Ce sont les yeux tournés vers 2030 que le Conseil économique et social (ECOSOC) a débattu, hier et aujourd’hui, des « questions de coordination » pour promouvoir des solutions durables et inclusives, fondées sur la science et les données, en vue de réaliser le Programme de développement durable lancé il y a 10 ans. Au cours des quatre tables rondes de la journée, les États Membres et les acteurs concernés ont été encouragés à créer des emplois décents pour tous, à exploiter les données et les technologies, à uniformiser les financements, et à prendre des « décisions percutantes ».
Avec un taux de croissance annuelle inférieur à 1%, « il ne peut y avoir ni dynamisme du marché du travail ni réduction de la pauvreté ou du secteur informel », a averti d’emblée le Secrétaire exécutif de la Commission économique pour l’Amérique latine et les Caraïbes (CEPALC), région où la croissance n’a été que de 0,9% par an en moyenne au cours de la décennie 2014-2023. Parmi les efforts payants, l’Organisation internationale du Travail (OIT) a plaidé pour l’amélioration des compétences tout au long de la vie, tandis que l’Organisation des Nations Unies pour le développement industriel (ONUDI) a appelé à remédier à la sous-représentation des femmes dans de nombreux secteurs industriels.
« Devenez notre partenaire! Incluez-nous! » a lancé en écho la Coordinatrice du grand groupe des femmes. Comme les experts et hauts responsables d’agences onusiennes, les délégations participant au débat n’ont pas manqué de recommander l’intégration systématique de la dimension de genre dans les politiques socioéconomiques.
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DÉBAT CONSACRÉ AUX QUESTIONS DE COORDINATION
Favoriser l’accès de toutes et tous aux possibilités d’emploi et au travail décent
Modérée par Mme Mahlet Zeleke Redi, point focal du Caucus mondial de la jeunesse sur le travail décent, cette table ronde centrée sur l’objectif de développement durable no 8 (Travail décent et croissance économique) a permis de faire le point sur les stratégies visant une croissance inclusive, des économies résilientes et un travail décent pour tous.
Le Secrétaire exécutif de la Commission économique pour l’Amérique latine et les Caraïbes (CEPALC), a donné le ton de cette discussion en décrivant le « piège » pour la création d’emploi que représente une faible capacité de croissance. Observant que la croissance moyenne de sa région n’a été que de 0,9% au cours de la décennie 2014-2023, il a argué qu’avec un taux inférieur à 1%, « il ne peut y avoir ni dynamisme du marché du travail ni réduction de la pauvreté ou de l’informalité ». De même, il n’y a pas beaucoup de recettes fiscales pour financer les dépenses sociales et les investissements publics indispensables, a-t-il relevé, justifiant ainsi la « priorité absolue » qu’accorde la CEPALC à la croissance et à la transformation. Pour remédier à ce « piège », il a préconisé de donner la priorité à la numérisation des entreprises dans les secteurs identifiés par les politiques nationales et régionales, de renforcer l’offre régionale de technologies numériques et de favoriser l’inclusion.
L’inclusion, en particulier celle des femmes et des jeunes, a également été mise en avant par la Directrice du Bureau de l’Organisation internationale du Travail (OIT) pour les Nations Unies, selon laquelle offrir un travail décent à ces catégories fragiles « peut apporter un dividende à toute communauté ». Si l’accès à l’emploi est en voie d’amélioration, il reste très insuffisant, a-t-elle constaté, rappelant qu’en 2023, un jeune sur cinq – des jeunes femmes pour les deux tiers - ne travaillait pas et n’était pas formé. « L’amélioration des compétences tout au long de la vie doit être la priorité », a plaidé l’intervenante, pour qui il importe que les politiques économiques prennent en compte les questions de genre, d’éducation et de formation.
Dans la même veine, le Directeur général de l’Organisation des Nations Unies pour le développement industriel (ONUDI) a estimé que pour améliorer la productivité et la compétitivité, il convient en premier lieu de combler les fractures numériques existantes, en particulier en remédiant à la sous-représentation des femmes dans de nombreux secteurs industriels. Rappelant que l’ONUDI est notamment chargée de l’objectif du Pacte numérique mondial visant à garantir que tout le monde bénéficie de l’économie numérique, il a précisé que son organisation s’emploie à doter les femmes et les jeunes des pays en développement de compétences techniques.
