9914e séance – après-midi
CS/16060

Conseil de sécurité: face aux « conditions inhumaines » imposées par Israël aux civils de Gaza, un plan alternatif de distribution de l’aide fait débat

Réuni cet après-midi à la demande de ses membres européens (Danemark, France, Grèce, Slovénie et Royaume-Uni), soutenus par l’Algérie, pour examiner la situation humanitaire catastrophique dans la bande de Gaza, le Conseil de sécurité a été informé par le Secrétaire général adjoint aux affaires humanitaires et Coordonnateur des secours d’urgence, M. Thomas Fletcher, des « conditions inhumaines » qu’Israël impose aux civils du Territoire palestinien occupé, singulièrement à Gaza, où, selon la Directrice du Bureau de liaison de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) à New York, Mme Angélica Jácome, « le risque de famine est imminent ». 

Depuis plus de 10 semaines, rien n’est entré à Gaza: ni nourriture, ni médicaments, ni eau, ni tentes, a constaté M. Fletcher, précisant en outre que des centaines de milliers de Palestiniens ont, une fois de plus, été déplacés de force et confinés dans des espaces de plus en plus restreints, 70% du territoire de l’enclave se trouvant soit dans des zones militarisées par Israël, soit sous le coup d’ordres de déplacement.  Dans ce contexte, il a estimé que le « mode de distribution conçu par Israël » -et appuyé par les États-Unis-, qui consisterait à contourner l’architecture existante gérée par l’ONU et ses partenaires humanitaires, créerait « un précédent inacceptable pour l’acheminement de l’aide ». 

Un mécanisme d’aide alternatif articulé autour d’une entité privée

Rappelant qu’en vertu du droit international humanitaire, Israël, en tant que Puissance occupante, doit traiter les civils avec humanité et s’abstenir de transférer, déporter ou déplacer de force la population civile d’un territoire occupé, le Secrétaire général adjoint a mis en garde contre des modalités de distribution qui excluraient les personnes handicapées, les femmes, les enfants, les personnes âgées et les blessés, tout en provoquant de nouveaux déplacements.  Ce faisant, Israël « conditionne l’aide à des objectifs politiques ou militaires » et « fait de la famine un argument de négociation », a accusé M. Fletcher, avant d’exposer les efforts déployés par l’ONU pour expliquer aux autorités israéliennes les conditions minimales de leur engagement sur la base des principes humanitaires fondamentaux. 

Articulé autour d’une entité privée, la Gaza Humanitarian Foundation, ce nouveau mécanisme constituerait le moyen le plus sûr d’assurer l’acheminement de l’aide sans que le Hamas ne la détourne, ont fait valoir les États-Unis en exhortant l’ONU à poursuivre les discussions sur cette possible solution.  Assurant que ladite fondation, dotée de sa propre force de sécurité, s’est engagée à fournir l’aide dans le respect des principes humanitaires, dont la neutralité et l’humanité, la délégation a indiqué que Washington a envoyé des hauts représentants en Israël pour travailler sur ces nouvelles modalités qui visent à permettre la fourniture de l’aide aux « non combattants » à Gaza. 

« Nous ne permettrons plus que le mécanisme humanitaire qui alimente des organisations terroristes perdure », a pour sa part prévenu le représentant d’Israël, qui s’est dit « heureux » des efforts entourant la mise en place de ce nouveau mécanisme.  Il a toutefois regretté que le Secrétaire général de l’ONU l’ait déjà « balayé d’un revers de la main » au motif que l’Organisation ne peut participer à un dispositif qui ne respecterait pas les principes d’impartialité, d’humanité, d’indépendance et de neutralité.  « La situation est d’autant plus ironique que le précédent mécanisme foulait au pied ces principes », a-t-il relevé, jugeant « consternant que l’ONU refuse de travailler avec des États qui offrent des solutions réelles » et préfère « préserver le cadre humanitaire qui sert le Hamas », aux dépens des otages et de la population de Gaza. 

