Conseil de sécurité: le temps presse pour que les Soudanais parviennent à une solution politique de sortie de crise, avertit le Représentant spécial
Malgré les efforts internationaux destinés à faciliter le rétablissement d’une transition démocratique, sept mois après le coup d’État militaire du 25 octobre 2021, le Soudan reste dans une impasse, a constaté le Représentant spécial pour ce pays, ce matin devant le Conseil de sécurité. De fait, a souligné M. Volker Perthes, « le temps presse pour que les Soudanais parviennent à une solution politique pour sortir de cette crise », un avis relayé par la plupart des membres du Conseil, compte tenu de la détérioration rapide de la situation économique, des conditions de vie et de la situation humanitaire, à laquelle s’ajoutent les violences communautaires au Darfour.
M. Perthes, qui est également le Chef de la Mission intégrée des Nations Unies pour l’assistance à la transition au Soudan (MINUATS), a néanmoins fait état de développements positifs. L’établissement du « mécanisme trilatéral » réunissant l’Union africaine (UA), l’ONU et l’Autorité intergouvernementale pour le développement (IGAD) a donné lieu en avril à des entretiens avec les principales composantes politiques soudanaises, qui ont presque toutes exprimé la volonté de s’engager positivement dans ces efforts de facilitation, même si certaines préfèrent y participer indirectement.
Autre élément positif, les autorités soudanaises ont remis en liberté au moins 86 détenus à travers le pays, y compris des hauts responsables affiliés au Comité de démantèlement et des militants des comités de résistance, s’est félicité le haut fonctionnaire, qui a par ailleurs observé une sensible diminution des violences des forces de sécurité contre des manifestants. Il n’en reste pas moins que 111 personnes seraient toujours en détention et qu’un manifestant a été abattu samedi dernier, portant le nombre total des tués à 96. Pour instaurer la confiance, il est essentiel que les responsables de ces violences rendent des comptes, a plaidé le Représentant spécial, avant d’exhorter les autorités à « tendre la main » et à indiquer clairement qu’elles soutiennent le dialogue comme seul moyen d’atteindre une solution politique.
Pour l’heure, a noté M. Perthes, l’absence d’accord politique et d’un gouvernement pleinement crédible a un impact sur la situation sécuritaire. Les événements récents au Darfour occidental ont de nouveau exposé le manque de capacité de l’État à assurer la sécurité et la protection des civils, a-t-il déploré, tout en saluant l’accord de cessation des hostilités signé le 29 avril entre les communautés en conflit. Il a jugé encourageant, à cet égard, que groupes armés et forces régulières aient accepté d’utiliser le Comité du cessez-le-feu permanent, présidé par la MINUATS, comme institution conjointe pour résoudre le conflit. Le haut fonctionnaire a d’autre part applaudi la mise sur pied par les autorités soudanaises de la force conjointe de maintien de la sécurité au Darfour prévue dans l’Accord de Djouba pour la paix au Soudan.
Évoquant le bilan socioéconomique et humanitaire de cette impasse politique, M. Perthes a souligné que les effets conjugués de l’instabilité institutionnelle, de la crise économique, des mauvaises récoltes et des chocs mondiaux ont un effet désastreux sur l’inflation et l’alimentation. Le nombre de Soudanais confrontés à une crise aiguë de la faim devrait ainsi doubler pour atteindre environ 18 millions d’ici septembre alors que le plan de réponse humanitaire pour 2022 ne sera financé qu’à hauteur de 13%. En outre, a-t-il ajouté, l’aide essentielle allouée au Soudan dans le cadre de l’Initiative en faveur des pays pauvres très endettés (PPTE) risque d’être réaffectée à d’autres pays d’ici fin juin si une solution politique n’est pas trouvée entre-temps.
Soucieux de donner des gages de bonne volonté, le représentant du Soudan a assuré que son gouvernement travaille en coordination avec les partenaires du processus de paix afin de mettre en œuvre les termes de l’Accord de paix de Djouba. Il soutient également des réformes économiques et compte sur un renforcement de ses partenariats avec la communauté internationale, d’une part pour réduire sa dette par le biais de l’Initiative PPTE, d’autre part pour mieux gérer le flux de réfugiés venant de pays voisins comme l’Éthiopie et le Soudan du Sud. Il a également souhaité que l’aide économique ne soit pas conditionnée par la situation politique et sécuritaire, demandant à ce sujet qu’il soit tenu compte du contexte régional qui conduit à la violence au Darfour, notamment la circulation des armes.