« La prospérité économique ne peut être atteinte sans les femmes et les femmes ne peuvent contribuer à l’atteindre sans un travail décent », a fait valoir la représentante de Women’s Environment and Development Organization et Coordinatrice du grand groupe des femmes. Tout en saluant les nombreux engagements pris dans le monde pour que l’égalité des sexes et l’autonomisation des femmes restent au cœur de la croissance, elle a dénoncé un manque de volonté politique. « Devenez notre partenaire! Incluez-nous! » a-t-elle lancé pour encourager à véritablement inclure les voix des femmes à tous les niveaux.
Même son de cloche de la part de la Cheffe de la section autonomisation économique à ONU-Femmes, qui a fait état d’un écart de 30% entre hommes et femmes en matière de participation au marché du travail, et de 20% sur le plan salarial. De surcroît, les femmes passent 2,5 fois plus de temps que les hommes à effectuer un travail non rémunéré, a-t-elle déploré. Elle a notamment appelé à financer l’égalité des sexes dans le domaine du développement.
S’agissant du travail non rémunéré, le Directeur général de l’Office fédéral de la statistique de la Suisse et Président de la cinquante-cinquième session de la Commission de statistique a souligné les progrès significatifs réalisés dans la mesure de cette activité et de l’économie des soins par l’intermédiaire de la Conférence internationale des statisticiens du travail et de l’OIT. Pour mieux comprendre cet aspect de l’économie informelle, il est selon lui nécessaire de mener davantage d’enquêtes sur l’utilisation du temps et, spécifiquement sur le travail de soins. Un avis partagé par le Président de la soixante-neuvième session de la Commission de la condition de la femme, selon lequel il faut davantage de données ventilées sur l’emploi des femmes dans le secteur informel pour contribuer à la mise en œuvre concrète du Programme d’action de Beijing.
Au cours du débat qui a suivi ces interventions, le Représentant permanent du Népal, également Président du Groupe des pays les moins avancés (PMA), a plaidé en faveur d’une approche inclusive pour aider ces pays fragiles à créer des emplois décents en tenant compte des défis considérables auxquels ils sont confrontés. Cela passe par un plus grand appui technique et financier, des partenariats régionaux et un renforcement des compétences pour combler le fossé numérique, a-t-il dit, appuyé par la Jamaïque, cofacilitatrice de la Déclaration sur les générations futures.
Le Mexique a, pour sa part, réaffirmé la valeur du multilatéralisme « alors que se dessinent des tendances protectionnistes », demandant à la communauté internationale de redoubler d’efforts pour lutter contre la pauvreté et promouvoir le travail en vue d’« accéder à une vie meilleure ». Inquiète de la progression du travail non rémunéré, la Colombie a, elle, prôné une intégration systématique de la dimension de genre dans les politiques socioéconomiques, rejointe dans cette vision par l’Indonésie.
Il faut « sortir l’ODD 8 de sa stagnation », a conclu le Fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF) faisant remarquer qu’un quart des jeunes dans le monde sont écartés du marché du travail. « Il faut accélérer le rythme », a-t-il soutenu, avant de rappeler son action en faveur du renforcement des compétences des jeunes et de l’élimination du travail des enfants.
Tirer parti des données, de la science, de la technologie et de l’innovation pour faire progresser le numérique
Cette discussion a été l’occasion pour les intervenants de mettre l’accent sur l’importance du transfert de technologie et du renforcement des capacités afin de réduire les fractures numériques dans les pays vulnérables. La nécessité de mettre en place des mesures d’atténuation des risques de l’intelligence artificielle (IA) a également été mise en avant.
Sans réseau, sans équipements de base ou d’électricité, les avantages restent théoriques pour les 2,6 milliards de personnes qui n’ont pas d’accès à Internet, a relevé la Finlande qui a mis en avant l’importance de la connectivité et de l’accessibilité pour tirer parti des technologies et de l’innovation afin de réaliser les objectifs de développement durable (ODD).
Le Directeur du Centre d’informations géographique et numérique du Bureau National d’Études Techniques et de Développement (BNETD) de Côte d’Ivoire a indiqué que les données, la science et la technologie numérique permettent de générer des analyses complètes pour faire face aux changements climatiques et protéger l’environnement dans les pays en développement. De plus, elles sont essentielles pour le développement des villes intelligentes et de l’Internet des objets.
La Présidente du Groupe IPSOS États-Unis a mis en avant le rôle des technologies pour améliorer les conditions de travail et la croissance économique des producteurs de cacao en Afrique, ainsi que pour renforcer l’autonomisation des femmes productrices. Les données collectées sont essentielles pour mesurer l’impact des programmes de développement durable dans les communautés agricoles éloignées, a-t-elle soutenu.
