RDC: le Conseil de sécurité appelé à prendre des mesures décisives afin d’empêcher une guerre régionale à grande échelle
Réuni en urgence à la demande de la France, le Conseil de sécurité a entendu cet après-midi les appels de deux hauts responsables de l’ONU, de ses membres et de plusieurs délégations africaines à prendre des mesures pour éviter que la situation ne se détériore davantage dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC) et empêcher une guerre régionale. Constatant que le Conseil de sécurité n’a pas agi en ce sens depuis l’attaque de Goma par le M23 et les séances des 26 et 28 janvier, la Ministre des affaires étrangères de la RDC lui a demandé un vote dans les plus brefs délais pour dénoncer l’occupation par le Rwanda. De son côté, ce pays a accusé « la RDC de livrer des armes à des groupes armés dans la région ».
Cette réunion, la troisième du genre en moins d’un mois sur le conflit dans l’est de la RDC, montre l’urgence à trouver une voie de sortie de crise, a alerté la Représentante spéciale du Secrétaire général pour la RDC, qui est à la tête de la Mission de l’Organisation des Nations Unies pour la stabilisation en RDC (MONUSCO). Prévenant qu’il s’agit d’une menace claire à la paix et la stabilité de la région des Grands Lacs, Mme Bintou Keita a déploré qu’en dépit des appels internationaux à un cessez-le-feu et à la cessation des offensives, le M23, soutenu par l’armée rwandaise, continue sa progression dans les provinces du Nord-Kivu et du Sud-Kivu, avec la perte de nombreuses vies humaines.
Depuis la prise de Goma, a relaté Mme Keita, le M23 impose des restrictions à la liberté de mouvement de la MONUSCO, empêchant l’évaluation des dégâts à l’aéroport et l’élimination des munitions non explosées dans la vile. De plus, le M23 empêche la Mission de réapprovisionner en eau et en produits de première nécessité les troupes de la Mission de la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC) en RDC. Le contrôle des routes par le M23 pose de sérieux défis au personnel de la MONUSCO dont la priorité est la protection de la population civile, s’est désolée la Représentante spéciale.
Elle s’est également inquiétée de voir se détériorer la situation des droits humains dans le Nord-Kivu et le Sud-Kivu, informant que le Bureau conjoint des Nations Unies pour les droits de l’homme en RDC reçoit quotidiennement des demandes de protection individuelle émanant de divers acteurs sociaux et des défenseurs des droits humains menacés de représailles par le M23. Elle a fait sien le communiqué du sommet conjoint de la Communauté de l’Afrique de l’Est (CAE) et de la SADC, du 8 février, qui appelle à la cessation des hostilités et au cessez-le-feu immédiat, ainsi qu’à la reprise des négociations et du dialogue avec toutes les parties étatiques et non étatiques, y compris le M23, dans le cadre des processus de Luanda et de Nairobi.
Pour ne pas perdre de temps vu l’urgence de la situation, la Représentante spéciale a encouragé les Chefs d’état-major des pays de la CAE et de la SADC à définir rapidement les modalités nécessaires à la mise en œuvre rapide d’un cessez-le-feu et des mesures urgentes prévues par le sommet.
À son tour, l’Envoyé spécial pour la région des Grands Lacs a appelé la communauté internationale à éviter de saper les mesures prises lors de la dernière décennie pour assurer la stabilité et l’intégration de la région. M. Xia Huang a exhorté à respecter l’intégrité territoriale de la RDC, à condamner l’offensive du M23 et le soutien qui lui est accordé ainsi qu’à fusionner les processus de Nairobi et de Luanda pour renforcer la coordination et la complémentarité des efforts de paix. Ces processus datent de 2022 et sont assortis d’un mécanisme de vérification ad hoc.
« Travaillons ensemble pour rétablir le cessez-le-feu, restaurer l’intégrité territoriale de la RDC et traiter définitivement la question des Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR) et du M23 en vue de répondre aux préoccupations sécuritaires de tous et de parvenir à une levée des mesures de défense du Rwanda », a lancé l’Envoyé spécial, pour qui ces points ne sont pas irréconciliables. M. Xia a aussi réitéré son appel en faveur d’une réunion de haut niveau du Mécanisme régional de suivi pour que les chefs d’État concernés expriment leur soutien aux efforts de paix.
Il n’y a pas d’issue militaire possible
La France, qui a demandé cette réunion, a condamné l’offensive du M23 dans l’est de la RDC, permise par le soutien actif du Rwanda. Le M23 et la Force de défense rwandaise (FDR) doivent se retirer sans délai du territoire de la RDC, a ordonné la France qui a également condamné les attaques du M23 contre la MONUSCO. Il n’y a pas d’issue militaire au conflit, a tranché le délégué français en affirmant que la priorité est un cessez-le-feu et la reprise du dialogue. La France appuie les efforts régionaux de médiation et souhaite que le Conseil apporte « une réponse à la hauteur de la situation » pour mettre fin aux hostilités, réaffirmer un soutien ferme à l’intégrité territoriale et à la souveraineté de la RDC, appuyer les efforts de la MONUSCO et créer les conditions favorables au dialogue.
