En cours au Siège de l'ONU

9118e séance - après-midi
CS/15009

Conseil de sécurité: des délégations se renvoient la responsabilité de la situation humanitaire et économique de l’Afghanistan un an après la prise de pouvoir par les Taliban 

Un an après la prise de Kaboul par les Taliban le 15 août 2021, le Conseil de sécurité a tenu, cet après-midi, à la demande de la Fédération de Russie, un débat sur la situation en Afghanistan marqué par des appels à dialoguer avec les autorités de facto.  Certaines délégations se sont par ailleurs renvoyé la responsabilité de la grave situation humanitaire du pays.   

Dressant un tableau de la « gravité inédite » de la situation humanitaire, le Secrétaire général adjoint aux affaires humanitaires a déclaré que 19 millions de personnes sont confrontées à des niveaux aigus d’insécurité alimentaire, dont 6 millions en danger de famine et que plus de la moitié de la population –soit 24 millions de personnes– a besoin d’une aide humanitaire.   

« La crise afghane est une crise humanitaire.  C’est une crise économique.  C’est une crise climatique.  C’est une crise de la faim.  C’est une crise financière.  Mais ce n’est pas une crise désespérée », a néanmoins noté M. Martin Griffiths, qui a précisé que les agences des Nations Unies et les ONG partenaires ont pu atteindre près de 23 millions de personnes dans le besoin en 2021, tout en prévenant que l’aide humanitaire ne pourra jamais remplacer la fourniture de services à 40 millions de personnes à travers le pays.

Rappelant que le régime actuel en Afghanistan n’est reconnu par aucun membre de la communauté internationale, le Représentant spécial adjoint du Secrétaire général chargé des affaires politiques pour l’Afghanistan a jugé essentiel de dépasser les positions endurcies pour s’orienter vers un dialogue entre les Taliban, les autres parties prenantes afghanes, la région au sens large et la communauté internationale.  Un tel dialogue doit placer les intérêts de tous les Afghans en son centre, a plaidé M. Markus Potzel, notant que la stabilité de l’Afghanistan dépend de la satisfaction des besoins de son peuple, de la promotion de ses droits et de la prise en compte de la diversité du pays dans toutes les structures de gouvernance.   

De son côté, Mme Lucy Morgan Edwards, chercheuse indépendante titulaire d’une thèse de doctorat sur l’Afghanistan, a estimé que le chaos afghan était la conséquence de la tentative occidentale d’imposer une démocratie libérale, qui a engendré un État corrompu et défaillant, et d’un climat d’impunité qui a incité les seigneurs de guerre à retourner dans leurs fiefs pour y multiplier les actions illégales.  

Après avoir cité une liste de maladresses occidentales dont les massacres de civils et l’humiliation du Roi de l’Afghanistan par un ambassadeur américain, elle a donné toute la mesure de l’échec de l’intervention occidentale en précisant que son coût se chiffrerait à 8 000 milliards de dollars depuis le 11 septembre 2001.  Notant que près de 148 milliards de dollars ont aussi été versés par les États-Unis, elle a laissé entendre que des sommes colossales ont été dépensées pour former les forces afghanes, mais aussi pour financer le matériel de l’OTAN qui a été abandonné lors de la fuite du pays. 

Si la Fédération de Russie a accusé les pays occidentaux d’avoir renforcé le terrorisme et le trafic de stupéfiants depuis leur arrivée en Afghanistan en 2001, le représentant du Royaume-Uni a imputé la déstabilisation de la société afghane au legs de l’occupation soviétique de 1979 à 1989, insistant par ailleurs sur l’urgence d’injecter des liquidités en Afghanistan pour éviter l’effondrement de son économie.   

Assurant que les États-Unis et leurs alliés, « qui sont nombreux au Conseil », continueront de faire tout ce qui est en leur pouvoir pour aider le peuple afghan, la représentante américaine a relevé que la Russie n’a versé que 2 millions de dollars au plan d’aide humanitaire pour l’Afghanistan, « et encore, rien cette année », et que les contributions de la Chine « sont également décevantes ».   

« C’est vous qui devez payer pour vos erreurs en Afghanistan en commençant par restituer au peuple afghan les actifs gelés », a rétorqué le représentant russe après avoir fustigé le cynisme de l’appel américain invitant les Chinois et Russes à financer le relèvement d’une économie détruite par 20 ans d’occupation américaine et par l’OTAN.   

Si plusieurs délégations ont estimé que le gel de 7 milliards de dollars d’avoirs afghans par les États-Unis était une atteinte à la souveraineté de l’Afghanistan, la représentante des États-Unis a souligné qu’il était hors de question de verser aux Taliban des milliards d’actifs en l’absence de tout système de contrôle indépendant qui permette de vérifier la bonne utilisation de ces fonds.  « Ce qui n’a pu être imposé par la force ne pourra l’être par des sanctions », a estimé pour sa part le Pakistan pour qui maintenir isolé le Gouvernement intérimaire afghan « n’est ni dans l’intérêt des afghans ni dans celui de la communauté internationale ».

« Seul un système fonctionnel et représentatif pourra sauver l’Afghanistan et sortir le pays du cycle de la guerre », a souligné le représentant de l’Afghanistan qui a exhorté l’ONU à engager un dialogue intra-afghan pour dégager un chemin vers la paix et la prospérité et les Taliban à respecter les droits fondamentaux.

LA SITUATION EN AFGHANISTAN

Déclarations liminaires

Dressant un tableau de la « gravité inédite » de la situation humanitaire de l’Afghanistan M. MARTIN GRIFFITHS, Secrétaire général adjoint aux affaires humanitaires et Coordonnateur des secours d’urgence, a déclaré que 19 millions de personnes sont confrontées à des niveaux aigus d’insécurité alimentaire, dont 6 millions de personnes en danger de famine, et que plus de la moitié de la population –soit 24 millions de personnes– a besoin d’une aide humanitaire.  Il a ajouté que 3 millions d’enfants souffrent de malnutrition aiguë dont 1 million qui pourraient mourir sans aide spécialisée.  Il a indiqué que 25 millions de personnes vivent aujourd’hui dans la pauvreté et que le chômage pourrait atteindre 40%.  Il a aussi rappelé qu’un tremblement de terre de magnitude 5,9 a touché 362 000 personnes alors que de fortes pluies ont provoqué des crues soudaines et massives à travers le pays depuis juillet, tuant et blessant des centaines de personnes et détruisant des milliers de maisons et des hectares de cultures.  En outre, 5,8 millions de personnes restent en situation de déplacement interne.

Le Chef de l’OCHA a prévenu du risque de voir les prix des denrées alimentaires et du carburant monter en flèche avec l’approche de l’hiver.  L’Afghanistan était déjà confronté à de graves niveaux d’insécurité alimentaire et de malnutrition bien avant la prise de contrôle par les Taliban, mais que ces niveaux se sont détériorés depuis l’arrêt de l’aide au développement.  Les maigres gains que le pays a réalisés pour protéger les droits des femmes ont été rapidement renversés et cela fait plus d’un an que les filles afghanes n’ont plus mis les pieds dans une salle de classe.   

