Conseil de sécurité: une crise sans précédent en Bosnie-Herzégovine met à mal l’Accord de paix 30 ans après son adoption, prévient le Haut-Représentant
Le Haut-Représentant pour la Bosnie-Herzégovine a affirmé, ce matin, devant le Conseil de sécurité, que ce pays est actuellement confronté à une « crise sans précédent » du fait des graves attaques de la coalition au pouvoir en Republika Srpska contre l’Accord de Dayton, qui constitue le socle de l’ordre constitutionnel de l’État bosnien.
Cette détérioration soudaine résulte des réactions au verdict de première instance de la Cour de Bosnie-Herzégovine, qui a condamné le 26 février dernier le Président de la Republika Srpska, M. Milorad Dodik, à un an d’emprisonnement, lui interdisant d’occuper des fonctions politiques pendant six ans, pour avoir tenté d’empêcher l’entrée en vigueur des arrêts de la Cour constitutionnelle dans l’entité serbe et d’appliquer les décisions du Haut-Représentant, chargé de surveiller la mise en œuvre de l’Accord de paix Dayton.
Une fois condamné, a poursuivi M. Christian Schmidt, M. Dodik a intensifié ses attaques contre l’ordre constitutionnel du pays en ordonnant aux autorités de la Republika Srpska d’adopter une loi interdisant de facto le pouvoir judiciaire et les forces de l’ordre nationales, et en présentant même un projet de constitution de l’entité, qui laissait entrevoir une sécession de facto. Rendu public peu après l’annonce du verdict, ce document d’une complexité considérable laisse entrevoir qu’il avait été préparé bien à l’avance, comme, du reste, les projets de loi annoncés par la même occasion, a observé le Haut-Représentant, une allégation catégoriquement rejetée par la délégation serbe.
Ces actes, qui contredisent « fondamentalement » l’Accord de Dayton et ses annexes, mettent aussi en danger l’intégrité territoriale et sociale du pays, s’est alarmé le haut fonctionnaire, avant de réaffirmer la primauté de la Cour constitutionnelle de Bosnie-Herzégovine et de son propre mandat de Haut-Représentant. Par conséquent, la dynamique d’adhésion à l’Union européenne est au point mort, le fonctionnement de l’État compromis et les réformes ont été mises de côté, alors que se poursuit l’exode des jeunes et des travailleurs qualifiés, n’a-t-il pu que constater. Un motif de réjouissance, cependant: la communauté serbe n’aurait pas tenu compte des directives illégales de M. Dodik, le Haut-Représentant se disant convaincu que Serbes, Bosniaques et Croates rejettent l’extrémisme et le séparatisme et demeurent résolument favorables à l’adhésion à l’Union européenne, ce dont s’est félicitée cette délégation.
Pour la Serbie, le verdict de la Cour de Bosnie-Herzégovine contre le Président Dodik serait motivé par des considérations politiques. Cette délégation a également dénoncé toute tentative d’éliminer les représentants démocratiquement élus de la Republika Srpska de la vie politique en instrumentalisant les autorités judiciaires à des fins politiques. Renchérissant, la Fédération de Russie, qui ne reconnaît pas la légitimité du Haut-Représentant « autoproclamé », a jugé que ce verdict antiserbe, rendu en vertu d’un « soi-disant soupçon d’atteinte à l’ordre constitutionnel », n’a fait qu’aggraver les tensions dans le pays, qu’il faut libérer de « la tutelle extérieure qui empoisonne son existence ».
Même son de cloche du côté de la Présidente de la Présidence collégiale de Bosnie-Herzégovine, pour qui l’Accord de Dayton n’autorise pas le Haut-Représentant, « jamais approuvé » par le Conseil de sécurité, « à légiférer, à suspendre les constitutions, à criminaliser les élus et les partis politiques, ni à gouverner par décrets ». Pour elle, c’est bien là la raison d’une crise aujourd’hui à son « apogée ». Face à ce qu’elle a présenté comme « une dictature », Mme Željka Cvijanović a appelé le Conseil à mettre aux voix la confirmation de M. Schmidt et à lancer un examen juridique indépendant, pour se prononcer sur la conformité des pouvoirs de Bonn avec l’annexe 10 de l’Accord de Dayton et la Charte des Nations Unies.
Pour le Royaume-Uni et la France en revanche, ce qui apparaît comme contraire à l’Accord de Dayton et à l’ordre constitutionnel, c’est la nouvelle constitution proposée par la Republika Srpska, qui envisage la Bosnie-Herzégovine comme une confédération de deux États souverains, propose la création d’une armée serbe distincte et affirme le droit de l’entité serbe à rejoindre un autre État. Or, l’Accord de Dayton ne donne pas droit à la sécession, a rappelé le Danemark, pour qui toute tentative en ce sens est donc inacceptable.
Dénonçant ces rhétoriques séparatistes, les États-Unis ont applaudi la contribution de l’opération militaire EUFOR ALTHEA à la stabilité, de même qu’au travail du Bureau du Haut-Représentant, qui œuvre à la paix civile. Tout en saluant M. Schmidt, la Croatie lui a reproché d’avoir négligé dans son rapport les actions cherchant à porter atteinte au statut politique des Croates, « la plus sous-représentée et la plus vulnérable » des communautés de Bosnie-Herzégovine. À cet égard, elle a jugé que l’ordre constitutionnel dépend d’une réforme électorale mettant fin aux inégalités entre les trois peuples constitutifs du pays et à la discrimination systémique dans les processus électoraux.
