L’Envoyé spécial du Secrétaire général pour la Syrie, M. Geir Otto Pedersen, et de nombreuses délégations ont, ce matin devant le Conseil de sécurité, appelé à une transition politique « inclusive et transparente » dans ce pays, souhaitant une levée des sanctions afin de la faciliter. De vives préoccupations ont par ailleurs été exprimées quant à la situation sécuritaire et humanitaire sur place, en particulier dans le nord-est syrien, en proie à un conflit actif.
À l’entame de son propos, M. Pedersen a rappelé que, le 30 janvier dernier, M. Ahmed al-Sharaa, nommé la veille Président par intérim et Chef de l’État pour la période de transition, avait annoncé vouloir mettre sur pied un gouvernement représentatif de la diversité syrienne en vue de la tenue d’élections libres et transparentes, dans un délai estimé de quatre à cinq ans.
« Étant donné la feuille de route avancée sur la gouvernance, la Constitution et les élections, les paroles des autorités intérimaires et les principes clefs de la résolution 2254 (2015) se recoupent considérablement », a constaté M. Pedersen, en insistant sur l’importance de la réussite de cette transition politique. Il a en effet relayé les préoccupations de nombreux Syriens devant le manque de transparence de certaines nominations et décisions, ainsi que l’absence d’état de droit.
Les Syriens, qui veulent une transition crédible et inclusive, demandent que les engagements pris se traduisent en actes concrets, a insisté l’Envoyé spécial. Il a également appelé à un assouplissement des sanctions, élément essentiel pour la réussite de la transition, et salué les signaux émis ces dernières semaines par les États-Unis et l’Union européenne en ce sens. Une transition inclusive, crédible et transparente, appuyée par l’ONU, dans le respect de la résolution précitée, qui en fixe les paramètres, est la meilleure façon de répondre aux défis actuels, a assuré le haut fonctionnaire.
Une position largement partagée par les délégations, à l’instar du Danemark ou de la Slovénie, pour laquelle il n’y aura pas de solution politique durable sans inclusion véritable. Tous les Syriens doivent participer à l’édification de leur propre avenir, a poursuivi le représentant slovène, en appelant à un assouplissement des sanctions. « Nous appelons de nos vœux une transition prenant en compte toutes les voix syriennes, notamment les chrétiens, les Druzes et les Kurdes, en vue de la formation d’un gouvernement représentatif et non sectaire », a appuyé la Grèce.
La prochaine étape devrait consister à respecter les droits et la sécurité de tous les Syriens, a préconisé de son côté le Royaume-Uni. Les États-Unis ont également appelé à une transition crédible, tandis que la France s’est dite prête, aux côtés de l’Union européenne, à soutenir la Syrie dans une phase « historique », reflétée par la levée d’une partie des sanctions économiques européennes appliquées à ce pays. L’Algérie, au nom du Groupe des A3+, l’Iran ou encore la Chine ont également appelé à la levée des sanctions, qui obèrent les efforts de relèvement.
Notant que la question kurde reste « aiguë », la délégation russe s’est déclarée, quant à elle, préoccupée par la répression menée contre la minorité alaouite associée à l’ancien Gouvernement, jugeant inacceptable de remplacer la justice légitime par une justice d’autodéfense menée par des groupes échappant au contrôle des autorités. « L’unité des forces de l’ordre doit être rétablie au plus vite et l’État doit retrouver le monopole de l’usage de la force légitime », a plaidé la délégation russe. L’Iran a également dénoncé les pressions exercées sur les minorités alaouites et chiites.
« La Syrie restera une nation pour tous ses citoyens, fière de sa riche diversité religieuse, ethnique et culturelle, au-delà des termes de “majorité” et de “minorité” », a rétorqué le représentant syrien. Il a déclaré que son gouvernement s’est fixé pour priorité de bâtir des institutions fortes et intègres, de jeter les bases d’une économie créatrice d’emplois et d’instaurer une véritable justice transitionnelle établissant les responsabilités des criminels aux mains « souillées par le sang des Syriens ». Seules les forces de sécurité auront le droit de porter des armes, a précisé le délégué syrien.
