La Commission de la condition de la femme a donné, aujourd’hui, le coup d’envoi de sa soixante-neuvième session en adoptant une déclaration politique qui réaffirme l’engagement pris voilà 30 ans, lors de l’adoption à l’unanimité de la Déclaration et du Programme d’action de Beijing. Étalés sur deux semaines, les travaux de la Commission porteront sur l’examen et l’évaluation de la mise en œuvre de ces jalons, avec un accent particulier mis sur les défis qui freinent la réalisation de l’égalité des sexes et de l’autonomisation des femmes.
Dans leur déclaration politique, entérinée par consensus, les États Membres réunis à l’occasion de cette session réaffirment leur « détermination à appliquer de manière intégrale, effective et accélérée la Déclaration et le Programme d’action de Beijing, les documents finaux de la vingt-troisième session extraordinaire de l’Assemblée générale et les déclarations de la Commission de la condition de la femme, sachant que c’est un moyen de contribuer à la réalisation du Programme de développement durable à l’horizon 2030 ».
Tout en constatant que, 30 ans après la quatrième Conférence mondiale sur les femmes, « aucun pays n’a pleinement réalisé l’égalité des genres et l’avancement des femmes et des filles », ils conviennent que des obstacles majeurs subsistent, notamment des barrières structurelles, des lois et pratiques discriminatoires, des stéréotypes de genre et des normes sociales négatives, ainsi que toutes les formes de violence et de discrimination à l’égard des femmes et des filles et des niveaux importants d’inégalité à l’échelle mondiale.
À cette aune, ils demandent au système des Nations Unies de continuer à soutenir la mise en œuvre intégrale, effective et accélérée de la Déclaration et du Programme d’action de Beijing, notamment au moyen de l’intégration systématique de la dimension de genre, de partenariats multipartites, de la mobilisation de ressources pour obtenir des résultats, et du suivi et de l’évaluation des progrès à l’aide de données ventilées et de systèmes de responsabilité solides. Ils encouragent par ailleurs la présentation de candidatures de femmes lors du prochain processus de sélection pour les postes de secrétaire général et de président de l’Assemblée générale.
Des droits en « état de siège »
En ouvrant cette session, le Secrétaire général de l’ONU a reconnu que « garantir l’égalité pour toutes et tous est une mission de longue haleine ». Trois décennies après la Conférence de Beijing, cette promesse semble plus difficile à tenir que nous ne l’aurions jamais imaginé, a concédé M. António Guterres, pour qui « les droits des femmes sont en état de siège ». Face au retour en force du « poison du patriarcat », qui détruit les progrès accomplis et prend des formes nouvelles et dangereuses, il n’existe selon lui qu’un antidote: l’action.
Alors que d’immenses disparités persistent, que la violence, la discrimination et les inégalités économiques sont monnaie courante pour les femmes et les filles, le Chef de l’ONU a jugé urgent d’intensifier le financement en faveur du développement durable « et, partant, en faveur de l’égalité entre les femmes et les hommes ». À ses yeux, le Pacte pour l’avenir, adopté l’an dernier, constitue une « formidable avancée dans ce sens » puisque les droits des femmes et des filles y sont « partout ».
M. Guterres a également plaidé en faveur d’un renforcement du soutien aux organisations de femmes, d’une utilisation accrue de la technologie pour corriger les biais de genre, et d’une participation pleine, égale et effective des femmes à la consolidation de la paix et à la prise de décisions « à tous les niveaux et dans tous les domaines de la vie ». Des avancées pour lesquelles l’ONU peut servir d’exemple, étant elle-même parvenue à la parité femmes-hommes aux postes de haute direction, s’est-il enorgueilli.
À sa suite, le Président de l’Assemblée générale, M. Philémon Yang, a fait valoir que le développement durable ne pourra être atteint que si les droits des femmes sont respectés, tandis que le Président du Conseil économique et social (ECOSOC), M. Bob Rae, rappelait que l’égalité de genre est non seulement un objectif commun mais aussi « le socle dont nous avons besoin pour bâtir un monde juste, pacifique et durable ».
