Conseil de sécurité: sur fond de crise générale en Afghanistan, le Secrétaire général appelle les Taliban a démontrer leur engagement à faire partie de la communauté mondiale
Alors que l’hiver vient aggraver la terrible crise humanitaire que connaît l’Afghanistan, déjà au bord de l’effondrement économique et aux prises avec un manque généralisé de liquidités, le Secrétaire général a appelé, ce matin, devant le Conseil de sécurité, le régime taliban au pouvoir depuis cinq mois à « démontrer un réel engagement à faire partie de la communauté mondiale », notamment sur le plan des droits humains des femmes, des filles et des minorités, condition préalable à une reconnaissance diplomatique des autorités de facto et à un hypothétique déblocage des avoirs afghans gelés à l’étranger.
Sur le plan humanitaire, l’Afghanistan « va aussi mal que possible », a souligné M. António Guterres, en rappelant que l’ONU a lancé, il y a deux semaines, un appel de fonds - le plus important de son histoire pour un seul pays , d’un montant de plus de 4,4 milliards de dollars pour 2022. Pour « sauver des vies », il faut à présent suspendre les règles et les conditions qui restreignent non seulement l’économie afghane mais aussi les opérations vitales, a-t-il plaidé, non sans saluer l’adoption en décembre par le Conseil d’une exemption humanitaire au régime des sanctions contre les Taliban. Il a aussi évoqué le lancement, ce jour, d’un Cadre d’engagement transitoire pour l’Afghanistan, qui vise à étendre et à accélérer l’aide humanitaire, tout en renforçant les services essentiels durant la période de transition.
Avec ce dispositif qui implique l’ensemble de son système, l’ONU cherche à lever 3,6 milliards de dollars supplémentaires, ce qui porte la demande de fonds totale à 8 milliards de dollars, a précisé Mme Deborah Lyons, Représentante spéciale pour l’Afghanistan et Cheffe de la Mission d’assistance dans le pays (MANUA). Des investissements conçus pour empêcher une détérioration de la situation humanitaire et stabiliser l’économie de manière à inverser la courbe à la hausse du taux de pauvreté.
Le Chef de l’ONU a également appelé à relancer l’économie afghane en augmentant les liquidités. Il a préconisé à cette fin de chercher les moyens de libérer les réserves de devises gelées et de réengager la banque centrale afghane. Pour « aider le peuple afghan à survivre à l’hiver », il a réclamé le déblocage de toute urgence de 1,2 milliard de dollars, en complément des 280 millions transférés en décembre à l’UNICEF et au Programme alimentaire mondial (PAM) par le Fonds d’affectation spéciale pour la reconstruction de l’Afghanistan, de la Banque mondiale.
Dans ce contexte catastrophique, le moment est venu pour les Taliban d’accroître les opportunités et la sécurité de leur peuple et de « démontrer un réel engagement à faire partie de la communauté mondiale », a fait valoir le Secrétaire général, pour qui « la fenêtre du renforcement de la confiance est ouverte ». Les nouveaux dirigeants de l’Afghanistan doivent pour cela reconnaître et défendre les droits humains fondamentaux de tous les Afghans, à commencer par les filles et les femmes, et mettre en place des institutions gouvernementales inclusives, a-t-il soutenu, rejoint dans cet appel par Mme Mahbouba Seraj, Directrice de l’organisation « Afghan Women Skills Development Center ».
Selon cette activiste afghano-américaine militant pour les droits des femmes, qui vit en Afghanistan, la scolarisation des filles afghanes est aujourd’hui en péril tandis que de nombreuses femmes ont fui le pays ou sont enfermées chez elles, craignant que leur religion, leur handicap, leur orientation sexuelle ou leur appartenance ethnique fassent d’elles une cible. Il importe donc, à ses yeux, que les droits humains, la représentation des femmes dans toute leur diversité et la question de la responsabilisation fassent partie intégrante de toutes les discussions avec le régime taliban.
À cet égard, le Premier Ministre de la Norvège a fait part des échanges informels intervenus ces derniers jours à Oslo entre une délégation des autorités de facto et des membres de la société civile afghane, en présence de plusieurs délégations nationales. D’après M. Jonas Gahr Støre, les Taliban ont entendu les « graves préoccupations partagées par une variété de représentants de la société civile afghane, ainsi que d’une communauté internationale unie ». Si cette rencontre n’a pas conféré une reconnaissance internationale au régime taliban, elle a permis de formuler des « attentes claires » sur la voie à suivre, a-t-il argué.
Rendant compte des travaux du Comité du Conseil créé par la résolution 1988 (2011), qu’il préside, le Représentant de l’Inde a pour sa part indiqué que, le 22 décembre dernier, l’instance a prolongé l’exemption d’interdiction de voyager de trois mois pour 14 Taliban inscrits sur la Liste des sanctions afin de leur permettre de continuer à participer aux pourparlers d’Oslo, « dans l’intérêt de la promotion de la paix et de la stabilité en Afghanistan ». Il a ajouté que cette mesure a été accompagnée d’une exemption limitée de gel des avoirs pour financer le déplacement de ces individus.
Une décision saluée notamment par le Ministre des affaires étrangères du Gabon, M. Pacôme Moubelet-Boubeya, qui s’est dit favorable au maintien d’un « dialogue » avec les Taliban. Affirmant ne pas s’exprimer au nom du « nouveau gouvernement », le représentant de l’Afghanistan a, lui, souhaité que le Conseil appuie la convocation d’une conférence internationale sous l’égide de l’ONU, afin d’organiser des pourparlers intra-afghans, avec la participation de représentants de toute la société afghane.
De leur côté, les États-Unis ont affirmé s’être assurés que toute sanction imposée par eux et la communauté internationale pour soutenir la sécurité et la stabilité en Afghanistan n’entrave pas l’activité humanitaire. La délégation s’est également déclarée « sensible » à la crise de liquidités dans le pays, s’engageant à « examiner diverses options » pour atténuer cette pénurie. Considérant que cet argent « appartient au peuple afghan » et ne peut être utilisé comme « élément de marchandage » du fait de la nouvelle réalité du pays, la Fédération de Russie a, quant à elle, sommé Washington de restituer ces fonds à l’Afghanistan, la Chine et le Pakistan dénonçant eux aussi le gel des avoirs afghans découlant des sanctions unilatérales.
Plusieurs délégations ont par ailleurs mis l’accent sur le défi sécuritaire, la France regrettant que les Taliban n’aient pas rompu leurs liens avec les groupes terroristes dont Al-Qaida, puisqu’ils les ont intégrés au sein de leur gouvernement intérimaire. L’Inde a appelé à des progrès concrets pour s’assurer que les entités terroristes désignées comme telles ne reçoivent pas un soutien tacite ou direct depuis le sol afghan ou des sanctuaires terroristes dans la région. Une région où les pays voisins de l’Afghanistan accueillent des réfugiés afghans, comme l’a fait remarquer l’Iran qui a demandé des ressources financières supplémentaires pour y faire face.
LA SITUATION EN AFGHANISTAN
Déclarations
Six mois après la prise du pouvoir par les Taliban, « l’Afghanistan ne tient qu’à un fil », a averti d’emblée M. ANTÓNIO GUTERRES, Secrétaire général de l’ONU. Pour les Afghans, la vie quotidienne est devenue un « enfer glacé », a-t-il déploré, évoquant un nouvel hiver rigoureux, des familles blotties dans des tentes de fortune sous des bâches en plastique, des cliniques surpeuplées et manquant de ressources, des hôpitaux dont les groupes électrogènes s’épuisent en raison de la flambée des prix du carburant et des épidémies, de COVID-19 mais aussi de maladies mortelles évitables comme la rougeole, la diarrhée et la poliomyélite. De surcroît, a encore décrit le Chef de l’ONU, l’éducation et les services sociaux sont au bord de l’effondrement; plus de la moitié des Afghans sont confrontés à des niveaux extrêmes de faim, aggravés par la pire sécheresse depuis deux décennies; plus de 80% de la population dépend d’une eau potable contaminée; et certaines familles vendent leurs bébés pour acheter de la nourriture.
Dans ce contexte dramatique, l’économie afghane traverse elle aussi un « rude hiver », a-t-il poursuivi. Le risque est grand, en effet, que la monnaie tombe en chute libre et que le pays perde 30% de son PIB au cours de l’année. Les sanctions et la méfiance du système bancaire mondial ont gelé près de 9 milliards de dollars d’actifs de la banque centrale, a expliqué M. Guterres, avant de parler de systèmes vitaux privés des fonds nécessaires et d’un manque de liquidités qui limite la capacité d’atteindre les Afghans dans le besoin. Pendant ce temps, les droits de l’homme perdent aussi du terrain: à nouveau exclues des bureaux et des salles de classe, les femmes et les filles ont vu des années de progrès constants « disparaître en un clin d’œil ». Préoccupé par les récentes informations faisant état d’arrestations arbitraires et d’enlèvements de militantes, le Secrétaire général a demandé leur libération. Il s’est également alarmé de la menace persistante du terrorisme, non seulement pour la sécurité de l’Afghanistan lui-même, mais « pour le monde entier ».