La communauté internationale, a préconisé de son côté la Chine, doit adopter une approche prudente et juste créant des conditions équitables entre les trois peuples constitutifs de la Bosnie-Herzégovine, en s’abstenant de toute ingérence et sanctions unilatérales. Le Haut-Représentant a d’ailleurs renouvelé son appel aux dirigeants du pays pour qu’ils lancent des réformes constitutionnelles et juridiques globales afin de s’attaquer à la discrimination. Un tel processus devrait répondre aux 14 priorités clefs de la Commission européenne, notamment l’objectif de consolidation de l’état de droit, a souligné M. Christian Schmidt qui a par ailleurs assuré que son mandat de Haut-Représentant est « une protection contre les menaces existentielles auxquelles le pays est confronté en raison de forces centrifuges ».
Plusieurs délégations, dont la Slovénie, ont évoqué le trentième anniversaire du massacre de Srebrenica, qui sera observé en juillet prochain, mettant en garde contre les conséquences dévastatrices que peut engendrer la haine.
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La situation en Bosnie-Herzégovine (S/2025/272)
Exposé
M. CHRISTIAN SCHMIDT, Haut-Représentant pour la Bosnie-Herzégovine, a informé que les conditions pour une mise en œuvre intégrale des aspects civils de l’Accord de paix en Bosnie-Herzégovine se sont considérablement dégradées. Le début de l’année a été marqué par une forte montée des tensions, qui constitue sans conteste une « crise exceptionnelle » dans le pays depuis la signature de l’Accord de Dayton, a-t-il précisé. Cette détérioration soudaine résulte des réactions au verdict de première instance de la Cour de Bosnie-Herzégovine condamnant le Président de l’entité de la Republika Srpska, Milorad Dodik. Rétrospectivement, les récentes actions semblent être l’aboutissement délibéré de politiques planifiées et préparées de longue date, le verdict ayant été une occasion à saisir.
Après le verdict, M. Dodik a intensifié ses attaques contre l’ordre constitutionnel du pays en ordonnant aux autorités de la Republika Srpska d’adopter une loi interdisant de fait le pouvoir judiciaire et les forces de l'ordre nationales en Republika Srpska, et en présentant même un projet de constitution de l’entité, laissant entrevoir une sécession de facto. La rapidité avec laquelle ce document, d’une complexité considérable, mais aussi les projets de loi ont été rendus publics suggère fortement qu’ils avaient été préparés bien à l’avance, a observé le Haut-Représentant.
Non seulement ces actes et cette législation contredisent fondamentalement la mise en œuvre de l’Accord de paix de Dayton et de ses annexes, mais ils mettent en danger l’intégrité territoriale et sociale du pays et de ses peuples en commettant des actes séparatistes, a mis en garde le haut fonctionnaire. En outre, ils créent également une insécurité juridique et exécutive en établissant des lois et des institutions des entités qui contredisent et concurrencent ceux de l’État. « Il faudra des institutions créées à Dayton, comme la Cour constitutionnelle, pour empêcher l’effondrement du pays », a-t-il dit.
Par conséquent, la coalition au niveau de l’État a été gravement perturbée, la dynamique d’adhésion à l’Union européenne est au point mort, le fonctionnement de l’État compromis et les réformes ont été mises de côté, a constaté M. Schmidt, qui a exigé que cette évolution soit traitée sans délai.
Le Haut-Représentant a ensuite indiqué que si la situation économique semble stable malgré la crise actuelle, le pays est confronté à un exode de jeunes et de travailleurs qualifiés. Une meilleure compréhension de ce danger nécessite de meilleures données, idéalement sous la forme d’un nouveau recensement, une question hélas « hautement politisée » dans la fédération. Et si on ajoute la dégradation environnementale manifeste et les catastrophes récurrentes, force est de constater que la vie quotidienne en Bosnie-Herzégovine ne s’améliore pas, a déploré M. Schmidt.
Il a pris note du fait que la communauté serbe n’a pas tenu compte des directives illégales de M. Dodik: par exemple, des personnes d’origine ethnique serbe employées dans des institutions étatiques ont subi des pressions pour abandonner leurs postes, mais ces appels et menaces sont restés, dans la grande majorité des cas, sans réponse. Malgré la situation politique difficile, il a dit n’avoir aucun doute quant à la détermination de la communauté serbe à rester sur la voie européenne. Quant à la communauté bosniaque, elle a su garder son calme et poursuivre un dialogue patient, notamment afin de maintenir l’intégration européenne du pays à l’ordre du jour, s’est félicité M. Schmidt, qui a également souligné que la communauté croate reste elle aussi proeuropéenne.
Selon le Haut-Représentant, les communautés du pays ne soutiennent ni l’extrémisme ni le séparatisme. « La vie quotidienne en est largement la preuve, mais la politique ethnocentriste consacre trop de temps à diviser les communautés au lieu de les unir », a-t-il résumé. Aussi a-t-il renouvelé son appel aux dirigeants de la Bosnie-Herzégovine pour qu’ils lancent des réformes constitutionnelles et juridiques globales afin de s’attaquer à la discrimination. Un tel processus devrait également répondre aux 14 priorités clefs de la Commission européenne. « Il va sans dire qu’il existe de nombreux recoupements entre ces priorités et les objectifs du programme “5 plus 2”, notamment s’agissant de l’objectif de consolidation de l’état de droit », a souligné le Haut-Représentant, selon qui les accords de Dayton et le programme de réformes de l’Union européenne se renforcent mutuellement.
La crise extraordinaire à laquelle la Bosnie-Herzégovine est actuellement confrontée résulte des graves attaques de la coalition au pouvoir en Republika Srpska contre l’Accord de paix de Dayton, qui constitue le socle de son ordre constitutionnel, et menace la paix et la stabilité du pays et de la région, a résumé M. Schmidt, selon qui le mandat du Haut-Représentant est « une protection contre les menaces existentielles auxquelles le pays est confronté en raison de forces centrifuges ».