Soixante-dix-neuvième session,
42e séance plénière – après-midi
AG/12659

L’Assemblée générale débat de la situation catastrophique au Soudan après le veto russe du 18 novembre au Conseil de sécurité

Six jours après son débat annuel sur l’exercice du droit de veto en général, l’Assemblée générale s’est réunie, cet après-midi, conformément à sa résolution 76/262 pour entendre une quarantaine de délégations débattre spécifiquement de la situation au Soudan au sujet de laquelle un veto a été récemment opposé.  Cette situation est « trop grave pour que l’ONU reste silencieuse », ont résumé les pays nordiques.

Le 18 novembre dernier, le Conseil de sécurité n’a pas été en mesure, en raison du vote négatif de la Fédération de Russie, d’adopter un projet de résolution qui exigeait notamment des Forces armées soudanaises et des Forces d’appui rapide, les deux parties belligérantes, qu’elles mettent en œuvre la Déclaration d’engagement de Djedda en faveur de la protection des civils du Soudan.

En ouvrant le débat, le Président de l’Assemblée générale s’est dit préoccupé par la fréquence accrue de l’exercice du droit de veto depuis 2022 et l’adoption de la résolution précitée.  M. Philémon Yang a indiqué que cette tendance alarmante souligne une nouvelle fois que l’Assemblée doit prendre d’urgence des initiatives sur des questions de paix et de sécurité au moment où le Conseil de sécurité se trouve « paralysé et inadapté » pour assumer ses responsabilités et son mandat central. 

Plus de 11 millions de personnes sont déplacées au Soudan, dont 3 millions dans les pays voisins, a rappelé M. Yang, et 80% des centres de santé situés dans les zones de conflit ne fonctionnent plus. Les populations civiles qui continuent d’être victimes d’atrocités nécessitent une attention immédiate et collective, a-t-il plaidé.

Alors que les 14 autres membres du Conseil de sécurité avaient voté en faveur du texte présenté par le Royaume-Uni et la Sierra Leone, la Fédération de Russie, membre permanent, a de nouveau justifié son vote négatif pour des raisons liées à la situation sur le terrain au Soudan.  Le projet de résolution demandait également aux Forces d’appui rapide de mettre fin à leurs attaques contre des civils au Darfour et dans les États de Gazira et de Sennar, parmi d’autres régions du pays. 

La Russie a un rapport « parfaitement responsable » vis-à-vis de son droit de veto et de son usage, s’est disculpée sa déléguée.  Elle a reproché aux auteurs du texte d’y avoir introduit des « éléments dangereux » qui menaçaient la souveraineté du Soudan et portaient gravement atteinte au droit des autorités nationales de prendre des décisions autonomes sur des questions centrales, dont la protection des civils. 

La déléguée russe a cité le dernier rapport du Secrétaire général sur la question qui conclut qu’à l’heure actuelle, « les conditions ne sont pas réunies pour permettre le déploiement d’une force des Nations Unies chargée de protéger les civils au Soudan ».  Il n’y a pas d’accord de cessez-le-feu, pas d’entente sur les régions du pays où de telles forces seraient déployées ni avec quels objectifs, a-t-elle ajouté.  Un tel déploiement requiert en outre l’accord des autorités soudanaises, or tel n’est pas le cas, et « ignorer les vues des autorités soudanaises ne donnera rien de bon ».  Selon la Russie, l’ONU est déjà entachée par le retrait de l’Opération hybride Union africaine-Nations Unies au Darfour (MINUAD). 

La France a déploré le veto russe, d’autant plus que le projet de résolution avait fait l’objet de discussions approfondies, associant tous les membres du Conseil de sécurité, ainsi que la mission soudanaise à New York, et qu’il visait à faciliter l’ensemble de l’aide humanitaire à destination du Soudan. 

À cet égard, le Soudan a rappelé avoir pris part aux négociations sur le projet de texte et transmis ses réserves aux délégations porte-plumes et aux membres permanents du Conseil.  La délégation a notamment cité un paragraphe du dispositif qui aurait porté atteinte à la souveraineté soudanaise, ainsi qu’à l’autorité du Gouvernement.  Elle a fustigé d’autres dispositions qui se référaient aux crimes des milices comme à de simples violences, alors qu’il s’agit d’une « véritable boucherie ». 

S’opposant à l’instrumentalisation de la crise de son pays « à des fins politiques », le délégué soudanais a estimé que les arguments présentés pour la protection des civils étaient faibles. « Certains membres du Conseil de sécurité ne comprennent toujours pas le cœur de la crise au Soudan », a-t-il déploré en pointant que les Forces d’appui rapide reçoivent le soutien d’un pays du Golfe « connu de tous ».  Il a considéré qu’avec un libellé plus consensuel, le projet de résolution aurait pu être adopté pour permettre la mise en œuvre de l’Accord de Djedda, au lieu de donner « un feu vert » aux Forces d’appui rapide. En bref, il a salué le veto russe qui a permis de préserver la souveraineté soudanaise. 