Convaincu que la gouvernance des données est l’un des défis – et des opportunités – les plus urgents de notre époque, le Président de la Commission de la science et de la technique au service du développement, a appelé à établir des cadres de gouvernance des données transparents et cohérents, afin de créer un environnement de sécurité juridique qui donne du pouvoir aux innovateurs, aux entreprises et aux consommateurs.
L’importance de l’interopérabilité ne peut être surestimée, a-t-il souligné. En alignant nos normes juridiques et techniques, nous pourrions créer des voies pour des flux de données fluides qui renforcent la coopération et facilitent l’échange mondial d’idées et de meilleures pratiques. De même, il a proposé une approche duale intégrant des directives politiques et des perspectives locales pour une gouvernance des données « robuste et réactive ».
De son côté, la Secrétaire exécutive de la Commission économique pour l’Europe (CEE) a loué les mérites de son Réseau d’innovation transformatrice, dont l’un des objectifs est de faciliter les échanges commerciaux en rationalisant les processus liés au commerce et en numérisant l’échange d’informations le long des chaînes d’approvisionnement. Ces efforts contribuent à l’inclusion numérique, à la gouvernance équitable des données et à l’accès aux technologies numériques, s’est félicitée la Directrice.
L’Inde, qui a souligné l’importance de la démocratisation des modèles réplicables comme les systèmes de paiement numérique, a appelé à préserver l’éthique dans le domaine de la science, de la technologie et de l’innovation. La Fédération de Russie a plaidé pour une coopération internationale scientifique d’égal à égal avec les pays en développement. Aucun pays ne peut faire cavalier seul dans ce domaine, a souligné Singapour.
Uniformiser les règles du jeu multilatéral grâce à des solutions de financement et d’investissement propres à assurer un développement durable dans les pays en situation particulière
Cette table ronde s’est tenue dans un contexte marqué par l’organisation en juin prochain de la quatrième Conférence internationale sur le financement du développement prévue à Séville, en Espagne, qui devrait permettre d’élaborer, comme l’ont espéré les intervenants, les solutions de financement et d’investissement propres au bénéfice des pays en situation particulière, notamment en remédiant au défi de la dette.
Premier orateur, un membre du Comité des politiques de développement a souligné l’acuité du défi du service de la dette pour nombre de pays vulnérables et plaidé pour un mécanisme de restructuration permanent afin d’y remédier. Le risque d’une crise de la dette est néanmoins moindre que lors de la pandémie, a-t-il tempéré. En matière fiscale, il a jugé capital de lutter contre les flux financiers illicites. Les banques de développement devraient bénéficier d’un appui renforcé et être reconstituées dans les pays où elles ont été démantelées, a-t-il ajouté, avant d’appeler à honorer les engagements pris en matière d’aide publique au développement (APD) en faveur des pays les moins avancés (PMA).
Même son de cloche du côté du Représentant spécial auprès des Nations Unies du Fonds monétaire international (FMI), qui a plaidé pour une mise en cohérence des messages des pays vulnérables en prévision de ladite Conférence. Il a détaillé la réforme des droits de tirage spéciaux au bénéfice de ces pays au sein du FMI tandis que les capacités de prêts ont été augmentées. Débiteurs et créanciers jouent par ailleurs un rôle accru en ce qui concerne la restructuration de la dette souveraine. Il a précisé que les instances de gouvernance au sein du FMI ont par ailleurs été réformées afin que la voix de l’Afrique subsaharienne se fasse mieux entendre.
« Les impôts sont la seule source de financement pérenne au service du développement », a estimé de son côté, le Coprésident du Comité d’experts de la coopération internationale en matière fiscale. Il a détaillé l’action du Comité face à l’évasion fiscale, étant donné que la participation des pays en situation particulière à ces efforts a été renforcée. Le Comité essaye d’instaurer une fiscalité « utile », simplifiée, afin de répondre aux besoins de ces pays, et a par ailleurs proposé une imposition des entreprises d’extraction minière.
La Secrétaire générale de la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement (CNUCED), a, elle, loué la résilience des pays en situation particulière face aux chocs. La triste réalité est que l’environnement économique mondial ne se prête pas à la réalisation des ODD. Le service de la dette est ainsi un réel défi qui obère la capacité de ces pays à répondre aux besoins sociaux de leurs habitants, a-t-elle déploré. Elle a également plaidé pour un mécanisme de restructuration permanent de la dette, considérant en outre comme capital de lutter contre les flux financiers illicites.