Pour ceux qui doutent encore de l’intention d’Israël de détruire le peuple palestinien à Gaza, « cette famine provoquée en apporte la preuve ultime », a fulminé l’Observateur permanent de l’État de Palestine, selon lequel le plan de « soi-disant distribution de l’aide humanitaire » poursuit les mêmes objectifs illégaux par d’autres moyens.  Il a noté à cet égard que ce projet israélien a été rejeté par toutes les agences des Nations Unies et toutes les organisations humanitaires, « car il ne fait que perpétuer l’utilisation de l’aide à des fins militaires, en poussant des civils et des humanitaires désespérés dans des zones militarisées pour recevoir ou distribuer l’aide au péril de leur vie, en comptant les calories, en excluant de nombreuses personnes, souvent les plus vulnérables, et en soumettant davantage la population ». 

Rejet quasi unanime de l’initiative israélo-américaine

La plupart des membres du Conseil ont partagé un même rejet du plan israélo-américain.  Le Royaume-Uni a indiqué qu’il ne soutiendra « aucun mécanisme d’aide visant à atteindre des objectifs politiques ou militaires, ou mettant en danger des civils vulnérables ».  Les modalités envisagées par Israël vont à l’encontre du droit international et ne permettraient pas de répondre aux besoins des populations, a abondé la France, avant de réaffirmer son soutien aux acteurs humanitaires opérant à Gaza, en particulier l’Office de secours et de travaux des Nations Unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA) et le Comité international de la Croix-Rouge (CICR).  « Il incombe à Israël de leur permettre d’opérer. »     

« En promouvant cette initiative, les dirigeants israéliens appellent de fait les structures de l’ONU à devenir complices de leur propre opération militaire », a dénoncé la Fédération de Russie, considérant qu’il serait préférable d’ouvrir les points de passage frontaliers pour fournir une aide efficace aux Gazaouites « otages de ces décisions politiques et militaires ». L’aide humanitaire ne doit pas être militarisée, a renchéri la Chine, pour qui il importe que cette assistance respecte les principes d’impartialité, d’indépendance et de neutralité. 

Sur la même ligne, la Somalie s’est élevée contre la « proposition avancée par Israël », qui contrevient aux principes de neutralité et d’impartialité humanitaires, porte atteinte au rôle des Nations Unies et de ses agences, et viole les mesures provisoires contraignantes émises par la Cour internationale de Justice.  Ce « soi-disant mécanisme humanitaire » risque de transformer l’aide en un instrument de coercition et de déplacements forcés, a ajouté le Pakistan, tandis que le Guyana jugeait inacceptable que les normes et règles existantes soient « bouleversées par des propositions qui ne satisfont pas aux principes humanitaires et porteront atteinte à la dignité des civils ».

À son tour, la Slovénie a rejeté « tout modèle qui ne répond pas aux critères minimaux d’un soutien humanitaire fondé sur des principes », avant de réitérer son soutien sans équivoque au système de distribution de l’aide mis en œuvre par l’ONU et ses partenaires humanitaires, conformément au droit international humanitaire.  Plus partagée, la Grèce a appelé à veiller à ce que tout plan proposé respecte les principes fondamentaux du droit international humanitaire, tout en rappelant que l’ONU a affirmé à plusieurs reprises sa volonté d’intensifier la livraison de fournitures et de services essentiels une fois le blocus levé. 

Plus de 2 millions de personnes confrontées à un risque de famine

Exigée par la quasi-totalité des membres du Conseil, la levée de ce blocus est d’autant plus urgente que, selon le dernier aperçu du Cadre intégré de classification de la sécurité alimentaire, rendu public hier, près de 2,1 millions de personnes à Gaza font face à un « risque critique de famine » après des mois de conflit, des déplacements de masse et de graves restrictions à l’accès humanitaire.  Selon la Directrice du Bureau de liaison de la FAO à New York, 500 000 personnes, soit une personne sur cinq dans l’enclave, sont entrées en phase 5 du Cadre précité, le stade le plus sévère. 