S’agissant des urgences humanitaires, l’Afghanistan « va aussi mal que possible », a-t-il dit, rappelant que l’ONU a lancé il y a deux semaines un appel de fonds, le plus important de son histoire pour un seul pays, d’un montant de plus de 4,4 milliards de dollars pour cette année. Il s’agit d’intensifier le soutien vital dans les domaines de la santé, du logement, de la nutrition, de la protection et de l’éducation d’urgence, ainsi que des transferts en espèces pour aider les familles à joindre les deux bouts, a-t-il expliqué. Si l’ONU et ses partenaires ont aidé 18 millions de personnes l’an dernier à travers le pays, elles espèrent atteindre encore plus de personnes cette année et empêcher les systèmes alimentaires, de santé et d’éducation de s’effondrer. L’appel vise aussi à soutenir les pays qui accueillent des réfugiés, a ajouté le Chef de l’ONU, en saluant à cet égard la générosité de pays comme le Pakistan et l’Iran.
Exhortant la communauté mondiale et le Conseil de sécurité à empêcher l’Afghanistan de continuer à s’enfoncer, M. Guterres a appelé de ses vœux une intensification des opérations humanitaires « pour sauver des vies ». Il a souhaité que soient suspendues les règles et les conditions qui restreignent non seulement l’économie afghane mais aussi les opérations vitales de l’ONU. De plus, le financement international doit être autorisé à payer les salaires des travailleurs du secteur public, a-t-il plaidé, avant de saluer l’adoption par le Conseil d’une exemption humanitaire au régime de sanctions des Nations Unies contre l’Afghanistan. Il a également réitéré son appel à délivrer des licences générales couvrant les transactions nécessaires à toutes les activités humanitaires, afin que les institutions financières et les partenaires commerciaux aient l’assurance légale de pouvoir travailler avec les opérateurs humanitaires sans craindre d’enfreindre les sanctions.
Il a par ailleurs indiqué que l’action de l’ONU comprend le cadre d’engagement transitoire pour l’Afghanistan, lancé aujourd’hui, qui vise à étendre et à accélérer l’aide humanitaire et au développement au peuple afghan, tout en maintenant et en renforçant les services et systèmes essentiels tout au long de la période de transition. Ce plan prévoit en outre des recommandations en faveur d’un « nouveau mandat » pour la Mission politique spéciale de l’ONU en Afghanistan, afin de soutenir la sécurité, le progrès et les droits humains.
En deuxième lieu, nous devons relancer l’économie afghane grâce à une liquidité accrue, a préconisé M. Guterres. Pour cela, il faut trouver des moyens de libérer les réserves de devises gelées et réengager la banque centrale afghane, a-t-il détaillé, ajoutant que le Fonds d’affectation spéciale pour la reconstruction de l’Afghanistan, de la Banque mondiale, a transféré 280 millions de dollars à l’UNICEF et au Programme alimentaire mondial (PAM) le mois dernier. Au total, nous avons besoin que les 1,2 milliard de dollars restants soient débloqués de toute urgence, « pour aider le peuple afghan à survivre à l’hiver », a souligné le Secrétaire général, selon lequel l’équipe de pays de l’ONU est prête à travailler avec les États Membres et d’autres afin de garantir que les fonds aillent aux Afghans qui en ont le plus besoin et ne soient pas détournés.
Troisièmement, le moment est venu pour les Taliban d’accroître les opportunités et la sécurité de leur peuple et de démontrer un réel engagement à faire partie de la communauté mondiale, a enjoint le Secrétaire général, pour qui « la fenêtre du renforcement de la confiance est ouverte ». Dans le même temps, tout doit être fait pour mettre en place des institutions gouvernementales inclusives et faire avancer la lutte contre le terrorisme. Si nous n’agissons pas, les flux de drogues illicites et les réseaux criminels et terroristes vont augmenter, a-t-il prévenu. Sans nourriture, sans emploi, sans protection de leurs droits, davantage d’Afghans vont fuir leur foyer à la recherche d’une vie meilleure, a ajouté le Chef de l’ONU, avant d’appeler les dirigeants taliban à « gagner la confiance et la bonne volonté de la communauté internationale » en reconnaissant et en défendant les droits humains fondamentaux qui appartiennent à chaque fille et femme. Il a enfin jugé que, pour des raisons de responsabilité morale mais aussi de sécurité et de prospérité régionales et mondiales, « nous ne pouvons pas abandonner le peuple afghan ».
La Représentante spéciale du Secrétaire général pour l’Afghanistan et Cheffe de la Mission d’assistance des Nations unies en Afghanistan (MANUA), Mme DEBORAH LYONS, a rappelé que lorsque Kaboul est tombée aux mains des Taliban en août, les Nations Unies se sont engagées à rester et à soutenir le peuple afghan à un moment de crise humanitaire et d’incertitude politique. L’un des principaux objectifs de notre travail, avec l’aide généreuse des donateurs, était de soulager autant que possible la situation humanitaire désastreuse face à l’hiver qui approche, a expliqué Mme Lyons faisant le point sur ce qui a pu être accompli jusque-là. À la fin de 2021, près de 18 millions de personnes avaient bénéficié d’une aide vitale, après une aide à 11 millions de personnes en 2020, lorsque les conditions de sécheresse persistantes et la pandémie de COVID-19 avaient déjà poussé les acteurs humanitaires à dépasser leurs objectifs initiaux.
L’année dernière, plus de 2 000 établissements de santé primaires et secondaires dans toutes les provinces ont été soutenus par l’aide humanitaire, avec 450 tonnes de fournitures médicales vitales importées, a poursuivi Mme Lyons. Cette expansion de l’aide a été possible en partie à cause de l’amélioration de la situation sécuritaire après le 15 août, qui a permis aux acteurs humanitaires d’accéder à des parties du pays inaccessibles depuis des années.
Toutefois, a mis en garde la Cheffe de la Mission, les besoins humanitaires restent pressants. Le milliard de dollars que nous avons demandé l’année dernière pour faire face à la crise humanitaire doit maintenant être complété par 4,4 milliards d’aide humanitaire supplémentaire pour 2022, a précisé Mme Lyons. Mettant cela en perspective, elle a dit que cela équivaut à peu près au montant que les donateurs ont dépensé pour l’ensemble du budget de fonctionnement du Gouvernement de la République. C’est insoutenable, a-t-elle tranché en préconisant un assouplissement des sanctions qui empêchent la fourniture complète des services essentiels et qui continuent de priver l’économie de liquidités. Avec la crise de liquidités et l’incapacité des banques à fonctionner, les gens n’ont pas pleinement accès à leurs avoirs bancaires pour pouvoir nourrir leur famille ou gérer leur entreprise, a expliqué la Représentante spéciale.
Annonçant que cet après-midi, à Kaboul, l’ONU a lancé son cadre d’engagement transitoire pour l’Afghanistan, pour lequel elle cherche à lever 3,6 milliards de dollars supplémentaires, Mme Lyons a expliqué que cela porte la demande totale pour 2022 à 8 milliards de dollars. La stratégie à l’échelle du système vise à satisfaire les besoins humains fondamentaux et à fournir des services essentiels tels que la santé et l’éducation, assurer l’entretien des infrastructures communautaires et promouvoir les moyens de subsistance et la cohésion sociale, en mettant particulièrement l’accent sur les besoins socioéconomiques des femmes et des filles. Ces investissements sont conçus pour empêcher une nouvelle détérioration de la situation humanitaire et générer un niveau de stabilité économique suffisant pour inverser l’augmentation constante des taux de pauvreté, tout en garantissant que les fonds des donateurs ne sont pas détournés ou mal utilisés, a fait valoir la Représentante spéciale.
Consciente que les donateurs sont naturellement réticents à faire preuve de plus de flexibilité tant qu’on ne sait pas quel type de gouvernement l’administration de facto entend créer, elle a noté qu’ils ne sont toujours pas satisfaits des progrès politiques en Afghanistan et surveillent donc de près les signaux encourageants. Mme Lyons a donc espéré voir des actions claires de la part des Taliban, et pas seulement des annonces, dans les prochains mois. Elle entend par là une série d’éléments clairs, avec les droits de l’homme au premier plan, qui conduirait à la réintégration de l’Afghanistan dans la communauté des nations en garantissant une légitimité nationale alignée sur l’histoire moderne et les aspirations de son peuple, son caractère multiethnique et sa tradition et identité islamiques.
Notant que les autorités de facto ont pris certaines mesures pour fonctionner plus efficacement en tant que gouvernement, Mme Lyons a parlé de l’accord sur un budget entièrement financé par leurs propres revenus, le paiement de certains salaires du gouvernement, la réduction de la corruption, la collecte de revenus, la gestion réussie de la crise de la dévaluation monétaire à la fin de l’année dernière et les efforts pour impliquer le secteur privé. La conférence économique qu’ils ont organisée la semaine dernière a été l’occasion de présenter leur vision économique de l’autosuffisance basée sur une croissance portée par le secteur privé. Mais, a-t-elle mis en garde, pour cela le secteur privé a besoin que l’on mette fin à l’incertitude et que s’installe un environnement politique stable avec un état de droit fiable et une population éduquée.
