Des « questions de gouvernance » au centre des débats de la Commission préparatoire pour l’entrée en vigueur de l’Accord BBNJ sur la biodiversité marine
La Commission préparatoire pour l’entrée en vigueur de l’Accord se rapportant à la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer et portant sur la conservation et l’utilisation durable de la diversité biologique marine des zones ne relevant pas de la juridiction nationale (Accord BBNJ)et la tenue de la première réunion de la Conférence des Parties à l’Accord a examiné, ce matin, des « questions de gouvernance » ayant trait aux organes subsidiaires, puis, cet après-midi, les dispositions relatives au fonctionnement du secrétariat, y compris son siège.
Les organes subsidiaires suivants ont été créés en application de l’Accord adopté en 2023: le Comité sur l’accès et le partage des avantages; le Comité de renforcement des capacités et de transfert de technologies marines; le Comité des finances; le Comité de mise en œuvre et de contrôle du respect des dispositions; l’Organe scientifique et technique.
En attendant qu’un secrétariat soit établi au titre de l’Accord, c’est le Secrétaire général de l’ONU, agissant par l’intermédiaire de la Division des affaires maritimes et du droit de la mer du Bureau des affaires juridiques du Secrétariat de l’Organisation, qui assume ces fonctions.
Groupe de travail I sur le mandat, les modalités de fonctionnement et le règlement intérieur des organes subsidiaires créés en application de l’Accord; et sur les procédures à suivre pour la sélection de leurs membres et des membres de l’Organe scientifique et technique
À l’entame de son second jour de travail, la Commission a donc étudié les contours que prendront le mandat, les modalités de fonctionnement et le règlement intérieur de ces organes subsidiaires, pour l’instant au nombre de cinq - l’Accord prévoit que ce chiffre puisse évoluer en fonction des besoins.
La Commission préparatoire a réfléchi en priorité à la question de savoir si le règlement intérieur de la Conférence des Parties (COP) devrait également s’appliquer mutatis mutandis aux travaux de tout organe subsidiaire, ou si un règlement intérieur distinct devait être adopté pour quelques organes, voire pour chacun d’entre eux. Une application mutatis mutandis par défaut serait adéquate, car ainsi, le dispositif « fonctionnera même si nous ne faisons rien », a lancé le délégué des petits États insulaires en développement (PEID).
La Chine a pour sa part soutenu la création d’un règlement intérieur distinct pour chaque organe subsidiaire puisqu’après tout, l’Accord leur donne des mandats spécifiques, d’autant qu’il existe des nuances de taille entre les organes et la COP elle-même, par exemple en matière de composition. Ainsi, toutes les parties contractantes sont parties à la COP alors que les organes se composent d’experts à titre individuel, et non de représentants d’État ou d’organisation régionale, a expliqué le délégué chinois. Il a préconisé de mettre au point un document unique compilant tous les règlements intérieurs de chaque organe. Ce qui aurait pour avantage d’éviter les doublons et les confusions quant aux modalités pratiques de leur fonctionnement, y compris en termes de calendrier.
Le Groupe des 77 et de la Chine ainsi que l’Union européenne ont appelé à reconnaître que les organes subsidiaires devraient pouvoir interagir les uns avec les autres sans passer par la COP. Dans le cas contraire, « ce serait comme demander à son papa si l’on a le droit de parler à ses frères et sœurs », a ironisé la Micronésie. De même, les organes subsidiaires devraient pouvoir déterminer eux-mêmes leur programme de travail plutôt que de se le voir prescrit par la COP, a estimé la Communauté des Caraïbes (CARICOM).
Beaucoup de délégations ont mis l’accent sur la nécessité d’un équilibre femmes-hommes et d’une représentation géographique équitable au sein des organes subsidiaires. Il s’agit de préserver l’équilibre au sein des cinq groupes régionaux, mais aussi de favoriser la participation des groupes de pays à la situation particulière, tels que les pays en développement sans littoral (PDSL) ou les pays les moins avancés (PMA).