Au nom des trois membres africains du Conseil, le Kenya a lui aussi demandé à la communauté internationale d’étendre son soutien au Gouvernement soudanais pour accélérer la mise en œuvre de l’Accord de Djouba et du Plan national de protection des civils. À l’instar des autres intervenants, il a salué le démarrage de la deuxième phase du dialogue intra-soudanais facilité par le mécanisme trilatéral ONU-UA-IGAD, appelant tous les acteurs soudanais, civils et militaires, à s’engager rapidement dans un dialogue sans condition. Il a cependant exprimé sa préoccupation face à la flambée récurrente des violences intercommunautaires au Darfour, rejoint sur ce point par une majorité de délégations. Devant la persistance des violences contre des manifestants pacifiques, les États-Unis ont rappelé que seul l’avènement d’une démocratie dirigée par les civils permettra la reprise du soutien financier international et de l’aide au développement. Une position partagée par le Royaume-Uni, qui, comme la Norvège, s’est également prononcé en faveur du renouvellement du mandat de la MINUATS dans les prochaines semaines.
La Fédération de Russie s’est, pour sa part, déclarée convaincue de la capacité du peuple soudanais à résoudre en toute indépendance ses problèmes internes par le biais d’un dialogue national inclusif avec la participation de toutes les forces politiques du pays. Elle a donc demandé à la « mission politique spéciale » de l’ONU de se conformer strictement à son mandat et de faciliter la mobilisation de l’aide financière internationale, rejetant toute tentative de « chantage » en contrepartie de l’aide au développement.
Même son de cloche du côté de la Chine, qui, tout en appelant à la « patience » dans le dialogue politique, a souhaité que l’on évite d’exercer trop de pression sur les autorités soudanaises. Considérant que les difficultés économiques du pays ont pour origine des problèmes sécuritaires et de rivalité pour l’accès aux ressources, elle a regretté que certains partenaires aient suspendu leur aide au pays, qualifiant cette décision de « dommageable ».
RAPPORTS DU SECRÉTAIRE GÉNÉRAL SUR LE SOUDAN ET LE SOUDAN DU SUD - S/2022/400
Déclarations
M. VOLKER PERTHES, Représentant spécial du Secrétaire général pour le Soudan et Chef de la Mission intégrée des Nations Unies pour l’assistance à la transition au Soudan (MINUATS), a constaté que, depuis son précédent exposé, la situation globale est restée précaire, beaucoup restant en jeu s’agissant de la stabilité politique, économique et sociale du Soudan. De fait, « le temps presse pour que les Soudanais parviennent à une solution politique pour sortir de cette crise », a-t-il souligné. Depuis l’établissement d’un « mécanisme trilatéral » destiné à faciliter les pourparlers entre les Soudanais, l’ONU, l’Union africaine (UA) et l’IGAD, des émissaires ont fait savoir que ces discussions ne pourraient aboutir que dans un environnement propice, a indiqué le haut fonctionnaire, rappelant sa position selon laquelle il appartient aux Soudanais, en particulier aux autorités, de créer cet environnement. Cela étant, certaines mesures positives ont été prises, a-t-il relevé. Les autorités soudanaises ont remis en liberté au moins 86 détenus à travers le pays, y compris des hauts responsables affiliés au Comité de démantèlement et des militants des comités de résistance. De plus, les violences des forces de sécurité contre les manifestants semblent avoir globalement diminué, même si des violations se produisent encore, a-t-il ajouté.
Qualifiant cette récente libération des prisonniers d’étape importante vers la création de conditions favorables pour rétablir la confiance, M. Perthes a indiqué qu’au moins 111 personnes seraient toujours en détention à Khartoum, Port-Soudan et ailleurs. Il a d’autre part rappelé que, samedi dernier, un nouveau manifestant a été tué par les forces de sécurité, portant le nombre total des tués à 96. Si les autorités veulent instaurer la confiance, il est essentiel que les responsables de violences contre les manifestants rendent des comptes, a-t-il plaidé, avant d’exhorter les autorités à « tendre la main » et à indiquer clairement qu’elles soutiennent le dialogue comme seul moyen d’atteindre une solution politique. Selon lui, les demandes de changement et de rétablissement du processus de transition démocratique prennent principalement la forme de manifestations pacifiques. Parallèlement, un nombre croissant des partis soudanais et de personnalités nationales éminentes ont présenté des initiatives pour résoudre la crise politique, tandis que plusieurs partis et coalitions politiques formaient de nouvelles alliances autour de positions communes. Dans l’État de Khartoum, les comités de résistance ont achevé leur charte politique et dialoguent avec les comités d’autres États, a noté le Représentant spécial, faisant également état d’une reconnaissance croissante de la nécessité d’un dialogue civilo-militaire pour sortir de la crise.