En ce qui concerne l’inclusion politique, elle a noté certains signes indicateurs d’une consultation plus large avec les acteurs politiques et de la société civile. Mme Lyons a parlé à cet égard de rencontres entre de hauts responsables Taliban et des représentants de minorités ethniques, mais elle a estimé qu’à ce jour, il n’y a pas eu de résultats visibles en termes d’inclusion ethnique dans les structures de gouvernance. Par ailleurs, sur le terrain, Mme Lyons a dit voir des preuves irréfutables d’un environnement d’intimidation et une détérioration du respect des droits de l’homme, ce qui laisse entendre que l’autorité gouvernementale se consolide par la peur, plutôt qu’en comprenant et en répondant aux demandes et besoins du peuple.
Malgré les annonces d’amnistie générale pour ceux qui ont travaillé pour ou défendu l’ancien gouvernement, nous continuons à recevoir des allégations crédibles de meurtres, de disparitions forcées, a regretté la Représentante spéciale citant aussi un nombre croissant de détentions d’opposants politiques, de représentants de la société civile et de ceux qui expriment leur dissidence. Cela s’accompagne d’un rétrécissement de l’espace médiatique, a-t-elle ajouté en se disant aussi préoccupée par le sort de plusieurs femmes afghanes militantes qui ont été enlevées à leur domicile et qui ont disparu. La MANUA, qui est en contact avec les autorités de facto sur ces incidents et d’autres, les exhorte à enquêter, à fournir des informations claires et à poursuivre les auteurs.
Pour la Représentante spéciale, les Taliban doivent montrer un engagement plus clair sur la voie d’une gouvernance basée sur la confiance plutôt que sur la peur. Ils doivent engager un dialogue plus large sur un processus de réconciliation nationale, a-t-elle estimé ajoutant que la communauté internationale soutiendra un tel processus, mais qu’il doit être initié et contrôlé par les Afghans. L’inclusion ne doit pas être considérée comme une exigence internationale, mais comme une source de légitimité nationale nécessaire et de longue date pour un pays aussi diversifié, a fait valoir Mme Lyons, ajoutant que c’est essentiel pour une stabilité durable.
Pour l’instant, la guerre est terminée mais la paix n’est pas encore consolidée, a-t-elle constaté. La stabilité relative actuelle s’expliquant, selon elle, à bien des égards par la lassitude face aux conflits et par des communautés et des personnes qui se concentrant sur la simple survie. Cette paix, cette stabilité, sont donc fragiles et pourraient s’effondrer si des mesures ne sont pas prises pour gouverner d’une manière qui renforce la confiance et la responsabilisation, et qui se concentre sur les véritables besoins de la population, y compris le besoin et le droit de participer à leur gouvernement, a-t-elle mis en garde.
Saluant les récentes annonces selon lesquelles les filles de tous âges seront scolarisées dans tout le pays, elle a dit que certains donateurs internationaux sont prêts à payer des incitations financières aux enseignants afghans pour janvier et février, mais que les incitations futures dépendront de la tenue de leurs engagements par les autorités de facto. En attendant, l’UNICEF et le Ministère de l’éducation tiennent des séances de travail intensives sur les préparatifs techniques de l’ouverture des écoles pour tous les garçons et filles afghans en mars, alors que la MANUA continue de rencontrer les autorités de facto concernant l’enseignement supérieur.
Quant à la promesse des Taliban de contenir le terrorisme dans le pays, Mme Lyons a noté que l’existence de nombreux groupes terroristes en Afghanistan reste un vaste enjeu international et surtout régional. La volonté des autorités de facto d’affronter cette menace de manière transversale reste à être prouvée, a-t-elle reconnu, appelant toutefois à une certaine dose de réalisme quant à leur capacité à le faire. Compte tenu de l’intérêt commun à faire face à cette menace, et si la confiance peut être établie, la Représentante spéciale a suggéré que ce soit un domaine de coopération potentielle entre la communauté internationale et les autorités de facto. Elle a signalé à cet égard l’approche prudente mais constructive que les pays de la région et l’Organisation de la coopération islamique (OCI) ont adoptée vis-à-vis de l’Afghanistan depuis août dernier.
Avant de conclure, Mme Lyons est revenue sur le fait que le Secrétaire général est sur le point de présenter des recommandations sur une future mission politique en Afghanistan. Il n’est dans l’intérêt de personne de voir l’effondrement de l’État actuel en Afghanistan, a-t-elle souligné en misant sur l’engagement continu avec les Taliban, qui peut conduire à des progrès dans une voie négociée qui pourrait être satisfaisante pour le peuple afghan, la région, et le reste du monde.
M. T.S. TIRUMURTI (Inde), Président du Comité du Conseil de sécurité créé par la résolution 1988 (2011), a rappelé que le second semestre de 2021 avait vu des changements conséquents en Afghanistan avec la prise de contrôle de Kaboul par les Taliban en août et la crise humanitaire qui a suivi, ainsi que l’inquiétude suscitée par l’érosion des droits de l’homme et des droits des femmes.
En ce qui concerne les travaux et les activités du Comité 1988 et de l’Équipe de surveillance, l’objectif principal du régime de sanctions était de faciliter les conditions qui favorisent le dialogue entre les Taliban et le Gouvernement afghan et qui visent à aboutir à un Afghanistan pacifique et stable. « La paix et la stabilité demeurent un objectif principal du Comité. » Dans le but de soutenir cet objectif, le 22 décembre 2021, le Comité 1988 a prolongé une fois de plus l’exemption d’interdiction de voyager de trois mois pour 14 Taliban inscrits sur la Liste afin de leur permettre de continuer à participer aux pourparlers dans l’intérêt de la promotion de la paix et de la stabilité en Afghanistan. L’exemption, qui courra jusqu’au 22 mars 2022, a été accompagnée d’une décision d’accorder une exemption limitée de gel des avoirs pour le financement de voyages visés par cette exemption. À cet égard, le pays hôte des pourparlers de paix et de stabilité sera tenu de faire rapport au Comité dans les 30 jours suivant la date du voyage, a précisé M. Tirumurti en rappelant que l’exemption d’interdiction de voyager est émise uniquement à cette fin.
Alors que se poursuivent les discussions pour promouvoir la paix et la stabilité, le Président du Comité 1988 a souligné la nécessité de rendre compte davantage des activités des Taliban et des personnes et entités figurant sur la liste du régime de sanctions afin de garantir le respect des mesures. Pour faciliter cela, le 17 décembre 2021, la résolution 2611 (2021) a prorogé d’un an le mandat de l’Équipe de surveillance concernant les Taliban, jusqu’en décembre 2022. L’Équipe de surveillance sera davantage tributaire des informations qui lui seront fournies depuis l’extérieur de l’Afghanistan en 2022, a dit son Président exhortant les États Membres, y compris leurs services de renseignement et de sécurité, à respecter les annexes de la résolution 2611 (2021), à consulter en toute confidentialité l’Équipe de surveillance afin de faciliter l’échange d’informations et de renforcer la mise en œuvre des mesures de sanction.
Le 30 novembre 2021 et conformément au paragraphe 44 de la résolution 2255 (2015), le Comité a invité des représentants du Bureau de la coordination des affaires humanitaires (OCHA), du Haut-Commissariat pour les réfugiés (HCR) et du Programme alimentaire mondial (PAM) à faire part de l’impact du régime de sanctions sur la situation humanitaire actuelle en Afghanistan depuis la prise de pouvoir des Taliban le 15 août 2021. Le 22 décembre 2021, a-t-il rappelé, le Conseil de sécurité a adopté la résolution 2615 (2021) concernant la nécessité de faciliter le fonctionnement des organisations humanitaires et des institutions participant à l’appui aux ressources et au financement des efforts essentiels de secours humanitaire en Afghanistan.
Dans son dernier rapport pour 2021, l’Équipe de surveillance a noté que les liens entre les Taliban, en grande partie par l’intermédiaire du réseau Haqqani, et Al-Qaida et les combattants terroristes étrangers restent étroits et sont basés sur un alignement idéologique et des relations forgées par la lutte commune et les mariages arrangés. La présence continue de Daech et de ses activités en Afghanistan demeure un sujet de préoccupation, a-t-il reconnu, notant que les attaques terroristes sont utilisées par cette organisation terroriste pour démontrer son pouvoir et son influence dans le pays et à l’étranger. Le Comité attend avec intérêt, en ce moment critique pour l’Afghanistan, de poursuivre un engagement étroit avec la MANUA et avec les États de la région en 2022, a promis son Président.
Se présentant comme une activiste afghano-américaine pour les droits des femmes vivant en Afghanistan depuis 2003, Mme MAHBOUBA SERAJ, Directrice de l’organisation « Afghan Women Skills Development Center » a expliqué que le départ hâtif de la communauté internationale d’Afghanistan en août 2021 a miné 20 ans d’acquis et anéanti l’espoir d’une nation démocratique. « Les Taliban démantèlent nos droits, jour après jour », a alerté Mme Seraj en donnant quelques exemples: les femmes sont effacées de la vie publique, leurs visages sont noircis dans les publicités, les mannequins de vitrine sont décapités. Elle a promis que les femmes afghanes ne seront pas réduites au silence, avant d’exhorter les membres du Conseil de sécurité à honorer les engagements pris envers les femmes afghanes, au fil des années, afin de de maintenir leurs droits au cœur de toutes les discussions liées à l’Afghanistan.
