Libye: le processus électoral reste au cœur des discussions du Conseil de sécurité à un mois de l’expiration du mandat de la MANUL
À la veille d’une réunion à Genève entre les chefs de la Chambre des députés et du Haut Conseil d’État libyens, la Secrétaire générale adjointe aux affaires politiques et à la consolidation de la paix a insisté aujourd’hui devant le Conseil de sécurité sur le fait que la priorité pour l’ONU en Libye reste le retour au processus électoral. Alors que la période de transition prévue par la feuille de route s’est achevée le 22 juin sans que les élections, prévues fin décembre 2021, aient pu être tenues, Mme Rosemary DiCarlo s’est dite « ravie » des progrès accomplis par les délégués au Forum de dialogue politique intralibyen, le 20 juin, concernant une base constitutionnelle pour le scrutin.
Mme DiCarlo a mis l’accent sur le large consensus obtenu par les parties sur la plupart des articles litigieux du projet de Constitution de 2017 et a annoncé qu’elles avaient accepté l’invitation de la Conseillère spéciale du Secrétaire général pour la Libye, Mme Stéphanie Williams, à une réunion à Genève les 28 et 29 juin, afin de parvenir à un accord sur les mesures régissant la période de transition menant aux élections. Elle a également pris note du lancement, le 23 juin, de la vision stratégique du projet pour la réconciliation nationale du Conseil de la présidence, et a fait part de la disposition de l’ONU à faciliter le dialogue entre le Premier Ministre du Gouvernement d’Unité nationale Abdul Hamid Mohammed Dbeibah et Fathi Bashagha, élu Premier Ministre par intérim le 10 février dernier par la Chambre des représentants basée à Tobrouk. Elle a enfin salué la reprise des activités de la Commission militaire conjointe 5+5 dont la réunion, le 7 juin à Tunis, a porté sur la nécessité de renforcer le cessez-le-feu.
En revanche, la Secrétaire générale adjointe a déploré, comme après elle plusieurs membres du Conseil, la fermeture partielle du secteur pétrolier qui a conduit à une perte de revenus de 3,1 milliards de dollars. Elle s’est également montrée préoccupée par la situation des droits de l’homme, et a demandé aux autorités d’enquêter sur toutes les allégations et les responsables de violation des droits. Elle a aussi suggéré de proroger le mandat de la mission indépendante d’établissement des faits sur la Libye, soutenue sur ce point notamment par la France, la Norvège et l’Albanie. À cet égard, le sort des migrants a été évoqué, notamment par le Ghana au nom des A3.
Les A3 ont en outre souhaité que les futures élections garantissent la pleine participation des femmes et des jeunes, une préoccupation partagée en particulier par l’Irlande, alors qu’une représentante de la société civile libyenne avait témoigné de la difficulté pour les femmes d’être incluses dans une société dominée par les hommes et des traditions patriarcales. Le représentant de la Libye a toutefois affirmé que la participation des femmes à la vie publique avait récemment connu des évolutions positives, notamment au Parlement.
Le représentant de la Libye a en revanche déploré une impasse dans le processus politique, désormais couplée à une crise énergétique et alimentaire qui alimente la frustration de la population. Il a exhorté le Conseil de sécurité et l’ONU à appuyer le processus électoral et à envoyer des équipes « dès maintenant », notamment pour assurer la tenue d’élections libres et transparentes. En même temps, il a dénoncé la division du Conseil concernant la situation dans son pays et accusé certains de ses membres de s’ingérer dans les affaires intérieures de la Libye. Il a également estimé que le Conseil ne prenait pas assez en compte l’opinion de son pays et se contentait trop souvent de l’informer sans le consulter. Il a cité à cet égard les discussions en cours pour nommer enfin, après plusieurs mois de vacances, un représentant spécial à la tête de la Mission d’appui des Nations Unies en Libye (MANUL).
La question de la direction de la Mission et de son mandat, qui doit être renouvelé fin juillet après quatre prorogations techniques depuis septembre 2021, a été abordée par plusieurs des membres du Conseil. Les États-Unis ont souhaité que le Conseil dote la MANUL d’un mandat clair d’un an pour lui permettre de travailler en toute confiance à régler les nombreux problèmes de la Libye et ont souhaité que la Mission mette en œuvre les recommandations de l’examen stratégique de l’an dernier pour s’acquitter de son mandat de façon effective et aider à stabiliser le pays. Le Mexique a lui aussi demandé un renforcement de la Mission grâce à un leadership et un mandat forts à la hauteur des défis auxquels est confrontée la Libye.
