En cours au Siège de l'ONU

CS/14874

Conseil de sécurité: le Procureur de la CPI présente son plan d’action « renouvelé » pour accélérer la justice pour les crimes graves commis en Libye

Au Conseil de sécurité cet après-midi, le Procureur de la Cour pénale internationale (CPI), M. Karim Khan, a présenté les principes fondamentaux de son « plan d’action renouvelé » afin d’accélérer les progrès vers l’établissement des responsabilités en Libye, où la justice n’a que trop tardé selon lui.  Une situation qui ne saurait se transformer en « histoire sans fin », sous peine d’un déni de justice pour les survivants et les familles des victimes. 

Le premier de ces principes est la hiérarchisation des priorités et l’allocation de ressources supplémentaires, notamment sur les questions financières et les crimes sexuels et sexistes.  À cet égard, le déploiement d’outils d’intelligence artificielle et d’apprentissage automatique pour soutenir la transcription et la traduction de fichiers documentaires, vidéo et audio en langue arabe aura un impact profond sur la capacité des enquêteurs à trier et à rechercher les preuves, a expliqué M. Khan. 

Le deuxième principe qui sous-tend cette stratégie renouvelée est l’engagement à donner aux témoins et aux survivants les moyens de participer au travail de son Bureau, a poursuivi le Procureur.  Pour y parvenir, il a préconisé de se rapprocher davantage des communautés touchées, grâce à une présence accrue sur le terrain.  Le troisième pilier consiste en un engagement renouvelé auprès des autorités libyennes, dans le respect du principe de complémentarité:  « Lorsque les autorités nationales sont prêtes et désireuses de faire avancer de véritables procédures, nous devons être là pour les soutenir », a rappelé M. Khan.  Inversement, lorsque les autorités libyennes semblent incapables de mener des enquêtes ou d’engager des poursuites pour des crimes relevant de la compétence de la Cour, son Bureau continuera à mettre en œuvre son travail tel que mandaté par le Conseil. 

Enfin, le quatrième pilier consiste à renforcer la coopération avec les États tiers et les organisations internationales et régionales en vue de faire avancer les procédures liées à la situation en Libye, notamment en ce qui concerne les crimes contre les migrants.  « Plutôt que d’être un sommet lointain du mouvement de la justice pénale internationale, nous nous intégrerons comme une plaque tournante et un partenaire pour l’ensemble des acteurs », a plaidé le juriste. 

Cette feuille de route a été globalement bien accueillie par les membres du Conseil.  Ainsi, la Norvège a salué l’accent mis sur le rapprochement avec les témoins et les survivants.  Encore faut-il qu’ils bénéficient de la protection nécessaire, ce qui pose pour la France la question de donner aux équipes du Procureur les moyens de ses ambitions, notamment pour bénéficier d’un accès sûr et sans entrave à l’ensemble du territoire libyen. 

Dans ce contexte, nombreux ont été les délégations à se préoccuper de l’impasse politique et la crise sécuritaire dans laquelle se trouve plongée la Libye, comme les Émirats arabes unis, qui ont dénoncé la compétition pour le pouvoir et la mobilisation des milices, et se sont inquiétés de la fragilité de l’accord de cessez-le-feu permanent d’octobre 2020, qui suppose le retrait progressif, graduel et équilibré des forces et combattants étrangers ainsi que des mercenaires du sol libyen. 

Le représentant de la Libye a tenu à réaffirmer la détermination de son peuple et de son gouvernement à jeter les bases d’une société moderne démocratique et à exiger que les responsabilités soient établies pour tous les crimes commis, « ce qui ne pourra se faire qu’au travers d’un processus complet de réconciliation nationale ».  Lequel passe, à ses yeux, par la justice, la vérité, les réparations et les garanties de non-répétition.  Il a toutefois réitéré la souveraineté et la compétence des institutions judiciaires nationales, tout à fait aptes selon lui à rendre justice en toute intégrité et à tenir des procès équitables pour tous les suspects recherchés, conformément à la législation nationale. 

Il a, en outre, confirmé « notre coopération » avec la CPI sur la base de son mandat et du mémorandum d’entente signé par le bureau du Procureur général libyen et la Cour, insistant sur le fait que cette juridiction ne saurait se substituer au système judiciaire libyen, nonobstant son concours précieux.  Réagissant à la stratégie détaillée par M. Khan, le représentant libyen lui a demandé d’y inclure des enquêtes complètes pour identifier et poursuivre les « criminels internationaux » que sont les trafiquants d’êtres humains. 

