En cours au Siège de l'ONU

9103e séance, après-midi
CS/14989

Le Conseil de sécurité proroge pour une durée « inhabituelle » de trois mois le mandat de la Mission d’appui des Nations Unies en Libye (MANUL)

Le Conseil de sécurité a, cet après-midi, décidé de proroger jusqu’au 31 octobre 2022 le mandat de la Mission d’appui des Nations Unies en Libye (MANUL).  La Fédération de Russie a reconnu que ce renouvellement était d’une durée « inhabituelle ».  « Le Conseil n’est pas à la hauteur des attentes du peuple libyen », a regretté le délégué du Ghana, secondé par ses homologues du Gabon et du Kenya, qui ont exprimé leur frustration devant la brièveté de ce renouvellement.

En adoptant la résolution 2647 (2022) par 12 voix pour et 3 abstentions –celles des trois pays africains précités–, le Conseil demande au Secrétaire général de nommer « rapidement » un représentant spécial basé à Tripoli pour diriger la Mission, alors que ce poste est vacant depuis maintenant six mois.  Il prend également note du désir du peuple libyen de se prononcer sur ses futurs dirigeants au moyen d’élections, invitant instamment les institutions politiques et les principales parties prenantes à organiser ces scrutins « le plus rapidement possible » et de manière transparente et inclusive.

Le Conseil demande à toutes les parties de s’abstenir de tout acte susceptible de compromettre le processus politique ou l’Accord de cessez-le-feu en Libye signé le 23 octobre 2020.  Le Conseil souligne qu’il ne saurait y avoir de solution militaire en Libye et exige que tous les États Membres respectent pleinement l’embargo sur les armes imposé à la Libye.  Enfin, les États Membres sont exhortés à respecter pleinement la souveraineté, l’indépendance, l’intégrité territoriale et l’unité nationale du pays.

Expliquant son vote, le Royaume-Uni a indiqué partager la frustration de ses collègues africains, blâmant la Fédération de Russie, qui a, selon la délégation britannique, « refusé de se rallier au consensus pour un mandat plus long ».  Conscient également de ce délai inhabituel, son homologue russe a annoncé que son pays se prononcerait en faveur d’une prorogation plus longue dès que la MANUL sera dotée d’un nouveau chef.  Mais une durée de trois mois complique la recherche d’un nouveau représentant spécial ainsi que les tâches de la Mission, ont rétorqué les États-Unis.

« Les mandats de courte durée dissuadent les candidats éventuels au poste de représentant spécial, lequel est vacant depuis trop longtemps », a appuyé le Ghana.  Le Gabon a indiqué s’être abstenu « pour interpeller le Conseil ».  Ce dernier a déjà procédé à quatre renouvellements techniques du mandat de la Mission pour des périodes très brèves alors que tous les voyants sont au rouge en Libye et que la situation sécuritaire s’y dégrade à vue d’œil, s’est alarmée la délégation.

« Il n’est plus tenable pour la MANUL de travailler avec un mandat si bref et c’est la raison pour laquelle le Kenya s’est abstenu lors du vote », a renchéri le délégué de ce pays, en souhaitant que le prochain mandat soit de 12 mois.  Enfin, ces trois délégations ont demandé, à l’instar de la Chine et du Brésil, que la Mission ait à sa tête un chef et représentant spécial en provenance du continent africain.

LA SITUATION EN LIBYE

Texte du projet de résolution (S/2022/580)

Le Conseil de sécurité,

Rappelant sa résolution 1970 (2011) et toutes ses résolutions ultérieures sur la Libye, notamment les résolutions 2259 (2015), 2510 (2020), 2542 (2020), 2570 (2021) et 2629 (2022),

Réaffirmant son ferme attachement à un processus politique dirigé et contrôlé par les Libyens et facilité par l’Organisation des Nations Unies, qui doit ouvrir la voie à la tenue dès que possible d’élections présidentielle et législatives nationales libres, régulières et inclusives en Libye et exprimant à cet égard son appui à l’action de facilitation des concertations interlibyennes visant à créer des conditions et des circonstances favorables à l’organisation d’élections reposant sur des bases constitutionnelles et légales,

Conscient du rôle important que jouent les pays voisins et les organisations régionales à l’appui de l’action des Nations Unies, rappelant la résolution 2616 (2021), constatant avec préoccupation les répercussions du conflit sur les pays voisins, notamment le danger que représentent le transfert illicite, l’accumulation déstabilisante et le détournement d’armes, ainsi que les mouvements de groupes armés et de mercenaires, et encourageant le maintien de l’appui international et de la coopération régionale entre la Libye, les pays voisins et les organes compétents de l’Organisation des Nations Unies, à l’appui de la consolidation et de la pérennisation de la paix dans le pays et dans la région,