Dans ce contexte, le mécanisme trilatéral UA-ONU-IGAD a eu des entretiens initiaux avec les principales composantes de la société et de la scène politique soudanaises tout le mois d’avril, mois de Ramadan. Le but était de sonder les points de vue des parties prenantes sur le fond et la forme d’un processus de pourparlers dirigé et contrôlé par les Soudanais, a expliqué M. Perthes, selon lequel presque toutes les composantes ont exprimé la volonté de s’engager positivement dans ces efforts de facilitation. Néanmoins, certaines parties prenantes clefs continuent de rejeter les pourparlers directs ou préfèrent participer indirectement, a nuancé le haut fonctionnaire. C’est pourquoi, après la libération de prisonniers et la réduction de la violence, des pourparlers indirects sur le fond ont été initiés entre les parties, le 12 mai, sur des questions comprenant la durée et la composition des principaux organes constitutionnels, les relations futures entre les composantes militaires et civiles, et les critères de sélection d’un premier ministre.
Pour le Représentant spécial, il s’agit de répondre au vide institutionnel qui a suivi le coup d’État. Une fois qu’un environnement propice sera en place, le mécanisme trilatéral réunira les principales parties prenantes autour d’une table de négociation. Il faut pour cela que les parties soudanaises ne permettent pas à ceux qui sont opposés à une transition pacifique vers la démocratie de saper cette tentative de sortie de crise, a-t-il souligné, ajoutant que le mécanisme soutient vigoureusement l’inclusion des femmes dans le processus politique. Pour l’heure, a observé M. Perthes, l’absence d’accord politique et d’un gouvernement pleinement crédible a aussi un impact sur la situation sécuritaire. Les événements récents au Darfour occidental, en particulier les destructions et les déplacements à Kerenik et la poursuite des violences à Geneina, ont de nouveau exposé le manque de capacité de l’État à assurer la sécurité et la protection des civils, a-t-il déploré, avant de préciser qu’un accord de cessation des hostilités a été signé entre les communautés en conflit le 29 avril. Le Comité du cessez-le-feu permanent, présidé par la MINUATS, s’est engagé à désamorcer les tensions et a lancé une enquête sur d’éventuelles violations, a indiqué le haut fonctionnaire, pour qui le risque d’une nouvelle flambée de violence demeure malgré tout élevé. Il est toutefois encourageant, selon lui, que des groupes armés et les forces régulières aient accepté d’utiliser le Comité du cessez-le-feu permanent comme institution conjointe pour résoudre le conflit.
La protection des civils, a poursuivi M. Perthes, doit être la priorité du Gouvernement soudanais et des gouvernements locaux au Darfour. Pour sa part, la MINUATS continue de former les forces de police communautaires soudanaises à la protection contre les violences sexuelles et sexistes, a-t-il dit, saluant par ailleurs le fait que les autorités soudanaises aient mis sur pied la force conjointe de maintien de la sécurité au Darfour prévue dans l’Accord de Djouba pour la paix au Soudan. Une fois qu’un accord politique sera trouvé, un soutien supplémentaire sera exigé de la communauté internationale pour mettre en œuvre d’autres aspects de l’Accord de paix de Djouba, a-t-il précisé, avant d’évoquer le bilan socioéconomique de l’impasse politique. Alors que les besoins humanitaires augmentent, les facteurs géopolitiques mondiaux font flamber les prix des produits de base au Soudan, a relevé le haut fonctionnaire. De fait, les effets conjugués de l’instabilité politique, de la crise économique, des mauvaises récoltes et des chocs mondiaux ont un impact désastreux sur l’inflation et l’alimentation. Le nombre de Soudanais confrontés à une crise aiguë de la faim devrait doubler pour atteindre environ 18 millions d’ici septembre de cette année, a-t-il alerté. Pour répondre à cette crise, l’OCHA a alloué 20 millions de dollars de son Fonds central d’intervention d’urgence (CERF) et les donateurs continuent de fournir une assistance, mais le plan de réponse humanitaire pour 2022 n’est pour l’heure financé qu’à 13%. Faute d’accord politique pour rétablir la légitimité constitutionnelle, l’assistance des pays et l’engagement des institutions financières internationales institutions sont restés en pause, a regretté le Représentant spécial, qui a également dit craindre que l’aide essentielle de l’Association internationale de développement 19 (IDA-19), allouée au Soudan dans le cadre du processus PPTE (pays pauvre très endetté), soit réaffectée à d’autres pays d’ici fin juin si une solution politique à la crise n’est pas atteinte de sitôt. Cela signifie, selon lui, que si une solution à l’impasse actuelle n’est pas trouvée, les conséquences se feront sentir au-delà des frontières du Soudan et pendant une génération. En fin de compte, a-t-il conclu, « c’est aux Soudanais de s’entendre sur une sortie de crise ».