Témoignages de femmes de la société civile
Des témoignages de représentantes de la société civile sont venu éclairer ces déclarations. Mme Jana Suliman AlRifi, étudiante saoudienne en ingénierie électrique, a confié qu’au cours de son parcours académique et de chercheuse, chaque obstacle a alimenté sa détermination. « Je suis la preuve que la résilience et un environnement favorable peuvent permettre aux jeunes femmes de réaliser des rêves incroyables dans le monde entier », a-t-elle affirmé. Moins enthousiaste, Mme Françoise Moudouthe, Présidente du Conseil d’administration de l’organisation non gouvernementale « The African Women’s Development Fund », a dénoncé la baisse des fonds dédiés à l’autonomisation des femmes, notamment les quelque 730 millions de dollars venant d’entités philanthropiques, avant de rappeler, à l’adresse des donateurs, que « s’engager à soutenir les droits des femmes est un acte de justice et non de charité ».
Représentante des femmes autochtones, Mme Loretta Jeff Combs a rappelé que ses semblables ont été à l’avant-garde de la lutte pour les droits des femmes. Un avis partagé par la représentante des jeunes, Mme Küyenray Rupayan, qui a rendu hommage au combat des femmes autochtones, avant de dénoncer la violence dans les espaces numériques et l’utilisation abusive de l’intelligence artificielle et des réseaux sociaux qui rendent invisibles les luttes des femmes.
Malgré ces abus, l’amélioration de la culture numérique est devenue un moyen important de promouvoir l’égalité des sexes et l’autonomisation des femmes, a assuré Mme Bu Wei, qui s’exprimait au nom de la société civile dans son ensemble. De fait, il est essentiel de garantir la participation égale et complète des femmes à l’innovation scientifique et technologique, a-t-elle argué, appelant à des politiques concrètes et à des investissements spécifiques aux femmes et aux filles.
Dialogue interactif de haut niveau avec les commissions régionales
Dans l’après-midi, la Commission a tenu un dialogue interactif de haut niveau avec les commissions régionales de l’ONU sur les résultats des examens régionaux de la mise en œuvre de la Déclaration et du Programme d’action de Beijing et sur les prochaines étapes. Modératrice de cette discussion, la Directrice exécutive d’ONU-Habitat a établi un lien entre l’égalité de genre et l’accès des femmes au logement et au droit foncier. Bien que des progrès aient été réalisés sur les plans législatif et pratique, un milliard de femmes et de filles qui résident dans des installations informelles risquent de se retrouver sans logement d’ici à 2050, a-t-elle alerté, appelant à investir dans un développement urbain qui tienne compte de la dimension de genre, avec un budget et une planification intégrant les effets des changements climatiques.
Tirant les enseignements de l’examen régional Beijing + 30, la Secrétaire exécutive de la Commission économique pour l’Europe s’est déclarée préoccupée par l’insécurité économique des femmes âgées, un phénomène que partagent les régions Europe, Asie centrale et Amérique du Nord, où 1 femme sur 4 aura plus de 65 ans d’ici à 2050, contre 1 sur 5aujourd’hui. « En raison des systèmes de retraite et du fait que ces femmes prennent souvent en charge leur famille, il est nécessaire de mettre en place une protection sociale qui les cible spécifiquement », a-t-elle préconisé.
S’agissant de la région Europe, elle a constaté la montée d’un « mouvement conservateur » qui restreint la portée de l’égalité entre les genres, met à mal les financements et affaiblit les mécanismes nécessaires au progrès. Elle a d’autre part rappelé que, comme le montre la guerre en Ukraine, les conflits touchent particulièrement les femmes et les filles, qui sont exposées à des risques de violence, de traite et de difficultés économiques accrus.
Si des propositions concrètes sont faites au sein de la région, comme l’établissement de politiques étrangères féministes, l’investissement dans les recherches et programmes relatifs aux femmes et la participation active des femmes à l’action climatique et aux pratiques agroécologiques, on note aussi une augmentation des féminicides, une diminution des opportunités économiques, une aggravation de la pauvreté des femmes et un manque de statistiques ventilées par sexe.
La Commission économique et sociale pour l’Asie occidentale (CESAO) a également recensé des obstacles à l’essor des femmes dans sa région. Pour sa Secrétaire exécutive, il faut agir d’urgence pour l’éducation des filles et des femmes, assurer la santé maternelle et infantile, ou encore soutenir l’autonomisation économique des femmes. Même urgence dans l’appel lancé par la Commission économique pour l’Amérique latine et les Caraïbes (CEPALC) pour juguler des problèmes régionaux tels que les grossesses précoces, les violences à l’encontre des femmes, la sous-scolarisation des filles et la sous-représentation des femmes dans les domaines de l’éducation, de l’administration publique, de l’industrie, du commerce, de la politique ou encore des technologies. Les représentantes de cette région ont également identifié des problèmes émergents tels que les changements climatiques, la violence sexiste facilitée par la technologie et l’augmentation des migrations en raison de défis socioéconomiques et de conflits.