« La crise afghane est une crise humanitaire.  C’est une crise économique.  C’est une crise climatique.  C’est une crise de la faim.  C’est une crise financière.  Mais ce n’est pas une crise désespérée », a déclaré M. Griffiths.  Il a signalé que les agences des Nations Unies et les ONG partenaires ont monté une réponse sans précédent au cours de l’année écoulée, atteignant près de 23 millions de personnes dans le besoin dans les 401 districts des 34 provinces afghanes.  Cela a été possible en raison d’une réduction des conflits, l’introduction des envois d’espèces et l’adoption de la résolution 2615 (2021) du Conseil de sécurité, a précisé le Chef de l’OCHA avant de prévenir que l’aide humanitaire ne pourra jamais remplacer la fourniture de services à 40 millions de personnes à travers le pays. 

Selon lui, assurer la fourniture de services de base parallèlement à l’aide humanitaire reste le seul moyen d’empêcher une catastrophe encore plus grande que celle des derniers mois.  Il a appelé à sensibiliser les institutions financières et à continuer à travailler pour s’assurer que les filles et les femmes sont éduquées et employées.  « Les conséquences de l’inaction tant sur le front humanitaire que sur le front du développement seront catastrophiques et difficiles à inverser », a prévenu M. Griffiths avant d’indiquer que le plan de réponse humanitaire pour l’Afghanistan accuse un déficit de 3,14 milliards de dollars, dont 614 millions de dollars nécessaires de toute urgence pour soutenir les activités prioritaires de préparation à l’hiver.  « Les autorités de facto de l’Afghanistan doivent également faire leur part », a-t-il ajouté, avant de regretter les ingérences bureaucratiques des Taliban et les procédures qui ralentissent l’aide humanitaire au moment où elle est le plus nécessaire.  Il a également demandé que les travailleuses humanitaires soient autorisées à travailler sans entrave et en toute sécurité.  Après avoir salué l’incroyable résilience dont ont fait preuve les Afghans au fil des décennies, M. Griffiths a fait état d’une obligation morale de se tenir à leur côté.

M. MARKUS POTZEL, Représentant spécial adjoint du Secrétaire général chargé des affaires politiques pour l’Afghanistan, a constaté que depuis la prise de pouvoir par les Taliban il y a un an, les Nations Unies sont restées exceptionnellement concentrées sur la réponse humanitaire.  Il a aussi relevé que le régime actuel en Afghanistan n’a été reconnu par aucun membre de la communauté internationale qui, a-t-il souligné, a des normes concernant les droits humains, en particulier ceux des femmes et des filles; la gouvernance représentative; et la sécurité collective internationale.  Les Taliban doivent respecter leurs obligations internationales, mais au lieu de cela, ils demandent une reconnaissance basée sur le fait qu’ils ont obtenu le contrôle territorial, a-t-il regretté.

M. Potzel a estimé qu’il ne fait aucun doute que les sanctions contre les Taliban ont affecté l’économie afghane et a appelé à prendre des mesures pour permettre à l’économie afghane de respirer, notamment en facilitant l’accès aux actifs de la Banque centrale afghane et en renforçant l’aide internationale de manière à répondre aux besoins humains fondamentaux.  Cependant, l’aide humanitaire n’est pas une solution à long terme, a tranché le Représentant spécial pour qui la réduction de la pauvreté et la fourniture de biens et services de base doivent pouvoir s’appuyer sur une croissance économique soutenue.  Les donateurs ont déclaré à plusieurs reprises que la reprise de la coopération économique dépend principalement de l’action des Taliban pour inverser les politiques régressives, a-t-il ajouté. 

Poursuivant, le Représentant spécial adjoint a indiqué que contrairement aux rumeurs sur leurs différences internes, les Taliban continuent de se présenter comme une entité dirigeante unifiée et cohésive.  Le cabinet basé à Kaboul se réunit régulièrement et le résultat des réunions est rendus public.  Cependant, la relation entre le cabinet à Kaboul et le chef taliban basé à Kandahar, M. Haibatullah, reste floue.  En outre, les pratiques consistant à gouverner par décret et conformément aux « traditions islamiques et afghanes », ont restreint encore davantage les droits humains et les libertés fondamentales, en particulier pour les femmes et les filles, comme l’annonce le 23 mars 2022 du maintien de la fermeture de l’enseignement secondaire pour les filles.  Aujourd’hui, l’Afghanistan est le seul pays au monde qui refuse aux filles le plein droit à l’éducation, s’est indigné M. Potzel. 

Préoccupé du fait que les trois dernières semaines ont vu le plus grand nombre de victimes civiles sur une période d’un mois depuis le 15 août 2021, suite à une série d’attaques revendiquées par l’État islamique d’Iraq et du Levant-Khorassan (EIIL-K), M. Potzel s’est dit encouragé d’apprendre que les autorités de facto étudient ce qui peut être fait pour assurer une plus grande sécurité aux communautés ethniques et religieuses qu’elles visaient.  Il a fait savoir que la MANUA est particulièrement préoccupée par les mesures prises par des responsables de facto des départements de « promotion de la vertu et de la prévention du vice » qui se traduisent par des harcèlements verbaux, des mauvais traitements et des arrestations arbitraires.  Les attaques contre les défenseurs des droits humains, les journalistes et le personnel des médias, combinées à l’impact des mesures politiques plus larges prises par les autorités de facto, ont eu un effet dissuasif sur la liberté des médias et l’activisme civique.  Il a toutefois espéré que la commission sur la violation des médias, qui s’est réunie la semaine dernière pour la première fois, pourra effectivement empêcher de nouvelles restrictions de l’espace médiatique libre. 

Passant à la réponse régionale à la situation actuelle, M. Potzel a notamment salué la tenue, le mois dernier à Tachkent, d’une conférence internationale sur l’Afghanistan, avec la participation d’une délégation talibane de haut niveau.  Les discussions ont porté sur l’importance des efforts de lutte contre le terrorisme et les stupéfiants, le développement économique et les infrastructures, la gouvernance inclusive et le respect des droits humains et civiques, en particulier les droits des femmes et l’éducation des filles.  Il est particulièrement important pour les Taliban de comprendre que leurs voisins, les partenaires régionaux et le monde islamique au sens large veulent qu’ils fassent partie de la communauté internationale, a-t-il fait valoir.  L’Afghanistan est un pays enclavé qui dépend de ses voisins pour l’accès aux routes commerciales, mais c’est aussi un pays avec d’énormes ressources potentielles qui, si elles sont correctement exploitées, pourraient profiter à l’Afghanistan et à sa région ainsi qu’au reste du monde. 