Le Royaume-Uni, auteur du projet de résolution avec la Sierra Leone, a assuré avoir porté un texte ayant fait l’objet de larges consultations et qui respectait pleinement la souveraineté et l’intégrité territoriale du Soudan.  Pour la délégation, le veto « cynique » de la Russie a empêché l’adoption d’un texte soutenu par 14 membres du Conseil dont 3 pays africains, privant ainsi les populations soudanaises d’un espoir de paix.  Dans le même esprit, les États-Unis ont accusé la Russie de « jouer ses propres objectifs » aux dépends de la vie des Soudanais. « Elle prétend défendre les Africains, mais elle a voté contre un texte voulu par les Africains, voté par les Africains pour sauver la vie des Africains », s’est indignée la déléguée américaine.

« Nous devons tous garder les yeux tournés vers le Soudan », a pressé l’Union européenne, non sans regretter profondément le comportement de la Russie et en rappelant l’initiative franco-mexicaine sur la limitation du veto en cas d’atrocités de masse.  Alors que la Fédération de Russie bloque les initiatives qui pourraient alléger les souffrances de millions de Soudanais, tout en contribuant peu à l’effort humanitaire en faveur de la population, l’Union européenne continue de mobiliser la communauté internationale pour qu’elle se concentre sur le Soudan, a souligné son délégué.  Avec nos États membres, nous avons collecté près de 900 millions d’euros en réponse à la crise, a-t-il précisé.  Comme la majorité des délégations, l’Union européenne a exhorté les parties à convenir d’une cessation urgente des hostilités et à respecter leurs obligations en vertu du droit international humanitaire et des droits de l’homme.

La situation au Soudan est trop grave pour que l’ONU reste silencieuse, a lancé la Norvège, au nom des pays nordiques. Rappelant que le peuple soudanais souffre actuellement de l’une des pires crises humanitaires au monde, la déléguée norvégienne a exhorté le Conseil à redoubler d’efforts, à assumer ses responsabilités et à agir de toute urgence face à la situation.  « Si cela n’est pas possible, l’Assemblée générale doit agir. »

L’Australie, également au nom du Canada et de la Nouvelle-Zélande, a noté avec ironie que la Russie prétend défendre la souveraineté du Soudan alors qu’elle viole celle de l’Ukraine.  Le lourd tribut payé par la population civile dans ce conflit dépasse tout entendement, a dénoncé à son tour la Suisse.  Face à ces risques, l’inaction du Conseil est « inacceptable ».  Pour la délégation helvétique, rien n’est plus important maintenant que de placer les intérêts du peuple soudanais au premier plan. 

C’est notamment parce que les outils de l’ONU sont émoussés par le veto que l’Afrique et le Moyen-Orient font face à des troubles, a expliqué l’Afrique du Sud.  Celle-ci a appelé toutes les parties au conflit à cesser immédiatement les hostilités et soutenu les efforts de l’Envoyé personnel du Secrétaire général au Soudan, M. Ramtane Lamamra, pour réunir toutes les parties prenantes concernées, notamment la Ligue arabe, l’Union africaine et les principaux acteurs régionaux, a dit la déléguée.  « Nous espérons que ses efforts aboutiront à un processus politique global et inclusif dirigé et pris en charge par les Soudanais, grâce auquel le peuple soudanais déterminera son avenir. »

L’Égypte a fait part de son insatisfaction devant « les tiraillements » qui se manifestent au Conseil, plaidant pour la protection des civils via un cessez-le-feu.  Pour ce pays voisin du Soudan, toute initiative du Conseil doit respecter non seulement la souveraineté, l’intégrité et l’unité territoriale du Soudan, mais aussi la stabilité de ses institutions gouvernementales, et garantir que celles-ci puissent agir en toute autonomie sur le plan national. 

Le veto injustifié de la Russie montre que ce droit doit être limité, a abondé l’Allemagne qui a, comme le Chili et d’autres délégations, réitéré son soutien à l’initiative franco-mexicaine visant à limiter l’usage du veto en cas d’atrocités de masse.  Les membres permanents devraient réfléchir à leurs responsabilités au regard de la Charte des Nations Unies et permettre que cessent les hostilités au Soudan, a renchéri le Liechtenstein qui a demandé la réforme pure et simple du Conseil de sécurité.  Les Pays-Bas, au nom du Benelux, ont réitéré leur soutien à la résolution 76/262 qui fournit à l’Assemblée un mécanisme essentiel en lui permettant d’agir quand le Conseil de sécurité est bloqué par l’usage du droit de veto. 

Par ladite résolution en date du 28 avril 2022, intitulée « Mandat permanent permettant à l’Assemblée générale de tenir un débat en cas de recours au droit de veto au Conseil de sécurité », l’Assemblée a décidé que sa présidence convoquera une séance dans les 10 jours ouvrables suivant l’exercice du droit de veto par un ou plusieurs membres permanents du Conseil de sécurité.

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