Pour la Fédération de Russie, si les mots « justice » et « impartialité » avaient vraiment un sens pour la CPI, celle-ci ne se concentrerait pas uniquement sur les enquêtes contre les partisans de l’ex-dirigeant libyen Gaddafi, mais cibleraient également des crimes de guerre commis par l’OTAN et l’opposition libyenne.  Qui est responsable de l’effondrement de l’État libyen et des années de souffrance de sa population?  Pourquoi la CPI n’a-t-elle pas de questions sur l’exécution extrajudiciaire de Gaddafi?  Doit-on considérer cela comme une approbation par la Cour de politiques visant à renverser les gouvernements « indésirables » et à assassiner les dirigeants d’États souverains? a demandé le représentant. 

À la question de savoir qui est « à blâmer pour cette agonie sans fin sur cette terre agitée » qu’est la Libye, M. Khan, reprenant la parole, a déclaré que la question restait ouverte. 

LA SITUATION EN LIBYE

Déclarations

M. KARIM KHAN, Procureur de la Cour pénale internationale (CPI), a rappelé que, lors du dernier exposé qu’il avait présenté sur la situation en Libye, il avait confirmé son intention de procéder à un examen complet des enquêtes menées par son Bureau jusqu’à présent et de présenter, au cours de cette session, un plan d’action renouvelé afin d’accélérer les progrès vers l’établissement des responsabilités.  Cette situation, en effet, ne saurait être une « histoire sans fin ».  Si une justice retardée n’est pas toujours un déni de justice, les survivants et les familles des victimes ont le droit légitime de nous voir agir rapidement et efficacement et demander des comptes en cas de résultats insuffisants, a ajouté le Procureur. 

Le bilan que nous avons dressé a fait apparaître des défis persistants qui exigent des solutions nouvelles et innovantes, a affirmé M. Khan.  La stratégie d’enquête renouvelée vise à fournir un cadre pour une action fondée sur quatre principes clefs qui sous-tendent sa vision globale du travail de son Bureau.  Le premier est la hiérarchisation des priorités et l’allocation de ressources supplémentaires, a-t-il détaillé, en annonçant avoir l’intention de consacrer des ressources supplémentaires à l’enquête, en se concentrant en particulier sur l’amélioration des enquêtes financières et des enquêtes sur les crimes sexuels et sexistes.  Le déploiement d’outils d’intelligence artificielle et d’apprentissage automatique pour soutenir la transcription et la traduction de fichiers documentaires, vidéo et audio en langue arabe aura, en particulier, un impact profond sur la capacité des enquêteurs à trier et à rechercher les preuves, ce qui nous permettra de concentrer le travail d’analyse sur les preuves les plus précieuses, a expliqué M. Khan. 

Le deuxième principe qui sous-tend cette stratégie renouvelée est l’engagement à donner aux témoins et aux survivants les moyens de participer à notre travail, a poursuivi le Procureur.  Pour y parvenir, il a préconisé de faire beaucoup plus pour se rapprocher des communautés touchées.  Pour y remédier, mon Bureau, a indiqué le Procureur, s’efforcera d’établir une présence accrue sur le terrain, notamment en renforçant les installations existantes pour mobiliser les témoins dans la région. 

Le troisième pilier consiste en un engagement renouvelé auprès des autorités libyennes.  M. Khan a dit vouloir s’attacher à soutenir les efforts de reddition de comptes au niveau national chaque fois que possible, conformément au principe de complémentarité.  « Dans le cadre de notre travail dans toutes les situations, j’ai déclaré à plusieurs reprises que lorsque les autorités nationales sont prêtes et désireuses de faire avancer de véritables procédures, nous devons être là pour les soutenir », a rappelé M. Khan.  Inversement, lorsque les autorités libyennes semblent incapables de mener des enquêtes ou d’engager des poursuites pour des crimes relevant de la compétence de la Cour, son Bureau continuera à mettre en œuvre son travail tel que mandaté par le Conseil. 

