République démocratique du Congo: Le Conseil de sécurité réduit la portée de son embargo sur les armes et élargit la gamme des motifs de sanctions
En adoptant aujourd’hui par 10 voix pour et 5 abstentions sa résolution 2641 (2022) en application du Chapitre VII de la Charte, le Conseil de sécurité a reconduit jusqu’au 1er juillet 2023 son régime d’embargo sur les armes et de sanctions relatives à la République démocratique du Congo, mais en le modifiant, afin d’alléger le dispositif d’embargo sur les armes et d’étendre les motifs d’impositions de sanctions. Le mandat du Groupe d’experts prévu par la résolution 2360 (2017) a également été reconduit pour un an, jusqu’au 1er août 2023. Les trois membres africains du Conseil –A3: Gabon, Ghana et Kenya–, la Chine et la Fédération de Russie se sont abstenus.
La résolution reconduit le dispositif prévu aux paragraphes 1 à 6 de la résolution 2582 (2021) mais supprime l’obligation de notification établie dès la résolution 1807 (2008) pour les envois d’armes et de matériels connexes à destination de la RDC, à l’exception des armes indiquées dans une annexe, dont la livraison reste soumise aux procédures de notification. Il s’agit de tous les types d’armes d’un calibre allant jusqu’à 14,5 mm, des mortiers d’un calibre allant jusqu’à 82 mm, des lance-grenades et lance-roquettes d’un calibre allant jusqu’à 107 mm et de leurs munitions respectives, ainsi que des systèmes portables de défense antiaérienne (MANPADS) et des systèmes de missiles guidés antichars. La notification est également supprimée pour la fourniture de matériel militaire non létal et destiné uniquement à des fins humanitaires ou à des fins de protection, aux services connexes d’assistance technique ou de formation technique.
La résolution étend par ailleurs les motifs de sanctions applicables –gels des avoirs, interdictions de voyager…- aux personnes et entités désignées par le Comité des sanctions sur la RDC qui ont participé à la production, à la fabrication ou à l’utilisation d’engins explosifs improvisés en RDC, ont commis ou préparé des attaques utilisant de tels engins, les ont commanditées, s’en sont rendues complices, y ont pris part ou les ont appuyées de quelque manière que ce soit. Le dernier rapport en date du Secrétaire général sur la République démocratique du Congo signalait 14 attaques à l’engin explosif improvisé entre la mi-mars et la mi-juin, attribuées aux Forces démocratiques alliées (ADF), suspectées par ailleurs d’entretenir des liens avec les réseaux terroristes,
Lors de la séance que le Conseil de sécurité a consacrée hier à la situation en RDC, le représentant de ce pays avait demandé au Conseil de retirer totalement ce dispositif de notification préalable, disposition « vieille de plus de 14 ans » qu’il jugeait « complètement obsolète ». Le représentant de la France, pays porte-plume, a dit avoir entendu la demande de la RDC et a regretté que cette avancée « certes partielle » mais qui selon lui reflétait l’équilibre des positions au sein du Conseil n’ait pas fait l’objet d’un soutien unanime. Il a insisté sur le fait que, face à la dégradation de la sécurité dans l’est de la RDC sous l’effet des groupes armés, le Conseil devait être en mesure de sanctionner les auteurs des violations du droit international et du droit humanitaire, et a ajouté que le texte adopté ne remettait pas en cause l’embargo sur les armes.
C’est par le maintien partiel du dispositif de notification, accusé par le Gabon de freiner la capacité de la RDC à contrer de manière rapide et efficace les activités des groupes armés lourdement équipés, que les représentants des A3 ont expliqué leur abstention. L’exigence en matière d notification ne répond pas aux impératifs de paix en RDC, a ajouté le Ghana. Tout en reconnaissant, comme l’a fait le Kenya, que certaines de leurs propositions avaient été prises en considération, les trois pays ont estimé que le libellé de la résolution ne répondait pas à l’appel de la RDC concernant la levée totale de l’obligation de notification pour ce qui est des armes, de la formation et de l’assistance technique.
La représentante de la Fédération de Russie a expliqué son abstention par le fait que les sanctions du Conseil devraient mieux refléter la situation « sur le terrain » et contribuer au processus politique, tout en étant régulièrement révisées et modifiées, jusqu'à leur suppression complète. Elle s’en est ensuite prise de manière générale aux régimes de sanctions établis par le Conseil, estimant que bon nombre d’entre eux ne correspondent plus à la situation réelle, interfèrent avec les projets des gouvernements nationaux en matière de construction de l'État et de mise en place de forces armées et de structures de forces efficaces et ne servent plus qu’à exercer des pressions sur les gouvernements en place d’États souverains.