M. Potzel a ensuite souligné que l’Afghanistan ne s’est pas remis des graves chocs géopolitiques et des interventions de puissances étrangères.  Aucune d’entre elles n’a atteint ses objectifs et elles ont toutes modifié l’Afghanistan d’une manière inattendue et peut-être inutile.  Et malgré les immenses ressources dépensées au cours des dernières décennies, l’Afghanistan reste nettement sous-développé et vulnérable.  Le Représentant spécial adjoint a par ailleurs jugé essentiel de dépasser les positions durcies pour s’orienter vers un dialogue entre les Taliban, les autres parties prenantes afghanes, la région au sens large et la communauté internationale.  Un tel dialogue doit placer les intérêts de tous les Afghans en son centre, a-t-il plaidé, notant que la stabilité de l’Afghanistan dépend de la satisfaction des besoins de son peuple, de la promotion de ses droits et de la prise en compte de la diversité du pays dans toutes les structures de gouvernance. 

Mme LUCY MORGAN EDWARDS, chercheuse indépendante et autrice, a estimé qu’avec la montée de l’extrémisme, la fragmentation de l’ordre social est devenue évidente en Afghanistan.  Elle a indiqué à cet égard qu’un membre du Gouvernement afghan ayant fait défection et quitté Kaboul lui a confirmé que le pays est revenu à l’époque des années 80 et que la population civile souffre le plus.  Dès 2001, il était évident que nous terminerions là où nous sommes aujourd’hui, a-t-elle souligné, reprochant aux Occidentaux d’avoir alors fait croire que la solution était toute trouvée.  Or, en août de l’an dernier, tout le monde s’est étonné que les Taliban reprennent le pouvoir aussi vite.  Depuis, les droits ont systématiquement reculé, tandis que les arrestations arbitraires et les exécutions sommaires se sont multipliées et ce, avec la complicité de puissances occidentales, a constaté la chercheuse, évoquant « un échec catastrophique ».  À ses yeux, les effets de l’intervention de l’Occident sont d’abord marqués par l’impunité.  En effet, a-t-elle noté, le retour des seigneurs de guerre a eu un fort impact sécuritaire, miné l’état de droit et diminué les droits des citoyens.  Dans ce contexte, les alliés de l’Occident ont bénéficié de la plus grande impunité dès 2002, au nom de la renaissance de la démocratie afghane, avec des images de femmes autorisées à voter.  À cette occasion, a poursuivi Mme Morgan Edwards, l’Ambassadeur des États-Unis a humilié l’ancien Roi pourtant aimé par la population, alors que les groupes armés, les alliances internes ont été favorisés.  Selon elle, la question de l’impunité a eu un impact important sur l’état de droit et sur la légitimité du futur État afghan.  L’Occident a ainsi tenté d’imposer sa version de la démocratie dite libérale, ce qui a engendré un État particulièrement corrompu et défaillant, a-t-elle déploré, ajoutant que la Cour pénale internationale (CPI) n’a toujours pas réussi à traîner en justice les auteurs supposés de violations.

Insistant sur les violations des droits humains commises en Afghanistan, la chercheuse a rappelé que des promesses ont été faites à cet égard aux femmes et aux minorités.  Elle a relevé que la Commission des droits humains récemment fondée a été accompagnée par les puissances occidentales sans que ses travaux aient le moindre résultat.  D’après elle, ce climat d’impunité a incité les seigneurs de guerre à retourner dans leurs fiefs pour y multiplier les actions illégales, notamment les mesures d’intimidation et le trafic de drogue.  Parallèlement, la multiplication des opérations militaires a eu pour effet des morts civiles, a rappelé Mme Morgan Edwards, faisant état d’exécutions sommaires de détenus perpétrées par les forces spéciales britanniques en 2011 et de bombardements de l’opération alliée Enduring Freedom sur des manifestations religieuses, notamment des mariages.  Elle a également reproché aux Occidentaux de ne pas avoir suffisamment inclus les chefs locaux et tribaux en les écartant notamment du processus ayant conduit à l’Accord de Bonn en 2001.  Les attentats du 11 septembre 2001 ont ensuite changé la donne, donnant lieu à une intervention militaire d’ampleur et à la création de camps d’entraînement.  

Pour Mme Morgan Edwards, l’extorsion des contribuables européens et américains a contribué à la catastrophe.  Selon elle, les coûts financiers des interventions occidentales n’ont cessé d’être étayés par des chercheurs qui ont parlé de 8 000 milliards de dollars depuis le 11 septembre 2001, avec à la clef des bombardements aveugles de citoyens innocents.  Notant que près de 148 milliards de dollars ont aussi été dépensés par les États-Unis, soi-disant pour reconstruire l’Afghanistan, elle a laissé entendre que cet argent aurait aussi servi à payer des sous-traitants.  Des sommes colossales ont ainsi été dépensées pour former les forces afghanes, mais aussi pour financer le matériel de l’OTAN qui a été abandonné lors de la fuite du pays.  Enfin, la chercheuse a dénoncé l’échec des Occidentaux s’agissant de l’agriculture afghane, secteur dont dépend 90% de la population.  Aujourd’hui, a-t-elle constaté, le pays accuse un retard de 50 ans par rapport à la situation passée et de nombreux Afghans n’ont pas assez d’aliments à mettre sur la table.  Elle s’est également déclarée choquée que le PAM n’ait pas plus de 2 membres de son personnel sur place, contre 100 auparavant, avant de faire état d’un marché du blé très perturbé en Afghanistan, résultat de l’occupation de 20 ans.  Dans ces conditions, l’échec est complet puisque, depuis le retrait des forces alliées du pays, on assiste à la montée de Daech et de l’insécurité.

Déclarations

M. VASSILY A. NEBENZIA (Fédération de Russie) a rappelé que demain, le 30 août, il y aura exactement un an que les États-Unis et l’OTAN ont quitté l’Afghanistan après 20 années d’un conflit dévastateur qui a coûté la vie à des centaines de milliers de soldats afghans et américains, et deux trillions de dollars, en vain.  Malgré l’intention des États-Unis de combattre le terrorisme, leur arrivée dans le pays n’a fait que renforcer le statut de l’Afghanistan comme foyer du terrorisme et centre de production et de distribution de drogue, ce qui a favorisé l’expansion de Daech et Al-Qaida.  Contrairement à l’occupation soviétique, qui a mené à la création de 140 entreprises en Afghanistan, l’occupation du pays par l’OTAN n’a entraîné aucun développement économique, a-t-il relevé.  En conséquence, « le pays est devenu un parasite international sans perspectives de développement indépendant », selon le représentant.  Il a qualifié les activités militaires « irresponsables » des États-Unis et de l’OTAN, notamment les frappes aériennes aveugles et les meurtres extrajudiciaires de civils, de « crimes de guerre odieux ».  Les enquêtes ouvertes sur ces crimes, notamment par la Cour pénale internationale (CPI), ont été brutalement réprimées par les États-Unis, comme ils l’avaient fait en Iraq.  La crise humanitaire et économique qui en découle, qui pourrait causer plus de morts que 20 ans de guerre, est exacerbée par les sanctions économiques, a prévenu le représentant.  M. Nebenzia a accusé les États-Unis de recourir à des ultimatums pour manipuler l’aide humanitaire et la situation politique, au mépris des droits humains.  La restauration et le développement d’un Afghanistan indépendant sont de la plus haute importance pour la Fédération de Russie, qui accorde une attention particulière à l’inclusion politique et au respect des droits de l’homme, a-t-il noté.  De fait, a-t-il conclu, elle apporte une aide humanitaire au peuple afghan et est engagée en faveur de la mise en place d’un dialogue constructif entre la communauté internationale et les Taliban.