Le quatrième pilier consiste à renforcer la coopération avec les États tiers et les organisations internationales et régionales.  En effet, a dit le Procureur, nous devons explorer toutes les voies possibles pour servir de partenaire aux acteurs nationaux du monde entier qui souhaitent faire avancer les procédures liées à cette situation.  Cet accent renouvelé sur la coopération et la complémentarité s’appuiera sur les succès significatifs obtenus par la coopération avec les autorités nationales et les organisations régionales, y compris Europol, en ce qui concerne les crimes contre les migrants.  En nous appuyant sur l’expérience des mandats d’arrêt émis aux Pays-Bas grâce au soutien du Bureau pour des crimes contre les migrants, nous élargirons l’éventail des juridictions nationales engagées dans le cadre de la situation en Libye et étudierons également le potentiel d’une stratégie d’enquête commune à tous les acteurs concernés, conformément à la résolution 1970 (2011), a exposé le Procureur.  L’amélioration prévue de l’infrastructure technologique du Bureau augmentera notamment de manière significative sa capacité à fournir des preuves et des informations présentant un avantage tangible pour les procédures nationales.  « Plutôt que d’être un sommet lointain du mouvement de la justice pénale internationale, nous nous intégrerons comme une plaque tournante et un partenaire pour tous les acteurs », a-t-il ajouté. 

En conclusion, M. Khan a émis l’espoir qu’aujourd’hui marquera le renouvellement d’un partenariat élargi et le début d’une nouvelle phase de progrès pour répondre aux attentes légitimes de ceux qui, en Libye, attendent déjà depuis trop longtemps que justice soit faite. 

M. JUAN GÓMEZ ROBLEDO VERDUZCO (Mexique) a fait part de sa préoccupation face aux crimes commis contre les migrants et les réfugiés, qui peuvent constituer des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité, ainsi que par la situation dans les centres de détention, dont certains fonctionnent de manière clandestine.  « Nous soulignons ces deux aspects car ils concernent des personnes qui se trouvent dans de graves conditions de vulnérabilité », a insisté le représentant.  À cet égard, il a encouragé la coopération avec les autorités nationales et Europol pour soutenir les enquêtes sur les crimes contre les migrants, sans oublier la nécessité de fournir un soutien psychologique aux témoins et aux survivants d’atrocités qui pourraient constituer des crimes internationaux. 

Le représentant, a, par ailleurs, reconnu que la situation politique actuelle impose de grands défis en matière de sécurité, ce qui a un impact sur le travail d’enquête sur le terrain.  C’est pourquoi, il a réitéré son appel aux autorités libyennes et à tous les acteurs concernés pour qu’ils coopèrent et facilitent le travail du personnel du Bureau du Procureur, en particulier pour la collecte de preuves, qui nécessite des conditions de mobilité libres et sûres.  De même, a-t-il conclu, il est impératif que les mandats d’arrêt émis par la CPI soient respectés. 

M. GENNADY V. KUZMIN (Fédération de Russie) a estimé que le fait que le Procureur de la CPI ait présenté une feuille de route décrivant la vision des travaux de ses services sur le dossier libyen, repensant ainsi les approches de l’ancienne Procureure, Mme Fatou Bensouda, était déjà un pas dans la bonne direction. 

Le représentant a précisé que le dossier libyen, transféré par le Conseil de sécurité à la CPI, ne présente pas les événements comme ils se sont déroulés, mais leur présentation informative par les médias occidentaux et les ONG.  De même, fabriquée à la hâte par le Procureur de la CPI de l’époque, Luis Moreno Ocampo, l’affaire contre Gaddafi a été construite sur des contrefaçons et

avait commencé à s’effondrer avant même le meurtre du dirigeant libyen.  Selon le représentant, le « cas Gaddafi » à la CPI est un dossier qui avait été utilisé pour justifier des interventions militaires non provoquées de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN) contre l’État libyen.  Jusqu’à nos jours, la Libye continue de souffrir des conséquences des actions de l’OTAN en 2011, a-t-il dit. 

M. Kuzmin a souligné que tout ce qui s’est fait contre Mouammar Gaddafi l’a été en connivence et avec l’entière approbation des autorités américaines.  Selon lui, si les mots « justice » et « impartialité » signifiaient vraiment quelque chose pour la CPI, la Cour ne se concentrerait pas uniquement sur les enquêtes contre les partisans du dirigeant Gaddafi, mais elles cibleraient également des crimes de guerre de l’OTAN et des représentants de l’opposition libyenne.  Il s’avère que, selon le Bureau du Procureur, à l’exception de Gaddafi, brutalement assassiné, personne d’autre n’est responsable de la catastrophe en Libye? a constaté le représentant, en relevant que le Bureau du Procureur semblait faire croire que les enquêtes sont presque bouclées. 