M. JAMES KARIUKI (Royaume-Uni) a regretté le manque de progrès dans le règlement de la crise politique créée par le coup d’État du 25 octobre 2021. Il a dénoncé l’assassinat de près de 100 manifestants depuis octobre et appelé à la cessation de la violence. Afin d’assurer le succès du processus politique, le représentant a exhorté les militaires soudanais à progresser en ce qui concerne les mesures de confiance, y compris la libération de tous les détenus politiques, la fin de l’emploi de la force contre les manifestants et la levée de l’état d’urgence. Le délégué a affirmé que la restauration d’un gouvernement civil crédible permettra de créer les conditions pour des réformes économiques grandement nécessaires et d’obtenir un appui international, y compris un allègement de la dette. Il a appuyé le mandat de la MINUATS et souhaité son renouvellement dans les semaines à venir. Son mandat doit refléter la réalité au Soudan et permettre à la Mission de fournir au Soudan l’appui dont ce pays a besoin, a conclu le délégué du Royaume-Uni.
M. MARTIN KIMANI (Kenya), qui parlait au nom des A3 (Gabon, Ghana et Kenya), a abordé en premier lieu la situation politique au Soudan en se félicitant du démarrage de la deuxième phase du dialogue intra-soudanais facilité par le mécanisme trilatéral ONU-UA-IGAD. Il a lancé un appel à tous les acteurs soudanais (civils et militaires) pour qu’ils profitent de cette plateforme pour s’engager rapidement dans un dialogue sans condition et trouver un accord sur une transition démocratique viable. Les autorités soudanaises ont la responsabilité fondamentale de créer un environnement propice à l’instauration d’un dialogue politique viable, a souligné M. Kimani, saluant au passage la libération de certains détenus politiques, signe important du renforcement de la confiance. Il est impératif que le dialogue soit inclusif, a ajouté le représentant, en demandant que l’on veille à la participation des femmes et des jeunes qui ont été les piliers de la révolution de 2019, ainsi que d’autres groupes et communautés marginalisés.
Sur le front sécuritaire, il a exprimé sa profonde préoccupation par rapport à la flambée récurrente des violences intercommunautaires au Darfour et dans d’autres parties du pays. Tout en saluant les mesures prises par le Gouvernement du Soudan pour répondre à la situation, le représentant a souhaité voir davantage d’efforts pour s’attaquer aux causes profondes de ces confrontations. Il a exhorté le Gouvernement et toutes les parties à accélérer la mise en œuvre de toutes les activités et programmes du Plan national de protection des civils et de l’Accord de paix de Djouba. Il a également demandé à la communauté internationale de continuer d’étendre son aide diplomatique et son soutien technique, financier et logistique à cet égard. Il s’est félicité des progrès réalisés au sein du Comité du cessez-le-feu permanent et de la force conjointe de maintien de la sécurité, y compris de la formation initiale des 2 000 membres des mouvements armés au Darfour. Face à la détérioration rapide de la situation économique, des conditions de vie et de la situation humanitaire dans le pays, M. Kimani a fait valoir que l’absence de progrès sur la voie politique risque d’anéantir les gains initiaux réalisés en termes de réformes économiques et structurelles. Les A3, a-t-il dit, se sont joints à l’appel du Secrétaire général pour des modalités exceptionnelles en vue de soutenir les communautés vulnérables et protéger le capital humain et social par la poursuite de l’aide internationale au Soudan.
Mme AMEIRAH OBAID MOHAMED OBAID ALHEFEITI (Émirats arabes unis) s’est particulièrement inquiétée de constater que le plan de réponse humanitaire en faveur du Soudan n’est actuellement financé qu’à hauteur de 10%, alors que l’ONU estime que 39% de la population du pays sera en situation d’insécurité alimentaire d’ici septembre. Dans ce contexte alarmant, elle a estimé que la suspension de l’aide internationale complique une situation économique déjà désastreuse au Soudan, exacerbée en outre par les tensions géopolitiques, les changements climatiques, et les perturbations qui affectent les récoltes. Par ailleurs, elle a salué les mesures importantes prises par le Soudan pour relever les défis sécuritaires actuels, y compris pour désamorcer les tensions dans la région du Darfour, où les récents affrontements ont fait de nombreuses victimes. La représentante s’est ensuite dite encouragée par les efforts gouvernementaux pour promouvoir les arrangements sécuritaires de transition au Darfour prévus par l’Accord de paix de Djouba, y compris l’opérationnalisation progressive du cessez-le-feu. En conclusion, Mme Alhefeiti a souligné la nécessité d’appuyer les efforts du Soudan pour réaliser une paix et une sécurité durables, notamment en s’attaquant aux conditions économiques qui touchent disproportionnellement les groupes plus vulnérables.