« Si le blocus humanitaire et commercial devait se poursuivre, le pire scénario pourrait advenir, conduisant au non-accès à des denrées, à l’eau, aux médicaments et à d’autres éléments nécessaires à la survie », a expliqué Mme Angélica Jácome, non sans rappeler qu’avant le 7 octobre 2023, Gaza connaissait un taux de malnutrition faible, comparable à celui des pays européens.  Alors que la résolution 2417 (2018) du Conseil a réaffirmé la responsabilité commune de la protection des civils et de leurs biens, qui est cruciale pour prévenir la famine, la Directrice a averti du risque de voir près de 71 000 enfants de moins de 5 ans gravement dénutris à Gaza dans les 11 prochains mois. 

Ces chiffres, en a déduit l’Algérie, montrent qu’un « crime systémique d’affamement de la population palestinienne » est perpétré et que « l’auteur est connu de tous ».  Fustigeant l’indifférence face à cette situation insupportable, la délégation a constaté que « la seule chose qui peut rentrer dans Gaza aujourd’hui est la mort ».  La Sierra Leone a, elle, rappelé les mots du Secrétaire général selon lesquels la bande de Gaza est devenue « un cimetière d’enfants ».  En tant que Conseil, nous devons empêcher la normalisation de ces immenses souffrances, a-t-elle plaidé, condamnant toute mesure qui s’apparente à un « châtiment collectif ». 

De son côté, Israël a dénoncé la « désinformation » contenue dans les rapports du Cadre intégré de classification de la sécurité alimentaire, qui, a-t-il pointé, répètent à tort depuis le début du conflit que Gaza est confronté à la famine.  Or, « les analyses confirment qu’il n’y a pas de famine à Gaza », a affirmé son délégué, reprochant au Cadre d’utiliser des sources onusiennes qui ne reflètent qu’un tiers de l’aide livrée à Gaza et ignorent les mises en garde émises par le Gouvernement israélien. 

Ces propos n’ont pas empêché une majorité de membres de se féliciter de la libération de l’otage américain Edan Alexander, qui, comme l’a relevé l’Observateur permanent de l’État de Palestine, a été obtenue grâce aux efforts des États-Unis, du Qatar et de l’Égypte.  À l’instar du Royaume-Uni, ils ont estimé qu’un accord de cessez-le-feu offrirait le meilleur espoir de mettre fin au calvaire des otages et de leurs familles, d’alléger les souffrances des civils, de mettre fin au contrôle du Hamas sur Gaza et d’ouvrir la voie à une solution à deux États.  Appelant aussi à soutenir le plan arabe de reconstruction de Gaza, la France a formé le vœu que le voyage en cours du Président Trump dans la région permette des progrès en ce sens. 

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La situation au Moyen-Orient, y compris la question palestinienne

Exposé

M. THOMAS FLETCHER, Secrétaire général adjoint aux affaires humanitaires et Coordonnateur des secours d’urgence, a commencé par demander aux membres du Conseil de sécurité de « réfléchir un instant aux mesures que nous dirons aux générations futures avoir prises pour mettre fin aux atrocités du XXIe siècle dont nous étions quotidiennement témoins à Gaza ». Il a dit craindre que la réponse ne se résume en ces mots vides: « nous avons fait tout ce que nous pouvions ».  Le haut fonctionnaire a ensuite constaté qu’aujourd’hui, Israël impose « délibérément et sans vergogne » des conditions inhumaines aux civils dans le Territoire palestinien occupé.  Ainsi, a-t-il rappelé, depuis plus de 10 semaines, rien n’est entré à Gaza: ni nourriture, ni médicaments, ni eau, ni tentes.  De plus, des centaines de milliers de Palestiniens ont, une fois de plus, été déplacés de force et confinés dans des espaces de plus en plus restreints, 70% du territoire de Gaza se trouvant soit dans des zones militarisées par Israël, soit sous le coup d’ordres de déplacement. 