Pour M. Kuzmin, c’est là une approche qui frappe par sa partialité.  Qui est responsable de l’effondrement de l’État libyen et les années de souffrance de sa population?  Pourquoi la CPI n’a-t-elle pas de questions sur l’exécution extrajudiciaire de Gaddafi?  Doit-on considérer cela comme une approbation par la Cour de politiques visant à renverser les gouvernements « indésirables » et à assassiner les dirigeants d’États souverains? a demandé le représentant.  Nous appelons toutes les parties de ne pas s’immiscer dans les processus électoraux qui se déroulent dans un pays dont la population, qui souffre depuis longtemps, mérite la stabilité, a-t-il conclu. 

M. JEFFREY DELAURENTIS (États-Unis) a déclaré qu’à la suite des atrocités perpétrées au quotidien en Ukraine, il est plus que jamais nécessaire de soutenir les mécanismes de justice internationale y compris s’agissant de la Libye. Apportant son soutien au Bureau du procureur au moment où il lance sa stratégie renouvelée, le représentant a indiqué qu’il était temps de satisfaire les attentes des victimes qui ont attendu si longtemps la justice.  Cela suppose notamment de dialoguer avec les autorités libyennes sur la reddition de comptes au niveau national, conformément aux principes fondamentaux de la CPI, le but étant de parvenir à des résultats tangibles.  Il s’est ensuite félicité du rapport récent de la mission d’établissement des faits indépendante sur la Libye.  Le représentant a aussi soutenu les efforts en cours pour renforcer les capacités nationales et encouragé un appui à la réforme judiciaire en Libye qui est essentielle pour le succès de toute poursuite. 

Mme DIARRA DIME LABILLE (France) a commencé par exprimer sa préoccupation face à la non-exécution des mandats d’arrêt émis par la Cour, en faisant valoir que le décès des auteurs présumés des crimes les plus graves ne « saurait valoir justice » pour les victimes. 

Prenant note avec intérêt de la feuille de route esquissée par le Procureur dans son rapport, la représentante a dit partager l’attention accordée aux crimes récents relevant du Statut de Rome, y compris ceux commis contre des migrants et dans les centres de détention.  « Nous soutenons ses efforts pour faciliter la collecte, le traitement et l’analyse des éléments de preuve », a-t-elle insisté, en relevant que les rapports du Secrétaire général et de la Mission indépendante d’établissement des faits étaient « accablants ».  elle a également jugé préoccupante la répression accrue contre la société civile et les défenseurs des droits de l’homme dans le cadre de la transition politique.  Elle a jugé essentiel de préserver un espace démocratique dans lequel prendraient toute leur part les femmes et la jeunesse. 

Pour la France, le Bureau du Procureur doit disposer des moyens nécessaires à la réalisation du mandat que lui a conféré ce Conseil.  En particulier, les équipes du Procureur doivent bénéficier d’un accès sûr et sans entrave à l’ensemble du territoire libyen et les témoins et survivants doivent pourvoir bénéficier de toute la protection nécessaire.

Mme Dime Labille s’est félicitée de l’intensification des échanges qu’entretient le Bureau du Procureur avec les juridictions et services libyens compétents, soulignant que la visite annoncée du Procureur au cours des prochains mois sera l’occasion de consolider cette coopération. 

En attendant, la France restera mobilisée en faveur de la transition politique en Libye avec tous les partenaires internationaux. 

Mme CATHERINE NYABOKE NYAKOE (Kenya) a relevé que la Libye conserve la responsabilité première d’assurer l’obligation de reddition de compte ainsi que l’administration de la justice à l’intérieur de ses frontières.  Elle a souligné la nécessité d’une coopération judiciaire, dans le respect des paramètres du principe de complémentarité.  Elle a également appelé à accorder un soutien accru à la Libye pour renforcer ses capacités d’enquêtes et de poursuites judiciaires. 

La représentante a par ailleurs constaté que des milliers de migrants, demandeurs d’asile et réfugiés continueraient de subir des traitements inhumains entre les mains des autorités et des réseaux criminels, à la fois à l’intérieur et à l’extérieur de la Libye.  Elle a appelé l’Union européenne (UE) et les autres parties intéressées à s’attaquer sérieusement aux facteurs qui incitent à cette migration. 