M. DAI BING (Chine) a relevé des divergences claires sur des questions précises au Soudan, et a appelé les parties soudanaises à poursuivre le dialogue, « processus qui nécessite de la patience ». Il a souligné que ce processus doit continuer d’être dirigé par les Soudanais, appelant à éviter d’exercer trop de pression sur eux. Il a ensuite pris note des efforts déployés par le Gouvernement soudanais pour mettre en œuvre l’Accord de paix de Djouba.
Le délégué a en outre constaté que les problèmes économiques du pays sont à la base de nombreux problèmes de sécurité. La violence intercommunautaire tient aussi du fait de la concurrence pour l’accès aux ressources, a—t-il ajouté. Malheureusement, certains partenaires ont suspendu leur aide au pays et cela est dommageable, a-t-il regretté. Il a appelé le Représentant spécial à poursuivre ses efforts afin de s’assurer que le mécanisme de coopération trilatérale puisse pleinement fonctionner. Il a enfin appelé à tenir compte des réalités sur le terrain ainsi que des besoins des Soudanais dans les efforts d’aide au pays.
Mme ALBANA DAUTLLARI (Albanie) a constaté que, depuis la dernière réunion du Conseil consacrée à la MINUATS, la situation sur le terrain avait continué de se détériorer avec la montée des violences intercommunautaires, une impasse politique persistante et des violences contre les civils, y compris des manifestants pacifiques, tout cela dans le contexte d’une situation humanitaire désastreuse. Face au recul des réalisations en matière de droits humains à la suite du coup d’État militaire, elle s’est dite profondément préoccupée par le démantèlement des mesures de responsabilisation mises en place par le précédent gouvernement civil. La représentante a toutefois relevé certains développements positifs, à commencer par le début des travaux du mécanisme trilatéral de coopération entre l’ONU, l’Union africaine et l’IGAD. Saluant les efforts des trois organisations à œuvrer ensemble à consolider le cadre d’un dialogue intra-soudanais, elle a dit attendre avec intérêt les résultats des premiers pourparlers indirects tenus la semaine dernière.
La déléguée a par ailleurs estimé que la création d’un groupe de soutien aux femmes facilité par la MINUATS est une étape importante pour faire entendre la voix des femmes, des jeunes et des personnes handicapées, tout en intégrant une perspective de genre dans tous les points en discussion. Elle s’est également félicitée de la libération de certains détenus politiques, y voyant un premier pas encourageant. Elle a cependant exhorté les autorités militaires à remettre en liberté tous les détenus, à mettre fin aux arrestations arbitraires, à lever l’état d’urgence et à éviter tout acte susceptible de compromettre le dialogue. Dans ce contexte, la représentante a exprimé son inquiétude face à l’intensification de la violence au Darfour ces derniers mois, qui entraîne de nouvelles vagues de déplacements et des souffrances humanitaires. Cette situation risque d’annuler tous les progrès réalisés et tous les gains de consolidation de la paix et de développement obtenus, a-t-elle averti, appelant à revenir à la transition démocratique du Soudan avant qu’il ne soit trop tard. Dans cette perspective, a-t-elle ajouté, des enquêtes indépendantes sur toutes les violences commises par tous les acteurs sont essentielles. À ses yeux, ce n’est que lorsque les faits seront établis que la confiance mutuelle pourra être rétablie.
M. JOÃO GENÉSIO DE ALMEIDA FILHO (Brésil) a présenté ses condoléances aux familles des victimes à Kereneik, au Darfour occidental, et dénoncé les attaques perpétrées contre les centres de soins. Il a appuyé les enquêtes annoncées et plaidé pour des mesures additionnelles pour la bonne protection des civils au Darfour. Il a salué les activités de la MINUATS, de l’UA et de l’IGAD, estimant que toute solution à l’impasse politique au Soudan doit bénéficier d’un soutien multilatéral et régional. Les consultations actuelles, larges et inclusives, avec l’appui du Mécanisme trilatéral, devraient faire renaître l’espoir pour les millions de Soudanais qui ont manifesté pacifiquement en 2019. Enfin, le délégué du Brésil a insisté sur les défis qui subsistent au Soudan s’agissant de la réalisation du programme sur les femmes et la paix et la sécurité. La légitimité des consultations en cours et de la transition vers la démocratie est ancrée dans le leadership et la participation politique des femmes, a conclu le délégué.