La question de la direction de la MANUL a donné lieu à une passe d’armes entre le représentant de la Fédération de Russie et ceux des États-Unis et du Royaume-Uni. La Russie a accusé le Royaume-Uni, pays porte-plume, de saper un projet de déclaration présidentielle qu’elle faisait circuler sur la question, et a reproché plus généralement aux délégations occidentales d’être prisonnières d’une pensée néocoloniale et de vouloir imposer aux Libyens leur propre scénario d’une manière cynique et inacceptable, alors qu’elles sont responsables de la crise dans laquelle se débat le pays depuis leur agression de 2011. Les États-Unis se sont « catégoriquement opposés » à toute accusation d’entrave et le Royaume-Uni a mis en cause les mercenaires présents en Libye, accusant en particulier le groupe russe privé Wagner d’avoir des « effets délétères » sur le pays et la région, et la Russie de violer l’embargo sur les armes.
LA SITUATION EN LIBYE
Déclarations liminaires
Mme ROSEMARY DICARLO, Secrétaire générale adjointe aux affaires politiques et à la consolidation de la paix, s’est dite ravie des progrès accomplis par les délégués de la Chambre des députés et du Haut Conseil d’État, le 20 juin, concernant une base constitutionnelle pour les élections, alors que les institutions du pays souffrent d’un manque de légitimité démocratique, puisque, a-t-elle rappelé, la Chambre des députés a été élue en 2014 pour une durée de quatre ans, alors que le haut Conseil a été élu voici près de 10 ans. Elle a notamment expliqué que les deux parties étaient parvenues à un large consensus sur la plupart des articles litigieux du projet de Constitution de 2017 et avaient accepté l’invitation de la Conseillère spéciale du Secrétaire général, Mme Stéphanie Williams, à une réunion à Genève du 28 au 29 juin, afin de parvenir à un accord sur les mesures régissant la période de transition menant aux élections. Les élections sont le seul moyen de régler les désaccords sur la légitimité démocratique de toutes les institutions libyennes, a insisté Mme DiCarlo. Il est temps de se mettre d’accord sur les questions en suspens et de faire en sorte que les élections aient lieu, a-t-elle insisté.
Déterminée à soutenir les efforts de réconciliation nationale libyenne, la Secrétaire générale adjointe a pris note du lancement, le 23 juin, de la vision stratégique du projet pour la réconciliation nationale du Conseil de la présidence, qui met l’accent sur la lutte contre les causes profondes des conflits. Le processus de réconciliation doit être inclusif, centré sur les victimes, fondé sur les droits et sur les principes de la justice transitionnelle, a-t-elle insisté. Il doit mettre l’accent sur la vérité, la responsabilité et les réparations, a-t-elle suggéré, rappelant que la question du pouvoir exécutif n’est pas encore résolue.
L’ONU est prête à faciliter le dialogue entre le Premier Ministre du Gouvernement d’Unité nationale Abdul Hamid Mohammed Dbeibah et Fathi Bashagha, élu Premier Ministre par intérim le 10 février dernier par la Chambre des représentants basée à Tobrouk, a fait savoir Mme DiCarlo. La Secrétaire générale adjointe a appelé les acteurs politiques et sécuritaires libyens à faire preuve de la plus grande retenue et à régler tous les différends par le dialogue, et a salué la reprise des activités de la Commission militaire conjointe 5+5. La réunion, le 7 juin à Tunis, du Groupe de travail sur la sécurité de la Conférence de Berlin, avec la participation de la Commission militaire conjointe 5+5, a porté sur la nécessité de renforcer le cessez-le-feu et fourni une occasion aux observateurs libyens du cessez-le-feu de l’Est et de l’Ouest de tenir leurs premières discussions pour opérationnaliser le Mécanisme de surveillance du cessez-le-feu dirigé et contrôlé par les Libyens. Une autre réunion est programmée à nouveau, à Tunis, les 28 et 29 juin, a précisé Mme DiCarlo.
Sur le plan économique, la Secrétaire générale adjointe a expliqué que la fermeture partielle du secteur pétrolier avait réduit les exportations de pétrole libyen d’un tiers, représentant pour le pays une perte de revenus de 3,1 milliards de dollars. Le 7 juin, a-t-elle continué, l’ONU et le Ministère de la planification ont signé le premier Cadre de coopération des Nations Unies pour le développement durable en Libye, couvrant la période 2023-2025, qui guidera le travail de consolidation de la paix et de développement des entités des Nations Unies en Libye, conformément aux priorités nationales et à l’appui de la réalisation des objectifs de développement durable.