Le représentant de la Chine a, quant à lui, rappelé les propos tenus la veille par la Représentante spéciale du Secrétaire général en RDC, qui avait fait observer que le Mouvement du 23 mars (M23) disposait désormais des moyens d’une véritable armée et, jugeant cette situation inquiétante, a estimé que la RDC devait pouvoir se défendre. Il a justifié son abstention par l’impossibilité du Conseil de parvenir à un accord acceptable et a estimé que le texte adopté allait placer les autorités congolaises dans une situation difficile, y compris vis-à-vis de leurs voisins, ce qui, finalement, pourrait nuire aux capacités de la RDC à trouver des solutions durables à l’insécurité dans l’est du pays. Tout en ayant voté en faveur du texte, les Émirats arabes unis ont, eux aussi, regretté l’absence d’un plus large consensus et que les positions des pays de la région n’aient pas été davantage prises en compte.
La résolution souligne par ailleurs que les mesures qu’elle impose « n’ont pas pour objet d’avoir des conséquences humanitaires négatives pour la population civile », comme l’a rappelé le représentant du Brésil, qui a souligné que les sanctions prévues dans la résolution ne visent pas le Gouvernement de la RDC mais des individus qui, par leurs agissements destructeurs, déstabilisent l’est du pays.
Texte du projet de résolution (S/2022/523)
Le Conseil de sécurité,
Rappelant ses précédentes résolutions et les déclarations de sa présidence concernant la République démocratique du Congo,
Réaffirmant son ferme attachement à la souveraineté, à l’indépendance, à l’unité et à l’intégrité territoriale de la République démocratique du Congo et de tous les États de la région, et soulignant que les principes de non-ingérence, de bon voisinage et de coopération régionale doivent être pleinement respectés,
Prenant note du rapport final (S/2022/479) du Groupe d’experts sur la République démocratique du Congo (le « Groupe d’experts »), créé en application de la résolution 1533 (2004) et reconduit dans ses fonctions par les résolutions 1807 (2008), 1857 (2008), 1896 (2009), 1952 (2010), 2021 (2011), 2078 (2012), 2136 (2014), 2198 (2015), 2293 (2016), 2360 (2017), 2424 (2018), 2478 (2019), 2528 (2020) et 2582 (2021),
Se déclarant préoccupé par la présence persistante de groupes armés nationaux et étrangers dans l’est de la République démocratique du Congo et par les souffrances qu’ils infligent à la population civile du pays, du fait notamment des violations des droits humains, ainsi que par les informations selon lesquelles il existerait des liens entre les Forces démocratiques alliées et des réseaux terroristes, ce qui pourrait exacerber davantage les conflits et contribuer à saper l’autorité de l’État, préoccupé également par la poursuite de l’exploitation et du commerce illégaux des ressources naturelles, qui permettent à ces groupes armés d’opérer, se félicitant de l’engagement diplomatique pris par les États de la région pour favoriser la paix et la réconciliation dans la région, y compris les conclaves des chefs d’État de la Communauté d’Afrique de l’Est sur la paix et la sécurité dans l’est de la République démocratique du Congo, qui se tiennent à Nairobi, prenant acte du résultat de ces conclaves et des engagements pris en vue de contribuer à la réconciliation, à la stabilisation et à la préservation d’une paix durable en République démocratique du Congo, et appelant tous les États signataires à mettre pleinement en œuvre leurs engagements conformément à l’Accord-cadre pour la paix, la sécurité et la coopération pour la République démocratique du Congo et la région,
Prenant acte du verdict rendu le 29 janvier 2022 par la cour militaire de l’ex-Kasaï-Occidental et des efforts déployés en vue d’assurer la justice, rappelant que le Gouvernement de la République démocratique du Congo doit enquêter de manière approfondie sur le meurtre des deux membres du Groupe d’experts et des quatre Congolais qui les accompagnaient et traduire les auteurs en justice, se félicitant des travaux de l’équipe des Nations Unies, baptisée Mécanisme de suivi, déployée afin d’appuyer l’enquête nationale en accord avec les autorités congolaises, et se réjouissant de la poursuite de cette coopération,
Soulignant qu’il importe de veiller à ce que les stocks d’armes et de munitions soient gérés et entreposés de manière plus sûre et plus efficace et leur sécurité renforcée, afin notamment de réduire le risque que des groupes armés s’emparent de pièces pour fabriquer des engins explosifs improvisés,
Soulignant également que les mesures imposées par la présente résolution n’ont pas pour objet d’avoir des conséquences humanitaires négatives pour la population civile de la République démocratique du Congo,
Constatant que la situation en République démocratique du Congo demeure une menace pour la paix et la sécurité internationales dans la région,
Agissant en vertu du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies,
1. Décide de reconduire jusqu’au 1er juillet 2023 les mesures énoncées aux paragraphes 1 à 6 de la résolution 2293 (2016), notamment les réaffirmations qu’il y a faites;