Après six mois de pouvoir taliban, la scolarisation des filles afghanes est en péril, a prévenu la militante. Elle a dit que beaucoup de femmes ont fui le pays ou sont enfermées chez elles, craignant que leur religion, leur handicap, leur orientation sexuelle ou leur appartenance ethnique fassent d’elles une cible. Les magistrates doivent fuir les coupables qu’elles avaient mis derrière les barreaux et les femmes sont obligées de se déplacer avec un mahram ou un tuteur, a-t-elle également dénoncé en expliquant que beaucoup de femmes ne peuvent pas se rendre à des rendez-vous médicaux, alors que d’autres sont coincées dans des situations de violence conjugale, et ne peuvent pas chercher un emploi. Elle a néanmoins assuré que les femmes manifestent dans les rues tous les jours, malgré les menaces, la présence d’armes et la violence. « Nous avons besoin de votre soutien », a-t-elle lancé aux membres du Conseil, pour obtenir que les Taliban annulent la pratique des mahram, maintiennent la liberté de mouvement des femmes et leur garantissent l’accès à l’emploi, à l’éducation et aux soins. Elle a souhaité que l’on interroge les Taliban pour savoir où se trouvent Tamana Zaryab Paryani et Parwana Ebrahim Khel, des défenseuses des droits humains.
S’agissant de la situation humanitaire « catastrophique », elle a noté que plus de la moitié de la population a besoin d’aide alimentaire de toute urgence et que des familles sont forcées de vendre leurs enfants pour gagner de l’argent, ou d’avoir recours au mariage forcé de jeunes filles, pour recevoir une dot et acheter à manger ou payer des frais médicaux. Elle a dénoncé le fait que les Taliban empêchent les femmes humanitaires de travailler et détruisent de manière systématique les systèmes de prévention et de réponse aux violences basées sur le genre. Elle s’est inquiétée de l’état des hôpitaux dépourvus de matériel, de médicaments et de services de santé reproductive, avec le risque d’accroître le taux de mortalité maternelle déjà élevé. Il est du devoir des Nations Unies, a-t-elle plaidé, d’assurer un secours rapide et une assistance à tous les Afghans, y compris les femmes et les minorités. Pour y parvenir, elle a jugé indispensable que tous les travailleurs humanitaires, y compris les femmes, soient autorisés à travailler sans craindre des représailles. Elle a demandé à la communauté internationale de s’assurer que l’aide humanitaire soit directement fournie à des organisations qui respectent les principes humanitaires, sans passer par les Taliban.
Pour ce qui est de la situation économique, Mme Seraj s’est inquiétée de l’effondrement du système bancaire et de l’économie. Elle a indiqué que les Afghans ont perdu un demi-million d’emplois, impactant disproportionnellement les femmes depuis août 2021. Même si la question du système bancaire et de la chaîne d’approvisionnement est résolue, elle a estimé que la participation active des femmes dans le monde du travail sera la clef pour la croissance économique de l’Afghanistan.
Pour ce qui est de la collaboration avec les Taliban, elle a appelé la MANUA à être la porte-parole d’un dialogue avec les Taliban pour garantir des consultations inclusives avec les Afghans et les Afghanes dans toute leur diversité. Après avoir appelé la communauté internationale à ne pas sous-estimer son influence face aux Taliban, elle a appelé à ce que les droits humains, les droits des femmes et la responsabilisation fassent partie intégrante de toutes les discussions. Elle a jugé impératif que la communauté internationale cesse d’envoyer des délégations exclusivement masculines lors de rencontres avec les Taliban, plaidant aussi pour que la représentation de femmes afghanes diverses —en particulier issues de la société civile— fasse partie intégrante de toutes les négociations entamées avec les Taliban.
M. JONAS GAHR STØRE, Premier Ministre de la Norvège, a expliqué qu’au cours des derniers jours, une délégation de haut niveau des autorités afghanes de facto s’est rendue à Oslo dans le cadre d’une visite bilatérale au sens traditionnel du terme. Le but était d’offrir une opportunité des plus nécessaires aux femmes et hommes non Taliban de la société civile afghane de discuter avec les Taliban sur la voie à suivre pour leur pays. Ce fut aussi une opportunité pour la Norvège et certaines délégations nationales de discuter avec les représentants taliban de la manière dont les besoins des millions d’Afghans seront satisfaits dans les temps à venir, dans la politique, les droits de l’homme et l’humanitaire. « Soyons clairs: les Taliban ont entendu les graves préoccupations partagées par une variété de représentants de la société civile afghane, ainsi que d’une communauté internationale unie. »
Le Premier Ministre a précisé que la visite n’a pas conféré une reconnaissance internationale au régime de fait. C’était l’occasion de parler, d’échanger et de formuler des attentes claires sur la voie à suivre, a-t-il expliqué, arguant qu’un tel dialogue est impératif en ce moment. Nous avons besoin, a-t-il ajouté, de nouveaux accords et engagements pour être capable d’assister et d’aider une population civile extrêmement vulnérable. M. Støre a appelé à faire ce que nous pouvons pour éviter une nouvelle crise migratoire et une autre source d’instabilité dans la région et au-delà. Il a estimé qu’il ne sera pas possible de rétablir un système politique durable en Afghanistan sans l’inclusion des Afghans de divers bords.
Soulignant que la crise humanitaire en Afghanistan est exacerbée par les effets des changements climatiques, de la pandémie mondiale et de l’effondrement de l’économie nationale, il a appelé à utiliser au mieux l’exemption humanitaire prévue par la résolution 2615 (2021). Il a également demandé au Conseil de doter la MANUA d’un mandat complet et solide pour dialoguer avec les Taliban, surveiller et rendre compte de la situation des droits de l’homme, et faciliter la fourniture d’aide. Dans ce contexte, il a salué le lancement en ce jour du Cadre d’engagement transitionnel des Nations Unies en soutien à l’Afghanistan. Il a plaidé pour la protection des civils, y compris des enfants, qui doit être « la priorité », en demandant aussi de sauvegarder les droits et la participation égale des femmes comme cela a été clairement communiqué par toutes les délégations à la Réunion d’Oslo. Il s’est dit préoccupé par les rapports persistants de femmes promotrices de la paix et défenseuses des droits humains qui sont exposées à de graves risques et représailles pour avoir fait entendre leur voix. Il a notamment demandé la libération de Tamana Zaryabi Paryani et de Parawana Ibrahimkhel. Les Taliban doivent respecter les engagements qu’ils ont pris, et nous devons les tenir responsables, a-t-il déclaré.
En outre, le Premier Ministre a souligné que les besoins de l’Afghanistan en matière d’aide au développement n’ont pas diminué au cours des six derniers mois, au contraire. Pour sa part, la Norvège continuera à fournir une aide humanitaire par le biais d’organisations onusiennes et d’ONG, a-t-il dit tout en rappelant que la responsabilité première de la réponse à la crise aiguë incombe aux autorités de facto. Il a aussi appelé celles-ci à écouter les appels du peuple afghan et de la communauté internationale à respecter les droits de l’homme et à établir un gouvernement plus inclusif et plus juste. M. Støre a également réitéré l’importance de la lutte contre le terrorisme, appelant les Taliban à empêcher les groupes terroristes de prendre pied en Afghanistan et de menacer à nouveau la paix et la sécurité internationales.
M. PACÔME MOUBELET-BOUBEYA, Ministre des affaires étrangères du Gabon, a constaté que, depuis la prise du pouvoir par les Taliban, le climat sociopolitique en Afghanistan est marqué par une « totale opacité » et une « absence d’inclusivité » qui constituent un frein à l’efficacité du Gouvernement, à l’adhésion de la population et à la stabilité du pays. La communauté internationale doit, selon lui, maintenir le dialogue avec les Taliban, car il en va du bien-être individuel et social des populations, mais cet appel au dialogue « n’implique pas une reconnaissance du régime », a-t-il précisé. Le Ministre a dit soutenir l’exemption de l’interdiction de voyager des Taliban inscrits sur la Liste de sanctions lorsqu’il s’agit de déplacements effectués dans le cadre du processus de paix. Il a par ailleurs salué la prolongation de 12 mois du mandat de l’Équipe de surveillance chargée de seconder le Comité des sanctions pour l’établissement durable et inclusif de la paix, de la stabilité et de la sécurité en Afghanistan.
Tout en prenant note des « progrès nets » réalisés dans la lutte contre la corruption depuis le retour au pouvoir des Taliban, le Ministre s’est déclaré vivement préoccupé par les relations qu’entretiennent ces derniers, notamment les Haqqani, avec Al-Qaida. Il s’est aussi inquiété du danger permanent que représentent les combattants étrangers « sur lesquels les Taliban ne semblent avoir aucun contrôle » et qui contribuent à la volatilité de la situation sécuritaire. Dans ce contexte, il a dit redouter une crise humanitaire « encore plus dramatique », compte tenu de l’effondrement de l’économie et du système bancaire. À cet égard, M. Moubelet-Boubeya a jugé que les sanctions internationales, bien que nécessaires, ont contribué à accroître la pauvreté, la famine ainsi que les déplacements de populations. Il a par ailleurs qualifié d’inacceptable la condition des filles et des femmes afghanes, avant d’exprimer sa crainte de voir se « sédimenter » une base arrière du terrorisme international en Afghanistan. Face à ces défis, il a invité le Conseil de sécurité à avoir « une réaction et un ton à la mesure du péril et des responsabilités à assumer ».