S’alarmant de la situation des droits de l’homme dans le pays, Mme DiCarlo s’est montrée préoccupée par les restrictions drastiques imposées aux organisations de la société civile. Ainsi, les défenseurs des droits de l’homme sont la cible de discours de haine et d’incitation à la violence compromettant leur sécurité. Depuis mai, la Mission d’appui des Nations Unies en Libye (MANUL) a reçu d’autres informations faisant état de graves allégations de torture contre des Libyens, des migrants et des demandeurs d’asile dans des centres de détention et des prisons. Les autorités doivent enquêter sur toutes les allégations et les responsables de violations des droits de l’homme doivent être tenus responsables au niveau national ou, le cas échéant, par la Cour pénale internationale, a rappelé la Secrétaire générale adjointe, qui a suggéré de proroger le mandat de la Mission indépendante d’établissement des faits sur la Libye pour enquêter et informer sur les violations du droit international humanitaire et des droits de l’homme et contribuer ainsi à assurer une paix durable et à favoriser la réconciliation nationale fondée sur les droits en Libye.
Selon Mme DiCarlo, l’ONU avait, au 14 juin, enregistré le retour de 10 000 personnes déplacées supplémentaires dans leur lieu d’origine depuis le début de l’année. Le nombre total des déplacés s’élève maintenant à 159 000, a-t-elle précisé, jugeant préoccupantes les menaces d’expulsions forcées de personnes déplacées.
Mme DiCarlo a conclu en insistant sur le fait que la priorité de l’ONU en Libye reste de faciliter le retour au processus électoral, sur une base constitutionnelle solide et consensuelle, afin d’organiser des élections qui sont le seul moyen de donner une légitimité démocratique aux institutions. La prochaine réunion, à Genève, entre les chefs de la Chambre des députés et du Haut Conseil d’État devra aboutir à un accord final et réalisable qui conduirait aux élections le plus tôt possible. L’appui constant et uni du Conseil à ces efforts est essentiel.
Mme BUSHRA ALHODIRI, Responsable des opérations de l’ONG locale Fezzan Libya Organisation (FLO), a indiqué avoir mené depuis 2016 plus de 30 projets de promotion de la cohésion sociale et l’autonomisation des jeunes et des femmes, en passant par le renforcement des capacités de gouvernance locale. Elle a précisé combien il est difficile pour les femmes d’être incluses dans une société libyenne dominée par les hommes et des traditions patriarcales. « Grâce à ces projets, j’ai été amenée à rencontrer les autorités locales, les hommes religieux et les membres de haut rang de la communauté pour analyser les indicateurs de conflit et concevoir la meilleure approche d’intervention pour rassembler les membres de la communauté » a ajouté Mme Alhodiri, avant de préciser que certains participants ont, au début, refusé de participer à une réunion dirigée par une jeune femme. Elle a dit que la persistance de harcèlement sur les réseaux sociaux et d’agressions physiques dans la rue laissent entrevoir un avenir sombre pour les femmes libyennes. Elle a dit que l’heure est venue pour les décideurs politiques en Libye de réaliser que l’objectif de démocratie pour tous nécessite une réelle participation des femmes.
Face à ces enjeux, Mme Alhodiri a appelé à des efforts visant à encourager la participation des femmes à la vie politique et aux activités de consolidation de la paix en Libye. Elle a jugé essentiel d’améliorer les services destinés aux femmes et une meilleure coordination entre les instances gouvernementales, les ONG et la communauté internationale pour améliorer les programmes mis en œuvre en faveur des femmes aux niveaux national et local.
En outre, la représentante de la société civile a dit la nécessité de renforcer la position des femmes par la législation et de porter à 50% le quota de femmes aux prochaines élections législatives. Enfin, elle a jugé indispensable de promouvoir et de diffuser une culture d’égalité des sexes qui donne la priorité à la participation des femmes pour promouvoir la démocratie. Enfin elle a invité la MANUL à aider les autorités libyennes à créer un cadre national pour la promotion des femmes rurales, des déplacées et des femmes victimes de violences domestiques.