Le Groupe des États d’Afrique a particulièrement insisté sur ce point, tandis que l’Alliance des petits États insulaires (AOSIS) a réclamé qu’au moins un siège soit réservé aux petits États insulaires en développement (PEID) dans chacun des organes subsidiaires. La Chine a acquiescé: il faut tenir compte de la représentation géographique équitable, notamment au sein du Comité sur l’accès et le partage des avantages, qui doit permettre d’assurer la transparence et de garantir un partage juste et équitable des avantages tant monétaires que non monétaires, et où les pays à la situation particulière doivent absolument figurer. Le Groupe des États d’Afrique a aussi mis en avant son souhait que soient reflétées « les connaissances traditionnelles des peuples autochtones et des communautés locales » dans la composition des organes.
Le Core Latin American Group (CLAM) a indiqué qu’il réfléchissait encore à la composition et à la taille idéales de chaque organe subsidiaire. Seule la taille du Comité sur l’accès et le partage des avantages est définie dans les textes (15 membres). Globalement, les délégations ont estimé que la taille desdits organes devait être « appropriée », « raisonnable », sachant qu’il faut réunir suffisamment d’experts sans que leur nombre empêche l’organe de fonctionner. Par exemple, le Groupe des États d’Afrique a recommandé que l’Organe scientifique et technique soit assez étoffé pour refléter un grand éventail de compétences, mais avec un maximum de 25 membres pour qu’il reste opérationnel, avec une rotation propre à assurer la continuité des savoir-faire. Compte tenu de la spécificité des mandats des organes subsidiaires, leur composition est forcément amenée à varier, et à cette aune, la Chine a appelé à une approche au cas par cas et à éviter toute solution unique de type « copier-coller ».
Les élections des membres devraient être échelonnées pour garantir la continuité du travail, leur a répondu la CARICOM, tandis que la Chine a encore recommandé que le renouvellement des mandats soit possible, compte tenu de l’expertise pointue requise au sein des organes, ainsi que pour garantir la continuité du travail des mécanismes.
Pour la Fédération de Russie, la plupart des questions débattues ce matin sont déjà inscrites dans l’Accord BBNJ et les organes subsidiaires sont censés répondre de leurs actes à la COP. Elle a fait part d’un sentiment de confusion à l’écoute des débats de ce matin, découlant selon elle de « l’empressement originel à faire émerger l’Accord ». Elle a aussi signifié que les intérêts des États parties à la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer devaient être respectés, quoi qu’il advienne de l’Accord.
La question des conflits d’intérêts, qui « doivent être évités à tout prix », ainsi que celle des activités incompatibles avec le but des organes subsidiaires doivent être prises en compte dans la composition de leurs membres, a en outre averti l’AOSIS.
Groupe de travail I sur les dispositions relatives au fonctionnement du secrétariat, y compris son siège
Dans l’après-midi, les délégations ont entamé leurs échanges sur les dispositions relatives au fonctionnement du secrétariat, y compris son siège. L’article 50 de l’Accord BBNJ, en son paragraphe 1, prévoit la création d’un secrétariat et charge la Conférence des Parties de prendre, à sa première réunion, les dispositions nécessaires pour assurer son fonctionnement et décider, notamment, de son siège.
Aux termes du paragraphe 4 dudit article, le secrétariat serait chargé de fournir un appui administratif et logistique, d’organiser les réunions, de diffuser les décisions et les cadres juridiques pertinents, de faciliter la coopération et la coordination avec les secrétariats des autres organes internationaux, et d’élaborer des rapports sur l’exercice de ses fonctions.
S’agissant du siège du secrétariat, la capitale belge, Bruxelles, et la ville portuaire de Valparaíso, au Chili, sont toutes deux candidates.
Reconnaissant que des informations supplémentaires sont nécessaires pour se prononcer sur le siège du secrétariat et les différentes modalités de son fonctionnement, un grand nombre de délégations, dont l’Argentine, au nom du Core Latin American Group (CLAM), les Palaos, au nom de l’Alliance des petits États insulaires (AOSIS), et l’Islande ont sollicité une analyse comparée des secrétariats multilatéraux existants sur les questions de la personnalité juridique, des besoins financiers ou encore du processus de nomination du secrétaire exécutif.