M. MOHAMED ISSA ABUSHAHAB (Émirats arabes unis) a constaté que la situation en Libye reste incertaine en raison de la compétition pour le pouvoir, de la mobilisation des milices et du manque de clarté concernant la voie politique.  Pour éviter l’escalade et de nouvelles divisions en Libye, il est important que la Commission militaire mixte 5+5 maintienne son impartialité et prenne ses distances par rapport aux tensions politiques actuelles, a-t-il dit.  Le représentant a également souligné l’importance du maintien de l’accord de cessez-le-feu permanent, y compris le retrait progressif, graduel et équilibré des forces et combattants étrangers ainsi que des mercenaires de la Libye. 

La réalisation de la justice, qui est une prérogative nationale souveraine, exige l’établissement d’une paix durable sur le territoire libyen en renforçant les capacités des institutions nationales, a rappelé le représentant.  Il faut également que la communauté internationale soutienne les initiatives et les efforts de la Libye, de l’ONU et de tous les autres pays visant à faciliter un processus de réconciliation nationale pour parvenir à une stabilité à long terme.  À cet égard, M. Abushahab s’est félicité de l’engagement actuel et des réunions entre la CPI et les autorités compétentes en Libye, ainsi que de la coopération existante entre la Libye et la Cour, fondée sur le protocole d’accord signé entre le Bureau du procureur général de la Libye et le Bureau du Procureur de la CPI. 

M. MADHU SUDAN RAVINDRAN (Inde) a d’abord rappelé que l’Inde n’est pas partie au Statut de Rome et qu’elle avait exprimé des doutes lorsque la Cour pénale internationale avait été saisie de la question libyenne en 2011 par le Conseil de sécurité, doutes que les événements ultérieurs « ont, malheureusement, confirmés ».  Pour le représentant, il ressort clairement du présent rapport comme des rapports précédents que la saisine de la CPI « n’a eu aucun effet sur la cessation des violences ou le rétablissement de la stabilité » dans le pays.  Cette situation conforte l’Inde dans l’idée que, lorsque des affaires sont renvoyées à la Cour principalement pour des raisons politiques, le mécanisme de la CPI n’est pas le mieux adapté pour servir les objectifs de la justice. 

Le représentant s’est dit préoccupé par l’évolution récente en Libye et les désaccords politiques.  Il a souhaité que toutes les questions politiques en suspens pourront être résolues pacifiquement en gardant à l’esprit les intérêts généraux du peuple libyen. Il a également souhaité que le cessez-le-feu d’octobre 2020 continue de tenir bon.  Le délégué a insisté sur l’impératif de tenir les élections présidentielle et parlementaires dans les meilleurs délais, afin de poursuivre l’élan généré par la signature de l’accord de cessez-le-feu.  Il s’est félicité des consultations en cours en Libye pour trouver la base constitutionnelle des élections, qui devront être libres, équitables, inclusives et crédibles. 

Le représentant a insisté pour que le Conseil de sécurité et la communauté internationale soutiennent le peuple libyen en envoyant un message clair, à savoir que la violence, sous quelque forme que ce soit, est condamnable et compromettrait les progrès réalisés depuis 2020.  Il faut en particulier veiller à ce que les groupes terroristes et leurs affiliés ne soient pas autorisés à opérer en Libye. Le représentant a jugé très préoccupante la présence et les activités de l’État islamique, y compris à cause du risque d’extension qu’ils pourraient avoir dans toute la région du Sahel. 

Mme ANNE-MARIE O’SULLIVAN (Irlande) a relevé que l’impunité reste un obstacle important à la transition de la Libye vers la démocratie et l’état de droit.  Elle a reconnu que l’environnement opérationnel, sécuritaire et politique dans lequel le Bureau du procureur continue d’opérer en Libye est très difficile et que les progrès sont particulièrement dépendant de la coopération avec les autorités libyennes.  Elle a exhorté la Libye à exécuter le mandat d’arrêt en cours contre Saïf Gaddafi. 

La représentante s’est félicitée de la décision d’allouer des ressources pour recruter du personnel supplémentaire doté d’une expertise en crimes sexuels et sexistes, notant que ces formes de violence sont répandues dans les centres de détention de migrants.  Relevant que les ressources demeurent un sujet de préoccupation pour la Cour, elle a estimé que tout renvoi d’une situation à la CPI doit être assorti d’un financement adéquat.  Elle a aussi appuyé les initiatives visant à assurer la sécurité de ceux qui coopèrent avec la Cour. 