Exhortant les institutions et autorités libyennes à garantir la participation pleine, égale, effective et véritable des femmes à tous les niveaux, y compris aux postes de direction, à toutes les activités et décisions concernant la transition démocratique, le règlement des conflits et la consolidation de la paix, sachant qu’il importe de protéger les femmes, les organisations de défense des droits des femmes, et les artisanes de la paix contre les menaces et les représailles, et appuyant les efforts faits par la Mission d’appui des Nations Unies en Libye (MANUL) pour permettre aux femmes issues de tous les secteurs de la société libyenne de contribuer et de participer plus largement au processus politique et aux institutions publiques, et sachant que le processus politique doit être ouvert à tous les Libyens,

Insistant sur le fait qu’il est nécessaire de planifier le désarmement, la démobilisation et la réintégration des groupes armés et de tous les acteurs armés non étatiques concernés, notamment le retour de leurs membres dans leur pays d’origine, soulignant qu’il importe d’instaurer une coordination régionale à cet égard, constatant qu’il importe de préparer la réforme du secteur de la sécurité et d’établir un dispositif de sécurité inclusif, unifié et responsable, placé sous le contrôle des autorités civiles pour toute la Libye, et demandant aux autorités libyennes de s’attacher à accomplir des progrès sur cette question,

Rappelant que les ressources pétrolières de la Libye doivent être utilisées au profit de tous les Libyens et rester sous le contrôle exclusif de la National Oil Corporation, engageant toutes les parties à laisser la National Oil Corporation mener ses activités sans perturbation, ingérence, ni politisation, et rappelant qu’il importe que la Libye contrôle ses institutions économiques et financières, ce qui comprend la responsabilité d’assurer une gestion transparente, équitable et responsable des recettes dans tout le pays,

Réaffirmant qu’il importe de créer un mécanisme dirigé par les Libyens et rassemblant les parties prenantes de tout le pays destiné à définir les priorités en matière de dépenses et à veiller à ce que les recettes du pétrole et du gaz soient gérées de manière transparente et responsable et fassent l’objet d’un contrôle effectif, et réaffirmant le rôle de la MANUL pour ce qui est d’aider à consolider les arrangements économiques des institutions libyennes,

Réaffirmant qu’il entend veiller à ce que les avoirs gelés en application des dispositions du paragraphe 17 de la résolution 1970 (2011) soient, à une étape ultérieure, mis à la disposition du peuple libyen et utilisés à son profit,

Se déclarant gravement préoccupé par la situation humanitaire en Libye, notamment par les mauvaises conditions de vie et l’insuffisance de services de base, le trafic de migrants et de réfugiés et la traite d’êtres humains, par les difficultés rencontrées par les migrants, les réfugiés et les déplacés, qui sont détenus arbitrairement, soumis à de mauvais traitements et exposés à la violence sexuelle et fondée sur le genre, ainsi que par l’impossibilité pour les déplacés de regagner leurs foyers en raison des risques liés aux explosifs et des menaces de représailles, soulignant qu’il importe de s’attaquer aux causes profondes du trafic de migrants et de la traite d’êtres humains, se félicitant des travaux menés par la MANUL pour coordonner et appuyer la fourniture de l’aide humanitaire aux réfugiés et aux migrants, engageant les autorités libyennes à prendre des mesures aux fins de la fermeture des centres de rétention de migrants et à atténuer d’urgence les souffrances de toute la population libyenne en accélérant la prestation des services publics dans toutes les zones du pays, et exhortant toutes les parties à permettre et à faciliter le libre accès humanitaire en toute sécurité et sans entrave,

Rappelant sa résolution 2510 (2020) dans laquelle il a enjoint à toutes les parties au conflit de s’acquitter des obligations que leur impose le droit international, notamment le droit international humanitaire, et soulignant que quiconque est responsable de violations du droit international humanitaire et de violations des droits humains et d’atteintes à ces droits devra être amené à répondre de ses actes,

Rappelant qu’il a constaté, dans sa résolution 2213 (2015), que la situation en Libye continuait de menacer la paix et la sécurité internationales,

1.    Décide de proroger jusqu’au 31 octobre 2022 le mandat de la Mission d’appui des Nations Unies en Libye (MANUL), mission politique spéciale intégrée, pour lui permettre de mener à bien le mandat qui lui a été confié dans la résolution 2542 (2020) et au paragraphe 16 de la résolution 2570 (2021);