Mme TRINE SKARBOEVIK HEIMERBACK (Norvège) a constaté que l’aggravation de la situation humanitaire et économique de l’Afghanistan a affecté de manière disproportionnée les femmes et les filles.  Elle a dénoncé la décision d’interdire l’accès des filles à l’éducation secondaire, entre autres, et a exhorté les Taliban à lever rapidement les restrictions imposées aux femmes et aux filles.  Les restrictions imposées à l’autonomie, l’emploi et le mouvement des femmes entravent à la fois leur capacité à fournir et recevoir une aide vitale ou à créer un revenu avec lequel obtenir des vivres ou des services de base.  Les répercussions sur la population dans son ensemble sont dramatiques, a-t-elle observé, s’inquiétant en outre de la persistance de la corruption et de l’interférence dans la délivrance de l’aide humanitaire.  La représentante a également souligné que le territoire afghan ne doit pas être utilisé pour menacer ou attaquer un pays tiers, ni accueillir ou former des terroristes.  Pour faire face à la crise économique, a-t-elle ajouté, il importe par ailleurs de continuer à rencontrer les autorités de facto et à les obliger à honorer leurs engagements.

Mme ALLEGRA PAMELA R. BONGO (Gabon) s’est dite préoccupée par la situation en Afghanistan et par son impact sur la paix et la sécurité dans toute la région et au-delà.  Un an après la prise de pouvoir par les Taliban, elle s’est déclarée inquiète de l’absence d’inclusivité politique, les minorités –et en particulier les femmes- étant tenues à l’écart de tout processus.  La représentante s’est aussi alarmée des violations des libertés fondamentales, de l’intensification des attaques de groupes armés opposés aux Taliban, de la multiplication des activités terroristes et de l’expansion du trafic d’opiacés.  Condamnant la série d’explosions qui a fait 250 morts et blessés, ce mois-ci, et l’attaque survenue le 17 août contre la mosquée Abu Bakar, à Kaboul, elle a appelé les autorités de facto à intensifier leurs efforts dans la lutte contre le terrorisme et la protection des populations.  Elle a ensuite constaté que la crise humanitaire s’est accentuée depuis un an en Afghanistan en raison, principalement, de la paralysie des institutions bancaires, du poids des sanctions internationales, de la pandémie de COVID-19 et des effets des changements climatiques.  Dans ce contexte de triple crise économique, environnementale et humanitaire, dont les femmes et les enfants sont les premières victimes, elle a invité les bailleurs de fonds à rester mobilisés sur le plan humanitaire, et ce, malgré la posture rigide du régime taliban qui préfère imposer de plus en plus de restrictions plutôt que de respecter les engagements donnés à la communauté internationale. 

M. ENRIQUE JAVIER OCHOA MARTÍNEZ (Mexique) a jugé impératif de garantir un accès humanitaire sans entrave aux Afghans dans le besoin, demandant d’éviter toute ingérence dans la distribution de l’aide.  Il a ensuite regretté de constater, en ce qui concerne la situation des femmes et des filles, un recul, contrairement aux promesses des Taliban, qui ont publié plus de 20 édits limitant leurs droits.  « Ces restrictions réduisent les possibilités de générer des revenus et alimentent le cercle vicieux de la pauvreté, de la faim et de la discrimination », a dénoncé le représentant.  Tout aussi regrettable, a-t-il dit, est la décision d’interrompre l’enseignement secondaire pour les filles.  Le représentant a en outre déploré les incidents d’exécutions extrajudiciaires, les violations de la liberté d’expression, d’association et d’autres droits humains fondamentaux.  Il a appelé en conclusion la communauté internationale, en particulier les pays donateurs, à continuer à contribuer financièrement à l’aide ou à fournir une protection humanitaire aux ressortissants afghans, comme le Mexique l’a fait pour plus de 600 d’entre eux.

M. JAMES KARIUKI (Royaume-Uni) a rappelé qu’aujourd’hui, plus de 24 millions d’Afghans ont besoin d’une aide humanitaire et près de 20 millions connaissent une insécurité alimentaire aiguë.  La stabilité économique et la fourniture de services de base sont essentielles pour mettre fin au cycle de la souffrance en Afghanistan, a-t-il tranché, en notant qu’il est vital d’injecter des liquidités dans le pays pour éviter son effondrement économique.  Bien que le personnel britannique ait quitté l’Afghanistan, l’engagement du Royaume-Uni envers le peuple afghan reste résolu, a assuré son représentant, en annonçant qu’entre avril 2022 et mars 2023, le Royaume-Uni compte engager 676 millions de dollars pour aider l’Afghanistan.  Son ministre des affaires étrangères a coorganisé la conférence des donateurs humanitaires des Nations Unies plus tôt cette année, qui a permis de mobiliser 2,4 milliards de dollars, a-t-il rappelé.  En revanche, la Russie, qui a demandé cette réunion, n’a pas contribué au plan de réponse humanitaire des Nations Unies, et la Chine n’a promis que 2 millions de dollars, a fait observer le représentant.

Constatant qu’outre la crise humanitaire en Afghanistan, la situation des droits humains est dramatique, le délégué britannique a parlé d’exécutions extrajudiciaires, de détentions et de disparitions, mais également de l’imposition de restrictions aux droits et libertés des femmes et des filles, notamment en termes d’accès à l’éducation, aux emplois et aux services, de liberté de mouvement et de tenue vestimentaire.  Il est clair pour tous, sauf pour les Taliban, que la participation pleine, égale et significative des femmes à la société est une condition préalable à un Afghanistan stable et prospère, s’est-il impatienté.  Il a aussi reproché aux Taliban d’avoir répété d’autres erreurs du passé, notamment en hébergeant le chef d’Al-Qaida, Ayman Al-Zawahiri, en plein centre-ville de Kaboul, en violation de leurs engagements internationaux.

