9180e séance - après-midi
CS/15095

Ukraine: rejet d’un projet de résolution russe réclamant une enquête du Conseil de sécurité sur de possibles programmes biologiques militaires

Le Conseil de sécurité a rejeté, cet après-midi, par 2 voix pour –Chine et  Fédération de Russie-, 3 voix contre –États-Unis, France et Royaume-Uni- et 10 abstentions –tous les membres élus du Conseil-  un projet de résolution présenté par la Fédération de Russie relatif à la plainte déposée par ce pays au titre de l’article VI de la Convention sur l’interdiction de la mise au point, de la fabrication et du stockage des armes bactériologiques (biologiques) ou à toxines et sur leur destruction (CIABT). 

Le texte, s’il avait été adopté, aurait entraîné la création par le Conseil de sécurité d’une commission composée de tous ses membres afin d’enquêter sur les allégations portées contre les États-Unis et l’Ukraine dans la plainte de la Fédération de Russie concernant le respect des obligations résultant de la Convention dans le cadre des activités des laboratoires biologiques situés sur le territoire de l’Ukraine, de lui présenter d’ici au 30 novembre 2022 un rapport sur la question assorti de recommandations et d’informer les États parties à la Convention des résultats de l’enquête lors de la neuvième Conférence d’examen qui se tiendra à Genève du 28 novembre au 16 décembre 2022. 

Le Conseil devait en outre rappeler qu’en application de l’article VI de la Convention, les États parties à la Convention s’engagent à coopérer à toute enquête qu’il peut entreprendre conformément aux dispositions de la Charte des Nations Unies à la suite d’une plainte par lui reçue. 

La plainte à laquelle le projet de résolution fait référence a été déposée figure dans une lettre* datée du 24 octobre 2022 adressée au Président du Conseil de sécurité par le Représentant permanent de la Fédération de Russie auprès de l’Organisation des Nations Unies.

À la demande de la Fédération de Russie, le Conseil de sécurité s’était déjà penché à quatre reprises depuis le 11 mars, sur les allégations de ce pays concernant de prétendues activités biologiques militaires menées par l’Ukraine avec l’aide et la participation directes du Département de la défense des États-Unis dans des laboratoires situés sur son territoire.  Des traces de ces activités auraient été découvertes par les forces armées russes à l’occasion de « l’opération militaire spéciale » lancée le 24 février.

Par trois fois, les 11 mars, 18 mars et 13 mai, le Département des affaires de désarmement des Nations Unies avait informé le Conseil qu’il n’avait « pas connaissance » de tels programmes.  Le 29 juin, la Fédération de Russie avait demandé la convocation d’une réunion consultative formelle des États parties à la CIABT au titre de l’article V de la Convention.  La réunion s’est tenue du 26 août 2022 au 8 septembre à Genève, sans parvenir à un consensus.  C’est alors que la Fédération de Russie a invoqué l’article VI de la CIABT pour saisir le Conseil de sécurité de sa plainte lors d’une séance tenue le 27 octobre, à l’occasion de laquelle le représentant russe renouvelait ses accusations et annonçait le dépôt du projet de résolution qui a été rejeté aujourd’hui.

Avant le vote, le représentant russe a affirmé que la décision que le Conseil s’apprêtait à prendre était importante, car il allait confirmer qu’il agissait bien en conformité avec le droit international et notamment avec les dispositions de la CIABT.  Il a déploré que, lors des deux séances de consultations sur le projet de résolution qui ont suivi la séance du 27 octobre, « tout ce que nous avons entendu, ce sont de vieilles rengaines sur la propagande russe et l’absence d’éléments convaincants », ajoutant que ces propos préjugeaient de la décision du Conseil et ressemblaient à « une tentative de sabotage ».  Les Occidentaux ont tout simplement peur que le Conseil enquête dans le cadre d’une commission regroupant tous ses membres, a-t-il insinué, en souhaitant que les délégations qui restent attachées au droit international « n’auront pas peur de soutenir » le projet de résolution.

Après le vote, le représentant russe s’est dit « très déçu », mais a affirmé que son pays continuerait de respecter la Convention et de fournir des éléments concernant les violations de celle-ci par l’Ukraine et les États-Unis, y compris lors de la neuvième Conférence des États parties à la CIABT qui doit se tenir à Genève dans quelques jours.

À l’exception du Gabon, tous les autres membres du Conseil ont ensuite pris la parole.

Seule à avoir soutenu le projet de résolution de la Fédération de Russie, la Chine a expliqué son vote positif par le fait que la sécurité biologique ne connaît pas de frontières.  Le Conseil de sécurité doit obtenir des informations claires de la part des pays concernés sur le respect ou la violation de la Convention sur l’interdiction des armes biologiques, a estimé le représentant.  Et s’il est vrai que les arguments de la Russie n’ont pas vraiment obtenu de suites, c’est justement la raison pour laquelle le Conseil devrait diligenter une enquête, a-t-il ajouté.

Qu’ils se soient abstenus ou aient voté contre, la plupart des autres pays ont mis en garde contre une utilisation abusive de la CIABT et du Conseil lui-même.