2. Réaffirme que les mesures décrites au paragraphe 5 de la résolution 2293 (2016) s’appliquent aux personnes et entités que le Comité aura désignées à raison des actes définis au paragraphe 7 de cette même résolution ainsi qu’au paragraphe 3 de la résolution 2360 (2017) et au paragraphe 3 de la résolution 2582 (2021);
3. Décide que les mesures visées au paragraphe 2 ci-dessus s’appliqueront aux personnes et entités désignées par le Comité en raison du fait qu’elles ont participé à la production, à la fabrication ou à l’utilisation d’engins explosifs improvisés en République démocratique du Congo ou à la commission ou à la préparation d’attaques aux engins explosifs improvisés en République démocratique du Congo ou du fait qu’elles ont commandité de telles attaques, s’en sont rendues complices, y ont pris part ou les ont appuyées de quelque manière que ce soit;
4. Redit que les mesures énoncées au paragraphe 1 de la résolution 1807 (2008) continuent de s’appliquer à toutes les personnes et entités non gouvernementales menant des activités sur le territoire de la République démocratique du Congo;
5. Décide que l’obligation de notification visée au paragraphe 5 de la résolution 1807 (2008) ne s’appliquera plus a) à la fourniture de matériel militaire non létal et destiné uniquement à des fins humanitaires ou à des fins de protection, aux services connexes d’assistance technique ou de formation technique, et b) aux envois d’armes et de matériels connexes à destination de la République démocratique du Congo, exception faite des articles visés à l’annexe A de la présente résolution, qui restent soumis aux procédures de notification applicables;
6. Se dit prêt à réexaminer à nouveau l’opportunité des mesures énoncées dans la présente résolution, y compris toute modification, suspension ou levée des mesures, selon que de besoin, compte tenu des progrès accomplis et du respect de la présente résolution et selon que se poursuivent les efforts nationaux en vue d’assurer en toute sûreté et efficacité la gestion, l’entreposage, la surveillance et la sécurité des stocks nationaux d’armes et de munitions et la lutte contre le trafic et le détournement des armes, avec l’aide des partenaires internationaux;
7. Enjoint aux États Membres de faire en sorte que toutes les mesures prises pour appliquer la présente résolution soient conformes aux obligations que leur impose le droit international, y compris le droit international humanitaire, le droit international des droits de l’homme et le droit international des réfugiés, selon qu’il convient;
8. Décide de proroger jusqu’au 1er août 2023 le mandat du Groupe d’experts tel que défini au paragraphe 6 de la résolution 2360 (2017), entend le réexaminer et se prononcer, le 1er juillet 2023 au plus tard, sur une nouvelle prorogation, et prie le Secrétaire général de prendre dès que possible les mesures administratives requises pour rétablir le Groupe d’experts, en consultation avec le Comité, en faisant au besoin appel aux compétences des membres du Groupe créé conformément aux résolutions antérieures;
9. Appelle au renforcement de la coopération entre tous les États, en particulier ceux de la région, et le Groupe d’experts, et prie le Groupe d’experts de lui présenter, après concertation avec le Comité, un rapport à mi-parcours, le 30 décembre 2022 au plus tard, et un rapport final, le 15 juin 2023 au plus tard, et d’adresser des mises à jour mensuelles au Comité, sauf les mois où ces rapports doivent lui être remis;
10. Réaffirme les dispositions concernant l’établissement de rapports énoncées dans les résolutions 2360 (2017) et 2478 (2019);
11. Rappelle les directives régissant la conduite des travaux du Comité telles qu’adoptées par celui-ci le 6 août 2010, prie les États Membres d’appliquer, selon qu’il convient, les procédures et critères qui y sont énoncés, notamment en ce qui concerne les inscriptions sur la liste et les radiations de la liste, et rappelle sa résolution 1730 (2006) à cet égard;
12. Rappelle que le Secrétaire général s’est engagé à faire en sorte que l’Organisation ne ménage aucun effort pour que les auteurs du meurtre des deux membres du Groupe d’experts et des quatre Congolais qui les accompagnaient soient traduits en justice et souligne qu’il importe que, pour appuyer l’enquête nationale ouverte en République démocratique du Congo, le Secrétaire général continue d’assurer, dans la limite des ressources existantes, le déploiement dans le pays du Mécanisme de suivi, actuellement composé d’un haut fonctionnaire de l’Organisation, de quatre experts techniques et de personnel d’appui;
13. Décide de rester saisi de la question.
Annexe A
• Tous les types d’armes d’un calibre allant jusqu’à 14,5 mm et leurs munitions;
• Les mortiers d’un calibre allant jusqu’à 82 mm et leurs munitions;
• Les lance-grenades et lance-roquettes d’un calibre allant jusqu’à 107 mm et leurs munitions;
• Les systèmes portables de défense antiaérienne (MANPADS);
• Les systèmes de missiles guidés antichars.