Mme TRINE SKARBOEVIK HEIMERBACK (Norvège) s’est félicitée des quatre principes fondamentaux de la stratégie renouvelée présentée par le Procureur, en particulier pour habiliter les personnes touchées par les crimes présumés à participer à la procédure, ainsi que la nouvelle approche adoptée pour s’engager auprès des autorités libyennes.   Un aspect important de cette coopération consiste pour la Libye –ainsi que pour la communauté internationale– à soutenir les arrestations et les remises de suspects en temps voulu, a-t-elle indiqué.  Plus généralement, la déléguée a réitéré le soutien de son pays au processus politique mené et contrôlé par les Libyens, y compris la tenue d’élections en temps voulu et en toute sécurité.  Elle s’est dite enfin préoccupée par la lutte actuelle pour le contrôle de l’exécutif et a exhorté les parties à convenir d’une voie consensuelle, essentielle pour préserver l’unité et la stabilité du pays. 

M. JOÃO GENESIO DE ALMEIDA FILHO (Brésil) a réaffirmé le soutien de son pays à la Cour pénale internationale.  Rappelant que le Brésil présidait ce Conseil de sécurité lorsque la résolution 1970, qui renvoyait la situation libyenne à la Cour, a été adoptée à l’unanimité, le représentant a également réitéré l’attachement de son pays à la paix et à la stabilité libyennes. 

Le Brésil soutient en particulier les efforts en cours pour retirer les forces étrangères du territoire libyen.  La présence de combattants étrangers, y compris de mercenaires, représente une menace supplémentaire pour la stabilité et l’état de droit de la Libye, a estimé le représentant.  Il a ajouté que la présentation ouverte de la stratégie d’enquête et de poursuites, y compris ses objectifs clefs et ses principes fondamentaux, tels qu’ils sont reflétés dans le présent rapport, représentent un pas dans la bonne direction. 

Saluant l’accent mis par le Procureur sur le principe de complémentarité pour soutenir et renforcer les enquêtes et les poursuites nationales, le délégué l’a encouragé à continuer de dialoguer régulièrement avec les autorités libyennes, car la complémentarité est l’une des pierres angulaires du système du Statut de Rome.  Le Brésil salue en outre la volonté du Procureur de rapprocher son Bureau des survivants, des témoins et des familles des victimes, en accord avec les autorités nationales.  Une telle présence renforcée sur le terrain peut contribuer à créer un environnement sûr, sécurisé et stable pour les témoins qui souhaitent dialoguer directement avec les enquêteurs.  En outre, les efforts de coopération peuvent fournir des opportunités pour renforcer les institutions locales, afin que l’État puisse s’acquitter de sa responsabilité première d’enquêter et de poursuivre les crimes commis sur son territoire. 

Le représentant a appelé l’ONU à fournir des ressources appropriées à la CPI pour les situations déférées par le Conseil de sécurité.  On ne saurait trop insister sur le fait que la situation actuelle, où seuls les États parties assument le coût des renvois du Conseil de sécurité, n’est ni équitable ni durable, a-t-il conclu. 

M. MICHEL XAVIER BIANG (Gabon) a estimé que tous crimes commis en Libye doivent faire l’objet d’enquêtes de la CPI.  Il a salué la mise en place de nouvelles stratégies d’enquêtes de la CPI en Libye, lesquelles tiennent compte des contraintes budgétaires, sans préjudice des besoins de justice, encore moins de l’exigence d’établir la responsabilité des auteurs présumés de crimes.  Bien entendu, il faut œuvrer étroitement avec les autorités libyennes, et impliquer les acteurs internationaux et régionaux, ainsi que la société civile à même de contribuer au succès de cette vaste et délicate entreprise, a relevé M. Biang.  Il a aussi salué le recours aux technologies avancées de l’information, y compris l’intelligence artificielle, dans ces enquêtes. « Nous croyons que le peuple libyen a besoin de justice et c’est la vocation du Bureau du Procureur d’administrer et faire avancer cette justice conformément au principe de complémentarité », a expliqué le délégué.  À cet égard, une coopération très étroite avec la Mission d’appui des Nations Unies en Libye (MANUL) s’avère essentielle.  Il a enfin souligné l’importance de créer les conditions d’une justice réparatrice des meurtrissures du peuple libyen, à savoir l’aboutissement du processus politique, la cessation des hostilités et la résolution pacifique et durable de la crise qui prévaut. 

