« Investir dans le développement aujourd’hui, c’est investir dans un avenir plus pacifique », a déclaré ce matin le Secrétaire général de l’ONU au cours d’un débat public de haut niveau sur les liens entre la pauvreté, le sous-développement et les conflits, examinés sous l’angle du maintien de la paix et de la sécurité internationales. Près de 90 délégations s’étaient inscrites pour participer à cette réunion que présidait le Ministre des affaires étrangères et de la coopération internationale de Guyana.
M. António Guterres a fait le constat suivant: « plus un pays est éloigné d’un développement durable et inclusif, plus il se rapproche de l’instabilité, voire du conflit ». Ce n’est pas un hasard, selon lui, si 9 des 10 pays affichant les indicateurs de développement humain les plus bas sont actuellement en situation de conflit. De ce fait, si la tendance actuelle se poursuit, deux tiers des pauvres du monde vivront dans des pays touchés par des conflits ou fragiles d’ici à 2030, a prévenu le Secrétaire général.
A contrario, « le développement donne une chance à la paix », a-t-il fait valoir en y voyant même la première ligne de défense contre les conflits. Pour M. Guterres, il n’y a pas de meilleure mesure préventive que l’investissement dans le développement. Or actuellement, « le moteur du développement est en panne », a-t-il fait observer en misant, pour que le monde répare et renforce ce moteur essentiel, sur les travaux de la quatrième Conférence internationale sur le financement du développement, qui débutera le 30 juin à Séville.
Le développement humain mondial est au « point mort », a embrayé la Sous-Secrétaire générale Kanni Wignarajaral en observant que, simultanément, les conflits atteignent des niveaux jamais vus depuis huit décennies. Celle qui est Directrice du Bureau régional pour l’Asie et le Pacifique (BRAP) au sein du Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) a noté que chaque fois que la gouvernance et le développement vacillent, « le conflit gagne du terrain ». Ainsi, le développement doit rester un « projet mondial intentionnel et continu », a-t-elle recommandé.
Ce projet mondial doit inclure de donner voix au chapitre à l’Afrique, selon l’avis du Président de la Commission de l’Union africaine qui a demandé de laisser le continent jouer un rôle significatif dans l’élaboration des décisions qui influencent sa trajectoire de paix et de développement. « Notre continent ne doit plus être considéré uniquement comme un théâtre de crise, mais comme un contributeur de solutions mondiales », a plaidé M. Mahmoud Ali Youssouf, avant d’exhorter la communauté internationale à renforcer son soutien aux opérations de paix menées par l’Afrique, en particulier celles déployées dans des régions où la pauvreté et le sous-développement sont profondément ancrés.
Le projet mondial passe également par une architecture financière mondiale répondant mieux aux besoins des pays en développement dans leur ensemble, en particulier ceux qui sortent d’un conflit, a ajouté le chef de la diplomatie guyanaise. M. Hilton Todd a rappelé les chiffres du Fonds monétaire international (FMI) qui laissent voir que « chaque dollar dépensé pour la prévention des conflits dans les pays récemment touchés par la violence pourrait permettre d’économiser jusqu’à 103 dollars ».
Pour garantir une paix durable, il faut un financement permanent, flexible, durable et prévisible tant pour les initiatives de paix que pour les stratégies de développement, a renchéri l’Algérie en soulignant elle aussi le rôle crucial des institutions financières internationales.
Quel rôle alors pour le Conseil de sécurité dans ce projet mondial et dans les liens à faire entre la paix et le développement? La Somalie a exhorté le Conseil à approfondir sa coopération avec les autres organes des Nations unies, en particulier l’Assemblée générale, le Conseil économique et social (ECOSOC) et la Commission de consolidation de la paix (CCP), afin de garantir une approche cohérente et intégrée de la prévention des conflits, de la consolidation de la paix et du développement. Pour la France, le Conseil de sécurité doit se mobiliser de toute urgence pour construire la paix en cherchant à créer les conditions du développement.
De leur côté, les États-Unis ont souligné l’importance de l’appropriation nationale des efforts de paix. Ils ont donc lancé un appel aux gouvernements pour qu’ils s’engagent envers la paix et prennent leurs engagements au sérieux, en s’attelant aux causes sous-jacentes de la pauvreté.
La Fédération de Russie s’est montrée moins catégorique pour accuser le sous-développement de causer des conflits. Elle a fait remarquer en effet que certains pays du monde présentant un faible niveau de développement ne sont pourtant pas déchirés par un conflit. Selon elle, les véritables conditions préalables aux conflits tiennent plutôt de l’ingérence extérieure dans les affaires intérieures des États. Le délégué russe a dénoncé à cet égard les ambitions géopolitiques de groupes de pays qui tentent d’étendre leurs sphères.
La Sierra Leone a reconnu que la pauvreté et les conflits, en particulier en Afrique, sont souvent exacerbés par la concurrence extérieure pour les ressources naturelles. Afin de rompre le lien entre ressources et conflits, elle a appelé à la mise en place de cadres internationaux et de mécanismes de certification plus solides en matière de gouvernance des ressources naturelles.
