Conseil de sécurité: pour la Cheffe de la MANUA, les politiques discriminatoires des autorités de facto continuent d’entraver la réintégration de l’Afghanistan
La Représentante spéciale pour l’Afghanistan a averti ce matin, devant le Conseil de sécurité: la situation inacceptable faite aux femmes et aux filles dans ce pays, et les politiques discriminatoires qui continuent de les viser, entravent la réintégration du pays dans la communauté internationale. Les délégations ont affiché, pour leur part, de nettes divergences quant à l’utilité du dialogue mené avec les Taliban dans le cadre des négociations de Doha.
Mme Roza Otunbayeva, qui est également Cheffe de la Mission d’assistance des Nations Unies en Afghanistan (MANUA), a indiqué que l’ONU cherche à établir un engagement plus cohérent avec les autorités de facto de l’Afghanistan. « L’objectif est clair: un pays en paix avec lui-même et ses voisins, pleinement réintégré dans la communauté internationale et exécutant ses obligations. » Elle a détaillé l’approche globale suivie par l’ONU visant à un cadre de dialogue plus structuré et multilatéral, tout en montrant aux autorités de facto l’existence d’un chemin vers la réintégration.
Cette approche globale ne veut pas normaliser le statu quo, mais ouvrir un nouveau chapitre, a-t-elle dit. La Représentante spéciale a indiqué que la présence internationale est un élément de protection pour les Afghans, ajoutant que le pays serait dans un plus mauvais état sans cette présence. Si elles ont apporté une relative stabilité et accru leurs liens diplomatiques, notamment avec les pays de la région, les autorités de facto continuent d’appliquer des politiques extrêmement discriminatoires, a déploré Mme Otunbayeva.
La « guerre d’attrition invisible » menée contre les femmes et les filles
Elle a en particulier dénoncé la loi sur la promotion de la vertu et la prévention du vice adoptée en août dernier qui entérine toujours plus l’exclusion des femmes et des filles. Les autorités continuent sur une voie qui éloigne le pays de la communauté internationale, a-t-elle tranché. « Nous ne pouvons pas oublier la situation inacceptable des femmes et filles, même si leur marginalisation ne fait plus les gros titres. » Leur survie même est un acte de rébellion, a-t-elle dit, faisant siens les mots d’une femme afghane.
Dans ce droit fil, elle a appelé la levée de l’interdiction faite aux filles d’accéder à une éducation au-delà du primaire. Les attaques contre les femmes n’épargnent pas les Afghanes employées par la MANUA, puisque des dizaines d’entre elles ont été directement menacées par des individus non identifiés, a poursuivi Mme Otunbayeva. Si les autorités de facto ont nié toute implication, les hommes armés responsables semblent opérer en toute impunité dans la capitale. L’exécution du mandat de la Mission en est rendue plus complexe et dangereuse, a déploré la Représentante spéciale.
« En neuf mois, la situation des femmes et des filles afghanes n’a fait que s’aggraver », n’a pu que constater la Directrice exécutive d’ONU-Femmes, jugeant que la répression les visant est devenue plus systématique et institutionnalisée. Mme Sima Sami Bahous a également regretté la moindre l’attention de la communauté internationale sur ce sujet alors que les femmes s’efforcent de construire leur vie dans le peu d’espace qui leur reste, notamment en ouvrant des écoles clandestines.
S’agissant de l’engagement des Taliban dans le cadre du processus de Doha, la Directrice exécutive a recommandé de ne pas normaliser leurs « politiques et valeurs » discriminatoires. Ce Conseil doit soutenir activement la reddition de comptes en matière de violation des droits des femmes, tandis que les ressources internationales doivent bénéficier aux organisations locales dirigées par des femmes, a-t-elle déclaré. « Il est essentiel d’investir dans l’alphabétisation numérique des femmes et des filles afghanes. »
On estime en outre à 3,7 millions le nombre d’enfants non scolarisés, dont 2,2 millions de filles âgées de plus de 11 ans qui se voient refuser l’accès à l’éducation en raison des restrictions imposées par les autorités de facto, a appuyé la Sous-Secrétaire générale aux affaires humanitaires et Coordonnatrice adjointe des secours d’urgence, qui a rappelé qu’un Afghan sur cinq souffre de la faim et que le taux de mortalité maternelle est plus de 2,5 fois supérieur à la moyenne mondiale.
En outre, certaines régions du pays sont à nouveau au bord de la sécheresse, pour la quatrième fois en seulement cinq ans, et Kaboul risque de devenir la première ville moderne à manquer d’eau, s’est inquiétée Mme Joyce Msuya. Elle a par ailleurs indiqué que le plan d’intervention humanitaire pour l’Afghanistan est financé à moins de 21%. « En raison des coupes budgétaires, nous avons concentré notre action pour répondre aux besoins de 12,5 millions de personnes dans les districts les plus gravement touchés, contre un objectif initial de 16,8 millions. »
« Le dialogue avec les Taliban n’a pas porté ses fruits »
La situation faite aux femmes et aux filles a été dénoncée par de nombreuses délégations, à l’instar du Royaume-Uni qui s’est dit en faveur du renvoi de l’Afghanistan devant la Cour internationale de Justice pour violation de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes. L’engagement du Royaume-Uni dans un processus au sein duquel les Taliban ne s’acquittent pas de leurs obligations n’est pas garanti, a prévenu la délégation.