Déclarations
M. JAMES KARIUKI (Royaume-Uni) a constaté qu’en l’absence d’élections en décembre dernier, la feuille de route n’est pas parvenue à son terme. Il s’est félicité des progrès réalisés entre les Chambres lors des pourparlers qui se sont tenus au Caire, ajoutant qu’il appartient désormais à celles-ci de décider du cadre juridique devant mener à des élections et à respecter le choix du peuple libyen. La stabilité en Libye ne sera possible qu’au moyen d’un processus politique inclusif incarné par des élections libres et régulières, a-t-il rappelé. Estimant que la présence de troupes étrangères en Libye continue de représenter un obstacle à la paix et la sécurité, il a exhorté les mercenaires à quitter le pays sans délai. Le représentant s’est dit favorable à l’appui de la Commission militaire conjointe 5+5 pour assurer la mise en œuvre du cessez-le-feu et appelé à davantage de progrès sur cette question. À l’approche de la date de renouvellement de la MANUL, il s’est dit prêt à des discussions constructives sur un nouveau mandat de la Mission.
M. HAROLD A. AGYEMAN (Ghana) qui s’exprimait au nom des A3 (Gabon, Ghana et Kenya), a salué les progrès accomplis par la Chambre des députés et le Haut Conseil d’État dans la recherche d’une base constitutionnelle pour les élections. Cet élan doit être maintenu pour résoudre les problèmes en suspens, a exhorté le représentant, pour qui le processus de paix, dirigé et contrôlé par les Libyens, ne peut être réalisé sans le dialogue et la réconciliation. Il a salué le lancement par les autorités libyennes de la vision stratégique du projet de réconciliation nationale. Un processus de paix n’est pas exclusivement électoral, a toutefois prévenu le représentant, qui a souhaité des élections qui garantissent la pleine participation des femmes et des jeunes libyens. Il a mis en garde contre toute tentative extérieure de dicter leur conduite aux Libyens quant à la voie de paix à suivre. Le représentant s’est dit préoccupé par les violences à Tripoli et dans les environs et appelé les parties à renoncer à toute rhétorique incendiaire. Les combattants étrangers, les forces étrangères et les mercenaires doivent quitter immédiatement la Libye, a-t-il ajouté, estimant qu’un tel départ aiderait à l’unification de l’armée. Il a demandé aussi au Conseil de soutenir la mise en œuvre de l’accord de cessez-le-feu et de respecter son embargo sur les armes.
Estimant que le processus de paix en Libye est inextricablement lié à la stabilité de la région, M. Agyeman a jugé essentielles les consultations avec les États voisins et a demandé que l’appui international soit étendu à la coopération transfrontalière dans la lutte contre le trafic d’armes et la traite des êtres humains. Les efforts de désarmement, de démobilisation et de réinsertion ne doivent pas seulement être concentrés en Libye, mais se dérouler aussi dans le cadre d’une approche collaborative avec les États voisins et les organisations régionales, a-t-il poursuivi. En outre, il est nécessaire d’inclure le renforcement des capacités et l’appui en matière de lutte contre le terrorisme dans les réformes du secteur de la sécurité et les efforts de désarmement, démobilisation et réintégration.
Le représentant a demandé que tous les migrants, réfugiés et demandeurs d’asile soient traités avec dignité et que toute mesure concernant les avoirs gelés de la Libye soit prise en consultation avec les autorités libyennes, afin de veiller à ce qu’ils soient préservés en vue de leur retour éventuel au peuple libyen.
M. MADHU SUDAN RAVINDRAN (Inde) s’est inquiété d’un risque de détérioration en Libye en l’absence d’accord entre les parties et avec l’impasse dans laquelle se trouve le processus électoral. Il a jugé important de voir des progrès concrets dans le retrait total et complet des forces étrangères et des mercenaires. Il a regretté l’absence de progrès tangibles à cet égard, plus d’un an et demi après la signature de l’accord de cessez-le-feu. Il a aussi noté que la soi-disant formation militaire dispensée par certains pays et la présence de leurs troupes sur le sol libyen constituent une violation manifeste des résolutions du Conseil de sécurité, plus précisément du paragraphe 9 de la résolution 1970 (2011) du Conseil de sécurité. Il a jugé important de veiller à ce que le processus politique en Libye soit pleinement dirigé et détenu par les Libyens sans imposition ni ingérence extérieure. Le représentant a aussi jugé important que la communauté internationale concentre son attention sur la menace terroriste en Afrique, en particulier dans la région du Sahel. Notant que les rapports du Secrétaire général et du Groupe d’experts font état de la présence de camps d’entraînement de l’EIIL et de ses affiliés dans le sud de la Libye, le représentant a exhorté le Conseil à s’attaquer à cette question avant qu’il ne soit trop tard.