Le Royaume-Uni appelle à nouveau les Taliban à respecter leurs engagements, à savoir garantir un accès humanitaire sans entrave dans tout le pays; défendre les droits humains fondamentaux, en particulier pour les femmes et les filles; et garantir que l’Afghanistan ne sera plus jamais un environnement permissif pour des groupes terroristes.  Le représentant a également souhaité un leadership fort et cohérent de l’ONU pour assurer une réponse bien coordonnée et hiérarchisée.

M. FERGAL TOMAS MYTHEN (Irlande) a constaté que, un an après leur prise du pouvoir en Afghanistan, les Taliban ont prouvé qu’ils ne s’étaient pas réformés.  Ils montrent le même comportement injuste et cruel que par le passé et restreignent drastiquement les libertés fondamentales, aux dépens notamment des opposants, des défenseurs des droits humains, des militants et des journalistes, a observé le représentant, avant de souligner le « cauchemar » que vivent les Afghanes, « systématiquement écartées de la vie publique ».  Dans ce contexte, le vide laissé par la Commission afghane indépendante des droits humains, dissoute par les Taliban en mai, rend toute surveillance internationale plus importante, a-t-il relevé, réitérant son appui à l’action de la MANUA et du Rapporteur spécial sur l’Afghanistan.  Sur le plan humanitaire, le délégué a averti que l’Afghanistan compte désormais le plus grand nombre de personnes en situation d’insécurité alimentaire dans le monde et que son système de santé est au bord de l’effondrement.  Notant que les énormes besoins humanitaires ont été aggravés par des diverses catastrophes, plus récemment par des inondations dévastatrices dans le centre et l’est du pays, il a salué le travail des agences des Nations Unies et des organisations sur le terrain qui ont empêché une famine généralisée.  À ce propos, il a rappelé que son pays a soutenu l’adoption de la résolution 2615 (2021) qui prévoit une exemption humanitaire aux sanctions imposées au régime taliban en vertu de la résolution 1988 (2011).  Il a également soutenu l’introduction de licences pour faciliter les livraisons.  

Le délégué a toutefois averti que la reprise économique restera impossible tant que la moitié de la main-d’œuvre afghane sera confinée chez elle, privée d’opportunités économiques.  Toute croissance économique est impossible si les filles sont écartées des études secondaires, a-t-il insisté, avant de rappeler qu’en dépit de leurs engagements en faveur du respect des droits des femmes, les Taliban les ont exclues de force et systématiquement de la vie publique.  De même, a-t-il poursuivi, alors que les Taliban avaient promis de combattre le terrorisme, des preuves ont montré qu’Al-Qaïda continuait d’opérer dans le pays, en pleine connaissance du régime.  Face à un tel mépris du droit international, la communauté internationale et le Conseil ne peuvent rester les bras croisés, a martelé le représentant, estimant qu’il importe d’obliger les Taliban à rendre des comptes.  Selon lui, la « boîte à outils » à la disposition du Conseil comprend le réexamen des privilèges étendus qui ont été accordés aux Taliban dans le but de rechercher la paix et la sécurité.  

M. JOAO GENÉSIO DE ALMEIDA FILHO (Brésil) a constaté qu’un an après le retrait des forces étrangères, certaines des pires attentes quant à l’avenir du pays ont été confirmées, évoquant notamment le fléau du terrorisme ainsi que les restrictions imposées aux femmes et aux filles en matière d’emploi et d’éducation.  Rien ne porte à croire que les Taliban envisagent de revenir sur leur position et les attentes en ce qui concerne un gouvernement inclusif avec la participation des femmes et des minorités demeurent un objectif lointain, a-t-il déploré.

Tout en estimant que les perspectives pour un engagement avec Kaboul demeurent peu encourageantes, le représentant s’est déclaré convaincu de la nécessité d’établir un dialogue avec les autorités de facto.  À ce stade, des « contacts techniques » capables de profiter aux populations locales et de fournir des services devraient être envisagés.  Il a également regretté l’incapacité du Conseil à s’accorder sur le renouvellement des exceptions aux interdictions de voyage de certains des individus identifiés par le Comité 1988.  L’impossibilité pour les dirigeants taliban de se rendre à l’étranger retardera la réintégration du pays au sein de la communauté internationale, a prévenu le représentant qui a déploré une mesure qui limite les possibilités pour un engagement constructif et pragmatique.

M. FERIT HOXHA (Albanie) a constaté que la dernière année a été catastrophique en Afghanistan, depuis la prise de pouvoir par les Taliban.  Il a évoqué la crise humanitaire aigüe, l’ampleur prise par des groupes terroristes et l’effondrement d’un tiers de l’économie du pays.  Il n’est donc pas surprenant de voir le trafic de drogue et autres prospérer, a-t-il noté, en exigeant des Taliban qu’ils coupent les ponts avec les organisations terroristes et condamnent leurs actions.  C’est l’un des pires endroits sur Terre où être femmes, a poursuivi le représentant, en constatant qu’elles ont été « totalement invisibilisées et effacées de la vie publique ».  Leur vie est un cauchemar en noir et blanc dans un pays qui a sombré dans la spirale de l’obscurantisme, s’est-il indigné.  Aujourd’hui plus que jamais, les Afghanes ont besoin de nous, a fait valoir M. Hoxha, en appelant les autorités de Kaboul à respecter les droits des femmes et des filles, en particulier à l’éducation, à l’emploi et à garantir leur liberté de déplacement.  La tragédie afghane est un réel défi pour la communauté internationale qui doit rester unie, a-t-il déclaré en reprochant aux autorités talibanes de n’avoir pas su répondre concrètement aux difficultés et aux épreuves que traverse leur peuple.  La situation a empiré et le pays est tombé dans la spirale de la violence, a tranché le représentant.  L’Afghanistan doit respecter le droit international, et les Taliban doivent comprendre que leurs décisions ne font qu’isoler leur pays de la communauté internationale et qu’ils seront responsables de l’effondrement de leur pays, alors que leur peuple paye un lourd tribut.

Mme LINDA THOMAS-GREENFIELD (États-Unis) a noté que, face à la « superposition implacable de crises » évoquée par M. Griffiths dans son exposé, le mouvement taliban n’a fait qu’empirer la situation.  De fait, le peuple afghan est aujourd’hui soumis à de très nombreuses mesures de répression, toute voix dissidente étant réduite au silence.  Dans ce contexte, a-t-elle constaté, les abus contre les femmes et les filles se sont multipliés.  Soulignant le lien entre les crises économique et humanitaire, la représentante a relevé que, selon l’UNICEF, l’économie afghane gagnerait 5,4 milliards de dollars en laissant les jeunes filles reprendre leurs études secondaires.  Alors même que les femmes dirigent les ménages, elles doivent désormais rester chez elles si elles ne sont pas accompagnées par des hommes.  En outre, alors que toute la population souffre de la faim, les Taliban abritaient le chef d’Al-Qaïda en plein cœur de Kaboul, s’est indignée la représentante, avant d’accuser le régime de multiplier les entraves à l’aide humanitaire.  Ils interviennent dans la fourniture de l’aide essentielle et n’assurent même pas la sécurité du personnel humanitaire, a-t-elle renchéri, assurant toutefois que les États-Unis n’abandonneront pas le peuple afghan à son sort.  Nous passerons pour cela par les instances internationales et le Conseil de sécurité, comme nous l’avons fait en appuyant la dérogation aux sanctions pour les fournitures humanitaires et en soutenant la Mission d’assistance des Nations Unies en Afghanistan (MANUA).  