2.    Réaffirme sa décision selon laquelle la MANUL devrait être dirigée par un représentant spécial du Secrétaire général basé à Tripoli, épaulé par deux représentants spéciaux adjoints du Secrétaire général, et demande au Secrétaire général de nommer un représentant spécial rapidement;

3.    Rappelle la feuille de route du Forum de dialogue politique interlibyen, déplore que bon nombre de résultats attendus n’aient pas encore été atteints, souligne que les objectifs et les principes directeurs énoncés dans les articles 1 et 2 de la feuille de route du Forum demeurent pertinents pour le processus politique, rejette toute action susceptible de conduire à la violence ou d’accentuer les divisions en Libye, prend note du désir du peuple libyen de se prononcer sur ses futurs dirigeants au moyen des élections, et invite instamment les institutions politiques et les principales parties prenantes libyennes à convenir d’une démarche, faisant appel à la concertation, au compromis et à la participation constructive, qui permettra d’organiser ces élections dans le pays le plus rapidement possible et de manière transparente et inclusive;

4.    Souligne l’importance d’un processus de dialogue national et de réconciliation nationale global et inclusif, se félicite du concours de l’Union africaine à cet égard, salue le rôle important que jouent d’autres organisations régionales telles que la Ligue des États arabes et l’Union européenne, et demande aux institutions et autorités libyennes compétentes de mettre en œuvre des mesures de confiance en vue d’instaurer des conditions propices au bon déroulement d’élections présidentielle et législatives nationales, notamment en veillant à la participation pleine, égale, effective et véritable des femmes et à la participation des jeunes et des représentants de la société civile à toutes les activités et décisions concernant la transition démocratique et les efforts de réconciliation;

5.    Demande à toutes les parties de s’abstenir de tout acte susceptible de compromettre le processus politique ou l’accord de cessez-le-feu en Libye signé le 23 octobre 2020, lequel devrait être appliqué dans son intégralité, et rappelle que les mesures énoncées dans sa résolution 1970 (2011), telles que modifiées par des résolutions ultérieures, s’appliquent aux personnes et entités dont le Comité des sanctions a déterminé qu’elles se livraient ou qu’elles apportaient un appui à des actes qui mettent en danger la paix, la stabilité ou la sécurité en Libye, ou qui entravent ou compromettent la réussite de sa transition politique, ce qui comprend le fait d’entraver ou de compromettre la tenue des élections;

6.    Souligne qu’il ne saurait y avoir de solution militaire en Libye et exige que tous les États Membres respectent pleinement l’embargo sur les armes qu’il a imposé à la Libye par sa résolution 1970 (2011), telle que modifiée par des résolutions ultérieures;

7.    Exhorte tous les États Membres à respecter pleinement la souveraineté, l’indépendance, l’intégrité territoriale et l’unité nationale de la Libye;

8.    Demande à toutes les parties d’appliquer intégralement l’accord de cessez-le-feu du 23 octobre 2020 ainsi que le Plan d’action approuvé par la Commission militaire conjointe 5+5 à Genève le 8 octobre 2021, qui devra être exécuté de manière synchronisée, progressive et équilibrée, et engage vivement les États Membres à en respecter et à en appuyer la mise en œuvre intégrale, notamment en retirant sans tarder l’ensemble des forces étrangères, des combattants étrangers et des mercenaires du territoire libyen;

9.    Prie le Secrétaire général de lui rendre compte tous les 30 jours de l’application de la présente résolution;

10.   Décide de rester activement saisi de la question.

Explications de vote

Mme BARBARA WOODWARD (Royaume-Uni) a salué l’adoption de cette résolution, avant de dire qu’elle partage la « frustration » de ses collègues africains.  La Russie a refusé de se rallier au consensus pour un mandat plus long, a-t-elle déploré, en jugeant ce mandat trop court pour fournir un appui conséquent aux parties libyennes.  Elle a reconnu la difficulté de la tâche consistant à nommer un représentant spécial, avant d’appeler le Conseil à se montrer constructif et souple pour que la MANUL ait rapidement un nouveau chef. 

M. DMITRY A. POLYANSKIY (Fédération de Russie) a estimé que le format de la médiation onusienne en Libye n’est pas satisfaisant.  Il n’est pas normal que la MANUL n’ait pas de chef, a-t-il déclaré, en demandant la sélection d’une personnalité digne et chevronnée.  « Il faut prendre une décision rapidement, le pays étant au bord du précipice. »  Il a dit comprendre l’insatisfaction des pays africains devant ce délai inhabituel et indiqué que son pays sera en faveur d’une prorogation habituelle dès que la MANUL aura un nouveau chef. 

