L’Assemblée générale se penche sur le veto russe qui a bloqué l’adoption au Conseil de sécurité d’un projet de résolution sur la non-prolifération
En application de sa résolution 76/262 d’avril 2022, l’Assemblée générale a débattu, aujourd’hui, du veto mis par la Fédération de Russie, le 24 avril au Conseil de sécurité, sur un projet de texte qui visait à encadrer l’usage des armes nucléaires et des armes de destruction massive dans l’espace extra-atmosphérique. La délégation russe a défendu son exercice du droit de veto en dénonçant des manœuvres occidentales, tandis qu’une majorité de pays s’alarmaient de ce comportement « irresponsable ».
Pour rappel, ce projet de résolution, qui avait été déposé par les États-Unis et le Japon, avait recueilli 13 voix pour, une voix contre (Fédération de Russie) et une abstention (Chine).
En ouvrant ce débat, M. Ahmad Faisal Muhamad, Vice-Président de l’Assemblée générale, a regretté que, « une fois de plus », le Conseil ne soit pas parvenu à trouver un consensus sur un projet de résolution traitant des armes de destruction massive dans l’espace. « L’espace extra-atmosphérique n’appartient pas à des nations individuelles », et doit être « un lieu de paix et de coopération au bénéfice et dans l’intérêt de tous les pays », a-t-il fait valoir. Dénonçant la militarisation actuelle de l’espace extra-atmosphérique, il a exhorté tous les États Membres, en particulier ceux qui disposent de capacités supérieures pour explorer l’espace, à respecter pleinement les dispositions du Traité sur l’espace extra-atmosphérique de 1967. Celui-ci, a-t-il rappelé, interdit clairement aux États parties de placer en orbite autour de la Terre tout objet transportant des armes nucléaires ou tout autre type d’armes de destruction massive, d’installer de telles armes sur des corps célestes ou de stationner de telles armes dans l’espace de toute autre manière.
Notant que le traité de 1967, signé par 136 États, contient déjà une interdiction inconditionnelle du déploiement d’armes de destruction massive dans l’espace, la Fédération de Russie a estimé que le projet de texte visait à utiliser le Conseil pour introduire de nouvelles restrictions qui n’avaient été enregistrées nulle part auparavant, y compris dans le traité de 1967, et ce, sans discussion préalable entre experts.
À l’appui de ces arguments, la Fédération de Russie a justifié sa proposition d’amendement déposée le 24 avril, qui appelait les États à prendre des mesures urgentes pour interdire complètement le déploiement de tout type d’armement dans l’espace. Affirmant que cette proposition allait « bien plus loin que le projet de résolution américain » pour empêcher une course aux armements dans l’espace, elle a soutenu que cet ajout aurait contribué aux négociations sur un document multilatéral juridiquement contraignant, au cours desquelles seraient discutées les propositions américaines de nouvelles obligations relatives au développement d’armes de destruction massive spécifiquement destinées à être déployées dans l’espace.
Or, les coauteurs américains et japonais s’y sont catégoriquement opposés sans apporter d’explication, s’est-elle désolée, notant que « les doctrines militaires de presque tous les principaux pays occidentaux prévoient désormais l’exploitation militaire de l’espace ». C’est ainsi, a-t-elle rappelé, que les États-Unis ont fait obstacle à toutes les initiatives visant à empêcher une course aux armements dans l’espace, notamment la proposition sino-russe relative à un projet de traité sur la prévention du placement d’armes dans l’espace extra-atmosphérique. De même, elle a indiqué avoir préparé un projet de résolution « alternatif », afin d’empêcher que l’espace ne se transforme en une nouvelle zone de tension et de confrontation armée ».
Cette position a été pleinement partagée par la République arabe syrienne et la République islamique d’Iran, qui ont déploré les tentatives des pays occidentaux visant à imposer leurs vues dans l’espace extra-atmosphérique. Pour ces délégations, le projet de résolution était « déséquilibré et politisé » et ne tenait pas compte des propositions de tous les membres du Conseil. À cet égard, l’amendement présenté par la Chine et la Fédération de Russie, et rejeté par les États-Unis, aurait selon elles permis de combler d’importantes lacunes.
Sur une ligne proche de celle défendue par la Fédération de Russie, la Chine a mis en garde contre les risques de militarisation de l’espace, alors qu’ « une grande puissance y vise l’hégémonie ». Appelant au respect du concept de sécurité collective, elle a regretté que le traité de 1967 interdise uniquement le déploiement d’armes de destruction massive dans l’espace et pas d’autres types d’armements. Il est donc urgent, selon elle, que la communauté internationale négocie un nouveau traité sur la base du projet sino-russe soumis en 2008 à la Conférence du désarmement.
Ces positions n’ont pas convaincu l’immense majorité des délégations représentées à ce débat. « Nous ne pouvons que nous interroger sur les raisons qui ont amené la Russie à bloquer ce projet de résolution, dont l’objet principal était de réaffirmer des obligations auxquelles elle a souscrit en ratifiant le traité de 1967 », a résumé la France. Reprochant à Moscou de « substituer l’usage du veto à la négociation », elle a jugé que cette position « ne concourt pas à apporter de la crédibilité à son projet d’un nouveau traité prévenant le placement d’armes dans l’espace ».
