploiement d’une mission internationale d’assistance à la sécurité en Haïti, déploiement que le Conseil de sécurité pourrait appuyer. Selon lui, un tel déploiement, s’il voit le jour, devra être accompagné d’un soutien au renforcement des capacités de la Police nationale d’Haïti et des institutions de l’État, y compris le système de justice pénale. Enfin, le représentant a appelé tous les acteurs politiques à redoubler d’efforts pour parvenir à un consensus sur un processus politique dirigé par les Haïtiens et conduisant à la tenue d’élections nationales.
M. GENG SHUANG (Chine) a rappelé qu’en 2022, Haïti avait dû affronter des gangs toujours actifs, une résurgence du choléra, des pénuries alimentaires, énergétiques et des violences croissantes contre des femmes et des enfants. Estimant que le peuple haïtien connaissait une « agonie sans bornes », le représentant a affirmé que son pays avait été le premier à proposer des sanctions contre les gangs et leurs parrains et qu’il avait demandé au Secrétaire général de formuler des recommandations sur la façon d’aider la Police nationale d’Haïti à les combattre. Il s’est félicité de l’adoption de la résolution 2653 (2022) en octobre qui impose des sanctions, notamment le gel d’avoirs financiers et des interdictions de voyager. Enfin, le représentant a demandé au Gouvernement de fournir des mises à jour sur son processus politique et a réitéré qu’il était essentiel d’empêcher les gangs d’acquérir illégalement des armes. À cet égard, il a encouragé les pouvoirs politiques et les parties prenantes concernées à s’engager dans un large dialogue et des consultations, et a exprimé son soutien à la Communauté des Caraïbes (CARICOM) dans la résolution de la crise.
Mme GHASAQ YOUSIF ABDALLA SHAHEEN (Émirats arabes unis), après s’être félicitée de la fin du blocus du terminal pétrolier de Varreux le mois dernier, a souligné que tout progrès politique contribuerait positivement à l’amélioration de la situation économique, sécuritaire et humanitaire en Haïti. Aussi faut-il donner la priorité à un dialogue inclusif, dirigé par les Haïtiens eux-mêmes, avec l’engagement constructif de la communauté internationale, pour ouvrir la voie à un environnement propice à des élections pacifiques dès que la situation sécuritaire le permettra. Dans le cadre de ces efforts, d’autres acteurs tels que la Communauté des Caraïbes (CARICOM) et le Groupe consultatif ad hoc sur Haïti de l’ECOSOC doivent jouer leur rôle, a estimé la représentante. Les Émirats arabes unis, pour leur part, sont prêts à travailler au sein de ce Conseil, du Comité des sanctions contre Haïti et d’autres instances pertinentes pour faire face aux différents défis et crises qui frappent Haïti.
Mme TRINE SKARBOEVIK HEIMERBACK (Norvège) s’est félicitée des mesures prises pour rendre opérationnel le comité des sanctions établi par la résolution 2653 (2022), invitant toutefois ce dernier à cibler davantage les auteurs de violences sexuelles et sexistes. Face à la situation humanitaire en Haïti, elle a dit craindre une nouvelle détérioration alors que les gangs continuent de contrôler de nombreux territoires. Après avoir appelé à ce qu’un accès sûr et sans entrave aux personnes dans le besoin soit garanti à l’ONU et aux travailleurs humanitaires locaux et internationaux, la représentante a souhaité que soient examinés les « échecs systématiques » d’Haïti, notamment l'effondrement du secteur de la sécurité et de la justice, et la faible résilience aux catastrophes, laquelle conduit les personnes vulnérables des zones rurales à quitter leurs foyers pour les villes où la violence sévit. Regrettant qu’une solution politique reste insaisissable, la représentante a encouragé les acteurs politiques du pays à trouver une solution durable dirigée par les Haïtiens. « Il faudra plus que la simple organisation de nouvelles élections pour résoudre cette crise », a-t-elle admis, plaidant pour des efforts multiples et combinés dans les secteurs de la sécurité, de l’humanitaire et de la politique pour ouvrir la voie à un avenir meilleur. À cet égard, la représentante a applaudi le soutien fourni par des pays et acteurs de la région pour aider la Police nationale d’Haïti à faire face à la situation sécuritaire. En conclusion, elle a invité les porte-plume sur le dossier haïtien à élargir leurs discussions sur le projet de résolution relatif à une force multinationale dans le pays.