Mme ANNA M. EVSTIGNEEVA (Fédération de Russie) a constaté que le pays est en pleine crise politique, la « rue » soudanaise continuant d’être agitée, sans compter les défis humanitaires et socioéconomiques consécutifs à la suspension d’une partie importante de l’aide des donateurs. Elle a pleinement soutenu les efforts déployés dans ce contexte par le Gouvernement du Soudan pour stabiliser la situation et nouer un dialogue national constructif. Il est d’une importance fondamentale, a souligné la représentante, que les autorités réaffirment leur attachement à l’Accord de paix de Djouba en date du 3 octobre 2020 et déclarent leur intention de tenir des élections générales en juillet 2023. Dans le même temps, l’influence persistante des forces radicales dans le pays qui rejettent l’idée de tout dialogue avec le Gouvernement, même par médiation, suscite de vives inquiétudes. La représentante a souhaité que le mécanisme de coordination tripartite de l’ONU, de l’UA et de l’IGAD, mis en place en mars pour accompagner le dialogue intra-soudanais, contribue au règlement de ce problème.
La Fédération de Russie reste cependant convaincue de la capacité du peuple soudanais à résoudre en toute indépendance ses problèmes internes par le biais d’un dialogue national inclusif avec la participation de toutes les forces politiques du pays, a indiqué le représentant. La déléguée a donc demandé à la mission politique spéciale et à M. Perthes de suivre strictement leur mandat et d’accorder la même attention à toutes ses composantes, en particulier à la facilitation de la mobilisation de l’aide financière et des donateurs internationaux pour soutenir les institutions du pouvoir de transition dans la mise en œuvre l’Accord de paix de Djouba. Elle a rejeté toute tentative de « chantage » en contrepartie de l’aide au développement économique et de la mise en œuvre des dispositions de l’Accord de paix.
Les dernières flambées d’affrontements intercommunautaires au Darfour sont préoccupantes, a relevé la représentante, tout en notant que le Gouvernement soudanais prend des mesures pour faire face à la situation en citant la nomination de gouverneurs adjoints dans les États du Kordofan occidental et méridional pour quatre mois et les progrès dans la formation d’une force de sécurité conjointe dans la région ou encore les travaux du Comité du cessez-le-feu permanent. Plaidant pour une position équilibrée, la déléguée a regretté que les rapports du Secrétariat de l’ONU restent « politisés ». Il faut tenir compte des particularités de la culture politique soudanaise et des changements irréversibles qui se sont produits dans le paysage politique du pays, a-t-elle insisté en conclusion.
M. RAVINDRA RAGUTTAHALLI (Inde) a encouragé la reconstitution de la Commission soudanaise pour le désarmement, la démobilisation et la réintégration (DDR), pour faciliter l’intégration des mouvements armés signataires. La récente violence intercommunautaire au Darfour occidental est un sujet de préoccupation et reflète la réalité complexe sur le terrain, a ajouté le représentant avant d’appeler à des mesures pour désamorcer les tensions et promouvoir un engagement actif entre les communautés pour instaurer la confiance. Sur le plan économique, il a noté que la suspension temporaire d’une importante partie de l’aide des donateurs internationaux ainsi que la pause de l’engagement de institutions financières internationales ont sévèrement impacté le développement. C’est pourquoi il a jugé urgent d’intensifier l’aide et de veiller à ce que les agences humanitaires reçoivent les fonds nécessaires pour exécuter pleinement leurs projets sans politisation des besoins fondamentaux des populations.
Le représentant a estimé que le soutien de la MINUATS sera essentiel au cours des prochains mois, notamment dans l’accompagnement de la transition politique, la mise en œuvre de l’Accord de paix de Djouba et les efforts de consolidation de la paix. Il a dit attendre de la MINUATS, après son renouvellement de mandat d’ici au 3 juin, qu’elle se concentre sur la mise en œuvre des quatre objectifs stratégiques en partenariat avec l’UA et l’IGAD. Enfin, il a rappelé que l’Inde entretient des relations de longue date avec le Soudan et qu’elle a aidé le Soudan à travers plusieurs projets dans le cadre de concessions de lignes de crédit, du renforcement des capacités et de l’aide humanitaire.
Mme MONA JUUL (Norvège) a dit soutenir pleinement les efforts conjoints de la MINUATS, l’UA et l’IGAD pour débloquer la crise politique, tout en soulignant que la recherche d’un accord durable doit être dirigée et prise en charge par les Soudanais. Elle a affirmé que les groupes historiquement marginalisés doivent également être intégrés au processus, y compris les femmes et les jeunes qui doivent pouvoir bénéficier d’une pleine et égale participation. Tout gouvernement qui ne résulte pas d’un processus ouvert manquera de crédibilité auprès du peuple soudanais et de la communauté internationale, a-t-elle prévenu. Elle a ensuite appelé à mettre un terme à la violence en réponse aux manifestations pacifiques et à libérer sans délai les détenus politiques. La fin de l’état d’urgence enverra également un signal politique positif, a-t-elle ajouté.