M. MOHAMED ISSA ABUSHAHAB (Émirats arabes unis) s’est félicité de la prorogation du mandat de la MANUL avant d’espérer qu’à l’avenir il sera possible de parvenir au consensus pour que ce mandat soit renouvelé pour une période plus longue.  Il a souligné que la MANUL doit pouvoir mettre en œuvre les recommandations de l’examen stratégique indépendant et pleinement remplir son mandat.  En outre, il a espéré que la Mission reprendra bientôt son travail sous la houlette d’un nouveau chef. 

Mme LILLY STELLA NGYEMA NDONG (Gabon) a indiqué s’être abstenue lors du vote « pour interpeller le Conseil » afin que les intérêts des Libyens transcendent tout autre considération.  L’inaction du Conseil de sécurité ne fait qu’amplifier les souffrances du peuple libyen, s’est-elle alarmée, et le Gabon n’avait d’autre alternative que de s’abstenir.  Le Conseil de sécurité a déjà procédé à quatre renouvellements techniques du mandat de la Mission pour des périodes de trois mois alors que tous les voyants sont au rouge en Libye et que la situation sécuritaire s’y dégrade à vue d’œil.  Cela ne vient pas seulement saper la confiance des Libyens, mais cela a aussi un impact visible sur la stabilité de la région et de l’Afrique, a mis en garde la représentante en appelant à désigner rapidement « un Africain » à la tête de la MANUL.

M. SOLOMON KORBIEH (Ghana) a regretté d’avoir dû s’abstenir, le Conseil n’ayant pas été à la hauteur des attentes du peuple libyen en échouant à se mettre d’accord en prorogeant le mandat de la MANUL pour un an.  Il a signalé que les mandats de courte durée dissuadent les candidats éventuels au poste de représentant spécial, lequel est vacant depuis trop longtemps.  Enfin, un mandat robuste et de moyen terme adresserait un message constructif au peuple libyen, a encore relevé le délégué, qui a demandé au Conseil de placer les intérêts de la Libye au-dessus des querelles partisanes. 

M. XING JISHENG (Chine) a constaté que le poste de représentant spécial est vacant depuis six mois, avant de se dire favorable à une candidature africaine.  La reprise du dialogue et de la réconciliation inclusive sera de nature à aider les Libyens à sortir de la crise, a-t-il ajouté. 

M. JUAN GÓMEZ ROBLEDO VERDUZCO (Mexique) a appuyé le travail de la MANUL en cette période si critique pour la stabilité politique et la sécurité de la Libye.  C’est dans cet esprit qu’il a voté en faveur de cette résolution mais, a-t-il fait valoir, en renouvelant de nouveau le mandat de la Mission pour seulement trois mois « nous contribuons à la situation » et cela dure depuis un an maintenant.  Le poste de représentant spécial du Secrétaire général reste toujours vacant, a-t-il également déploré en appelant le Conseil à sortir de cette impasse et à consolider la présence de l’ONU en Libye pour relancer le processus politique. 

M. MARTIN KIMANI (Kenya) a regretté que, pour la cinquième fois, le mandat de la MANUL n’est renouvelé que pour une période de trois mois.  Il faut une Mission dotée d’un mandat substantiel pour une durée de 12 mois avec à sa tête un chef et un représentant spécial originaire d’Afrique, a estimé le représentant.  Il n’est plus tenable pour la MANUL de travailler avec un mandat si bref et c’est la raison pour laquelle le Kenya s’est abstenu lors du vote. 

Mme LINDA THOMAS-GREENFIELD (États-Unis) a dit sa déception devant ce mandat de trois mois.  « L’on a forcé la main à ce Conseil », a-t-elle dit, en partageant la frustration de certains de ses collègues.  Elle a estimé que l’argument de la Russie selon laquelle la durée de trois mois permettrait de trouver un nouveau représentant ne tient pas.  Au contraire, une telle durée rend les recherches plus difficiles et complique la tâche de la MANUL, a-t-elle argué, en soulignant l’importance du rôle de la Mission.  Ne jouons pas au détriment du peuple libyen., a-t-elle plaidé avant d’appeler à la nomination rapide d’un nouveau représentant. 

M. RONALDO COSTA FILHO (Brésil) a attiré l’attention sur l’apport de la Commission de consolidation de la paix pour l’élaboration des mandats comme celui de la MANUL.  Le compromis obtenu sur la durée permet la poursuite du dialogue pour trouver un nouveau chef à la Mission, a estimé le délégué, en souhaitant qu’il s’agisse d’une personnalité venue du continent africain.  Il a enfin souhaité un mandat de la Mission plus prévisible.

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