M. FERIT HOXHA (Albanie) a reconnu que « Haïti est au bord du gouffre ». Il s’est félicité de l’adoption de la résolution 2653 (2022) du Conseil de sécurité qui a envoyé un message fort non seulement à la population haïtienne qui a besoin d’aide, mais aussi aux gangs pour leur rappeler qu’ils auront des comptes à rendre. Il s’est particulièrement inquiété de l’effondrement du secteur de la justice en citant une insécurité qui a poussé des milliers de personnes à fuir le pays. « Si l’aide doit venir de l’extérieur, les solutions ne peuvent venir que de l’intérieur », a résumé le représentant. Il a prévenu que si les dirigeants haïtiens continuent sur cette voie, il ne restera rien de leur pays et ils n’auront plus rien à partager.
Mme ALICE JACOBS (Royaume-Uni) a dénoncé l’insécurité chronique en Haïti et les agissements des gangs armés. Ces derniers doivent rendre des comptes, sous peine de voir l’instabilité se propager, a dit la déléguée. Elle a salué les progrès accomplis sur le dossier des sanctions, celles-ci étant un outil nécessaire pour briser le cycle de la violence. Mais ces sanctions ne suffiront pas, c’est pourquoi il convient d’envisager un soutien international au Gouvernement et au peuple haïtiens, a-t-elle estimé. Enfin, la déléguée a appelé à des efforts accrus en vue de sortir de l’impasse politique dans laquelle le pays est plongé.
Intervenant en sa capacité nationale, M. MICHEL XAVIER BIANG (Gabon) a déclaré que le Conseil doit agir rapidement pour faire face à la situation en Haïti, le peuple haïtien ayant plus que jamais besoin de la solidarité internationale et en particulier de ses voisins les plus proches. Lorsque le feu consume la maison du voisin, a-t-il ajouté, l’on aura beau fermer ses portes et ses fenêtres, il restera l’odeur entêtante et obsédante de la fumée venant des ruines de sa maison. « La solidarité en pareille situation est une exigence morale », a-t-il insisté. Saluant l’action de l’ Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (ONUDC) pour soutenir la Police nationale d’Haïti aussi bien par la formation que par le renforcement des capacités en vue d’améliorer le contrôle aux frontières, le représentant a souligné que, sans la sécurité, l’économie haïtienne pourra difficilement se relever de l’effet conjugué des crises multiples, des épidémies, « et encore moins pourra-t-elle retenir les cerveaux et les bras dont elle a besoin pour son développement ».
Après avoir noté que les sanctions visant les personnes ayant des liens avec le crime organisé commencent à produire leurs effets, le délégué a abordé la situation humanitaire dans le pays, rappelant que près de 5 millions d’Haïtiens font face à une crise alimentaire déclarée et de nombreux autres milliers sont au bord de la famine. Il a souhaité que se poursuive la reprise de la distribution du carburant pour redonner du souffle à l’économie haïtienne, avant d’encourager les acteurs politiques haïtiens à maintenir le dialogue en vue d’un accord permettant de mettre en place les conditions d’organisation d’élections qui soient acceptées par tous. Concernant l’envoi d’une force multinationale qui permettra de renforcer la police pour combattre les gangs, il a estimé que cela ne pourra se faire que si cette proposition remporte la plus large adhésion possible au sein des populations.
Mme NATHALIE BROADHURST ESTIVAL (France) a déclaré: « Haïti ne peut plus attendre ». Elle a exhorté la communauté internationale à redoubler ses efforts pour mettre un terme à la spirale de violence et de misère qui frappe ce pays. Mettant l’accent sur quatre points, elle a d’abord noté que la situation sécuritaire appelle une réponse collective plus vigoureuse. Face aux gangs qui multiplient les enlèvements, les violences sexuelles et les homicides, « dans l’impunité la plus totale », il faut soutenir beaucoup plus efficacement la Police nationale d’Haïti avec des équipements, des financements et de la formation. Deuxièmement, la France salue le régime de sanctions qui a été constitué pour les personnalités qui menacent la paix et la sécurité en Haïti, a ajouté la représentante, avant de souligner l’importance de reconstruire la justice en Haïti. Troisièmement, la France continuera d’exhorter les acteurs politiques à trouver un compromis en rappelant que le dialogue politique doit déboucher sur l’organisation d’élections démocratiques lorsque les conditions sécuritaires seront réunies. Pour ce faire, la représentante a appelé la classe politique à « faire preuve de responsabilité » afin de sortir de l’impasse actuelle. Enfin, notant que la crise en Haïti est multidimensionnelle, elle a indiqué que son pays est engagé pour faciliter l’aide humanitaire en particulier face à l’épidémie de choléra qui frappe le pays depuis le mois d’octobre. La France a également augmenté son aide alimentaire.