Pour sa part, le Secrétaire exécutif de la Commission économique pour l’Afrique (CEA) s’est inquiété des lacunes de financement s’agissant de la réalisation des ODD dans les pays africains qui payent des milliards de dollars chaque année au titre du service de la dette. L’architecture financière internationale doit être réformée, a-t-il appuyé. Il a également appelé à tirer un meilleur profit des obligations vertes et à lutter énergiquement contre les flux financiers illicites.
À son tour, la Haute-Représentante pour les pays les moins avancés, les pays en développement sans littoral et les petits États insulaires en développement a signalé que les pays précités représentent 92% des pays les plus vulnérables au monde et que leur surendettement a un effet paralysant, tandis que les volumes d’investissements directs étrangers sont particulièrement faibles. Ces pays ne sont pas en passe de réaliser les ODD. Il est capital de remédier à la crise de la dette, a-t-elle dit, en plaidant pour une annulation de la dette dans certains cas et un accroissement de la marge de manœuvre fiscale de ces pays. « La Conférence à Séville doit aboutir à un document ambitieux. »
Lors du débat interactif qui a suivi, l’Égypte a appelé à remédier aux lacunes de la gouvernance fiscale internationale, avant de rappeler que le service de la dette des pays africains s’élevait en 2022 à 650 milliards de dollars. Un mécanisme de gestion de la dette doit être mis sur pied, a-t-elle insisté. Les transferts de technologie sont des éléments clefs, a insisté le Kirghizstan. L’Algérie a loué le potentiel considérable d’un marché unique africain, tout en notant que l’accès insuffisant aux capitaux obère le développement de l’Afrique. Le Paraguay a également mentionné ses difficultés de financement pour un développement durable. Enfin, le Bangladesh a rappelé que l’uniformisation des règles du jeu multilatéral est une question d’équité et insisté sur l’importance de la Conférence à Séville.
S’engager à agir: les scénarios pour une prise de décision efficace
La fenêtre de tir pour réaliser des progrès significatifs dans la réalisation des ODD se rétrécit rapidement, exigeant des mesures audacieuses et décisives dès à présent, a mis en garde la Directrice exécutive adjointe du Fonds des Nations Unies pour la population (FNUAP). Pour obtenir de meilleurs résultats, elle a invité à se baser sur les enseignements tirés d’exercices de prospective fondés sur le recours à la science et sur des preuves.
Pour répondre rapidement et efficacement aux déplacements forcés, par exemple, la Haute-Commissaire adjointe du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) a invité à utiliser les données et la collaboration avec le milieu universitaire, les agences de l’ONU, les réfugiés et les communautés d’accueil. Elle a cité le « Nowcasting », une méthodologie qui permet au HCR d’anticiper les tendances dans les déplacements forcés six mois à l’avance. En exploitant ses propres données et celles des gouvernements, et en les combinant à des modèles prédictifs, ce système peut prévoir l’arrivée des réfugiés et prépositionner une aide vitale, a-t-elle expliqué.
La Haute-Commissaire adjointe a aussi donné l’exemple du système mondial d’alerte rapide pour les situations d’urgence, lancé l’an dernier. Ce système, qui exploite les données générées par l’intelligence artificielle et l’observation de la planète, permet d’anticiper les évènements qui pourraient provoquer des déplacements forcés. Les acteurs humanitaires, les autorités locales et les communautés ont donc le temps de se préparer au mieux, a-t-elle noté. Ces exemples, s’est réjouie la Haute-Commissaire adjointe, montrent comment des approches avant-gardistes peuvent transformer l’action humanitaire, en la faisant passer de la réaction à l’anticipation, et des réponses à court terme aux solutions à long terme.
Les jeunes contribuent également à la prise de décision efficace. C’est ce qu’a illustré la Directrice générale adjointe chargée des partenariats au Fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF) en disant qu’au sein de son agence, les jeunes sont considérés comme des acteurs de changement capables d’identifier les problèmes émergents au-delà de 2030 et de fournir des informations précieuses sur les possibilités et les défis à venir. La haute fonctionnaire a annoncé la publication le mois prochain d’un rapport fondé sur une analyse complète des tendances et un exercice d’analyse prospective mené par de jeunes leaders de la lutte contre le réchauffement planétaire qui ont identifié plus de 150 signaux de percées climatiques potentielles.
En matière de prospective stratégique, l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) est particulièrement bien outillée, a témoigné pour sa part son l’Observateur permanent. Il a parlé de sa collecte de données fiables et de son expertise fondée sur des données probantes, mentionnant également le Programme de transformation de l’OCDE pour les politiques de la science, de la technologie et de l’innovation.