La situation des femmes a incontestablement progressé en Afrique depuis 1995, a observé, pour sa part, le Secrétaire exécutif de la Commission économique pour l’Afrique (CEA). Il en a tenu pour preuve la proportion paritaire des femmes dans l’éducation primaire et secondaire, mais aussi l’augmentation du nombre de femmes à des postes à responsabilité, certains pays comme l’Ouganda dépassant la moyenne africaine de représentation politique. Il a aussi noté que 34 pays africains ont adopté des plans d’action au titre de la résolution 1325 (2000) du Conseil de sécurité.
Il a toutefois constaté qu’une femme sur 10 continue de vivre dans la pauvreté extrême et que l’écart entre hommes et femmes demeure. Pour combler ce fossé, la CEA propose d’utiliser la part des budgets nationaux consacrée au service de la dette pour l’égalité de genre. Elle plaide en outre en faveur d’une baisse de l’assiette fiscale et d’un accès au marché des capitaux pour les entrepreneuses. Enfin, pour les 17 pays les plus vulnérables aux changements climatiques, elle demande de développer la résilience via le leadership des femmes.
Des représentantes de cette région ont déploré qu’une question centrale comme celle du VIH/sida n’occupe qu’une place mineure dans la déclaration politique adoptée par la Commission. Elles ont par ailleurs jugé prioritaire de mettre en place des filets de sécurité sociale spécifiques compte tenu du fort taux de femmes engagées dans le secteur informel en Afrique.
La Commission économique et sociale pour l’Asie et le Pacifique (CESAP) a clôturé cet échange en notant des améliorations notables dans plusieurs domaines clefs comme la réduction de la pauvreté, l’élargissement de l’accès à la protection sociale et aux soins de santé tout comme à d’autres services publics. Malgré ces avancées, elle a pointé de profondes lacunes, notamment des obstacles systémiques persistants en matière d’autonomisation et de résilience économiques, de représentation et d’élimination de la violence sexiste.
De l’avis de la Secrétaire exécutive adjointe de la CESAP, la persistance de l’inégalité de genre dans la région impose de donner la priorité à l’autonomisation économique des femmes et de transformer les systèmes de soins. Notant que de nombreuses femmes continuent d’être piégées dans des emplois informels à bas salaires, privées de protection sociale et de sécurité économique, elle a également constaté que la part disproportionnée du travail de soins non rémunéré reste un obstacle fondamental à la participation économique des femmes.
Pour éliminer ces obstacles structurels, elle a appelé à étendre la protection sociale aux femmes, favoriser des marchés du travail qui incluent les femmes et investir dans l’économie des soins. À cet égard, elle a qualifié d’encourageante la déclaration de l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (ASEAN) sur le renforcement de l’économie des soins, adoptée l’an dernier, car elle positionne les soins comme un bien public et réclame des politiques globales prévoyant une protection sociale inclusive.
Nominations et procédure
En début de séance, le Président de la soixante-neuvième session de la Commission, M. Abdulaziz M. Alwasil (Arabie saoudite) a supervisé les procédures de désignation des membres du Bureau. Les postes de vice-président sont revenus à Mme Dúnia Pires do Canto (Cabo Verde), Mme Yoka Brandt (Pays-Bas), Mme Maritza Chan Valverde (Costa Rica) et Mme Nataliia Mudrenko (Ukraine), cette dernière faisant également office de Rapporteur de la session.
En plus de l’Ukraine et de l’Espagne, la Commission a également nommé l’Arabie saoudite et le Nigéria comme membres du Groupe de travail chargé des communications relatives à la condition de la femme. Elle a d’autre part adopté son ordre du jour provisoire (E/CN.6/2025/1) et le projet d’organisation des travaux (E/CN.6/2025/1/Add.1).
Demain, mardi 11 mars, la Commission tiendra à 10 heures une table ronde sur les mécanismes nationaux pour l’égalité des genres et l’avancement des femmes et des filles.