L’origine d’un conflit peut aussi se trouver dans l’occupation d’un territoire étranger, a fait valoir le Pakistan en demandant que le Conseil tienne compte de toutes les conditions poussant au conflit. Le Conseil, a appuyé le Panama, doit reconnaître et aborder la pluralité des facteurs qui favorisent et aggravent l’instabilité. Le Panama a conclu que, dans un contexte international de plus en plus difficile, il fallait faire évoluer et adapter le multilatéralisme et les approches traditionnelles du maintien de la paix, dans le but de mieux répondre aux conséquences de conflits interconnectés et multidimensionnels.
La coordination onusienne demandée par les États non membres du Conseil
Les États Membres invités par le Conseil à ce débat public ont, à leur tour, fait valoir que s’attaquer au lien entre pauvreté, sous-développement et conflit exige une action cohérente et coordonnée. À l’instar du Premier Vice-Ministre des affaires étrangères du Viet Nam, qui a relevé avec fierté que son pays figure parmi les 25 États ayant réduit de moitié leur indice de pauvreté multidimensionnelle depuis 2010, un grand nombre de délégations ont invité le Conseil à aborder systématiquement les causes profondes des conflits liées au développement dans ses délibérations, notamment par une coordination plus étroite avec le Conseil économique et social (ECOSOC), la Commission de consolidation de la paix (CCP) et les agences compétentes de l’ONU.
Pour le Ministre des relations extérieures de l’Uruguay, la CCP peut et doit jouer un rôle de passerelle entre la prévention, le développement et la consolidation de la paix, en fournissant des conseils stratégiques fondés sur l’expérience des États touchés. « Ses recommandations constituent une contribution précieuse aux délibérations du Conseil, en particulier pour les mandats mis en œuvre dans des contextes marqués par des niveaux élevés de pauvreté, d’inégalités et de chômage des jeunes », a-t-il dit, souhaitant également que soit renforcé le rôle de l’ECOSOC dans le suivi du financement du développement et des stratégies du Conseil de sécurité dans les contextes de conflit ou de transition, afin d’offrir une réponse cohérente intégrant le Programme de développement durable à l’horizon 2030.
Dans le même ordre d’idées, le Conseiller du Ministère des affaires étrangères du Bangladesh a plaidé pour une coordination plus étroite entre les trois piliers de l’ONU, jugeant impératif que le Conseil de sécurité travaille en collaboration avec l’ECOSOC et la CCP pour garantir que les stratégies de consolidation de la paix soient conformes aux réalités du développement. « Pour véritablement aligner paix et développement, nous devons sortir des silos institutionnels », a abondé l’Autriche, rejointe par des pays aussi divers que l’Angola, la Croatie, l’Espagne, l’Indonésie, le Luxembourg, le Mozambique ou encore les Philippines.
Partisan lui aussi de telles synergies, le Kazakhstan a suggéré que les membres de l’ECOSOC soient associés aux missions de terrain du Conseil de sécurité afin de travailler ultérieurement sur les questions socioéconomiques dans leurs pays respectifs. Il a par ailleurs prôné un renforcement des capacités d’alerte précoce et d’analyse des conflits afin de mieux en comprendre les causes profondes et de veiller à ce que les décisions et les mandats soient éclairés par ces informations cruciales. Toutefois, les causes des conflits variant selon les régions, il a jugé préférable de soutenir des approches adaptées et spécifiques à chacune d’elles.
Maintenir l’APD tout en développant la résilience économique
Dans le contexte actuel de multiplication des conflits, « il est alarmant que les tensions géopolitiques conduisent à une augmentation des dépenses militaires et que certains pays développés annoncent la réduction de leur aide publique au développement (APD) », a commenté le Mexique, non sans rappeler que, lors du dernier sommet du G20, sa Présidente a proposé d’allouer 1% des dépenses militaires au financement de projets visant à lutter contre les changements climatiques et à promouvoir le développement durable.
Déplorant également la baisse continue de l’aide étrangère, le Ministre des affaires étrangères et de la coopération du Timor-Leste a exhorté la communauté internationale à revoir l’architecture financière actuelle et à fournir des modalités de financement pluriannuelles adaptées aux contextes fragiles. Cela permettrait aux gouvernements de planifier et de mettre en œuvre des stratégies de développement à long terme sous la direction nationale, a-t-il avancé, appelant à « passer d’une dépendance excessive à l’APD à la promotion d’une véritable résilience économique ».
Du même avis, l’Italie a jugé essentiel d’agir en amont pour optimiser l’utilisation des ressources limitées actuellement disponibles pour les crises humanitaires. La réduction des risques de catastrophe et l’action d’anticipation doivent figurer parmi les principales priorités de notre engagement international, a-t-elle affirmé, appuyé par l’Angola, qui a exhorté le Conseil de sécurité à assumer son mandat de prévention des conflits « avec sérieux » en traitant précocement des problèmes d’effondrement économique. Il faut prévenir les conflits avant qu’ils n’éclatent, a approuvé l’Arabie saoudite, pour qui la sécurité alimentaire et le développement sont des piliers de la paix et de la sécurité internationales.
