Conseil de sécurité: lorsque la question des disparus n’est pas traitée, des sociétés entières sont incapables d’aller de l’avant, selon le Sous-Secrétaire général Khiari
À la demande des États-Unis, de la France et du Royaume-Uni, le Conseil de sécurité a tenu, cet après-midi, une séance consacrée aux personnes portées disparues dans le cadre d’un conflit armé, à la lumière de la résolution 2474 (2019) qui exige le respect de la dignité et la protection des civils dans ces circonstances. Un débat qui a suscité de vives émotions après les témoignages de membres des familles de disparus, l’un sud-coréen et l’autre Israélien, présents à la table du Conseil. Alors que le Sous-Secrétaire général pour le Moyen-Orient, l’Asie et le Pacifique, M. Mohamed Khaled Khiari, a fait le point sur cette question qui touche directement un certain nombre de pays, plusieurs intervenants ont demandé la nomination d’un envoyé spécial des Nations Unies pour promouvoir et plaider en faveur du retour des otages décédés.
Le Sous-Secrétaire général a lancé un appel pressant à la pleine mise en œuvre de la résolution 2474 en prévenant que « lorsque la question des personnes disparues n’est pas traitée, non seulement les individus, mais également les sociétés entières sont incapables d’aller de l’avant ». Il a donné l’exemple du coût humain de la guerre du Golfe de 1991, qui se fait encore sentir sachant que 315 ressortissants koweïtiens et de pays tiers sont encore portés disparus. De même, le travail du Comité des personnes disparues à Chypre illustre l’importance que revêt la question des personnes disparues, non seulement pour les familles directement touchées, mais aussi pour des communautés entières. M. Khiari a aussi évoqué la question en ce qui concerne l’Ukraine, le Myanmar, la péninsule coréenne et la Syrie, sans oublier l’Iraq.
Plus en arrière dans le temps, il y a 75 ans, la Directrice générale de la Korean War Abductees’ Family Union (« Union des familles des personnes enlevées pendant la guerre de Corée »), qui a livré son témoignage, a indiqué qu’elle avait 18 mois lors de l’enlèvement de son père par les soldats de la République populaire démocratique de Corée (RPDC). Mme Sung Eui Lee a fait savoir que malgré les multiples preuves, la RPDC n’avait jamais reconnu son crime d’enlèvement.
Inquiétudes pour les otages à Gaza et les Palestiniens disparus
Revenant à 2024, M. Khiari a cité les chiffres du Comité international de la Croix-Rouge (CICR): il y aurait eu l’an dernier 56 000 nouveaux cas de personnes disparues. Il a rappelé notamment que 58 otages israéliens sont toujours à Gaza, dont 35 présumés morts, tout comme des milliers de Palestiniens sont portés disparus, dont beaucoup seraient enterrés et sous les décombres. De graves inquiétudes persistent également concernant les milliers de Palestiniens détenus par les autorités israéliennes depuis octobre 2023, de nombreux parmi eux étant toujours portés disparus.
Il a salué la récente libération d’Edan Alexander, un ressortissant américano-israélien qui était retenu en otage à Gaza, y voyant une source d’espoir même si sur les 58 otages israéliens, 35 sont présumés morts, comme Itay Chen. Le père de celui-ci, M. Ruby Chen, a estimé qu’en refusant de fournir des informations ou d’autoriser l’accès aux otages, même pour les organismes humanitaires comme le CICR, le Hamas viole clairement la résolution 1474 et le droit international. « Nous voulons le retour d’Itay, et son état physique, quel qu’il soit, ne le rend pas moins otage », a-t-il clamé en brandissant sa photo.
Le représentant d’Israël a remercié ce père de famille pour son témoignage poignant, avant de saluer la présence de la mère et du frère de Hadar Goldin, militaire israélien tué et enlevé en 2014 lors d’un cessez-le-feu négocié par l’ONU et les États-Unis. Onze ans après, le Hamas n’a toujours pas restitué le corps à la famille, s’est indigné le délégué israélien avant de rendre hommage à Mme Goldin qui, par son plaidoyer pour les otages, est « devenue la conscience que ni l’ONU, ni ce Conseil et tant d’autres au sein de la communauté internationale n’ont réussi à trouver ». Le délégué a d’ailleurs demandé au Secrétaire général d’inclure, dans son prochain rapport, une section documentant chaque otage toujours détenu par le Hamas, chaque corps volé, chaque Israélien disparu depuis le 7 octobre et chaque soldat tombé au combat avant cette date dont les restes n’ont pas encore été rendus.