En outre, la majorité des délégations ont encouragé un lien institutionnel entre le futur secrétariat et le système des Nations Unies. Certaines délégations ont suggéré de l’associer à la Division des affaires maritimes et du droit de la mer, tandis que d’autres ont estimé que le secrétariat de la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CNUCC) à Bonn constitue un modèle idoine. Pour la Fédération de Russie, établir un lien direct entre le secrétariat et l’ONU permettra de diminuer le risque de choix « politiquement motivés » pour l’établissement de zones maritimes ou d’accords qui nuiraient à certains États.
Dans l’optique d’un lien avec le système onusien, de nombreuses délégations, comme l’Ouganda, au nom du Groupe des États d’Afrique, et l’Iraq, au nom du G77 et de la Chine, ont néanmoins tenu à rappeler le besoin « le plus strict » d’assurer la transparence, l’indépendance et la redevabilité du secrétariat envers les parties. Il s’agit là d’un élément crucial pour renforcer la confiance entre les parties et la pleine mise en œuvre de l’Accord, a abondé la République de Corée.
Seule voix dissonante, la Chine qui a prôné l’idée d’un secrétariat entièrement autonome. L’Accord BBNJ représente « une amélioration du droit international de la mer et la création d’un système sui generis », a considéré le délégué chinois, selon lequel un secrétariat autonome contribuerait de facto à la réalisation des objectifs de l’Accord. S’il n’a pas rejeté l’idée d’une coopération renforcée avec l’ONU, il a néanmoins émis des réserves sur un lien direct avec tout autre organe international, y compris ceux du système onusien. Pour le Conseil international sur le droit environnemental, cette question devra être tranchée sur la base d’un projet d’accord régissant les relations entre le secrétariat autonome et l’ONU.
Par ailleurs, le G77 a estimé nécessaire d’assurer une représentation égale de tous les États parties et d’éviter une iniquité dans la participation des États en développement. Même son de cloche du côté des États fédérés de Micronésie, au nom des petits États insulaires du Pacifique, qui se sont inquiétés de la question de l’accès de leurs représentants au siège du secrétariat. Les deux pays candidats n’ont pas d’ambassade chez nous, a fait remarquer leur délégué, ce qui compliquera l’octroi de visas.
Le Chili a tenu à rassurer les États sur ce point. En sus de facilités de transport entre Valparaíso, New York et d’autres capitales mondiales, mon pays envisage la mise en place d’un « visa BBNJ », a vanté la représentante. Outre une très vaste ligne côtière et un « lien étroit avec l’océan », le Chili met un point d’honneur à protéger et utiliser durablement les océans depuis plus de 50 ans, a-t-elle poursuivi, notant que, pour la première fois de l’histoire, l’hémisphère Sud a l’occasion d’accueillir un siège de l’ONU, et soulignant les contributions de son pays pour la participation des pays en développement.
Afin de faire un choix éclairé concernant le siège du secrétariat, la Nouvelle-Zélande et la Chine, appuyées par d’autres délégations, ont proposé d’établir une liste de critères. Le Mexique, au nom du CLAM, appuyé par la Micronésie, au nom des petits États insulaires du Pacifique, ont toutefois mis en garde contre des critères de microgestion qui pourraient favoriser un candidat en fonction d’intérêts et de préférences. Pour la Suisse, qui accueille déjà un certain nombre d’organes multilatéraux et s’est targuée d’une expérience en la matière, le choix du siège s’inscrira de toute façon dans un « jeu politique ».
Faisant remarquer l’absence d’une définition sur la diversité biologique ou les écosystèmes visés dans l’Accord, la déléguée russe s’est encore inquiétée de la possibilité pour chaque État de demander la mise en place d’une zone protégée motivée par des critères politiques, impactant ainsi négativement certains pays, en particulier les pays en développement.
Au sein de ce secrétariat, que l’Union européenne souhaite « fort et actif », les membres du personnel, les représentants et leurs familles devront pouvoir jouir des privilèges et immunités qui s’appliquent dans la pratique internationale, une condition sine qua non pour leur permettre d’exercer leurs fonctions de manière indépendante, ont relevé la plupart des délégations, dont le Royaume-Uni et la République islamique d’Iran. Toutefois, il est difficile d’évaluer à ce stade les ressources humaines et financières qui seront nécessaires. C’est un processus qui va s’inscrire dans la durée, a conclu l’Afrique du Sud.
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