« La “nouvelle” Syrie ne sera pas un refuge pour le terrorisme ni une menace pour aucun pays », a-t-il assuré. Le représentant n’a néanmoins pas fait mystère des nombreux défis rencontrés, jugeant impératif que la communauté internationale renforce son soutien financier et humanitaire. Les sanctions, obstacle majeur à la reprise économique et à la création d’un environnement favorable au retour des réfugiés, doivent être levées, a-t-il réclamé, appuyé par le Pakistan.
De vives préoccupations ont été exprimées quant à la situation sécuritaire dans le pays. Déplorant la division territoriale du pays et le « conflit actif » dans le nord-est, M. Pedersen a encouragé les États-Unis, la Türkiye et les partenaires régionaux à parvenir à des compromis susceptibles de ramener la stabilité. La fragmentation sécuritaire ne doit pas être exploitée par des acteurs extérieurs, en particulier si la transition devait dérailler, a mis en garde l’Envoyé spécial.
Les États-Unis se sont dits préoccupés par l’apparition de nouveaux groupes armés bénéficiant du soutien de l’Iran même après le départ de ce pays de la Syrie. Ils essayent d’attirer Israël dans une confrontation directe, a mis en garde cette délégation, en appelant Téhéran à cesser d’œuvrer à la déstabilisation. Washington n’a aucune légitimité pour porter des accusations contre d’autres, compte tenu de son « historique d’ingérence et d’agression » dans la région, a répliqué la délégation iranienne.
La Russie a dénoncé la destruction par Israël du potentiel de défense militaire de la Syrie et l’extension de sa zone d’occupation sur les hauteurs du Golan. « Ces actions sont contraires au droit international », a-t-elle martelé, sommant, à l’instar de la Chine, Israël de se retirer des territoires syriens occupés. La Syrie a, elle, dénoncé les « incursions illégales » de l’armée « d’occupation » israélienne en Syrie et les « sombres desseins » de certains acteurs. Le Golan est une terre arabe syrienne occupée, a tranché le Koweït, au nom du Groupe arabe.
Dans ce droit fil, la Türkiye a appelé le Conseil à prendre des mesures immédiates et décisives afin de mettre fin à la présence d’Israël sur le territoire syrien, tout en estimant qu’il n’y a pas de place pour Daech ou pour le PKK/YPG/FDS dans l’avenir de la Syrie. « Mettre fin à l’existence de ces groupes terroristes est une condition préalable à une Syrie pacifique, indépendante et politiquement unifiée », a-t-elle affirmé, tandis que la France a demandé, dans le nord-est, une solution pacifique aux tensions préservant les intérêts de tous, en particulier des Kurdes syriens.
La crise humanitaire dans le pays a été largement évoquée, notamment par Mme Joyce Cleopa Msuya Mpanju, Sous-Secrétaire générale aux affaires humanitaires et Coordonnatrice adjointe des secours d’urgence, qui en a souligné la gravité, plus de 70% de la population syrienne étant en effet touchée. « Il y a urgence à répondre aux besoins supplémentaires alors que les hostilités se poursuivent dans certaines zones, en particulier dans le nord ». L’opération transfrontalière depuis la Türkiye reste essentielle, a souligné la Sous-Secrétaire générale.
Elle a rappelé que 94 camions transportant des vivres, des articles sanitaires et d’autres fournitures ont traversé le mois dernier les points de passage de Bab el-Haoua et Bab el-Salam, soit trois fois plus qu’à la même période l’an dernier. L’Algérie et le Koweït se sont félicités de la décision d’autoriser les acheminements humanitaires par le point de passage de Bab el-Haoua jusqu’au 7 août 2025, tandis que les États-Unis se sont prononcés pour un accès humanitaire pérenne dans le nord de la Syrie.