La France a ainsi expliqué avoir voté contre le texte, car elle ne veut pas voir le Conseil de sécurité se transformer en forum de mensonges.  Les soi-disant preuves fournies par la Fédération de Russie ont déjà été examinées et ne méritent aucune attention supplémentaire, a fait observer le représentant.  Rappelant que le Secrétariat général des Nations Unies avait dit à plusieurs reprises devant ce Conseil n’avoir rien trouvé, il a accusé la Fédération de Russie de vouloir se présenter en victime et de vouloir faire pleurer, tout en faisant en fait plutôt rire.  Elle sème la confusion pour détourner l’attention du désastre de son attaque contre l’Ukraine, a ajouté le représentant, pour qui « il faut que cela cesse ». 

Le Royaume-Uni a justifié son vote négatif par la volonté de protéger l’intégrité de la CIABT et de ne pas la mettre à mal par le biais d’accusations infondées ou d’allégations malveillantes.  Les allégations de la Russie ont été examinées lors de consultations à Genève et l’Ukraine et les États-Unis ont fourni des réponses exhaustives, alors qu’à l’analyse, les allégations de la Russie ne révèlent aucune base crédible.  Les États-Unis ont eux aussi justifié leur opposition au projet de résolution par le fait qu’il était fondé sur des éléments erronés et malhonnêtes.  La Russie n’a pas réussi à étayer ses allégations infondées contre les États-Unis et l’Ukraine.  Plutôt que de l’écouter, nous devrions faire face à la réalité de l’agression russe contre l’Ukraine, a ajouté la représentante. 

Premier à expliquer son abstention, le Mexique a estimé que le Conseil de sécurité ne devrait pas se pencher sur une situation relative à l’article VI de la CIABT.  Certes, on ne peut pas écarter d’un revers de la main le contenu du projet de résolution, a estimé le représentant, mais il a rappelé qu’aux termes de l’article VI de la Convention, il fallait d’abord prouver une violation pour qu’ensuite il y ait enquête, ce qui n’a pas été le cas.  En outre, le représentant du Mexique a jugé que ni les termes ni les délais proposés dans le projet de résolution n’étaient réalistes.  Il a enfin ajouté qu’aucun État ne saurait être juge et partie dans le cadre d’une commission indépendante et que la Fédération de Russie devrait donc en être exclue. 

L’Irlande a elle aussi estimé que la Fédération de Russie n’avait apporté aucun élément de preuve pour appuyer ses accusations et que sa demande n’avait dès lors aucune valeur, d’où son abstention.  L’Irlande a invité la Fédération de Russie à cesser d’utiliser le Conseil de sécurité pour ce genre de choses au risque de porter atteinte aux mécanismes internationaux du multilatéralisme. 

On peut utiliser certains mécanismes mais on ne peut en abuser, a commenté l’Albanie, qui a à son tour mis l’accent sur le manque d’éléments de preuve à l’appui des allégations de la Russie, avant de se féliciter que les 10 membres élus du Conseil aient adopté la même position. 

La Norvège a considéré que la Fédération de Russie avait présenté les mêmes accusations que celles entendues à Genève lors de la réunion de consultation tenue au titre de l’article V de la CIABT et que, dans les deux cas, elle ne présentait pas d’arguments mais se contentait d’assertions.  La Russie doit cesser de nous soumettre des requêtes totalement infondées et non étayées, a lancé la représentante, qui a estimé que la coopération entre les États-Unis et l’Ukraine entrait dans le cadre de la coopération internationale légitime et pacifique autorisée et encouragée par la Convention.  Pour la Norvège, il est essentiel de protéger le mécanisme de vérification existant et de ne surtout pas offrir la possibilité d’exercer un droit de veto sur ce sujet aux membres du Conseil de sécurité. 

Les Émirats arabes unis ont expliqué leur abstention par le fait que l’article VI de la CIABT n’ayant encore jamais été utilisé jusqu’à ce jour, les États membres devraient faire preuve de prudence avant de l’invoquer, en s’entendant d’abord sur les éléments justifiant d’y recourir, ce qui n’a pas été le cas.  Le Ghana a lui aussi estimé qu’il faudrait d’abord que la Fédération de Russie présente des preuves prima facie de violation de la Convention. 

Le Brésil a rappelé que la question avait déjà fait l’objet d’un débat il y a quelques jours au Conseil.  Pour ce pays, les conditions d’ouverture d’une enquête au titre de l’article VI de la Convention ne sont pas réunies et il vaudrait mieux tenir des discussions sur la mise en place d’un mécanisme de vérification permettant la pleine mise en œuvre de la Convention.  Dans le même sens, l’Inde a estimé que la CIABT devrait, comme d’autres instruments juridiquement contraignants, disposer d’un mécanisme de vérification propre, tant la question des armes biologiques est d’une importance majeure pour la communauté internationale. 

Le Kenya a rappelé son engagement à l’égard de la Convention et rejeté toute tentative qui pourrait la mettre à mal.  Il a rappelé que la pandémie de COVID-19 avait démontré le caractère essentiel de la coopération internationale, notamment en matière de recherche de technologie biologique.  Tout ce qui pourrait nuire à la santé publique doit être condamné.  Il a certes souhaité des enquêtes indépendantes et impartiales, mais à condition qu’on puisse en toute confiance contacter le Secrétariat de façon indépendante et impartiale, et c’est pourquoi il s’est abstenu.

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