Pour le délégué, l’obligation morale de rendre les morts à leurs familles n’est ni un principe politique ni une norme occidentale, mais « un devoir universel » partagé par toutes les nations et ancré dans toutes les religions. Or, « non seulement le Hamas a violé cette obligation de la manière la plus odieuse, mais il en a fait une véritable industrie », s’est-il indigné, dénonçant une « économie de la mort ».
Selon l’Algérie en revanche, « ceux qui appliquent ce genre de politique ne devraient pas jouer à la victime et donner des leçons ». La délégation a évoqué les cas de Palestiniens disparus du fait de l’occupation, notant même que la justice israélienne a validé ces actes au motif que ces dépouilles peuvent servir de monnaie d’échange. Indigné lui aussi, le Panama a vu dans ces disparitions un symptôme des inégalités structurelles du système international et d’une géopolitique qui n’applique pas toujours ses principes avec la même cohérence dans les différents contextes.
Appels à l’action pour retrouver les disparus, morts ou vivants
Les États-Unis ont également exhorté le Hamas à libérer immédiatement les otages et à restituer au plus vite les dépouilles de ceux qui ont été assassinés pour permettre à leur famille de faire leur deuil. La délégation américaine a ensuite dénoncé l’attitude de la RPDC, « l’un des États les plus répressifs au monde », dans le différend sur les personnes enlevées pendant la guerre de Corée.
Lui emboîtant le pas, la République de Corée a rappelé qu’environ 100 000 civils avaient été enlevés par la RPDC au cours d’un conflit ayant duré trois ans. « Compte tenu du vieillissement des personnes enlevées et de leurs familles, le règlement de cette question urgente ne peut plus être différé », a argumenté la délégation, avant d’exhorter une fois de plus la RPDC à résoudre tous les problèmes relatifs aux personnes enlevées, aux détenus et aux prisonniers de guerre non rapatriés.
En plus du strict respect du droit international existant pour traiter des personnes disparues dans le cadre de conflits armés, la République de Corée a demandé d’explorer des approches novatrices. Elle a cité en exemple une initiative des médias sud-coréens qui avaient lancé, en 1983, l’émission de télévision intitulée « À la recherche de familles dispersées ». Ce programme, diffusé en direct pendant 140 jours, a permis de réunir 10 000 familles, séparées depuis la guerre de Corée, qui ne savaient même pas que leurs proches vivaient dans la région. Un tel succès que l’UNESCO a inscrit ce programme au Registre Mémoire du monde. La Chine a, elle, appelé à utiliser les technologies de pointe pour identifier et retrouver les disparus.
« Personne sur cette terre ne doit être oublié », a renchéri le Koweït qui a évoqué « la plaie profonde » des 308 personnes toujours introuvables depuis l’invasion iraquienne ayant conduit à la guerre d’Iraq de 1991. La délégation iraquienne a d’ailleurs assuré de son engagement à œuvrer aux côtés du CICR pour élucider le sort des disparitions survenues sur son territoire, sans oublier de demander au Secrétaire général de désigner un haut responsable à l’ONU qui serait chargé de la question.
Ukraine, Fédération de Russie, Chypre: des disparus, anciens ou récents
Du côté de l’Europe, le Royaume-Uni a rappelé que des milliers d’Ukrainiens sont portés disparus, dont des dizaines de milliers d’enfants expulsés de force vers la Fédération de Russie. La France a rappelé qu’aux termes du Statut de Rome relatif à la Cour pénale internationale (CPI), les disparitions forcées sont constitutives de crimes contre l’humanité lorsqu’elles sont commises dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique lancée contre toute population civile.
La Fédération de Russie a regretté que le Sous-Secrétaire général n’ait pas mentionné les personnes disparues sur son territoire lors de l’incursion ukrainienne à Koursk. Si 378 personnes ont été retrouvées, les autorités de Kiev retiendraient selon elle beaucoup d’autres en otage, comme des « marchandises vivantes » à échanger. De même, plusieurs millions de citoyens soviétiques sont toujours portés disparus après la Seconde Guerre mondiale, sans que le Conseil ne se soit penché sur leur sort, a signalé la délégation.
Un autre cas de disparition a été rappelé par la délégation de Chypre: à la suite des violences intercommunautaires des années 1960 et de l’invasion turque de 1974, plus de 2 000 personnes –Chypriotes grecs et Chypriotes turcs– ont disparu. Le sort de nombre d’entre elles reste inconnu à ce jour, a souligné la délégation qui a accusé la Türkiye de refuser de rendre compte des disparus, d’enquêter sur leur disparition et de fournir à leurs familles des informations sur les circonstances de leur décès.