Mme MONA JUUL (Norvège) a encouragé les chefs des partis qui se réuniront cette semaine à Genève à assurer la tenue d’élections inclusives, libres et démocratiques aussi tôt que possible. Les progrès réalisés depuis 2020 ne doivent pas être perdus, a-t-elle souhaité, en se référant à la détérioration des services publics, notamment l’éducation et les services de santé, et au cessez-le-feu fragile qui perdure sous les menaces. Les autorités libyennes doivent honorer leurs obligations en matière de protection des droits de la personne, a-t-elle aussi exigé. Elle s’est dite favorable à la prorogation du mandat de la mission d’établissement des faits de la Libye afin de faire progresser le respect des droits humains et de la réconciliation.
M. RICHARD M. MILLS (États-Unis) s’est dit consterné que des hommes qui ne s’appuient pas sur la légitimité populaire décident qui peut détenir le pouvoir en Libye, alors que des millions de Libyens attendent toujours d’exercer leurs droits de voter pour désigner leurs dirigeants. Pour le représentant, c’est l’unité qui peut conduire à la stabilité. On ne peut rester dans le statu quo parce que cela implique stagnation et violence potentielle. Le fait de dire que la feuille de route est arrivée à échéance ne change pas les faits sur le terrain, a prévenu le représentant. Estimant que le report des élections ne pourrait que conduire à plus d’instabilité, il a rappelé que l’objectif du Forum de dialogue politique interlibyen était d’organiser des élections.
Prenant note des progrès accomplis par la Chambre des députés et le Haut Conseil d’État, M. Mills les a exhortés à surmonter leurs différends lors de la prochaine réunion de Genève, dans laquelle il a vu la possibilité d’un catalyseur pour de la tenue des élections. S’agissant du cessez-le-feu, le représentant a réitéré l’appui des États-Unis aux parties pour parvenir à un accord sur une base constitutionnelle. Il a demandé à la MANUL de mettre en œuvre les recommandations de l’examen stratégique pour pouvoir s’acquitter de son mandat de façon effective et aider à stabiliser le pays. Il a demandé au Conseil de doter la Mission d’un mandat clair et d’un an, pour lui permettre de travailler en toute confiance pour régler les nombreux problèmes de la Libye.
M. JOÃO GENÉSIO DE ALMEIDA FILHO (Brésil) a salué l’accord intervenu entre le Haut Conseil d’État et la Chambre des représentants qui a conduit aux pourparlers qui se tiennent les 28 et 30 juin à Genève. Il a approuvé la pertinence et la légitimité de la feuille de route du Forum de dialogue politique interlibyen et s’est félicité de la vision stratégique du projet de réconciliation nationale, exprimant son espoir de voir bientôt ce dernier pleinement mis en œuvre. S’agissant de la paix et de la sécurité, il a regretté la poursuite des actes de violence à travers la Libye et a réitéré l’importance de l’accord de cessez-le-feu de 2020. Il a noté que le plan d’action de la Commission militaire conjointe 5+5 est la pierre angulaire de sa mise en œuvre. « Nous soutenons le renforcement des institutions en Libye, dirigé et réalisé par les Libyens eux-mêmes, avec une pleine appropriation nationale, et croyons fermement que ces institutions renforceront la capacité de la Libye à favoriser la paix et la sécurité », a-t-il conclu.
M. NICOLAS DE RIVIÈRE (France) s’est dit préoccupé par l’évolution de la situation en Libye, qui risque d’anéantir les progrès réalisés ces dernières années. Dans un contexte marqué par la coexistence de deux gouvernements rivaux, le risque d’une partition du pays ne doit pas être pris à la légère. Pour le représentant, la priorité doit être de résoudre la crise du pouvoir exécutif pour parvenir à un gouvernement unifié, capable de mener le processus électoral sur l’ensemble du territoire libyen. Il a appelé les acteurs libyens à s’abstenir de toute violence, à respecter le cessez-le-feu et à se concentrer sur la tenue des élections présidentielle et parlementaires. Ce dialogue est nécessaire pour définir une nouvelle feuille de route pour la tenue des élections dans les meilleurs délais, a ajouté M. de Rivière, qui a encouragé les présidents des deux chambres à finaliser l’accord sur la base constitutionnelle à l’occasion de leur réunion à Genève les 28 et 29 juin, et à permettre ainsi son entrée en vigueur dès que possible.