M. SOLOMON KORBIEH (Ghana) a salué le rapport bien structuré de la CPI et son approche proactive pour faire face à la situation en Libye. Il a exigé que toutes les personnes faisant l'objet de mandats d'arrêt de la CPI pour les crimes qu’ils auraient commis en Libye - génocide, crimes de guerre et crimes contre l'humanité - soient amenées à rendre des comptes.  Le Ghana est conscient des défis auxquels la Cour est confrontée à la lumière de la situation politique et sécuritaire complexe actuelle en Libye, a poursuivi le délégué. Il s’est félicité de l'approche adoptée par la Cour qui fait appel au principe de complémentarité, l’un des principes fondamentaux du Statut de Rome. « La Cour, en collaborant avec les autorités nationales libyennes compétentes, a franchi une étape positive dans le renforcement de la confiance qui peut produire les résultats souhaités. »  D’après le délégué, la proposition de signature du protocole d'accord, avec l'engagement de toutes les parties prenantes libyennes concernées, est également un pas dans la bonne direction. Sur la question de la protection des témoins, il a suggéré que la CPI fasse sortir les témoins de Libye si nécessaire et qu’elle sollicite la coopération des États voisins dans le cadre de l'enquête, notamment en recueillant des preuves auprès de migrants qui auraient échappé aux atrocités commises en Libye et cherché refuge dans ces États.  

M. ZHIQIANG SUN (Chine) a jugé impératif que toutes les parties en Libye fassent preuve de retenue dans leurs actions pour éviter toute complication de la situation.  Le cessez-le-feu doit être préservé et les divergences de vues entourant la légitimité du gouvernement doivent être réglées par le dialogue et la consultation.  Un consensus doit être trouvé sur la feuille de route des élections afin de créer les conditions propices pour des élections dans les plus brefs délais. 

La communauté internationale devrait défendre le principe d’un processus dirigé et piloté par les Libyens, a poursuivi le représentant.  La Chine n’étant pas partie au Statut de Rome, sa position reste inchangée, à savoir, a insisté le délégué, continuer de respecter le principe de complémentarité tel qu’indiqué dans le Statut, en respectant la souveraineté judiciaire de la Libye. 

Mme ALBANA DAUTLLARI (Albanie) a réaffirmé l’attachement et le soutien de son pays à la CPI et au Statut de Rome.  Des atrocités de masse ont été commises à Tripoli, Alep, Srebrenica, Racak et au Darfour - et la triste liste se rallonge aujourd’hui avec Boutcha et Marioupol.  En l’absence de justice pour de tels crimes, les auteurs s’enhardissent et continuent d’assaillir les civils et le droit international.  La CPI et d’autres tribunaux internationaux jouent un rôle vital pour mettre fin à l’impunité et rendre justice aux victimes de crimes contre l’humanité où qu’ils soient commis, a-t-elle rappelé, notamment en Libye.  Les Libyens doivent ainsi pouvoir avancer, se réconcilier et parvenir à un avenir meilleur.  La représentante a dénoncé la violence continue contre les migrants, les rapports de torture dans les centres de détention et les crimes commis contre les femmes et les enfants, y compris les violences sexuelles, pendant les opérations militaires.  Il faut répondre à ces violations du droit international, des droits humains et du droit humanitaire et poursuivre en justice les responsables, au niveau national et international si besoin.  Si l’application du principe de responsabilité peut atténuer les souffrances des victimes et des survivants, elle est aussi un moyen de dissuasion puissant pour éviter que de tels crimes ne se répètent.  C’est dans cet esprit que l’Albanie, avec d’autres États qui croient en la justice et au mandat de la CPI, ont renvoyé la situation en Ukraine à la Cour.  Ils soutiennent pleinement l’enquête indépendante sur les crimes odieux contre l’humanité qui sont commis en Ukraine. 

Mme BARBARA WOODWARD (Royaume-Uni) a relevé l’existence de « preuves crédibles » de la commission continue de crimes graves généralisés en Libye, y compris des crimes de violence sexuelle liés au conflit.  Le Royaume-Uni condamne ces actes répréhensibles et demande que leurs auteurs soient traduits en justice.  Les droits de l’homme doivent être pleinement protégés en Libye, a réitéré la déléguée, appelant à maintenir « notre engagement » envers les victimes de ces 11 dernières années. 