Mme RUCHIRA KAMBOJ (Inde) a exprimé son inquiétude face à la situation sécuritaire et humanitaire en Haïti, qui n’a pas enregistré de progrès significatif depuis l’adoption de la résolution 2653 (2022), constatant même qu’elle empire à cause de l’impunité dont bénéficient les groupes armés et les réseaux criminels. Dénonçant les meurtres, enlèvements et autres violences aux civils, et regrettant le manque d’accès aux services et ressources essentiels, elle a aussi mentionné l’épidémie de choléra qui aggrave la situation. Elle a donc recommandé que la communauté internationale et les agences de l’ONU renforcent leur aide humanitaire, avant de demander au Conseil d’accorder une attention plus grande à cette situation. Énonçant la priorité qui est de faire face aux gangs criminels et d’apporter un semblant d’ordre, elle a salué l’aide en matière de sécurité apportée par les pays de la région. Elle a espéré que la Police nationale serait ainsi renforcée pour gérer les activités criminelles déstabilisatrices menées par les gangs.
Mme Kamboj a invité à examiner avec attention la question lorsqu’une décision sera prise pour le déploiement d’un mécanisme régional de sécurité, en tenant compte des expériences passées dont celles des missions onusiennes. La représentante a aussi souhaité que tous les acteurs haïtiens s’engagent dans de véritables négociations, afin de parvenir à un consensus sur la feuille de route politique visant à tenir les élections tant attendues. Les partis devront garantir un processus inclusif et légitime, a-t-elle précisé. Elle a salué le rôle de la Représentant spéciale et du BINUH dans le soutien aux efforts pour atteindre la stabilité institutionnelle, la bonne gouvernance et l’état de droit. Elle a conclu en rappelant que l’Inde a toujours contribué au renforcement des capacités et aux initiatives de formation en Haïti, désirant poursuivre cet appui.
M. JEAN VICTOR GÉNÉUS, Ministre des affaires étrangères d’Haïti, s’est félicité de la convocation de cette réunion d’information à la demande de la Fédération de Russie. Il a salué le travail du Comité des sanctions et pris note de la formation du groupe d’experts devant accompagner celui-ci dans sa tâche. Dans ce cadre, il a appelé à l’établissement de la liste des principaux acteurs liés à la violence des gangs et au blanchiment des avoirs. De son côté, a précisé le Ministre, la justice haïtienne s’emploie à trouver la meilleure formule pour donner plein effet à la résolution 2653 (2022) dans le système juridique du pays. Si l’on assiste à une reprise « timide » des activités depuis l’adoption de cette résolution en octobre, il convient de ne pas se méprendre sur cette évolution, a-t-il prévenu. Bien qu’elle ait permis d’atténuer la pression qui s’exerçait sur la population et sur les activités économiques, la libération de l’accès au principal terminal pétrolier de Varreux est loin d’avoir résolu le problème structurel posé par l’action des gangs armés qui continuent à entraver les actions du Gouvernement, a-t-il averti. « Les assassinats, viols, enlèvements et détournements de camions de marchandises continuent. » De plus, a informé M. Généus, le Directeur de l’Académie de police a récemment été abattu par des bandits armés et près d’une soixantaine d’agents de police ont subi le même sort depuis le début de l’année, de même qu’un chef de parti politique activement impliqué dans la recherche d’un accord politique inclusif. Il a trouvé étonnant que l’on puisse dans cette enceinte faire la promotion de de gangs armés.
Selon le Ministre, la crise humanitaire qui plonge la moitié de la population dans l’insécurité alimentaire est due à des causes structurelles qui ont été aggravées par les blocages de routes, les vols et les détournements de camions par les gangs armés. Ces actions entraînent une inflation galopante qui rend les quelques denrées disponibles inabordables pour les populations, a-t-il déploré, ajoutant que ce phénomène est amplifié par la « prise en otage » de l’entrée nord de la capitale, qui rend inaccessible le port à conteneurs de Lafito où sont bloqués des produits alimentaires et pharmaceutiques, ainsi que des matières premières pour des usines d’assemblage. L’unique usine de fabrication de farine de blé est à l’arrêt depuis plusieurs mois après avoir été sabotée par les gangs et il y va de même de la Cimenterie nationale. Parallèlement, la résurgence du choléra fait un nombre élevé de victimes et représente une véritable menace de santé publique pour le pays et la région, a alerté M. Généus, faisant état de 17 629 cas suspects, 14 972 hospitalisations et 316 décès au 18 décembre. Selon le Ministre, cette maladie, qui s’est déclarée dans deux quartiers défavorisés de la capitale, touche actuellement tous les départements à l’exception du Nord-Est.