Le représentant a souligné l’importance du dialogue pour apaiser les tensions et préserver la stabilité. Ce dialogue est nécessaire pour poursuivre la mise en œuvre de l’accord du cessez-le-feu, notamment le retrait de toutes les forces étrangères et des mercenaires dans les meilleurs délais, et a pour objectif la réunification des institutions libyennes, notamment militaires et sécuritaires. Saluant la reprise des travaux de la Commission militaire conjointe 5+5, M. de Rivière a rappelé l’obligation faite à tous les États Membres de respecter l’embargo sur les armes. Il s’est dit préoccupé par la poursuite du blocage pétrolier et a apporté son appui aux propositions de gel des revenus pétroliers. Il a appelé enfin au renouvellement du mandat de la mission indépendante d’établissement des faits en Libye, dont le travail est essentiel au regard des violations préoccupantes des droits de l’homme, notamment des migrants, et du droit international humanitaire.
Mme ALICIA GUADALUPE BUENROSTRO MASSIEU (Mexique) a déploré que le processus politique en Libye continue d’être affaibli par l’absence d’un véritable engagement en faveur de la tenue d’élections. La situation est devenue « pratiquement intenable », a-t-elle noté, alors que la volonté légitime des citoyens libyens se heurte aux intérêts individuels de groupes politiques qui entravent la transition démocratique. Dans ce contexte, la représentante a invité les membres du Conseil de sécurité à renforcer la MANUL au moyen d’un leadership et d’un mandat forts, à la hauteur des défis auxquels est confrontée la Libye.
S’agissant de la situation sécuritaire, Mme Buenrostro Massieu a condamné les affrontements des dernières semaines près de Tripoli et appelé toutes les factions à respecter l’accord de paix. Ces événements nous montrent qu’il est urgent de réaliser des progrès en matière de désarmement, de démobilisation et de réintégration, a-t-elle relevé. Elle a par ailleurs émis l’espoir que les prochains rapports du Secrétariat des Nations Unies comporteront davantage d’informations sur la contribution spécifique de la composante des Nations Unies au mécanisme de surveillance du cessez-le-feu.
Concernant la situation économique, la représentante a qualifié « d’injustifiables » les actions entreprises pour boycotter l’exploitation et la commercialisation du pétrole, estimant qu’elles privent le peuple libyen de ressources indispensables pour financer les services de base et faire face à la situation humanitaire.
M. DAI BING (Chine) a noté que plusieurs tâches prévues dans la feuille de route n’ont pu être réalisées dans les délais impartis et que plusieurs différends demeurent entre les parties, notamment sur la tenue des élections. Il a estimé que ces différends ne doivent pas empêcher le processus de paix d’avancer dans la bonne direction. Il a dit apprécier le rôle positif de l’Égypte pour maintenir la dynamique du dialogue. Le représentant a appelé la communauté internationale à respecter la souveraineté nationale de la Libye et à renoncer à toute volonté d’imposer des solutions de l’extérieur. Rappelant que la crise libyenne est née d’une intervention extérieure, le représentant a appelé à éviter de répéter les erreurs du passé. Il a enfin invité les membres du Conseil de sécurité à parvenir à un consensus sur la question libyenne.
Mme CAÍT MORAN (Irlande) a imploré les parties libyennes de se mettre d’accord, dès que possible, sur un cadre politique qui ouvrirait la voie à des élections nationales libres, équitables et inclusives. Prenant note des résultats des dernières négociations du Forum de dialogue politique interlibyen, la représentante a appelé les deux parties à éviter les actions unilatérales et à assurer aux femmes une participation pleine, égale et significative à tous les aspects de la transition politique et des efforts de consolidation de la paix en Libye. Elle a condamné toutes les menaces, les représailles et les violences, en ligne et hors ligne visant les femmes, en particulier les défenseuses des droits humains et les artisanes de la paix. Les autorités doivent redoubler d’efforts pour prévenir ces actes odieux, demander des comptes à leurs auteurs et prendre des mesures pour permettre le travail des organisations de la société civile, a-t-elle plaidé.
Après avoir demandé le renouvellement du mandat de la MANUL, la représentante a exprimé ses inquiétudes quant à la situation générale sécuritaire de plus en plus instable. Elle a appelé tous les acteurs à respecter l’accord de cessez-le-feu d’octobre 2020 et demandé le retrait complet de tous les combattants, que ce soit ceux des forces étrangères ou des mercenaires. S’attaquer aux causes sous-jacentes du conflit signifie assurer une répartition transparente, responsable, juste et équitable des richesses et des ressources publiques pour le peuple libyen et donner la priorité à la réconciliation nationale, s’attaquer aux profondes divisions politiques et construire une paix durable de bas en haut, a recommandé la déléguée. Enfin, elle a dit attendre la nomination d’un nouveau représentant spécial du Secrétaire général pour diriger la MANUL, en ce moment important pour la Libye et son peuple.