L’enquête de la CPI est, selon la représentante, une contribution importante à la justice transitionnelle, qui est essentielle au succès du processus politique et dans l’intérêt de tous les Libyens.  C’est pourquoi le Royaume-Uni appelle les autorités libyennes à coopérer avec l’enquête de la CPI et la Mission indépendante d’établissement des faits.  L’accès aux sites, aux preuves et aux témoins sans intimidation est nécessaire pour progresser, a ajouté la représentante 

Le Royaume-Uni soutient la stratégie renouvelée du Procureur et les principes sur lesquels il va faire avancer l’enquête.  Il se félicite, en particulier, de la priorité accordée à l’enquête en Libye et de l’annonce de ressources supplémentaires, qui, a espéré la représentante, accéléreront les progrès vers la justice pour les victimes.  Enfin, la représentante a salué le travail du Procureur pour coopérer avec les autorités nationales et son intention de développer davantage ces partenariats, y compris en aidant les poursuites au niveau national ou régional lorsque cela est approprié. 

Reprenant la parole, M. KHAN, Procureur de la CPI, a réagi aux propos de la Fédération de Russie, se demandant qui est « à blâmer pour cette agonie sans fin sur cette terre agitée », y voyant une «question qui reste ouverte».  Il a ensuite rappelé que c’est le Conseil de sécurité qui assume la responsabilité première du maintien de la paix de la sécurité internationales.  « Il est donc très important de ne pas oublier cela », alors que, comme nombre de personnes, le Procureur s’est dit frustré que l’on tolère encore un monde dans lequel tant de personnes continuent de souffrir.  La justice internationale n’est pas une baguette magique qui va corriger tous les maux de l’humanité, a-t-il poursuivi; si vous espérez cela, nous continuerons d’échouer.  La question est de savoir si, collectivement ou non, nous nous soucions vraiment des femmes, des enfants et des hommes qui veulent simplement vivre leur vie et ne pas continuer à souffrir. 

M. TAHER M. T. ELSONNI (Libye) a réaffirmé la détermination du peuple libyen à jeter les bases d’une société moderne démocratique et à exiger que les responsabilités soient établies pour tous les crimes commis, ce qui ne pourra se faire qu’au travers d’un processus complet de réconciliation nationale.  Celui-ci passe par la justice, la vérité, les réparations et les garanties de non-répétition, a déclaré le représentant, qui y a vu des étapes sur la voie qui permettra de tourner la page du passé douloureux dont le peuple libyen a souffert au cours de ces dernières années. 

Le représentant a rappelé la souveraineté et la compétence des institutions judiciaires nationales, tout à fait aptes selon lui à rendre justice en toute intégrité et à tenir des procès équitables et justes pour tous les suspects recherchés, conformément à la législation nationale.   Il a, en outre, confirmé « notre coopération » avec la CPI, selon le mandat émis et le mémorandum d’entente signé par le Bureau du Procureur général libyen et la CPI et ce, dans le cadre de l’assistance complémentaire fournie au système judiciaire libyen. 

À cet égard, il a insisté sur le fait que la CPI ne saurait se substituer au système judiciaire libyen, mais que son soutien était le bienvenu. 

Le délégué a, par ailleurs, salué la nouvelle stratégie annoncée par le Procureur, visant à accorder la priorité à la situation en Libye, en fournissant les ressources nécessaires en vue de renforcer les efforts pour la reddition des comptes.  Il a, en outre, mis en garde contre la politisation des affaires. 

Il importe de reconnaître les souffrances des victimes et de rétablir la confiance de l’État, a poursuivi le représentant, remerciant la CPI de partager le résultat de ses enquêtes après les trois visites faites en Libye.  À cet égard, il a mentionné les fosses communes de Tarhouna et d’autres villes, les qualifiant de crimes de guerre, perpétrés contre des civils innocents. 

Le représentant a, par ailleurs, assuré que les autorités libyennes veillent à la protection des migrants irréguliers contre toutes exactions ou violations des droits de l’homme auxquelles ils seraient exposés en raison de la crise actuelle, des crimes qu’il a qualifiés « d’actions personnelles », que son pays s’attèle à éradiquer.  Dans le même temps, le représentant s’est élevé contre toutes les tentatives de certains États de créer des conditions pour exporter « chez nous » leurs crises avec ce concept de « réinstallation », contraire au droit international. 

Enfin, le représentant s’est dit consterné par la position de la communauté internationale vis-à-vis de trafiquants d’êtres humains.  Rappelant que leurs réseaux sont transnationaux, il a estimé que, pour combatte ce phénomène, il fallait commencer par éliminer ces réseaux et leurs chefs, où qu’ils se trouvent.  Se tournant vers M. Khan, il lui a demandé d’inclure dans sa stratégie des enquêtes complètes pour identifier et poursuivre ces criminels internationaux. 

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