Rappelant que son pays est le principal bailleur de fonds en Afghanistan, la déléguée fait état du déblocage depuis un an de plus de 775 millions de dollars.  Elle a d’autre part indiqué que, si l’un des objectifs des États-Unis est de lutter contre le terrorisme dans le pays, il est hors de question qu’ils laissent le régime taliban accéder aux milliards d’actifs gelés qui appartiennent au peuple afghan.  Ce régime a livré à son sort la banque centrale du pays et n’est pas en mesure de mener des politiques monétaires responsables, a-t-elle ajouté, imputant la relative stabilité de la monnaie afghane aux interventions des bailleurs de fonds.  Quant à la Russie, qui accuse les États-Unis de ne pas être à la hauteur de leurs engagements, la représentante lui a demandé ce qu’elle fait concrètement pour aider le peuple afghan, « à part ressasser le passé ».  De plus, la Russie n’a versé que 2 millions de dollars au plan d’aide humanitaire pour l’Afghanistan, « et encore, rien cette année », a-t-elle poursuivi, ajoutant que les contributions de la Chine « sont également décevantes ».  Les États-Unis et leurs alliés, qui sont nombreux au Conseil, continueront de faire tout ce qui est en leur pouvoir pour aider le peuple afghan, a-t-elle conclu.

M. HAROLD ADLAI AGYEMAN (Ghana) s’est dit profondément préoccupé par la situation en Afghanistan, en particulier la condition des femmes, des filles et des groupes minoritaires.  Il s’est aussi dit « consterné » par les politiques des autorités visant à écarter les femmes de la vie publique afghane, y compris au sein du Gouvernement.  Aujourd’hui, plus de 14 millions de femmes et de filles afghanes ont perdu le droit d’aller au lycée ou à l’université, tandis que le droit de travailler et la liberté de mouvement ont été restreints.  Les femmes et les jeunes filles d’Afghanistan ont besoin du soutien de ce Conseil et de la communauté internationale pour préserver leurs droits et faire en sorte que les Taliban respectent leurs engagements à cet égard.  

Face aux besoins humanitaires généralisés, le délégué a appelé le Conseil à demander aux donateurs d’appuyer les organisations humanitaires afin qu’elles intensifient leurs interventions en faveur des personnes vulnérables, et aux autorités de facto d’agir de bonne foi.  Préoccupé par la détérioration de la situation sécuritaire dans le pays, il a également demandé aux autorités de facto d’intensifier leurs efforts pour stabiliser la situation et de renoncer aux arrestations arbitraires, aux tortures, aux exécutions extrajudiciaires, aux punitions collectives et au ciblage de membres de groupes ethniques, tribaux et religieux.  Dans ce contexte, il a rappelé aux autorités de facto que leurs obligations en vertu du droit international sont incompatibles avec le terrorisme.  

M. NICOLAS DE RIVIÈRE (France) a constaté que face au non-respect systématique et répété par les Taliban de leurs propres engagements, la communauté internationale n’a cessé de tendre la main pour aider la population civile et laisser la porte ouverte au dialogue afin d’améliorer la situation, notamment humanitaire.  Il a constaté que les Taliban continuent de bafouer les engagements qu’ils ont pris vis-à-vis de la communauté internationale et du peuple afghan, comme en témoigne l’interdiction pour les filles d’accéder à un enseignement secondaire.  Devant les graves violations des droits de l’homme, en particulier des femmes et des filles, qui se multiplient partout en Afghanistan, force est de constater que la communauté internationale ne peut pas se fier à ses interlocuteurs.  Le respect des droits de l’homme et en particulier des femmes ne peut pas être une variable d’ajustement dans nos discussions et dans la réponse des Nations Unies à la crise afghane, a-t-il souligné.  Et nous ne pouvons pas nous permettre d’apporter une aide au développement qui viendrait conforter les Taliban dans leur violation des droits de l’homme.

Après avoir noté que la récente neutralisation du chef d’Al-Qaida a confirmé la crainte que les Taliban continuent d’offrir refuge et soutien aux groupes terroristes, le représentant a souligné que cinq conditions devront être respectées par les Taliban afin de sortir de l’isolement: le départ sûr des Afghanes et Afghans qui le souhaitent, le libre accès de l’aide humanitaire sur tout le territoire afghan, le respect des droits fondamentaux de tous, en particulier des femmes et des filles, la constitution d’un gouvernement représentatif, et la rupture totale et concrète des liens avec les groupes terroristes.  À ce jour, aucune de ces conditions n’est pleinement remplie, a-t-il déploré.

Mme LANA ZAKI NUSSEIBEH (Émirats arabes unis) a rappelé que l’Afghanistan est le seul pays au monde où les filles ne peuvent pas aller au lycée.  Or, le respect des droits des femmes est une condition sine qua non pour permettre à l’Afghanistan d’emprunter la voie de la stabilité et de la paix.  Elle a souligné le rôle important de la MANUA pour garder des liens avec les Taliban.  Elle a invité ces derniers à éliminer toutes les restrictions imposées aux femmes et aux filles.  Garantir qu’elles puissent participer à tous les secteurs de la vie est une condition incontournable pour permettre l’entrée de l’Afghanistan dans le XXIe siècle, a-t-elle souligné.  Elle a ensuite exhorté les Taliban à honorer leur engagement de lutter contre les terroristes en rappelant que le territoire afghan ne peut servir de base depuis laquelle des groupes terroristes peuvent mener des attaques contre d’autres États.  Selon elle, les pays islamiques ont un rôle particulier à jouer pour promouvoir le dialogue religieux et le respect de la diversité en Afghanistan.  

À la lumière de la situation accablante en Afghanistan et de l’approche de l’hiver, M. MARTIN KIMANI (Kenya) a appelé la communauté internationale à intervenir d’urgence et à soutenir les plus de 23 millions d’Afghans dans le besoin.  Regrettant qu’un an après la prise du pouvoir par les Taliban, le peuple afghan soit moins bien loti qu’avant, le représentant a souligné que la communauté internationale et les Taliban ont la responsabilité de créer un meilleur environnement pour permettre au peuple afghan de se gouverner lui-même et de déterminer son progrès social et économique.  Le moment est venu pour la communauté internationale d’examiner les moyens possibles de travailler avec les Taliban et d’articuler une politique réalisable à court terme en vue de reconstruire l’économie et le tissu social de l’Afghanistan.  Pour M. Kimani, l’objectif final devrait être d’aligner l’aide humanitaire et d’autres formes d’aide au développement dans le but d’assurer la reprise économique et réduire la dépendance du pays à l’égard de l’aide.  Il a notamment parlé de lever le gel des avoirs de l’Afghanistan et de veiller à ce qu’ils soient dépensés de manière structurée, avec des mécanismes de suivi efficaces, pour soutenir la relève de l’économie du pays.

