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9591e séance – matin
CS/15648

Non-prolifération: la Fédération de Russie met son veto au renouvellement du mandat du Groupe d’experts assistant le Comité des sanctions contre la RPDC

En dépit d’une prolongation d’une semaine des négociations entre les membres du Conseil de sécurité, la Fédération de Russie a, ce matin, mis son veto à un projet de résolution qui prévoyait de proroger jusqu’au 30 avril 2025 le mandat du Groupe d’experts chargé d’assister le Comité des sanctions contre la République populaire démocratique de Corée (RPDC).  La Chine s’est quant à elle abstenue, tandis que les 13 autres membres ont voté en faveur du texte.  Ce veto prive l’ensemble des États Membres d’une source d’informations cruciale, infligeant un nouveau revers à l’architecture de non-prolifération, selon la France, qui a résumé le point de vue d’une majorité de délégations. 

Soumis par les États-Unis, délégation porte-plume sur ce dossier, le projet de texte demandait au Groupe d’experts de présenter au Comité, le 23 août 2024 au plus tard, un « rapport de mi-mandat confidentiel » et de faire un exposé oral sur ce document à l’intention de tous les États Membres de l’ONU d’ici au 20 septembre 2024. Il lui demandait également de remettre au Comité, le 14 février 2025 au plus tard, un rapport final contenant ses conclusions et recommandations, en vue de sa présentation au Conseil, le 21 mars 2025 au plus tard. 

Le texte engageait d’autre part le Groupe d’experts à établir les cas de non-respect par la RPDC des mesures imposées dans ses diverses résolutions pertinentes, à recueillir des informations à ce sujet et à en tenir le Comité informé.  Il précisait en outre que le Comité du Conseil de sécurité créé par la résolution 1718 (2006) devrait adresser au Conseil au moins tous les 120 jours, contre 90 jours précédemment, un rapport sur ses travaux. 

Avant le vote, les États-Unis ont rappelé la pertinence du travail du Groupe d’experts alors que, la semaine dernière, la RPDC a tiré à nouveau des missiles balistiques, au mépris du régime de non-prolifération en faveur duquel les membres du Conseil se sont tous prononcés lors d’une récente séance convoquée par la présidence japonaise.  Affirmant avoir négocié de bonne foi, des semaines durant, la délégation américaine a rappelé que la mise aux voix du texte a été remise à plus tard pour poursuivre les efforts en cours.  En appui, la République de Corée a averti que le rejet de ce texte, qu’elle a qualifié de « meilleur compromis possible », conduirait à la dissolution pure et simple du Groupe d’experts. 

Ces arguments n’ont pas infléchi la position de la Fédération de Russie, pour qui le régime de sanctions contre la RPDC perd aujourd’hui de sa pertinence, compte tenu des mesures prises par la coalition occidentale dirigée par les États-Unis pour « asphyxier Pyongyang ».  À cela s’ajoute, selon elle, la militarisation active de la péninsule coréenne avec la participation directe de Washington et d’autres membres de l’OTAN à proximité de la RPDC, assortie d’une menace d’utilisation du potentiel nucléaire américain.  Cette évolution dangereuse porte atteinte aux intérêts fondamentaux de la Fédération de Russie dans le domaine de la sécurité nationale, a-t-elle fait valoir.

Constatant, dans ce contexte, que le Groupe d’experts se contente de « faire le jeu des Occidentaux » et se montre incapable d’analyser de façon objective l’état du régime de sanctions, la délégation russe a expliqué avoir demandé au Conseil de réexaminer chaque année les restrictions imposées à la RPDC afin de les adapter à l’évolution de la situation.  À son avis, cela aurait aussi le mérite d’inciter Pyongyang au dialogue. Hélas, a-t-elle regretté, les États-Unis et leurs alliés n’ont pas inclus ces idées dans le projet de résolution soumis au vote ce jour. 