L’approche russe de la prévention d’une course aux armements dans l’espace ne répond pas à l’objectif de renforcement de la confiance entre les États, a appuyé le Luxembourg, au nom des pays du Benelux. « Le recours au veto n’exonère pas la Russie de ses obligations en vertu du droit international, notamment du traité de 1967 », a martelé le Danemark, au nom des pays nordiques, rejoint par l’Union européenne, selon laquelle il importe d’intensifier les efforts de prévention de la course aux armements dans l’espace compte tenu des activités « ambiguës et hostiles » qui y sont menées. De fait, a renchéri l’Estonie, au nom des pays baltes, l’une des raisons pour lesquelles la Fédération de Russie a opposé son veto tient justement à ses projets de déploiement d’armes nucléaires dans l’espace.
Une accusation relayée par les États-Unis, selon lesquels la Fédération de Russie aurait d’ores et déjà placé des armes en orbite et serait en train de construire un nouveau satellite capable de porter une arme nucléaire. Par ses actions, qui jettent le doute sur son respect du traité de 1967 et sur la préservation de la paix mondiale, Moscou s’emploie à « diviser les États plutôt qu’à les unir », ont-ils dénoncé, soutenus par le Royaume-Uni, pour qui la Fédération de Russie veut clairement saper le régime de non-prolifération, comme l’atteste son récent veto contre le renouvellement du mandat du Groupe d’experts chargé d’assister le Comité des sanctions contre la République populaire démocratique de Corée.
Même son de cloche de la part de l’Albanie, l’Allemagne, l’Australie, l’Autriche, la Bulgarie, l’Espagne, la Hongrie, Israël, l’Italie, la Macédoine du Nord, Malte, la Pologne, la République tchèque et la Slovénie, aux yeux desquels la Fédération de Russie a agi de manière irresponsable en bloquant un texte qui allait dans l’intérêt de toute l’humanité. Ce faisant, « la Russie joue avec le feu », a prévenu la délégation allemande, tandis que le Japon évoquait les conséquences qu’aurait l’utilisation d’une arme nucléaire dans l’espace.
Le Canada a dénoncé « l’abus cynique » par la Fédération de Russie de son droit de veto et le mépris de ce pays pour le droit, dans l’espace comme ailleurs, lui conseillant de « revenir sur Terre ». De son côté, l’Ukraine a dit ne pas souscrire à l’idée que la question de la sécurité de l’espace extra-atmosphérique devrait être débattue exclusivement par l’Assemblée générale, ses organes subsidiaires et la Conférence du désarmement. C’est au Conseil de sécurité qu’il incombe au premier chef de faire face aux menaces qui pèsent sur la paix et la sécurité internationales, y compris celles qui proviennent d’armes nucléaires ou d’autres armes de destruction massive spécifiquement conçues pour être placées dans l’espace, a-t-elle ajouté.
À l’instar de la Nouvelle-Zélande, qui s’exprimait au nom d’un groupe de pays soutenant l’initiative relative au veto, la Suisse a vu dans la décision russe du 24 avril une « occasion manquée » pour le Conseil de sécurité. L’utilisation du veto –pour la cinquième fois cette année- met en jeu sa légitimité et l’empêche de s’acquitter de son mandat, a constaté la délégation helvétique, rejointe par la République de Corée, avant de plaider pour l’adoption de mesures contraignantes portant sur l’interdiction du placement d’armes dans l’espace, tant en matière de capacités que de comportement.
Elle a été suivie par l’Indonésie, le Mexique, le Pakistan et la République islamique d’Iran, tous favorables à l’ouverture de négociations sur un traité juridiquement contraignant pour prévenir la course aux armements dans l’espace. D’autres pays, tels que le Costa Rica et le Ghana, ont préféré appeler au simple renforcement du cadre juridique s’appliquant à l’espace extra-atmosphérique, la délégation ghanéenne insistant tout particulièrement sur les capacités spatiales à double usage. Le Maroc s’est contenté de prôner un comportement responsable et un usage équitable et raisonnable de l’espace pour tous.
L’Argentine et la Colombie ont réclamé l’abolition du veto, « outil antidémocratique et obsolète », appuyées par la Nouvelle-Zélande qui a encouragé l’Assemblée générale à être prête à combler le vide laissé par le recours au veto en envisageant de prendre de nouvelles mesures là où le Conseil est empêché d’agir.
En fin de séance, toujours au titre de sa résolution 76/262, l’Assemblée générale a conclu son débat entamé le 1er mai et portant sur le veto mis par les États-Unis, le 18 avril au Conseil de sécurité, sur un projet de résolution relatif à l’admission de l’État de Palestine comme nouveau Membre de l’ONU. Ce texte, soumis par l’Algérie, avait recueilli 12 voix pour, une voix contre (États-Unis) et deux abstentions (Royaume-Uni et Suisse).
L’Assemblée générale se réunira de nouveau demain, mardi 7 mai, à partir de 10 heures.