Pour cela, les Taliban doivent cependant répondre à certaines conditions, a poursuivi le représentant, en citant le respect des droits de tous les Afghans sans aucune discrimination de sexe, d’âge, d’origine ethnique ou de religion.  Ils doivent accorder aux femmes et aux filles des droits et des opportunités égaux à ceux de leurs homologues masculins, y compris l’accès à l’éducation; à l’emploi; aux postes de direction et aux libertés d’association et de mouvement.  M. Kimani a également exigé des Taliban qu’ils se dissocient des groupes terroristes répertoriés et veillent à ce que l’Afghanistan ne soit plus une base pour des groupes tels que l’État islamique et Al-Qaïda.  Avant de conclure, il s’est dit préoccupé de constater que les grandes puissances continuent de tirer en direction opposée et d’utiliser la situation pour promouvoir leurs propres intérêts au détriment du bien-être de millions d’Afghans.

Mme RUCHIRA KAMBOJ (Inde) a assuré qu’il est dans l’intérêt direct de son pays de garantir que soient rétablies la paix et la sécurité en Afghanistan, « étant donné que nous sommes voisins et que nous nourrissons des liens historiques de longue date ».  Face aux besoins du peuple afghan, l’Inde a ainsi envoyé plusieurs lots d’aide humanitaire en Afghanistan, notamment 32 tonnes de fournitures médicales qui ont été remises à l’OMS et à l’hôpital pour enfants Indira Gandhi de Kaboul.  L’Inde a également fourni 40 000 tonnes de blé à l’Afghanistan en prenant soin de signer un accord avec le Programme alimentaire mondial (PAM) afin d’en assurer une distribution équitable, a ajouté la représentante.  Pour suivre l’acheminement de cette aide, une équipe technique a aussi été dépêchée à l’ambassade de l’Inde à Kaboul, a-t-elle précisé, réitérant son intime conviction que l’acheminement de cette assistance doit reposer sur les principes de neutralité, d’impartialité et d’indépendance.  En outre, a-t-elle souligné, les livraisons doivent se faire sans discrimination et en faveur de tous les Afghans, à commencer par les plus vulnérables.  

La déléguée a rappelé que son pays présidait le Conseil en août dernier, lorsque la résolution 2593 a été adoptée.  Ce texte, a-t-elle rappelé, appelle notamment à veiller à ce que le territoire afghan ne soit pas utilisé pour mener des attaques terroristes contre d’autres pays.  Il préconise également de former un gouvernement inclusif, de lutter contre le trafic de stupéfiants et de maintenir les droits des femmes et des minorités.  S’agissant du terrorisme, les conclusions de l’équipe de surveillance des sanctions indiquent que les autorités actuelles doivent redoubler d’efforts afin d’honorer leurs engagements, a-t-elle relevé, constatant que l’État islamique d’Iraq et du Levant-Khorassan (EIIL-K) continue de menacer d’attaques terroristes des pays de la région.  Elle a d’autre part jugé alarmante la série d’attaques menées contre des lieux de culte et des minorités en Afghanistan.  Il importe selon elle que les organisations terroristes n’aient aucun soutien venant du sol afghan.  Sur le plan politique, enfin, elle a jugé essentiel que le Gouvernement afghan fasse montre d’inclusivité et que la situation des femmes et des filles s’améliore, afin que les progrès de ces 20 dernières années ne soient pas « balayés ». 

M. ZHANG JUN (Chine) a déclaré qu’il y a un an, les 20 années d’occupation étrangère de l’Afghanistan se sont soldées par le chaos.  Cette guerre livrée au nom de la lutte contre le terrorisme n’a pas rempli ses objectifs alors que les groupes terroristes, notamment Daech, ont continué d’étendre leur emprise.  Cette guerre menée sous le prétexte de la transformation démocratique n’a amené ni la paix ni la démocratie mais à un pays brisé.  Ce fiasco a montré que l’intervention militaire et la politique du pouvoir ne sont pas la voie à suivre.  Selon lui, le retrait des forces étrangères ne signifie pas la fin de leurs responsabilités, ajoutant qu’ils auraient dû rectifier la situation plus tôt au lieu de s’enfuir.  Plutôt que d’assumer leurs responsabilités, les pays concernés ont cessé leur aide au développement, gelé les actifs du pays et l’ont isolé.  Toutefois, au cours de la dernière année, le Gouvernement provisoire a fortement amélioré la situation en matière de sécurité et favorisé le dialogue politique.  La communauté internationale doit maintenant contribuer au relèvement de l’Afghanistan, à la réconciliation et au rétablissement des services publics, a-t-il noté.  À ses yeux, il est déraisonnable d’établir un lien entre le respect des droits des femmes et des filles et les dérogations à l’interdiction de voyager de certains Taliban imposées par le Conseil de sécurité.  La situation humanitaire qui prévaut dans le pays est grave, s’est inquiété le représentant, pour qui les droits fondamentaux ne peuvent être respectés lorsque la population meurt de faim.  À cet effet, il a appelé les États-Unis à restituer à l’Afghanistan les actifs gelés dans leur intégralité.

Reprenant la parole, M. Nebenzia (Fédération de Russie) s’est étonné que les États-Unis appellent la Chine et la Fédération de Russie à procurer des financements à l’Afghanistan.  « C’est vous qui devez payer pour vos erreurs en Afghanistan en commençant par restituer au peuple afghan les actifs gelés », a insisté le représentant russe après avoir fustigé le cynisme de l’appel américain invitant les Chinois et les Russes à financer le relèvement d’une économie détruite par 20 ans d’occupation américaine et de l’OTAN.  

S’il existait une économie à détruire, elle l’a été par les Taliban, a déclaré Mme Thomas-Greenfield (États-Unis).  Nous n’avons jamais tourné le dos à l’Afghanistan et continuons de fournir une aide essentielle au peuple afghan, a-t-elle assuré.  Les États-Unis travaillent avec la communauté internationale pour permettre de décaisser les avoirs de la Banque centrale afghane, mais il est hors de question que ces fonds soient restitués aux Taliban, a indiqué la représentante.  