La Sous-Secrétaire générale s’est dite gravement préoccupée par les ressources financières insuffisantes allouées au plan de réponse en Syrie et dit attendre de plus amples précisions sur les implications du gel des activités financées par les États-Unis. La Russie a exhorté les pays occidentaux à sortir de leur « approche politisée » en augmentant le volume d’aide. « La Conférence ministérielle pour la Syrie, que nous accueillerons demain, sera l’occasion d’exprimer le soutien de la communauté internationale au peuple syrien », a précisé la France.
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LA SITUATION AU MOYEN-ORIENT
Exposés
M. GEIR OTTO PEDERSEN, Envoyé spécial du Secrétaire général pour la Syrie, a rappelé que le 29 janvier dernier, les factions militaires se sont rassemblées à Damas et ont adopté une déclaration, par laquelle la Constitution de 2012 a été abrogée. Toutes les entités militaires et révolutionnaires ont été dissoutes pour être incluses au sein des institutions étatiques. M. Ahmed al-Sharaa a été désigné Président par intérim et Chef de l’État pour la période de transition, a précisé le haut fonctionnaire. Le lendemain, ce dernier a annoncé mettre sur pied un gouvernement représentatif de la diversité syrienne en vue de la tenue d’élections libres et transparentes et annoncé la création d’un comité préparatoire chargé de sélectionner un « conseil législatif restreint ». Il a précisé que ces élections pourraient se dérouler dans un délai de quatre à cinq ans. Les autorités intérimaires se sont engagées en faveur d’une nouvelle Syrie pour tous les Syriens, bâtie sur des fondations crédibles et inclusives. « Compte tenu de la feuille de route qui a été avancée sur la gouvernance, la Constitution et les élections, les paroles desdites autorités recoupent considérablement les principes clefs de la résolution 2254 (2015) », a souligné M. Pedersen, en ajoutant que l’élément clef sera la mise en œuvre. « Ma mission est de prodiguer soutien et conseils », a-t-il ajouté.
Il a insisté sur l’importance de la réussite de la transition syrienne, en relayant les préoccupations de nombreux Syriens devant le manque de transparence de certaines nominations et décisions et l’absence d’état de droit. Les Syriens, qui veulent une transition crédible et inclusive, demandent que les engagements pris se traduisent en actes concrets. Les femmes veulent être protégées et participer audit processus. L’Envoyé spécial a ensuite évoqué le contexte « extrêmement préoccupant » de la transition, marqué par une division territoriale et un conflit actif dans le nord-est du pays. Il a encouragé les États-Unis, la Türkiye et les partenaires régionaux à parvenir à des compromis susceptibles de ramener la stabilité. M. Pedersen a également évoqué les craintes des Syriens que la fragmentation sécuritaire ne soit exploitée par des acteurs extérieurs, en particulier si la transition devait échouer. La mise sur pied d’une armée nationale est donc un élément clef de la transition, a-t-il préconisé. Enfin, le haut fonctionnaire a appelé à un assouplissement des sanctions en vigueur et salué les signaux émis ces dernières semaines par les États-Unis et l’Union européenne, tout en indiquant qu’une transition crédible permettra d’avancer résolument en ce sens. Une transition inclusive, crédible et transparente, appuyée par l’ONU et la communauté internationale, respectant la résolution 2254 (2015), est la meilleure façon de répondre aux défis de la Syrie, a insisté l’Envoyé spécial en conclusion.