Évoquant la situation humanitaire dans l’enclave, M. Fletcher a averti que chacun des 2,1 millions de Palestiniens de la bande de Gaza est menacé de famine et qu’un sur cinq risque de mourir de faim.  Malgré le financement de la nourriture qui aurait pu les sauver, les rares hôpitaux ayant survécu aux bombardements sont débordés, a-t-il expliqué, ajoutant que le personnel médical ayant survécu aux attaques de drones et de snipers ne parvient pas à faire face aux traumatismes et à la propagation des maladies. 

Alors que l’hôpital européen de Gaza à Khan Younès a été bombardé aujourd’hui, il a assuré que l’ONU et ses partenaires ont « un plan » pour mener une action humanitaire à grande échelle à Gaza, conformément aux principes fondamentaux d’humanité, d’impartialité, d’indépendance et de neutralité. « Mais Israël nous refuse l’accès, faisant passer son objectif de dépeuplement de Gaza avant la vie des civils », a-t-il déploré, avant de dénoncer le maintien du blocus, la poursuite des attaques contre les travailleurs humanitaires, les violations des privilèges et immunités des Nations Unies et les restrictions imposées aux organisations internationales et non gouvernementales. 

Rappelant qu’en vertu du droit international humanitaire, Israël, en tant que puissance occupante, doit traiter les civils avec humanité et ne doit pas transférer, déporter ou déplacer de force la population civile d’un territoire occupé, le Secrétaire général adjoint a observé que le mode de distribution de l’aide conçu par Israël exclut les personnes handicapées, les femmes, les enfants, les personnes âgées et les blessés.  En outre, il provoque de nouveaux déplacements, expose des milliers de personnes à des dangers et crée un précédent inacceptable pour l’acheminement de l’aide.  Ce faisant, Israël « conditionne l’aide à des objectifs politiques ou militaires » et « fait de la famine un argument de négociation », a accusé M. Fletcher. 

Face à ce « spectacle cynique », il a rappelé que l’ONU a rencontré 12 fois –et encore aujourd’hui– les autorités israéliennes pour discuter des modalités proposées et expliquer les conditions minimales de son engagement sur la base des principes humanitaires fondamentaux.  Il a également rappelé que le Secrétaire général a exposé le droit international pertinent dans ses conclusions à la Cour internationale de Justice (CIJ) et que les résolutions du Conseil ont fermement condamné la famine des civils comme méthode de guerre et le refus illégal de l’accès humanitaire. 

Dans ce contexte, M. Fletcher a constaté qu’au-delà de Gaza, « une violence effroyable s’intensifie également en Cisjordanie, où la situation est la pire depuis des décennies ».  Il a fait état de méthodes de guerre militaires, d’un recours excessif à la force, de déplacements forcés, de démolitions et de restrictions de mouvements, tout en rappelant que « les colonies s’étendent et la violence des colons se poursuit à des niveaux alarmants, parfois avec le soutien des forces israéliennes ».  Alors que des journalistes palestiniens, des représentants de la société civile et des particuliers montrent ces destructions en direct, nombre d’entre eux sont pris pour cible et tués en raison de leur témoignage, a-t-il ajouté.

Relevant que les travailleurs humanitaires internationaux ont été « la seule présence civile internationale à Gaza » et ont informé le Conseil de manière très détaillée des dommages considérables causés aux civils dont ils sont témoins, M. Fletcher a indiqué que la CIJ « examine maintenant si un génocide est en cours dans l’enclave ».  Or ses conclusions risquent d’arriver « trop tard », a-t-il dit, non sans constater que les précédents examens de la conduite de l’ONU dans les cas de violations massives du droit international humanitaire et des droits humains « ont souligné notre incapacité collective à dénoncer l’ampleur des violations commises ». 

Cette dégradation du droit international est selon lui « corrosive et contagieuse ».  C’est pourquoi il a appelé le Conseil à exiger des autorités israéliennes d’arrêter de tuer et de blesser des civils, de lever leur blocus et de laisser les humanitaires sauver des vies; et du Hamas et des autres groupes armés palestiniens, de libérer tous les otages immédiatement et sans condition. 

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