M. MICHAEL KAPKIAI KIBOINO (Kenya) s’est alarmé de la poursuite des attaques terroristes contre des civils, qui continue à saper les efforts de paix en Afghanistan. Condamnant ces « actes atroces », dont le récent attentat meurtrier perpétré à Hérat par l’État islamique d’Iraq et du Levant-Province du Khorassan, il a estimé que cette « tendance » oblige la communauté internationale à exiger des Taliban qu’ils s’engagent à lutter contre le terrorisme et veiller à ce que l’Afghanistan ne devienne pas un refuge d’où des groupes terroristes déploient leur terreur à l’échelle de la région. À cet égard, il a félicité la MANUA pour sa polyvalence et sa capacité à opérer dans un environnement de plus en plus complexe et exigeant.
Par ailleurs, au moment où l’hiver aggrave les conditions de vie de millions d’Afghans, le représentant a appelé la communauté internationale et les organismes donateurs à fournir un financement adéquat au plan d’intervention humanitaire en Afghanistan. Compte tenu de la détérioration de l’économie nationale, qui pousse davantage de personnes dans la pauvreté, il a également jugé nécessaire d’envisager le déploiement des actifs afghans gelés dans un cadre convenu de responsabilisation. Il a d’autre part enjoint les Taliban à prendre les mesures nécessaires pour enquêter sur la récente disparition de deux militantes afghanes et, plus largement, pour garantir le droit inaliénable des femmes afghanes à contribuer positivement au développement de leur pays. Le délégué s’est cependant félicité des informations selon lesquelles les écoles supérieures pour filles et les universités pour garçons et filles seront réouvertes lors de la prochaine année scolaire. Enfin, il a souhaité que les pourparlers d’Oslo avec les Taliban contribuent à l’établissement d’une paix durable en Afghanistan.
Mme GERALDINE BYRNE NASON (Irlande) a insisté sur l’ampleur colossale de la crise humanitaire en Afghanistan et appuyé la réponse apportée par l’ONU pour y remédier. L’exemption au régime des sanctions 1988, approuvée à l’unanimité par ce Conseil, a apporté une prévisibilité à la réponse humanitaire, a-t-elle constaté, tout en soulignant qu’une crise d’une telle ampleur nécessite un engagement continu de la communauté internationale.
La représentante a ensuite dit être vivement préoccupée par la décision des Taliban de priver les jeunes filles d’une éducation secondaire. Une telle interdiction revient à réduire au silence toute une génération de filles, a-t-elle déclaré, en demandant l’abrogation de cette interdiction. Elle a également alerté que les femmes afghanes continuent d’être prises pour cibles et d’être « effacées » de la société par les Taliban. Alors que leurs droits fondamentaux sont systématiquement bafoués, les Afghanes se lèvent dans tout le pays face aux Taliban, a-t-elle indiqué. « La réponse des Taliban fait froid dans le dos: des femmes ont été arrachées à leurs familles, privées de liberté, et ont disparu. » Elle a ainsi demandé où se trouvent Tamana Paryani et Parawana Ibrahimkhel qui ont été enlevées la semaine dernière dans leurs maisons. « Et l’ancienne policière Alia Azizi, portée disparue depuis octobre, où est-elle? » Mme Byrne Nason a exhorté les Taliban à reconnaître les droits des femmes, car les « droits des femmes sont des droits humains », relevant en outre que ce que les femmes craignaient à la suite du retour des Taliban est en train de se produire. Il ne peut pas y avoir de dialogue, de solution, de progrès sans la participation des femmes et la protection de leurs droits, a insisté la déléguée qui a appelé à « juger les Taliban à l’aune de leurs actions, pas de leurs mots. »
Mme LINDA THOMAS-GREENFIELD (États-Unis) a déclaré qu’alors que la crise humanitaire en Afghanistan s’aggrave, le travail de la MANUA à l’appui du peuple afghan ne saurait être plus important. Pour leur part, a-t-elle indiqué les États-Unis ont annoncé le 11 janvier une première contribution de plus de 308 millions de dollars en aide humanitaire et ont agi rapidement pour s’assurer que toute sanction imposée par eux et la communauté internationale pour soutenir la sécurité et la stabilité en Afghanistan n’entrave pas l’activité humanitaire. En décembre, a-t-elle ajouté, le département du Trésor américain a délivré trois nouvelles licences générales qui étendent les autorisations existantes pour faciliter le flux continu d’aide humanitaire vitale et les besoins fondamentaux du peuple afghan.
Mme Thomas-Greenfield a assuré que les États-Unis sont particulièrement « sensibles » à la crise de liquidité en Afghanistan et qu’ils continueront d’examiner diverses options pour atténuer la pénurie de liquidités, tout en soulignant qu’une économie afghane fonctionnelle nécessitera une banque centrale indépendante et techniquement compétente qui réponde aux normes bancaires internationales. Les autorités américaines sont également conscientes des appels à examiner la mise à disposition des réserves de la banque centrale afghane détenues aux États-Unis pour aider le peuple afghan.
Poursuivant, la représentante a appelé les Taliban à autoriser un accès humanitaire sans entrave aux personnes dans le besoin et la libre circulation des travailleurs humanitaires de tous les sexes ; à veiller à ce que le personnel humanitaire puisse opérer dans des conditions sûres; et d’assurer que l’assistance soit fournie de manière indépendante à toutes les personnes vulnérables, quelle que soit leur identité. Elle a également dit attendre des Taliban qu’ils prennent des mesures concrètes pour prouver leur engagement à combattre le terrorisme, leur respect des droits humains et leur volonté d’inclusion. Enfin, elle a réitéré sans équivoque l’attente que les femmes et les filles afghanes puissent participer pleinement à la vie politique, économique et sociale du pays. Saluant l’annonce faite par les Taliban que les écoles secondaires dans tout le pays seront ouvertes aux filles en mars, Mme Thomas-Greenfield a appelé à maintenir la pression pour que les écoles postsecondaires et tous les secteurs d’emploi soient également ouverts aux femmes.
M. JUAN RAMÓN DE LA FUENTE RAMÍREZ(Mexique) s’est inquiété du sort des 24 millions d’Afghans qui ont besoin d’une aide humanitaire dans un pays confronté à d’énormes défis économiques, humanitaires et sociaux. L’exception humanitaire approuvée en décembre dernier devrait aider à fournir cette aide vitale, a-t-il estimé. Soucieux d’éviter une tragédie humanitaire, le représentant a appelé à dialoguer avec ceux qui détiennent le pouvoir et suivre de près les résultats des réunions d’Oslo. M. de la Fuente Ramírez a également souligné l’importance du respect et de la promotion des droits humains de tous les Afghans, y compris les femmes, les jeunes et les minorités. Il a regretté l’absence d’engagement réel à défendre et préserver l’éducation des femmes et des filles, ainsi que le droit des femmes à retourner au travail. Les appels à la formation d’un gouvernement inclusif par les Taliban sont également restés lettre morte, a-t-il regretté.
Selon le représentant, la communauté internationale doit présenter un front uni si elle veut que ce message soit entendu et que les Taliban adoptent des politiques qui protègent et profitent au peuple afghan, « sans exclusions ». Par ailleurs, la menace posée par la résurgence du terrorisme doit être traitée de toute urgence, de manière globale et dans le respect du droit international en particulier le droit international humanitaire. Imputant l’augmentation des activités criminelles à la précarité de la situation économique, le manque d’opportunités et l’effondrement imminent des services publics, il a appelé à s’attaquer à ces phénomènes, y compris pour éviter la radicalisation des groupes marginalisés.
M. NICOLAS DE RIVIÈRE (France) a rappelé que face à l’urgence, le Conseil de sécurité s’était mobilisé, en adoptant la résolution 2615 (2021) afin de faciliter l’acheminement de l’aide humanitaire d’urgence, dans le respect des principes humanitaires et sans aucune forme de récupération par les Taliban. La France a versé 100 millions d’euros pour répondre à la crise humanitaire afghane, a-t-il déclaré en mentionnant également une opération menée conjointement avec le Qatar le 2 décembre 2021 pour acheminer 40 tonnes d’équipement médical, de nourriture et de fournitures pour l’hiver. Il a indiqué que l’Union européenne et ses États membres ont réuni plus d’un milliard d’euros pour venir en aide aux populations afghanes les plus vulnérables.
S’agissant du défi sécuritaire, le représentant a regretté que les Taliban n’aient pas rompu leurs liens avec les groupes terroristes dont Al-Qaida, puisqu’ils les ont intégrés au sein de leur gouvernement intérimaire. « Compte-tenu de la portée globale de ces organisations terroristes, le risque terroriste émanant d’Afghanistan est donc transnational et transfrontalier », s’est inquiété M. de Rivière avant d’exhorter la communauté internationale à prendre ses responsabilités, notamment en continuant d’exiger que les Taliban rompent tout lien, direct ou indirect, y compris financier, avec les groupes terroristes.