Mme JOYCE CLEOPA MSUYA MPANJU, Sous-Secrétaire générale aux affaires humanitaires et Coordonnatrice adjointe des secours d’urgence, a d’emblée souligné l’urgence de faire face à l’immense crise humanitaire qui touche plus de 70% de la population syrienne et de répondre aux besoins supplémentaires alors que les hostilités se poursuivent dans certaines zones, en particulier dans le nord. Les combats à Menbij et aux alentours, dans l’est d’Alep, ont déplacé plus de 25 000 personnes et causé des dizaines de victimes civiles, a-t-elle indiqué, ajoutant que, plus à l’est, les hostilités se poursuivent également dans les provinces de Raqqa et de Hassaké, avec de graves répercussions sur les civils, les stations d’eau et autres infrastructures civiles. Dans le même temps, les engins explosifs continuent de constituer une menace pour les civils et d’entraver l’aide humanitaire dans tout le pays, tuant des dizaines de personnes et en blessant des dizaines d’autres ces dernières semaines, a déploré Mme Msuya, avant de décrire l’assistance essentielle fournie par l’ONU et ses partenaires humanitaires.
L’opération transfrontalière depuis la Türkiye reste essentielle, a souligné la Sous-Secrétaire générale, selon laquelle 94 camions transportant de la nourriture, des soins de santé et d’autres fournitures ont traversé le mois dernier les points de passage de Bab el-Haoua et Bab el-Salam, soit trois fois plus qu’à la même période l’an dernier. Saluant les livraisons continues en provenance de pays de la région, elle a assuré que l’ONU est prête à renforcer sa coordination pour faire en sorte d’atteindre le plus grand nombre possible de personnes dans le besoin. Depuis l’activation de l’intensification du système humanitaire et la visite du Coordonnateur des secours d’urgence en décembre, la Syrie reste en tête de notre liste de priorités, a-t-elle affirmé, faisant état d’une nouvelle architecture humanitaire rationalisée qui, d’ici au mois de juin, sera dirigée par le Coordonnateur des opérations humanitaires à Damas, avec une équipe de pays réunissant les acteurs humanitaires opérant dans toute la Syrie.
Parallèlement, le Bureau de la coordination des affaires humanitaires (OCHA) continue de dialoguer avec les autorités intérimaires sur les assurances qu’elles ont fournies pour faciliter l’accès et alléger les procédures bureaucratiques, a poursuivi Mme Msuya, constatant des améliorations notables, notamment la levée des limites de retrait d’espèces pour les organisations humanitaires, l’autorisation des transactions en livres syriennes ou en dollars américains et le feu vert donné à toutes les expéditions humanitaires en attente aux points de passage. Elle s’est également félicitée de l’autorisation donnée par les autorités intérimaires à l’ONU de poursuivre les arrangements existants pour les livraisons transfrontalières d’aide depuis la Türkiye, via Bab el-Haoua, pendant six mois supplémentaires.
La Sous-Secrétaire générale a cependant averti que le manque de financement continue de limiter considérablement l’intensification des efforts. Il en résulte que des dizaines d’établissements de santé risquent de fermer et que les services d’eau et d’assainissement ont été suspendus dans les camps de déplacés du nord-ouest, affectant plus de 635 000 personnes. Elle a dit attendre de plus amples précisions sur les implications du gel des activités financées par les États-Unis. Rappelant que le financement américain a représenté l’an dernier plus d’un quart de l’aide au Plan de réponse humanitaire en Syrie, elle a prévenu que « les retards ou la suspension auront une incidence sur l’accès des personnes vulnérables aux services essentiels ». Dans l’immédiat, l’ONU et ses partenaires lancent un appel de fonds de 1,2 milliard de dollars pour atteindre 6,7 millions de personnes d’ici au mois de mars, avant d’élaborer un appel complet pour le reste de l’année sur la base de nouvelles évaluations. Par ailleurs, le retour durable, sûr et digne des 6 millions de réfugiés syriens disséminés dans la région nécessite des investissements substantiels dans les moyens de subsistance, les services de santé, la reconstruction des écoles et le rétablissement des infrastructures d’électricité et d’eau, a expliqué Mme Msuya. Selon elle, plus d’un quart des réfugiés espèrent rentrer chez eux au cours de l’année à venir.