Plus radical, le Vice-Ministre des affaires étrangères de Cuba a sommé les pays développés d’assumer leur responsabilité historique envers le Sud et à honorer leurs engagements en matière d’APD, fustigeant la « philosophie de la dépossession » du capitalisme moderne, qui, selon lui, « rend presque impossible de parvenir à l’éradication de la pauvreté et à la progression vers le développement ». Il a aussi jugé urgent de mettre en œuvre la Déclaration sur le droit au développement et de réorienter vers la réduction de la faim et de la pauvreté les ressources allouées aux dépenses militaires.
Le droit au développement face au poids de la dette
Au nom de la Communauté des Caraïbes (CARICOM), les Bahamas ont, quant à elles, invité le Conseil de sécurité à considérer le droit au développement comme « une condition propice à la lutte contre l’instabilité et les conflits ». Notant qu’il a été démontré que chaque dollar investi dans la prévention des conflits permet d’économiser jusqu’à 103 dollars en coûts humanitaires et pertes économiques futurs, ils ont imploré le Conseil d’optimiser l’accès des agences de l’ONU au financement du secteur privé. Les entreprises jouent un rôle crucial dans l’apport d’investissements positifs pour la paix, essentiels à la réduction de la pauvreté et du sous-développement, a acquiescé l’Afrique du Sud.
Les besoins de financement sont au cœur des préoccupations en matière de paix et de réalisation des ODD, a confirmé l’Inde, avant de se réjouir de la tenue prochaine, en Espagne, de la quatrième Conférence internationale sur le financement du développement. Même son de cloche de la part de la Türkiye, selon laquelle le document final de Séville pourrait représenter « un point de bascule dans la lutte contre pauvreté ». En tant que défenseuse du multilatéralisme, l’Union européenne (UE) a, elle aussi, dit attendre avec impatience cette conférence afin de « définir collectivement la voie à suivre pour combler l’écart vers la réalisation des objectifs de développement durable (ODD) en mobilisant toutes les sources et tous les acteurs ». La délégation a rappelé à cet égard que l’UE et ses États membres sont le premier donateur d’APD au monde, avec 42% du total en 2022 et 2023, soit plus de 90 milliards d’euros par an.
Tout en appuyant les appels à une réforme de l’architecture financière internationale, l’Égypte a demandé de garantir des mécanismes de restructuration et d’allégement de la dette des pays en développement. Le Conseil doit, selon elle, tenir compte du fait que le surendettement est un facteur d’instabilité et sape la capacité des gouvernements à réaliser les ODD. Pour la délégation, la lutte contre la pauvreté sous toutes ses formes passe par des politiques intégrées, avec une appropriation nationale adaptée au contexte, des ressources financières prévisibles, un renforcement des capacités, des transferts de technologie et un système commercial équitable.
Le Maroc a, lui, rappelé que le Pacte pour l’avenir, adopté fin 2024 par les États Membres, a établi un lien stratégique essentiel entre pauvreté, sécurité et paix. Les premières actions préconisées par cet accord concernent le développement durable, notamment l’éradication de la pauvreté et l’élimination de l’insécurité alimentaire et de toutes les formes de malnutrition, a ajouté le Brésil, pour qui ce choix « découle de la reconnaissance inévitable que le développement nourrit la paix ».
Investir dans les femmes, c’est investir dans la paix et le développement
Pour briser le cercle vicieux actuel, marqué par l’escalade des conflits armés d’une part, et par la pauvreté et le sous-développement croissants d’autre part, une autre solution consiste à autonomiser les femmes et les filles, a soutenu la Ministre des affaires étrangères de la Suède, qui s’exprimait au nom des pays nordiques (Danemark, Finlande, Islande, Norvège et Suède). « Investir dans les femmes est l’une des mesures les plus judicieuses pour sortir du piège de la pauvreté », a-t-elle assuré, faisant observer que le PIB par habitant serait en moyenne supérieur de près de 20% dans tous les pays si les écarts d’emploi entre les sexes étaient comblés. De surcroît, la participation politique des femmes conduit à une paix et une stabilité à plus long terme, a ajouté la Ministre.
Enfin, notant que les changements climatiques compromettent le développement durable, rendent les communautés vulnérables et peuvent conduire à des conflits, la Ministre d’État du Ministère fédéral des affaires étrangères de l’Allemagne a souhaité que le Conseil approfondisse ses travaux sur ce dossier. Un avis partagé par l’Espagne, qui a suggéré d’intégrer ce « multiplicateur de risques et de menaces » dans les analyses et les mandats du Conseil. Alors que les crises environnementales génèrent de nouvelles tensions et exacerbent les vulnérabilités existantes, « nous avons besoin d’approches prospectives et préventives qui unissent la sécurité et l’action climatique », a-t-elle justifié.
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