Après la mise aux voix, les États-Unis ont accusé la Fédération de Russie de vouloir « museler » les enquêtes du Groupe d’experts sur les sanctions appliquées à la RPDC.  Après avoir rappelé que le renouvellement du mandat de cet organe subsidiaire du Conseil s’est fait de manière unanime ces 14 dernières années, la délégation américaine a relevé que, ces derniers mois, le Groupe d’experts a présenté des informations sur les violations par la Fédération de Russie des résolutions concernant la RPDC et sur le contournement des sanctions par le régime de Pyongyang, avec l’aide de Moscou.  Par son veto, la Fédération de Russie a réussi à « réduire au silence » le Groupe d’experts mais pas les membres qui se dressent contre les attaques portées au régime de non-prolifération, a-t-elle affirmé, ajoutant que les sanctions restent en vigueur et qu’il incombe aux États Membres de respecter strictement les obligations qui sont les leurs à cet égard.

Sur la même ligne, le Royaume-Uni a observé que « ce veto n’est pas animé de pensées pour la population nord-coréenne, mais motivé par des considérations relatives aux seuls intérêts de la Russie ».  Il a rappelé à cet égard les accords de vente d’armes entre la RPDC et la Russie, notamment le transfert de missiles balistiques que Moscou a ensuite utilisés dans le cadre de son agression militaire en Ukraine.  « Le Conseil est pris en otage par l’un de ses membres permanents », a renchéri la République de Corée, selon laquelle il n’y a pas de justification possible au démantèlement du Groupe d’experts.  « C’est comme si l’on détruisait des caméras de surveillance pour éviter d’être pris sur le fait », a-t-elle résumé, tandis que le Japon appelait, en conséquence, à engager des discussions sur la manière de lutter contre la prolifération des armes de destruction massive et des missiles balistiques dans le monde, « alors qu’un membre permanent a nié le rôle du Conseil de sécurité sur cette question ».

À l’instar de la France, Malte, la Slovénie et la Sierra Leone ont regretté que le veto russe prive le Conseil d’un outil d’information précieux pour lui permettre de s’acquitter de son mandat s’agissant de la mise en œuvre du régime de sanctions contre la RPDC. En l’absence des rapports du Groupe d’experts, le contournement des sanctions par la RPDC va continuer de s’accentuer « de manière incontrôlée », a averti la délégation maltaise.  La décision de la Fédération de Russie sape les efforts déployés par la communauté internationale et affaiblit la capacité de réponse du Conseil, ce qui ne peut qu’exacerber les tensions dans la région, a abondé l’Équateur. 

Sur une note moins alarmiste, le Guyana a émis l’espoir que les difficultés ayant empêché l’adoption de la résolution sous sa forme actuelle seront bientôt résolues et que le mandat du Groupe d’experts pourra être renouvelé le plus tôt possible.  L’Algérie a également souhaité que les dissensions sur cette question soient surmontées grâce à un dialogue constructif afin de répondre aux préoccupations légitimes de toutes les parties. 

De son côté, la Chine a estimé que les sanctions ne devraient jamais être une fin en soi, mais un moyen de parvenir à un règlement politique.  Il est dès lors décourageant, à ses yeux, que les mesures draconiennes imposées à la RPDC n’aient pas permis d’atteindre un tel objectif, se traduisant en outre par de lourdes conséquences humanitaires.  Elle a rappelé l’existence d’un projet sino-russe visant à améliorer le régime de sanctions, avant de regretter que la proposition russe d’assortir les sanctions d’un calendrier comportant des révisions régulières n’ait pas été prise en compte. 

La Fédération de Russie s’est, pour sa part, déclarée confortée dans sa « décision juste » par les explications de vote des membres occidentaux du Conseil. « Les pays membres de l’OTAN ont fait tomber les masques », a-t-elle lancé.  En effet, il ressort de leurs déclarations que « cette prorogation est liée à une démarche partiale à l’endroit de la Russie », a constaté la délégation.  Elle a ajouté qu’elle ne se laissera pas leurrer par les États-Unis, qui ont mis leur veto à plusieurs reprises ces cinq derniers mois pour « permettre à Israël de tuer des Palestiniens innocents » et ont « osé dire dans cette salle que les résolutions du Conseil de sécurité ne sont pas contraignantes ». 

En début de réunion, la Fédération de Russie a demandé à la présidence japonaise du Conseil de mettre aux voix sa décision de tenir cette séance, comme elle le fait désormais systématiquement depuis celle, avortée, du 25 mars dernier sur le « vingt-cinquième anniversaire de l’agression de l’OTAN contre la Yougoslavie ».  Les 15 membres se sont prononcés en faveur de l’adoption de l’ordre du jour provisoire.

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