La représentante s’est ensuite inquiétée de l’évolution négative au Darfour où la violence a des dimensions ethniques qui rappellent la situation en 2003-2004. L’Accord de paix de Djouba est important, mais seulement s’il est pleinement mis en œuvre, a-t-elle prévenu. Selon elle, il est important de s’attaquer aux causes profondes des conflits récurrents. Mais cela nécessite de la volonté politique et des ressources que les autorités ont la responsabilité de mobiliser. Elle a indiqué qu’une situation stable permettrait à la Norvège et d’autres partenaires -avec les autorités soudanaises- de faire plus que la précarité actuelle ne le permet. Dans les circonstances actuelles, la MINUATS est indispensable, a-t-elle ajouté, faisant part de son plein appui au renouvellement de son mandat.
Mme NATHALIE BROADHURST ESTIVAL (France) a réitéré son soutien à la facilitation menée conjointement par les Nations Unies, l’Union africaine et l’IGAD qui constitue, selon elle, une perspective viable pour sortir de l’impasse politique. Elle a encouragé l’ensemble des Soudanais, issus de la société civile et militaires, à prendre part au dialogue dans un esprit de compromis et de responsabilité. Elle a également appelé les autorités militaires à poursuivre leurs efforts afin de créer des conditions propices à une sortie de crise en souhaitant que les engagements se matérialisent dans les meilleurs délais, en faveur du retour à une transition civile et démocratique, avec la perspective d’élections à l’issue de ce processus.
Notant que l’instabilité politique continue d’aggraver la situation sécuritaire, économique et humanitaire, la représentante a appelé à tout mettre en œuvre afin que la crise politique n’alimente pas une aggravation de la situation sécuritaire, notamment au Darfour. Également préoccupée par la dégradation de la situation économique et humanitaire, elle a fait savoir que la coopération européenne a été réorientée vers la société civile, avec un soutien de 12 millions d’euros en 2021, et que l’assistance humanitaire européenne est maintenue à hauteur de 40 millions d’euros pour les cinq premiers mois de 2022. Elle a ensuite appelé les autorités soudanaises à coopérer avec la MINUATS.
M. JUAN GÓMEZ ROBLEDO VERDUZCO (Mexique) a souligné la nécessité d’un retour à l’ordre constitutionnel au Soudan et d’un processus politique réellement dirigé et contrôlé par les Soudanais. Il a demandé la levée de l’état d’urgence et la libération des personnes arbitrairement détenues. Il a rappelé que la révolution a, pour une grande partie, été le fruit des efforts des femmes et demandé leur pleine participation au dialogue politique. La situation au Darfour s’est considérablement détériorée, s’est-il inquiété, en soulignant le vide sécuritaire créé par le retrait de la MINUAD. Il a demandé la pleine application du Plan national de protection des civils. Le délégué a exhorté les autorités à réaliser des enquêtes sur les violations des droits humains commises lors des manifestations pacifiques contre le coup d’État et a appelé à préserver la coopération avec la Cour pénale internationale (CPI).
Mme GERALDINE BYRNE NASON (Irlande) a dit craindre un retour à la dictature militaire au Soudan à la lumière de la tournure actuelle des choses. Elle a fait écho à l’appel du Secrétaire général en faveur d’un retour à un gouvernement démocratique dirigé par des civils, par le biais d’un dialogue politique inclusif et appartenant aux Soudanais. À cet égard, elle a salué les efforts de la MINUATS, de l’UA et de l’IGAD pour faciliter le dialogue politique entre toutes les parties prenantes soudanaises. La représentante les a encouragées à jouer leur rôle, à faire preuve de bonne foi et à créer un environnement propice aux pourparlers de paix et au dialogue inclusif. En particulier, elle a exhorté les autorités militaires et de sécurité à mettre immédiatement fin à la violence contre les manifestants, à respecter la liberté de rassemblement pacifique et à lever l’état d’urgence. L’Irlande reste également attachée au droit des femmes soudanaises à jouer un rôle décisif dans l’économie, la politique, la consolidation de la paix et la société au sens large, et Mme Byrne Nason a insisté pour que ces droits soient protégés.