Plaidant aussi pour que le peuple afghan, et en particulier pour les femmes et les filles afghanes, voient leurs droits fondamentaux respectés, le représentant s’est indigné que les femmes soient exclues des universités et les filles des écoles secondaires, contraintes au port du hijab et interdites de se déplacer à plus de 72 km sans être accompagnées par un homme. Il s’est aussi élevé contre l’interdiction de diffuser des séries télévisées mettant en scène des femmes afghanes, la répression des manifestations qu’elles organisent, les menaces que subissent les militantes engagées dans les médias et le domaine des droits humains, en particulier des droits des femmes, certaines étant arrêtées et exécutées. Face à ce constat, il a appelé les Taliban à respecter les engagements pris et la résolution 2593 (2021) en prévenant que le non-respect de ces exigences conduira les Taliban dans un isolement international. Enfin, le représentant a appelé à la constitution d’un gouvernement inclusif et représentatif de toute la société afghane, de toutes ses ethnies, religions et genres.
M. DMITRY A. POLYANSKIY (Fédération de Russie) a dit avoir noté certaines mesures prises par les nouvelles autorités afghanes pour répondre aux besoins socioéconomiques, humanitaires et aux questions relatives aux droits de l’homme, ainsi que pour lutter contre le terrorisme et la drogue. Il a dit attendre toujours que les Taliban prennent des mesures sérieuses pour assurer une véritable politique d’inclusion ethnique au sein du Gouvernement, pour éliminer les menaces liées à la drogue, ainsi que pour garantir le respect des droits humains fondamentaux. « Notre priorité commune est de maintenir la stabilité en Afghanistan. » Il a jugé évident qu’en l’absence de capacités nécessaires, ainsi que des ressources, notamment financières, les nouvelles autorités ne sont guère en mesure de faire face à tout un tas d’anciens problèmes et de nouveaux défis. Le succès sur cette question dépendra d’une assistance internationale globale en Afghanistan, a prévenu le délégué.
Il a rappelé que le 22 décembre 2021, le Conseil de sécurité a adopté la résolution 2615 (2021) sur l’assistance humanitaire à l’Afghanistan en allégeant le régime actuel de sanctions de 1988. Nous espérons, a-t-il dit, que cela maximisera l’ampleur de l’aide humanitaire grâce à l’implication de toutes les parties prenantes, y compris l’ONU, ses agences humanitaires et les principaux donateurs. En même temps, il a reconnu que ces efforts ne sont pas suffisants. En effet, a-t-il expliqué, au vu des défis auxquels est confronté l’Afghanistan, dont la catastrophe économique et les besoins humanitaires, ces mesures s’apparentent à « une goutte dans l’océan ». M. Polyansky a fait remarquer que la paralysie du système bancaire, le manque d’argent et le chômage sapent les perspectives du relèvement après le conflit.
Dans ce contexte, le représentant russe a appelé les États-Unis et d’autres donateurs occidentaux à restituer les fonds à l’Afghanistan. « Cet argent appartient au peuple afghan et ne peut être utilisé comme élément de marchandage et de punition des Afghans du fait de la nouvelle réalité dans le pays. » En plus, a-t-il prédit, les conséquences de l’effondrement seront beaucoup plus grandes et conduiront inévitablement à une augmentation du nombre de réfugiés, au débordement de l’activité terroriste, à la hausse de production de drogues et, en définitive, à une instabilité encore plus grande, y compris dans la région et au-delà. Il a expliqué que le risque d’infiltration de militants et de trafiquants de drogues dans la région, notamment sous couvert du statut de réfugié, ne peut que susciter l’inquiétude des partenaires de la Fédération de Russie en Asie centrale.
Dans le contexte actuel, le délégué a jugé contreproductives les tentatives de poursuivre le dialogue avec les nouvelles autorités afghanes en usant « un langage d’ultimatums et de pressions » plutôt que de diplomatie, tout en manipulant la relance et le développement socioéconomique. M. Polyansky a invité la communauté internationale à apprendre des erreurs passées. La Fédération de Russie a répété à maintes reprises que le maintien du dialogue politique permettra de répondre efficacement aux questions urgentes, a-t-il rappelé. Il a fait valoir le bon exemple que donne à cet égard la Troïka élargie, qui permet de discuter des problèmes du pays. Enfin, alors que le mandat de la MANUA prend fin le 17 mars 2022, le représentant a souhaité, que dans son futur rapport, le Secrétaire fasse des évaluations, des recommandations et des propositions équilibrées pour le nouveau mandat de la Mission.
M. JUN ZHANG (Chine) a estimé que les Nations Unies doivent aider le peuple afghan afin de prévenir un effondrement du pays. L’économie afghane est en crise depuis les évènements d’août dernier, tandis que la situation humanitaire s’est considérablement détériorée, s’est-il inquiété. « Le pays est plongé dans un cauchemar avec la disparition de l’aide humanitaire du jour au lendemain. » Le représentant a indiqué qu’une « tragédie humaine » se déroule en Afghanistan et qu’une course contre la montre est engagée s’agissant de l’aide à apporter. Il a déploré la politisation de l’aide humanitaire, celle-ci étant utilisée comme un moyen de pression. « Cela revient à jouer avec la vie des 38 millions d’Afghans dans le besoin », s’est-il indigné.
Le délégué a ensuite préconisé une injection de liquidités en vue d’améliorer la situation économique, avant de déplorer le gel des avoirs afghans découlant des sanctions unilatérales. Ces sanctions affament et tuent, a asséné le délégué, en demandant leur levée. Il a également appelé à intensifier les discussions avec le Gouvernement afghan de façon « pragmatique ». La priorité essentielle est de remédier à la crise économique et de relancer l’économie, a-t-il insisté, relevant que si la situation ne cesse de se détériorer, « les seuls qui en profiteront seront les groupes terroristes ». Il a appelé la communauté internationale à agir avec un sentiment d’urgence, appelant de nouveau à éviter la politisation de l’aide humanitaire.
M. HAROLD ADLAI AGYEMAN (Ghana) a estimé que « le temps presse » pour éviter qu’une situation humanitaire déjà désastreuse ne devienne « hors de contrôle » en Afghanistan, où des millions de personnes sont aujourd’hui menacées par la faim et le dénuement. Face à cette crise humanitaire « monumentale », le Conseil de sécurité a la responsabilité d’être uni sur ce qui doit être fait pour relever les défis, a affirmé le représentant, avant d’exprimer son soutien à l’appel du Secrétaire général en faveur d’un déblocage des avoirs afghans gelés dans des banques étrangères et à leur transfert immédiat aux services sociaux et de santé du pays. Il a d’autre part exhorté les autorités de facto à ouvrir le pays aux agences humanitaires en supprimant toutes les restrictions imposées aux opérations d’assistance. Selon lui, les Taliban devraient choisir de coopérer sans condition et de faciliter le libre acheminement de l’aide humanitaire à chaque Afghan sans discrimination, conformément au droit international humanitaire.
Le délégué s’est par ailleurs déclaré préoccupé par les cas signalés de violations des droits humains de personnes vulnérables, en particulier la suppression et l’érosion des droits des femmes et des filles et l’absence d’accès des enfants à l’éducation. À ses yeux, les femmes et les minorités afghanes sont des parties prenantes légitimes de l’Afghanistan et doivent recevoir tout le soutien nécessaire pour renforcer leur participation à la reconstruction du pays. Il a d’autre part souhaité que les autorités talibanes veillent à ce que les informations faisant état d’exécutions extrajudiciaires, en particulier d’anciens membres des forces de sécurité afghanes, fassent l’objet d’enquêtes et que les auteurs soient tenus pour responsables. Enfin, il a dit attendre avec impatience le rapport que doit présenter le Secrétaire général à la fin du mois sur les recommandations stratégiques et opérationnelles pour le mandat de la MANUA, appelé à être renouvelé en mars prochain.
Convaincue que le travail de la MANUA reste crucial en Afghanistan, M. JAMES KARIUKI (Royaume-Uni) a salué le lancement aujourd’hui du cadre d’engagement transitoire de l’ONU, une approche globale du système des Nations Unies pour la fourniture d’une assistance vitale et d’un soutien aux besoins humains fondamentaux. Sauver des vies nécessite une réponse internationale dirigée par l’ONU, dotée de ressources adéquates, mais aussi un engagement constructif de la part des Taliban sur l’accès de l’aide selon les principes humanitaires. Le représentant a également insisté sur l’importance de résoudre la crise de liquidité et a soutenu les discussions en cours entre la Banque mondiale et les donateurs sur la réaffectation d’une partie des 1,2 milliard de dollars restants du fonds d’affectation spéciale pour la reconstruction de l’Afghanistan.
En matière de droits humains, il a estimé que la conférence qui s’est tenue cette semaine à Oslo a été une occasion importante de communiquer les attentes de la communauté internationale, des donateurs et de la société civile directement aux Taliban. Préoccupé par les informations faisant état d’une augmentation des représailles contre les anciennes forces de sécurité et fonctionnaires ainsi que les attaques contre les minorités et des militantes afghanes, le représentant a appelé les Taliban à respecter l’amnistie qu’ils ont accordée en août à tous les Afghans et à mener des enquêtes transparentes sur toutes les allégations d’atteintes aux droits humains.