M. MOHAMED ISSA ABUSHAHAB (Émirats arabes unis) a estimé qu’à ce moment « critique » de la situation en Libye, suite à la conclusion du calendrier établi dans la feuille de route, les Libyens doivent continuer de s’engager dans un dialogue national responsable et une désescalade complète. Il a salué les progrès accomplis par les parties suite au troisième cycle de consultations du Comité de suivi de la Constitution au Caire, et espéré que les réunions qui se tiendront, cette semaine, à cet effet permettront de parvenir à un consensus sur les questions en suspens. Il a espéré que ces mesures permettront aux Libyens d’adopter des mesures pratiques, fondées sur un cadre constitutionnel, pour faciliter la tenue d’élections parlementaires et présidentielle libres et inclusives.
Pour ce faire, il a jugé indispensable d’améliorer la situation sécuritaire, alors que les affrontements se poursuivent aux environs de Tripoli. Il s’est félicité de la reprise de la Commission militaire conjointe 5+5, tout en insistant sur la nécessité de mettre en œuvre les résolutions du Conseil de sécurité relatives au retrait des forces, des combattants étrangers et des mercenaires de Libye de manière simultanée, progressive et équilibrée. Enfin, il a mis en garde contre les « vides sécuritaires » qui peuvent être exploités par les groupes extrémistes et terroristes ou servir de vecteurs à la propagation de discours de haine et d’incitation à la violence.
M. DMITRY A. POLYANSKIY (Fédération de Russie) a dit craindre que la Libye ne puisse jamais se remettre des conséquences de l’agression occidentale de 2011. Il a noté que le processus de rédaction de la Constitution et l’organisation des élections n’ont pu se terminer à temps alors qu’il n’y a pas eu de progrès dans l’unification des structures administratives et militaires. Le représentant a fermement condamné la récente recrudescence de la violence entre les groupes armés à Tripoli et dans d’autres régions du pays, ainsi que les fermetures de routes le long de la côte. Il a exhorté les parties à s’abstenir d’actions irréfléchies qui aggraveraient la scission. Il a appelé tous les acteurs internationaux qui ont de l’influence sur les différentes forces libyennes à les inciter à une interaction constructive par des moyens politiques et diplomatiques.
M. Polyanskiy a salué les progrès intervenus au cours du troisième cycle de négociations achevé au Caire entre les délégations de la Chambre des représentants et du Haut Conseil d’État sur le projet d’une future Constitution, sans parvenir à un accord. Il a jugé pertinent de respecter le cessez-le-feu et que la Commission militaire conjointe 5+5 poursuive ses travaux. Pour la Fédération de Russie, le retrait synchronisé, équilibré, graduel et échelonné de tous les groupes armés et unités militaires étrangères, conformément aux accords conclus à Genève, l’année dernière, par la Commission militaire conjointe 5+5, est la seule approche qui permettra d’éviter la dégradation de la situation sécuritaire.
Le représentant a estimé que la situation en Libye menaçait de devenir incontrôlable en raison de l’égoïsme des délégations occidentales. Il a ajouté qu’une MANUL « décapitée » et sans chef ne pouvait pleinement remplir les fonctions essentielles qui lui sont confiées pour accompagner le dialogue national. Il a accusé les délégations occidentales d’être prisonnières d’une pensée néocoloniale et de vouloir imposer aux Libyens leur propre scénario d’une manière cynique et inacceptable et s’en est pris au représentant du Royaume-Uni, pays porte-plume sur la Libye, en l’accusant de saper un projet de déclaration présidentielle soumis par la Russie. Il a exhorté le Secrétaire général à aborder cette question de manière équilibrée et délibérée. Il a souhaité que la candidature au poste de Représentant spécial tienne compte de l’avis des partis libyens et des acteurs régionaux, afin de ne pas succomber aux diktats des occidentaux qui considèrent la Libye comme leur « pré carré ».
M. FERIT HOXHA (Albanie) a estimé que la priorité en Libye est d’éviter toute escalade militaire et de sortir de l’impasse politique et constitutionnelle. La rivalité entre groupes armés n’est synonyme que de retour en arrière et ne doit pas être permise, a-t-il insisté. Il a rappelé que le peuple libyen veut un processus par et pour les Libyens devant déboucher sur des élections libres et régulières, qui sont le cadre d’une base constitutionnelle. Le représentant a demandé aux chefs du Haut Conseil d’État et de la Chambre des députés d’échanger en toute bonne foi lors de la réunion convoquée demain à Genève. Le Conseil ne doit pas permettre de tentatives de prendre le pouvoir par la force, a-t-il appelé.