Alors que 40% de la population soudanaise est à risque en termes d’insécurité alimentaire d’ici septembre, la représentante a déclaré qu’il est vital que l’accès humanitaire ne soit pas entravé, a-t-elle précisé. Face à la recrudescence de la violence au Darfour, depuis la crise politique à Khartoum, Mme Byrne Nason a insisté sur la pleine mise en œuvre du Plan national de protection des civils et de l’Accord de paix de Djouba sans délai, tout en saluant le rôle joué par le Comité du cessez-le-feu permanent au Darfour.
M. RICHARD M. MILLS, JR. (États-Unis) a mis l’accent sur trois priorités en citant la transition vers la démocratie dirigée par les civils, la libération des détenus politiques et une meilleure protection des civils. Il a exhorté toutes les parties soudanaises à utiliser le processus de paix en veillant à ce que les femmes, les jeunes et les membres des autres groupes marginalisés soient pleinement intégrés à toutes les étapes du processus de paix. Il a rappelé que seule l’avènement d’une démocratie dirigée par les civils permettra la reprise du soutien financier international et de l’aide au développement. Par ailleurs, il a appelé les autorités soudanaises à cesser les détentions injustes des membres de la société civile et des militants des droits humains. Tout en reconnaissant les progrès réalisés sur la voie de la transition, le représentant s’est inquiété de la persistance de violences qui atteste de l’urgence de mieux protéger les civils. Dans ce contexte, il a notamment appelé à promouvoir une justice transitionnelle inclusive et transparente.
M. AL-HARITH IDRISS AL-HARITH MOHAMED (Soudan) a indiqué que le mouvement qui a pris en main la transition soudanaise s’emploie à former un gouvernement civil au travers d’un consensus national qui résultera d’un processus de négociation parrainé par le mécanisme tripartite. En ce qui concerne la situation sécuritaire et la mise en œuvre de l’Accord de paix de Djouba, il a assuré que le Gouvernement soudanais coopère avec les partenaires du processus de paix afin de mettre en œuvre les termes de l’Accord. À cet égard, au cours des prochains jours, le premier lot de forces des mouvements signataires de l’Accord sera en fin de formation, et les 2 000 membres des mouvements armés vont représenter le noyau de la force de sécurité pour protéger les civils au Darfour, avec à terme la formation d’une force au Darfour de 12 000 hommes, dont la moitié issue des forces gouvernementales et l’autre des groupes signataires de l’Accord de paix de Djouba. Le délégué a assuré que le Gouvernement a la volonté politique de mettre en œuvre les dispositions de l’Accord de Djouba. Il a tout de même noté que cette tâche est ardue pour le Gouvernement qui a besoin du soutien de la communauté internationale, notamment sur le plan financier.
Le représentant a ensuite rendu hommage aux victimes des conflits tribaux au Darfour. Selon lui, ce conflit fait partie du fardeau laissé au nouveau gouvernement par l’ancien régime. Il a indiqué que le Soudan continue à mettre en œuvre des réformes économiques et le pays entend voir se renforcer ses partenariats avec la communauté internationale. Par exemple, il a appelé à réduire la dette du pays par le biais de l’Initiative en faveur des pays pauvres très endettés (PPTE). Le délégué a en outre appelé la communauté internationale à prendre ses responsabilités en aidant le Soudan à mieux gérer le flux de réfugiés venant de pays voisins comme l’Éthiopie et le Soudan du Sud. Il a parlé des propositions en 11 points faites par son gouvernement à l’ONU pour la consolidation de la paix au Soudan. Il a établi que les trois priorités pour son pays sont la consolidation de la paix, la gouvernance démocratique et l’appui à la mise en œuvre de l’Accord de paix de Djouba.
Le délégué a par ailleurs appelé la communauté internationale à ne pas lier l’aide économique à la situation politique. La violence existe dans toutes les sociétés du monde, a-t-il rappelé, avant de demander que soit pris en compte le contexte régional qui conduit à la violence au Darfour, notamment la grande circulation des armes. C’est pourquoi il a appelé à mobiliser l’aide internationale pour appuyer le cessez-le-feu au Darfour. Il a également évoqué les efforts de protection des enfants en temps de conflits qui sont mis entre parenthèses par son gouvernement en raison de la suspension de l’aide dont le pays bénéficiait. Il a dit que les autorités entendent aller vers la consolidation de la paix, mais cela dépend des fonds disponibles. Le représentant a plaidé pour une coopération avec le Soudan « sans jugement de valeur », critiquant la réduction des activités de consolidation de la paix en raison de considérations politiques, qui pourrait aboutir à des résultats négatifs. Il a enfin dit souscrire à un certain nombre de recommandations du Secrétaire général, y compris la nécessité d’investir dans des initiatives locales de cessez-le-feu au Soudan.