La Türkiye s’est intéressée au nombre important de Chypriotes turcs portés disparus entre 1963 et 1974. La plupart étaient des civils, alors que leurs homologues grecs étaient majoritairement militaires, a souligné la délégation qui a accusé « les Chypriotes grecs de présenter des informations déformées en parlant d’occupation de la partie nord de l’île ». Elle a rappelé que « l’intervention légitime de 1974 a été menée conformément au Traité de garantie, à la suite du coup d’État déclarant l’annexion de l’île par la Grèce ».
Suivez les délibérations sur: En direct de l’ONU | Couverture des réunions & communiqués de presse
Protection des civils en période de conflit armé
Exposé
M. MOHAMED KHALED KHIARI, Sous-Secrétaire général pour le Moyen-Orient, l’Asie et le Pacifique, a relevé que depuis l’adoption de la résolution 2474 du Conseil de sécurité en 2019, le nombre de personnes touchées par les conflits armés, y compris celles portées disparues, n’a cessé d’augmenter. Rien qu’en 2024, le Comité international de la Croix Rouge (CICR) a enregistré 56 000 nouveaux cas de personnes disparues. Il n’existe pas de chiffres exhaustifs concernant les personnes portées disparues dans les conflits, mais nous savons que la situation est désastreuse, a-t-il dit. Il a rappelé que le droit international humanitaire interdit les disparitions forcées et exige des parties à un conflit qu’elles prennent toutes les mesures possibles pour recenser les personnes portées disparues, tout en consacrant le droit des familles à obtenir des informations sur le sort de leurs proches.
M. Khiari a brossé un tableau de la situation à travers le monde. Ainsi, les hostilités en cours entre Israël et les groupes armés palestiniens continuent de susciter de graves préoccupations. Il a salué la récente libération d’Edan Alexander, un ressortissant américano-israélien qui était retenu en otage à Gaza, y voyant une source d’espoir. Il a toutefois rappelé que 58 otages israéliens, dont 35 présumés morts, seraient toujours portés disparus à Gaza.
Par ailleurs, des milliers de Palestiniens, dont des enfants, sont toujours portés disparus, nombre d’entre eux étant ensevelis sous les décombres, et leurs familles cherchent toujours des informations sur leur sort et leur lieu de détention. De plus, Israël continue de retenir les dépouilles de Palestiniens décédés, y compris celles de personnes qui seraient enterrées dans des tombes anonymes ou numérotées, ce qui empêche les familles d’obtenir des informations. De graves inquiétudes persistent également concernant les milliers de Palestiniens détenus par les autorités israéliennes depuis octobre 2023, dont beaucoup sont toujours portés disparus.
En Ukraine, à la suite de l’invasion russe de grande ampleur en 2022, le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme signale qu’un grand nombre de civils ukrainiens dans les zones sous occupation russe ont été placés en détention, certains étant apparemment détenus au secret. Selon l’agence onusienne, certains de ces cas pourraient constituer des disparitions forcées. Un nombre indéterminé de civils ukrainiens, dont des enfants, auraient également été transférés vers la Fédération de Russie, a—t-il déclaré.
Au Myanmar, a-t-il poursuivi, des cas de personnes présumées disparues ou disparues se sont produits dans tout le pays depuis le coup d’État militaire de 2021. Au moins 2 000 personnes seraient mortes en détention militaire. « Dans la péninsule coréenne, nous encourageons toutes les parties à poursuivre les efforts antérieurs et à poursuivre le rapatriement des dépouilles mortelles de la guerre de Corée dans leurs pays respectifs », a-t-il aussi plaidé. Concernant la Syrie, il a salué l’engagement des autorités intérimaires syriennes et les a exhortées à collaborer avec l’Institution indépendante chargée de la question des personnes disparues en République arabe syrienne.
Le Sous-Secrétaire général a ensuite souligné que le coût humain de la guerre du Golfe de 1991 est encore présent, avec 315 ressortissants koweïtiens et de pays tiers toujours portés disparus. De même, le travail du Comité des personnes disparues à Chypre illustre l’importance que revêt la question des personnes disparues, non seulement pour les familles directement touchées, mais aussi pour des communautés entières.
Lorsque la question des personnes disparues n’est pas réglée, cela empêche non seulement des individus mais des sociétés entières d’aller de l’avant, a mis en garde M. Khiari avant d’appeler à la pleine mise en œuvre de la résolution 2474.