M. NASEER AHMAD FAIQ (Afghanistan) a présenté un bilan de la situation en Afghanistan un an après la prise du pouvoir par les Taliban et a déclaré que les perspectives pour un pays sûr, stable et prospère sont sombres et opaques.  Tout en faisant état d’une diminution du nombre de victimes civiles et de la corruption, il a déploré l’échec des autorités de facto à rouvrir les écoles pour les filles et à respecter les droits fondamentaux des femmes et des filles, de même que leur monopolisation du pouvoir.  Il a signalé que cette situation a renforcé la résistance civile et militaire aux Taliban, s’inquiétant en outre du risque que le pays ne devienne à nouveau un refuge pour le terrorisme et l’extrémisme.  Ce qui se produit aujourd’hui en Afghanistan ne demeurera pas en Afghanistan, d’où l’importance d’une coopération collective et authentique de la part de l’ensemble des parties prenantes, a souligné le représentant qui a appelé au dialogue national pour sortir de l’impasse.  Le délégué a également appelé à un engagement plus ferme de l’ONU qui aille au-delà de l’aide humanitaire, exhortant le Conseil de sécurité à appuyer et faciliter un dialogue intra-afghan et une feuille de route politique.  La création d’un mécanisme transparent de contrôle de l’aide humanitaire s’impose également, a ajouté le délégué qui a aussi plaidé pour la transparence de l’exécution budgétaire.  Il a ensuite appelé les Taliban à protéger les droits fondamentaux de l’ensemble des citoyens, sans préjugé de genre ou d’identité ethnique ou religieuse.

Mme ZAHRA ERSHADI (République islamique d’Iran) a constaté qu’un an seulement après le retrait « irresponsable » des forces étrangères et la prise du pouvoir par les Taliban, l’Afghanistan est désormais confronté à plusieurs crises interconnectées et que la situation humanitaire y est particulièrement désastreuse.  En attendant, les autorités de facto de Kaboul doivent s’acquitter de leurs obligations internationales.  Cette situation catastrophique implique une responsabilité et des obligations pour les forces étrangères qui ont illégalement envahi et occupé l’Afghanistan sous couvert de lutte contre le terrorisme et n’ont laissé que des ravages dans leur sillage, a estimé la représentante.  Elle a demandé à la communauté internationale de continuer à soutenir l’Afghanistan, en particulier en termes de fourniture d’aide humanitaire et d’aide au développement, en exigeant une fois de plus la restitution des avoirs gelés appartenant au peuple afghan.  C’est essentiel pour aider l’économie afghane et sauver des vies, a argué la déléguée en estimant que cette question ne devrait pas être politisée ou conditionnelle.  S’adressant aux Taliban, elle leur a demandé de tenir compte des appels répétés à la formation d’un gouvernement inclusif qui reflète fidèlement la société multiethnique de l’Afghanistan.  Un gouvernement inclusif est le seul moyen de garantir et de protéger les droits de tous les Afghans, y compris les femmes et les filles, ainsi que des minorités linguistiques, raciales et religieuses, a insisté Mme Ershadi, ajoutant qu’il s’agit de l’un des éléments essentiels de la reconnaissance internationale.

L’émergence de groupes terroristes pourrait constituer une grave menace pour l’Afghanistan, ses voisins, la région et au-delà, a mis en garde la représentante.  Cette tendance justifie l’exigence de la communauté internationale que les Taliban s’engagent à combattre le terrorisme et veillent à ce que l’Afghanistan ne serve plus de refuge à des organisations terroristes telles que Daech et Al-Qaïda.  L’ONU peut, selon la représentante, jouer un rôle vital, à la fois dans le règlement de la crise humanitaire en Afghanistan et dans la facilitation du processus politique intra-afghan.  Pour sa part, l’Iran poursuivra ses efforts pour aider son peuple et travailler avec les voisins de l’Afghanistan et d’autres partenaires afin d’assurer une paix et un développement durables dans le pays, a conclu Mme Ershadi.

« On peut dire de cette longue guerre, comme de toutes les guerres en Afghanistan, qu’elle ne pouvait pas être gagnée et qu’elle n’aurait jamais dû être menée », a déclaré M. MUNIR AKRAM (Pakistan).  Le retrait des forces étrangères était selon lui inévitable et une solution politique globale entre toutes les parties afghanes, et entre celles-ci et la présence étrangère, aurait été le meilleur moyen de mettre fin à ce conflit de 20 ans, a poursuivi le représentant.  Malheureusement, a-t-il déploré, malgré les efforts déployés, notamment par le Pakistan, une telle issue s’est avérée hors d’atteinte.

Indépendamment de l’idéologie et des politiques internes du Gouvernement intérimaire afghan, l’intérêt premier de la communauté internationale, des voisins de l’Afghanistan, en particulier du Pakistan, est le rétablissement d’une paix et d’une sécurité durables dans le pays, a estimé le délégué.  « Cela implique, avant tout, d’éviter une nouvelle guerre civile.  Il serait irresponsable pour quiconque, qu’il s’agisse d’un pays voisin ou non, d’encourager et de parrainer une insurrection ou un groupe terroriste en Afghanistan », a-t-il mis en garde.  Pour M. Akram, il est également vital de poursuivre l’aide humanitaire et économique à l’Afghanistan pour éviter une nouvelle guerre civile, arrêter la montée en puissance des groupes terroristes comme Daech, empêcher l’effondrement économique, une crise humanitaire et un autre afflux de réfugiés en provenance d’Afghanistan.  

L’isolement du Gouvernement intérimaire afghan n’est dans l’intérêt ni du peuple afghan ni de la communauté internationale, a conjecturé le représentant.  « Bien que nous comprenions la frustration de nombreux gouvernements face au non-respect des promesses initiales faites par les Taliban en matière d’éducation des filles et des femmes, de droits humains, d’intégration et de lutte contre le terrorisme, il est peu probable qu’isoler les dirigeants de Kaboul les persuade de changer leurs politiques, et encore moins leur idéologie », a-t-il prévenu.  Ce n’est que par un engagement soutenu que nous pourrons faire progresser les objectifs de la communauté internationale en Afghanistan, a estimé le délégué.

Malgré les difficultés, le Pakistan estime donc que le Conseil, la communauté internationale et la MANUA devraient élaborer une voie claire pour faire progresser ces objectifs.  En ce qui concerne les droits de la personne et l’éducation des filles, les pays membres de l’Organisation de la coopération islamique (OCI) chercheront à progresser, entre autres, par le biais de dialogues entre les Taliban et les délégations d’oulémas.  Mais il est vital d’éliminer la menace que représentent l’État islamique d’Iraq et du Levant-Khorassan, Al-Qaïda et d’autres groupes terroristes.  Le Pakistan soutiendra tous les efforts sincères du Gouvernement intérimaire afghan pour neutraliser et éliminer ces groupes terroristes tout en respectant pleinement la souveraineté et l’intégrité territoriale de l’Afghanistan.  « Certains fauteurs de troubles qui souhaitent encourager le terrorisme contre le Pakistan à partir du sol afghan doivent être vigoureusement dissuadés », a prévenu M. Akram en conclusion.

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