« Les A3+ demeurent vivement préoccupés par le fait que la situation des femmes et filles ne s’améliore pas », a déclaré le Guyana, au nom de ce groupe de pays (Algérie, Sierra Leone, Somalie et Guyana). Cette délégation a rappelé que l’Afghanistan est le seul pays au monde où les femmes et filles sont systématiquement privées d’une éducation secondaire et universitaire. La participation des femmes à toutes les sphères de la vie est nécessaire pour le développement du pays, ont insisté les A3+, appuyés par la République de Corée, la Grèce ou bien encore la Slovénie.
La normalisation des relations de l’Afghanistan avec la communauté internationale dépend de l’exécution par les Taliban de leurs obligations, notamment s’agissant des droits des femmes, a rappelé la Grèce. « Presque quatre ans après la prise de pouvoir des Taliban par la force, on constate une alarmante aggravation de la situation des droits humains », a déclaré la France selon qui le dialogue engagé par la communauté internationale avec les Taliban n’aurait pas porté ses fruits.
La « stratégie des petits pas » initiée lors de la troisième réunion de Doha, il y a un an, n’est pas à la hauteur des enjeux. Une position partagée par les États-Unis qui ont considéré que l’approche adoptée depuis quatre ans en Afghanistan manque de cohérence et n’a pas permis d’obtenir les résultats escomptés de la part des Taliban. « La politique américaine pour ce qui est de l’Afghanistan est en cours de révision », a précisé la déléguée des États-Unis, qui a néanmoins estimé que l’heure est venue d’instaurer des changements depuis l’intérieur du pays.
Appel à un « dialogue patient »
Une position rejetée par le délégué de la Fédération de Russie qui a estimé que, « contrairement aux prévisions des pays occidentaux qui annonçaient son effondrement », l’Afghanistan a résisté et n’est pas devenu un « trou noir ». Les autorités de facto renforcent systématiquement la coopération régionale en mettant l’accent sur la restauration du potentiel socioéconomique du pays, sans se soucier de l’aide occidentale, a constaté la Russie. Il a plaidé pour un « dialogue patient » avec les autorités de facto, estimant que tout chantage mènera à une impasse.
Le représentant russe a précisé que cette position était partagée par les pays de la région et que les Taliban eux-mêmes, qui ont accepté de se joindre au « processus de Doha » sous l’égide de l’ONU en juin 2024, restent intéressés par le développement d’une telle coopération avec la communauté internationale. Il a regretté la réticence persistante de certains donateurs occidentaux à reconnaître leurs propres erreurs et à « payer la note », continuant de parler aux autorités de facto en termes d’ultimatums.
La normalisation de la communauté internationale avec l’Afghanistan n’a pas encore atteint ses objectifs, a concédé le Pakistan, tout en appelant au dégel des avoirs bloqués du pays. « Le Pakistan travaille avec les autorités de facto dans de nombreux domaines mais reste préoccupé par les menaces terroristes dans ce pays. » L’Inde a jugé fondamental le consensus régional et international sur la coopération avec l’Afghanistan, tandis que la Chine a souligné ses récentes initiatives trilatérales avec le Pakistan et l’Afghanistan ,en mai, à Beijing, pour promouvoir « les relations de bon voisinage, la stabilité et la lutte antiterroriste ».
Une approche mosaïque qui ne fait pas l’unanimité
De son côté, le représentant de l’Afghanistan a fait part de ses « graves préoccupations » concernant le projet d’approche mosaïque de la MANUA, estimant que, dans sa forme actuelle, celui-ci ne reflète pas véritablement la volonté des Afghans.
Les forces démocratiques afghanes, les acteurs politiques, la société civile, les organisations de femmes et les représentants des jeunes n’ont pas été consultés de manière significative lors de son élaboration. Beaucoup considèrent que ce processus est descendant et non participatif, ce qui nuit à sa crédibilité et à sa légitimité, a-t-il mis en garde.
Le représentant a également pointé le déséquilibre des attentes. Les demandes des Taliban, telles que la reconnaissance officielle, le dégel des avoirs et la levée des sanctions, sont claires et assorties de délais. En revanche, les attentes de la communauté internationale en matière de droits humains, d’inclusion et de gouvernance sont vagues, inconditionnelles et dépourvues de critères de référence applicables. Cette asymétrie risque de conduire à une normalisation du régime taliban sans réforme significative ni obligation de rendre des comptes, a-t-il encore prévenu.
Les répercussions d’un embrasement régional
De son côté l’Iran a dénoncé l’indifférence des États-Unis, du Royaume-Uni et de la France s’agissant des conséquences désastreuses de l’agression israélienne et américaine contre l’Iran qui menaceraient, selon lui, 7 millions d’Afghans vivant actuellement en Iran.
Si les crimes d’agression d’Israël se poursuivent, mon gouvernement n’aura pas d’autres choix que d’envisager de faciliter le retour rapide des ressortissants afghans dans leur patrie pour les protéger de ces attaques brutales et sauvages. Ce n’est pas une politique à laquelle nous aspirons, mais les conditions de sécurité exceptionnelles ne nous laissent pas d’autre choix, a-t-il dit.
À ce propos, la Représentante spéciale a précisé que 10 000 Afghans par jour avaient quitté l’Iran cette dernière semaine, et a exhorté à une désescalade immédiate du conflit entre Israël et l’Iran. Ce conflit entraîne déjà des répercussions en Afghanistan, perturbant les échanges commerciaux, faisant grimper les prix des produits de première nécessité et du carburant, et provoquant le retour d’Afghans supplémentaires d’Iran. Les défis actuels sont suffisamment importants. Ils seront aggravés par l’instabilité régionale, a-t-elle mis en garde.
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