Il a aussi regretté que de nombreuses femmes soient incapables de travailler et que les filles soient tenues à l’écart de l’école. L’assurance des Taliban que les filles pourront retourner à l’école le 21 mars est la bienvenue, mais, a-t-il mis en garde, la communauté internationale surveillera cela de près. Enfin, le représentant a estimé que la paix et la stabilité durables en Afghanistan dépendront d’une politique reflétant la riche diversité de l’Afghanistan en appelant à une gouvernance inclusive. « Nous continuerons à calibrer notre approche envers les Taliban en fonction de leurs actions sur ces priorités fondamentales, et non de leurs paroles », a-t-il indiqué.
Mme LANA ZAKI NUSSEIBEH (Émirats arabes unis) a déclaré être préoccupée par la détérioration des conditions humanitaires et économiques en Afghanistan. Des progrès tangibles sont nécessaires pour relever les défis auxquels l’Afghanistan est confronté, a-t-elle plaidé en citant en particulier la formation d’un gouvernement inclusif, la protection des droits des femmes, la lutte contre le terrorisme et le soutien face aux besoins humanitaires et de développement. La sécurité et la stabilité ne peuvent être atteintes en Afghanistan sans s’attaquer à ces problèmes, a prévenu la représentante en mettant l’accent sur la protection des droits des femmes et des filles, qui doit rester une priorité, y compris l’égalité d’accès à l’éducation. Elles doivent pouvoir participer de manière pleine, égale et significative dans tous les domaines, a-t-elle insisté en y voyant un élément essentiel pour le développement, la paix et la sécurité du pays. La représentante a également appelé à empêcher l’exploitation et la déformation de la religion pour priver les femmes et les filles afghanes de leurs droits fondamentaux.
Mme Nusseibeh a appelé la communauté internationale à être solidaire du peuple afghan en lui fournissant l’aide humanitaire nécessaire. Il faut aussi contribuer au Plan d’intervention humanitaire des Nations Unies, a encouragé la représentante en appelant les Taliban à faciliter l’accès sûr et sans entrave à l’aide humanitaire dans les zones et aux groupes qui sont le plus dans le besoin. Mme Nusseibeh a indiqué que son pays a envoyé à l’Afghanistan plus de 485 tonnes d’aide humanitaire et aidé à l’évacuation de plus de 40 000 personnes qui ont quitté le pays. Préoccupée par la menace que fait peser le terrorisme sur la sécurité de l’Afghanistan et des pays voisins et régionaux, elle a appelé les Taliban à lutter contre le terrorisme dans le pays, à rompre les liens avec tous les groupes terroristes dans le monde et à empêcher ces groupes d’utiliser l’Afghanistan pour menacer ou attaquer d’autres pays. Elle a terminé en demandant un mandat robuste pour la MANUA afin qu’elle soit à même de contribuer au maintien de la paix et de la sécurité en Afghanistan.
M. FERIT HOXHA (Albanie) a prévenu que seul un règlement politique inclusif et négocié offrira un avenir durable au peuple afghan. Saluant les pourparlers en cours à Oslo, il a exhorté les autorités à comprendre qu’un gouvernement responsable a besoin de toute la diversité du peuple afghan. Il a demandé instamment au Conseil d’accorder une priorité claire à la participation des femmes à tous les processus. Le représentant a par ailleurs exhorté les Taliban à faciliter un accès complet, sûr et sans entrave aux organisations humanitaires et à l’ensemble de leur personnel, quel que soit leur sexe. Il a aussi mis l’accent sur les libertés fondamentales, dont la liberté de la presse, et demandé au Conseil de se tenir fermement en faveur des droits des femmes et des filles à un accès plein et égal à l’éducation et aux soins de santé ainsi qu’à la liberté de circulation dans leur propre pays.
Inquiet également du risque de terrorisme, il a souhaité que le pays ne devienne plus jamais un refuge pour le terrorisme international. Il a exhorté les Taliban à rompre sans ambiguïté tous liens avec les organisations terroristes. Enfin, le représentant de l’Albanie a plaidé pour un rôle plus fort et un mandat renforcé de l’ONU en Afghanistan avant d’appeler le Conseil à agir avec clarté, détermination et, surtout, avec unité pour aider les Afghans à avoir une meilleure perspective d’avenir. Après avoir précisé que 2 000 réfugiés afghans ont trouvé refuge en Albanie, le représentant a appelé à demander des comptes au Gouvernement afghan sur la situation des enfants, des filles et des femmes.
M. JOÃO GENÉSIO DE ALMEIDA FILHO (Brésil) a déclaré que le destin de millions de familles, qui font face à des difficultés graves telles que la malnutrition, dépend d’une réponse rapide face à l’aggravation de la crise humanitaire. L’ONU doit agir d’urgence et d’une seule voix pour que les Afghans ne soient pas abandonnés, a-t-il insisté. Pour sa part, le Brésil a déjà autorisé plus de 600 visas humanitaires aux personnes dans le besoin en Afghanistan, en se focalisant sur les femmes et les filles. Relevant que l’aide humanitaire d’urgence ne sera pas suffisante, le représentant a également jugé essentiel de prendre des mesures pour favoriser le développement à long terme, « afin que les scènes dont nous sommes témoins aujourd’hui ne se reproduisent pas à l’avenir ».
Le représentant a ensuite appelé à résoudre la crise urgente de liquidités en Afghanistan, car les institutions financières afghanes doivent avoir accès à leurs actifs qui sont actuellement soumis à des sanctions unilatérales. Il a appelé les pays concernés à se pencher sur la question, en tenant compte de la situation humanitaire critique de l’Afghanistan. Dans le même temps, a-t-il estimé, la communauté internationale doit continuer d’exiger que les autorités de facto respectent les dispositions des résolutions du Conseil de sécurité. Pour le Brésil, cela passe par quatre actions principales: la formation d’un gouvernement inclusif avec la participation des femmes et des minorités ethniques et religieuses; le respect du droit des femmes au travail et le libre accès des filles à l’éducation à tous les niveaux; l’adhésion aux principes de la Convention relative aux droits de l’enfant et son Protocole facultatif concernant l’implication des enfants dans les conflits armés, les Principes de Paris et la Déclaration sur la sécurité dans les écoles, ainsi que la feuille de route 2014 pour mettre fin et prévenir le recrutement et l’utilisation d’enfants par les Forces nationales de défense et de sécurité afghanes; et enfin, une action crédible et décisive contre l’utilisation du territoire afghan par des organisations terroristes.
Intervenant en sa capacité nationale, M. T. S. TIRUMURTI (Inde) a dit partager les préoccupations de la communauté internationale en ce qui concerne l’apport d’une aide humanitaire immédiate en Afghanistan, la formation d’un gouvernement représentatif et inclusif et la protection des droits des femmes, des enfants et des minorités. Il fait savoir que l’Inde s’est engagée à fournir un million de doses de vaccins contre la COVID-19 au peuple afghan, demandant ensuite que l’aide humanitaire soit fournie dans le respect des principes de neutralité, d’impartialité, d’indépendance et de non-discrimination. « Cette aide doit en premier lieu bénéficier aux plus vulnérables, y compris les femmes, les enfants et les minorités. »
Le représentant a relevé que le terrorisme continue d’être une menace sérieuse pour l’Afghanistan et sa région. Des progrès concrets doivent être encore accomplis pour s’assurer que les entités terroristes désignées comme telles ne reçoivent pas un soutien tacite ou direct, soit depuis le sol afghan, soit depuis des sanctuaires terroristes dans la région, a-t-il indiqué. Il a également souligné l’importance de préserver les droits des femmes, des enfants et des minorités. Enfin, le délégué a exhorté la communauté internationale à parler d’une seule voix sur ce dossier et invité le Conseil à garder à l’esprit les attentes et le bien-être du peuple afghan lorsqu’il se penchera en mars sur le renouvellement du mandat de la MANUA.
M. NASEER AHMED FAIQ (Afghanistan) a déclaré s’exprimer au nom des Afghans qui ont connu des décennies de conflit, des femmes et des filles qui connaissent la faim et la pauvreté, des fonctionnaires qui essaient de mettre en place un système répondant aux intérêts du peuple afghan. Il a dit vouloir parler des valeurs partagées par les Afghans, des sacrifices qu’ils ont consentis et des craintes qu’ils nourrissent quant à l’avenir. « Je ne représente pas le gouvernement actuel, qui a perdu sa légitimité, ni tout autre groupe politique », a-t-il précisé, confiant avoir « à peu près l’âge de la guerre » dans son pays, laquelle a causé des bains de sang, la destruction des infrastructures et l’exode forcé de nombreux Afghans. Ces cinq derniers mois, a-t-il dit, ont été marqués par la détérioration de la situation sociale, économique et humanitaire, suite à l’échec total et à l’inaction de toutes les parties. « Nous avons vu l’effondrement de la République, qui a scellé l’échec des négociations de paix et entraîné la prise de pouvoir des Taliban, avec des conséquences catastrophiques », a souligné le représentant, avant de déplorer qu’aujourd’hui, plus de la moitié de la population afghane a besoin d’aide humanitaire, alors que l’hiver s’est installé.