La deuxième priorité énoncée par le délégué de l’Albanie est de préserver la stabilité sur le terrain, en prévenant un conflit. Il a exhorté tous les acteurs politiques et institutionnels à redoubler d’efforts pour le retrait de Libye des combattants étrangers, des forces étrangères et des mercenaires. S’agissant de la situation relative aux droits de la personne, il a appelé les acteurs politiques libyens à respecter leurs engagements en matière de droits de la personne et à ne pas les oublier pour des gains politiques à court terme. « Le processus de réconciliation doit être axé sur les droits et sur les victimes. » Le représentant a dit être favorable à la prolongation du mandat de la mission d’établissement des faits en Libye. Il a soutenu les efforts du Secrétaire général pour nommer un représentant spécial.
Reprises de parole
Reprenant la parole pour réagir aux propos du représentant de la Fédération de Russie, M. KARIUKI (Royaume-Uni) a reproché à son homologue russe de parler d’unité du Conseil de sécurité alors que la délégation russe est la seule à avoir recouru au veto. Il a rappelé que le dernier rapport du groupe d’experts avait apporté des éléments de preuve sur les agissements du groupe Wagner, lequel a des effets délétères sur le pays et la région. « Nous avons aussi des preuves du groupe d’experts que l’embargo sur les armes a été violé par la Russie » a encore dit le représentant.
Réagissant à son tour aux propos du représentant de la Fédération de Russie, M. MILLS (États-Unis) s’est « catégoriquement opposé » à toute accusation d’entrave à l’adoption de résultats sur la Libye au Conseil de sécurité. Les États-Unis ont envoyé des propositions pour renforcer le texte à l’étude sous la forme d’amendements légitimes et constructifs qui ne font l’objet d’aucune visée obstructionniste, a-t-il assuré. Contrairement à la Fédération de Russie, les États-Unis ne se sont jamais opposés à la nomination d’un représentant spécial, a-t-il ajouté.
Déclaration finale
M. TAHER M. T. ELSONNI (Libye) a déclaré que la participation des femmes à la vie publique en Libye avait récemment connu des évolutions positives, notamment au Parlement. Il a fait état d’un processus politique dans l’impasse, avec une crise énergétique et alimentaire qui alimente la frustration de la population. Nous sommes aux prises avec un « cercle vicieux », alors que la troisième série de pourparlers du Caire continue d’achopper sur des éléments de base qui font obstacle à la voie constitutionnelle, a-t-il noté. Il a dit espérer que les parties soient en mesure de sortir de l’impasse actuelle lors de la prochaine réunion de Genève, afin de progresser vers la tenue d’élections libres et démocratiques. Les accords politiques passés, a poursuivi le représentant, ont montré que la crise libyenne est une « crise politique par excellence », un conflit entre des « super-pouvoirs » qui se battent dans notre pays.
M. Elsonni a exhorté le Conseil de sécurité et l’ONU à appuyer le processus électoral et à envoyer des équipes « dès maintenant », notamment pour assurer la tenue d’élections libres et transparentes. Il a toutefois dénoncé la division du Conseil, qui a pour effet d’exacerber les souffrances du peuple libyen, tandis que certains de ses membres s’ingèrent dans les affaires intérieures de la Libye. Le représentant a demandé au Secrétaire général de consulter les parties prenantes libyennes avant de nommer un représentant spécial. Le Conseil de sécurité ne prend pas en compte les opinions du pays concerné et ne le consulte que de façon informelle, a-t-il déploré.
Malgré ces difficultés, le représentant a émis l’espoir que le pays serait en mesure de surmonter la crise actuelle, notamment grâce à un soutien à la réconciliation nationale, qui est tout aussi importante que le processus politique, pour répondre aux besoins du peuple libyen. Malgré les initiatives et les dialogues des dernières années, la réconciliation nationale n’a jamais été dûment abordée en tenant compte de ses causes profondes, a estimé M. Elsonni, estimant qu’il y avait là un cercle vicieux dont le pays doit sortir, en collaboration avec l’Union africaine et l’ONU. Après les puissances qui ont donné la priorité à leurs propres intérêts, il appartient maintenant aux Libyens de donner préséance à leurs intérêts, a-t-il conclu.