M. Généus a salué la décision unanime du Conseil de sécurité de sanctionner certains acteurs importants qui alimentaient l’instabilité politique à travers leur soutien aux gangs armés. Ceci devrait contribuer à faciliter le dialogue inter-haïtien et l’adhésion à un compromis national susceptible de nous conduire vers des élections générales en 2023, a-t-il estimé. Selon lui, l’application des sanctions permettra d’éviter l’injection de l’argent sale dans le processus électoral et de réduire la capacité des promoteurs de la violence à s’approvisionner en armes et munitions. Dans ce contexte d’insécurité généralisée, les données qui ont conduit le Gouvernement haïtien à solliciter l’assistance d’une force spécialisée pour accompagner la Police nationale d’Haïti et restaurer l’ordre « n’ont pas beaucoup changé », a poursuivi le Ministre. Il est urgent que les amis d’Haïti apportent cette assistance qui, si elle est suffisamment robuste, peut aider la Police nationale à venir à bout du phénomène des gangs armés.
Sur le plan politique, M. Généus a souligné la volonté de dialogue du Premier Ministre, M. Ariel Henry, qui a permis de conclure l’Accord du 11 septembre 2021. Loin de s’en contenter, M. Henry a mis tout en œuvre pour élargir le consensus, a fait valoir le Ministre. Si certains ont reproché au Premier Ministre d’avoir perdu trop de temps à chercher à ramener les récalcitrants à la table de négociation, il ne regrette pas d’avoir essayé, a-t-il confié, jugeant que c’est dans l’unité que sera trouvé le moyen de mettre un terme à cette crise. À cet égard, il a annoncé que M. Henry s’est réuni dans la matinée avec des représentants de la société civile, des partis politiques et du secteur privé pour finaliser et signer un consensus national pour une transition inclusive et former un Haut Conseil de la transition en vue d’organiser des élections dans le courant de l’année 2023.
M. ROBERTO ÁLVAREZ GIL, Ministre des affaires étrangères de la République dominicaine, a rappelé que les gangs criminels contrôlent une grande partie d’Haïti, dont 60% de Port-au-Prince. Selon lui, les efforts considérables du Gouvernement haïtien et de la Police Nationale d’Haïti pour reprendre le contrôle de leur pays requièrent la coopération de tous les États représentés ici. La solution à la crise haïtienne ne pourra venir que du peuple haïtien et de ses dirigeants, à travers un dialogue soutenu et la coopération politique, a estimé le Ministre, jugeant essentiel de créer les conditions pratiques sur le terrain à cette fin. C’est pourquoi il a exprimé son soutien le plus ferme à la position du Secrétaire général qui a souligné la nécessité, en sus de la formation de la police, d’une force robuste, capable de rétablir la paix et de mettre fin à la violence déchaînée par des gangs armés.
M. Álvarez Gil a estimé que les résolutions 2645 (2022) et 2653 (2022) ont porté leurs premiers fruits en initiant des sanctions bilatérales contre ceux qui financent les gangs. Dans ce contexte, il a espéré que le Comité des sanctions et le groupe d’experts créé par ces résolutions commenceront leurs travaux en janvier, afin d’avoir une plus grande latitude dans la poursuite des criminels. « Ce Conseil est instamment prié de mettre en œuvre la proposition contenue dans la résolution 2645 (2022) dans les meilleurs délais, en créant une force multinationale en appui à la Police Nationale d’Haïti, car c’est le seul moyen viable à court terme de sauver le peuple haïtien de son épouvantable situation actuelle, a déclaré en conclusion le Ministre.
M. ROBERT KEITH RAE (Canada), au nom du Groupe consultatif ad hoc sur Haïti de l’ECOSOC, a indiqué s’être rendu, il y a deux semaines, à Port-au-Prince, et avoir été frappé par le calme qui régnait dans les rues. Malheureusement, ce n’était pas parce que la situation sécuritaire s’était améliorée, mais parce que les gens ne peuvent pas quitter leur maison en toute sécurité ou qu’ils ont déjà fui, a-t-il expliqué. Des gangs lourdement armés contrôlent désormais la majorité de la capitale haïtienne, ce qui a un impact considérable sur la circulation du carburant et de la nourriture, de même que sur la vie quotidienne de la population, a dit le délégué. Il a indiqué que de nombreuses écoles sont encore fermées et que les agriculteurs ne peuvent ni semer ni récolter de nourriture. La situation humanitaire est très grave, tandis que l’impasse politique sur la voie à suivre pour Haïti perdure, s’est inquiété le représentant qui a souligné qu’il n’y a pas de solution miracle en Haïti. Si une action immédiate est nécessaire pour aider le pays face à l’insécurité et à l’épidémie de choléra, il a plaidé pour un soutien sur le long terme. Enfin, il a rappelé la nécessité d’un très fort consensus avant le déploiement de toute mission de paix.