Pour le délégué, les autorités de facto n’ont pas été reconnues car elles ne respectent pas leurs engagements, notamment s’agissant des droits des femmes, des filles et des minorités. Pour sortir le peuple afghan de la situation actuelle, il faut, selon lui, remédier en premier lieu à la crise humanitaire et fournir une aide aux personnes dans le besoin en toute transparence. Il importe également d’injecter rapidement des ressources dans l’économie pour payer les fonctionnaires et éviter l’effondrement du système bancaire. Saluant l’adoption de la résolution du Conseil prévoyant une exemption humanitaire au régime des sanctions, il s’est aussi félicité du lancement du plan humanitaire 2022 pour l’Afghanistan, invitant la communauté internationale à y contribuer. Ces efforts doivent viser le développement du pays, afin d’éviter que ne soient anéantis les acquis du passé, a-t-il plaidé, estimant qu’il faudra pour cela un État légitime, avec un gouvernement responsable, compétent et méritant, dirigé par des individus ayant à cœur l’intérêt du pays.
Affirmant que la liberté d’expression et les droits fondamentaux de tous les citoyens ne doivent être ni compromis ni négociés, il a demandé aux Taliban de mettre fin immédiatement à leurs violations. Il a également appelé le régime taliban à déclarer une amnistie générale, à rouvrir les écoles à et laisser les femmes travailler librement. Il s’est d’autre part dit préoccupé par la disparition de deux militantes, exigeant des informations sur leur sort et leur libération sans condition. Alors que les réalisations des dernières années sont menacées, il a appelé la communauté internationale à l’aide pour prévenir un nouvel exode de masse. Le pays, a-t-il expliqué, a besoin d’emplois et de sources de revenu légitime pour ses jeunes, faute de quoi les groupes terroristes risquent de recruter cette génération. Il a aussi souhaité que le Conseil appuie la convocation d’une conférence internationale sous l’égide de l’ONU, afin d’organiser des pourparlers intra-afghans, avec la participation de représentants de toute la société afghane, mais pas de ceux qui ont détourné à leur profit des fonds publics. Enfin, après avoir applaudi l’action de la MANUA dans ces conditions difficiles, il a sommé les Taliban de respecter les accords internationaux et de tout faire pour offrir une vie digne à tous les Afghans, y compris les femmes.
M. BAKHTIYOR IBRAGIMOV (Ouzbékistan) a encouragé la communauté internationale à maintenir un dialogue constructif avec les nouvelles autorités de Kaboul, pour les pousser à honorer leurs promesses et leurs obligations internationales, à commencer par la formation d’un gouvernement inclusif basé sur une large représentation, et la garantie des droits et de la liberté de leur peuple, y compris ceux des femmes et des minorités nationales. Constatant que le pays est au bord d’une crise humanitaire grave, il a appelé à « tout faire » pour éviter une détérioration de la situation. Le représentant a indiqué que les autorités ouzbeks ont récemment proposé d’établir sous les auspices de l’ONU un pôle multifonctionnel à Termez, ville frontalière ouzbèke, pour assurer la livraison opportune et ciblée de l'aide humanitaire à l’Afghanistan. Il a précisé que la ville dispose de toutes les infrastructures nécessaires pour cela - aéroport, chemin de fer et autoroutes liées à l'Afghanistan– ainsi que d’un grand terminal logistique qui dispose d’équipements modernes et de suffisamment d’installations de stockage.
Il a ensuite estimé que pour sortir l’Afghanistan de la crise socioéconomique profonde qu’il traverse, il serait opportun de dégeler ses actifs financiers et de lever les sanctions unilatérales qui le visent tout en encourageant une participation plus active des institutions internationales dans le financement de divers projets d’infrastructure sur le terrain. Pour sa part, l’Ouzbékistan est prêt à mettre en œuvre avec la partie afghane deux grands projets, à savoir la construction de la ligne de transport d’électricité « Surkhan – PuleKhumri » et du chemin de fer « Termez – Mazar-e-Charif – Kaboul – Peshavar ». En outre, les spécialistes ouzbeks ont récemment achevé des travaux pour permettre la reprise des opérations de l’aéroport international de Mazar-e-Charif, a-t-il indiqué. Avant de conclure il a souligné que l'Afghanistan ne doit plus jamais être utilisé comme refuge pour divers groupes terroristes internationaux, expliquant que les nouvelles autorités de Kaboul ont donné des assurances en ce sens à l’Ouzbékistan.
M. MUNIR AKRAM (Pakistan) a déclaré que ce débat aurait été plus animé et plus interactif si nous avions pu aussi écouter un représentant du Gouvernement intérimaire d’Afghanistan. À cause des conflits de ces dernières décennies et du gel des avoirs, des millions d’Afghans sont lancés dans une course contre la montre pour éviter de mourir de faim cet hiver, a-t-il déploré. Sans l’aide humanitaire, le chaos et la reprise du conflit pourraient devenir à nouveau une réalité en Afghanistan avec les flux de réfugiés et l’escalade de la menace terroriste, a-t-il prévenu en appelant la communauté internationale à répondre de façon généreuse et positive à l’appel à l’aide lancé en janvier par le Secrétaire général.
Poursuivant, le représentant a indiqué que les sanctions ne devraient pas empêcher qu’une aide au développement et humanitaire soit fournie à l’Afghanistan: tous les acteurs doivent pouvoir agir en Afghanistan sans craindre des sanctions arbitraires. Rien ne justifie que le peuple afghan soit privé de ses propres avoirs qui peuvent stabiliser et relancer l’économie et sauver des milliers de vies, a-t-il martelé. Il a annoncé que le Pakistan a donné 30 millions de dollars à l’Afghanistan à titre d’aide humanitaire et qu’il accueille près de 4 millions de réfugiés afghans jusqu’à ce qu’ils puissent rentrer chez eux.
Le représentant a rappelé que la réunion extraordinaire de l’Organisation de la conférence islamique (OCI), en décembre, a vu la création d’un fonds d’affectation spéciale dont l'objectif est de remettre sur pied le système bancaire afghan. M. Akram a défendu la politique d’ouverture du Gouvernement afghan et son engagement à respecter des droits humains de tous les Afghans notamment les femmes. Évoquant les discussions qui se tiennent pour promouvoir ces objectifs, il a espéré que ces pourparlers auront le succès escompté. Il a assuré que le Gouvernement afghan a donné des assurances en ce qui concerne l’éducation des filles et a dit attendre avec impatience la réouverture des écoles pour les filles le mois prochain. Des garanties ont été données en vertu desquelles les cas de violation des droits humains et de détention arbitraire feront l’objet d’enquêtes, a rappelé M. Akram.
Il a réaffirmé l’importance de la lutte contre le terrorisme en Afghanistan. Il est essentiel que la communauté internationale parle avec l’Afghanistan pour mettre en place des modalités d’action contre le terrorisme venant d’Afghanistan. M. Akram a soutenu la proposition de la Représentante spéciale visant à élaborer une feuille de route pour aider le pays en matière d’inclusion, de respect des droits humains, de lutte contre le terrorisme. Cette feuille de route devrait inclure les attentes du Gouvernement afghan en matière de soutien économique. Il a terminé en soulignant le rôle crucial de la MANUA dans le pays.
M. MAJID TAKHT RAVANCHI (République islamique d’Iran) a noté que 24 millions d’Afghans ont besoin d’aide humanitaire et que 9 millions sont déplacés, s’inquiétant des conséquences d’un possible effondrement économique sur la stabilité de toute la région. Rappelant que son pays soutient le peuple afghan depuis 40 ans, il a indiqué que l’Iran n’a pas fermé ses frontières avec l’Afghanistan après la prise de pouvoir des Taliban. Il a jugé crucial de continuer à livrer de l’aide à ce pays durant l’hiver. Depuis août 2021, des milliers d’Afghans trouvent refuge quotidiennement en Iran, a précisé le représentant avant de fustiger des sanctions américaines inhumaines, qui sont la source d’immenses difficultés et qui limitent la capacité du Gouvernement iranien d’aider la population afghane présente en Iran. C’est pourquoi, il a appelé la communauté internationale à fournir des ressources financières nouvelles et supplémentaires aux voisins de l’Afghanistan pour aider les réfugiés et les personnes déplacées, en notant qu’un grand nombre de réfugiés afghans cherchent à rejoindre l’Europe en passant par l’Iran.
Par ailleurs, le représentant a jugé essentielle la libération sans conditions des avoirs gelés de l’Afghanistan pour relancer l’économie afghane et sauver des vies humaines. Il a salué les efforts déployés par la MANUA et d’autres agences des Nations Unies en Afghanistan, dont le lancement du mécanisme de cadre d’engagement transitoire et le lancement conjoint virtuel par OCHA et le HCR du plan de réponse humanitaire et régional pour les réfugiés. Il a souhaité que ces initiatives importantes soient renforcées par d’autres efforts pour répondre aux besoins du peuple afghan et des pays d’accueil des réfugiés. Il a pris note de la résolution 2615 (2021) du Conseil de sécurité adoptée à l’unanimité sur l’exemption de l’aide humanitaire et d’autres activités du régime de sanctions, en espérant qu’elle pourra faciliter la fourniture en temps voulu d’une aide humanitaire aux personnes dans le besoin. « La promotion et la protection des droits humains de tous les Afghans, dont les femmes et les filles, doivent être assurées », a insisté le représentant avant de préciser que son pays a récemment accueilli une délégation de haut niveau des Taliban pour souligner la nécessité d’établir un gouvernement inclusif en Afghanistan.