Ces deux derniers jours, plus de 4 500 blessés ont afflué vers des hôpitaux débordés et 500 corps ont été retrouvés calcinés dans la prison de Munzenze, a informé la Ministre des affaires étrangères, de la coopération internationale et de la francophonie de la RDC. « Voilà ce qui se passe quand un groupe terroriste prend le contrôle d’une ville et impose son administration criminelle sous le regard du Conseil », a interpellé Mme Thérèse Kayikwamba Wagner, stupéfiée devant « un Conseil qui observe, qui condamne, mais qui n’agit pas ».
Cela n’a pas dissuadé la Ministre d’adjurer cet organe chargé du maintien de la paix et de la sécurité internationales d’adopter des mesures robustes pour arrêter les violences des troupes rwandaises et de leurs supplétifs du M23, de demander le retrait immédiat et inconditionnel des troupes rwandaises du territoire de la RDC, d’imposer des sanctions ciblées contre la structure de commandement de la Force de défense rwandaise et un embargo total sur les exportations de tous les minerais, faussement labellisés comme rwandais, notamment le coltan et l’or. Elle a même suggéré au Conseil de révoquer le statut du Rwanda de contributeur de troupes aux missions onusiennes. Enfin, selon elle, le Conseil doit imposer un mécanisme de notification et de surveillance de tous les transferts d’armes au Rwanda.
La RDC veut une résolution du Conseil, le Rwanda explique son choix de défense
La RDC exige un vote public dans les plus brefs délais sur une résolution qui dénonce clairement l’occupation du Rwanda et exige le retrait de ses troupes, a martelé la Ministre, qui a dénoncé les prétextes et le relativisme culturel derrière lesquels se cache un attentisme aux conséquences tragiques. « Que chacun assume sa position au grand jour », a-t-elle proposé.
Le Rwanda ne peut être accusé des problèmes dont la RDC est responsable, a rétorqué le représentant rwandais, affirmant que son pays est confronté à une menace sécuritaire existentielle en provenance de son voisin. S’agissant du M23, le délégué a expliqué que sa renaissance s’explique par la persécution, durant des décennies, de communautés congolaises sur la base de leur ethnicité. Compte tenu de la présence de forces étrangères à sa frontière, le Rwanda n’a pas d’autre choix que de renforcer sa défense et continuera à le faire, a fait savoir le représentant.
Soutiens à l’intégrité territoriale de la RDC et à la MONUSCO
La situation est grave dans l’est de la RDC, s’est inquiétée la Chine. Dans un même élan, la Fédération de Russie, le Royaume-Uni et les autres membres du Conseil, ainsi que les délégations africaines non membres du Conseil qui ont pris part à la réunion, ont condamné l’offensive du M23 qui viole des décisions du sommet conjoint de la CEA et de la SADC. Ils ont fait pression pour que le M23 et le Rwanda respectent l’intégrité territoriale, l’indépendance et la souveraineté de la RDC, et pour qu’ils retirent leurs troupes du territoire de la RDC. Ils ont conseillé au Rwanda de cesser de soutenir le M23.
La Somalie, qui s’exprimait au nom des A3 (Algérie, Sierra Leone et Somalie), s’est dite préoccupée par l’escalade de la violence dans des zones comme Lumumbashi ou Kisangani, où la MONUSCO n’est pas présente. Le groupe a appelé le M23 à cesser les hostilités et sa progression, et à lever les restrictions aux mouvements de la MONUSCO. « Il est temps pour ce Conseil de véritablement œuvrer à la cessation des hostilités. »
« Nous soutenons pleinement la MONUSCO », ont fait savoir les États-Unis qui ont demandé au M23 de cesser ses menaces contre la Mission, de lever ses restrictions aux déplacements et de rouvrir l’aéroport de Goma. L’ONU doit réévaluer la capacité du Rwanda à contribuer aux efforts de maintien de paix de l’ONU, a suggéré la représentante américaine avant d’encourager la reprise des négociations dans le cadre des processus de Luanda et de Nairobi.
S’appuyer sur le leadership africain
Le Conseil doit soutenir ces processus, a renchéri le Kenya, arguant que c’est le cadre le plus viable pour le dialogue et la réconciliation. La délégation, qui a demandé le retrait des acteurs étrangers de la RDC, a exhorté les parties à faire montre de bonne volonté et à s’engager véritablement en faveur d’une médiation. Pour l’Afrique du Sud, la fusion des processus de Luanda et de Nairobi est tout simplement une approche cohérente pour remédier à la situation dans l’est de la RDC. Espérant lui aussi un règlement pacifique par le biais de ces processus, l’Angola a rappelé que la seule question en suspens pour finaliser et consolider le projet d’accord de paix proposé par le médiateur est la divergence concernant le règlement de la question du M23.
S’adressant par ailleurs aux membres du Conseil, l’Angola leur a demandé d’adopter rapidement une résolution demandant un cessez-le-feu immédiat et inconditionnel. Il a également requis l’appui du Conseil pour les initiatives régionales en cours afin de promouvoir une solution africaine à un problème africain. Les A3 ont eux aussi souligné ces efforts menés sous le leadership africain pour répondre à cette crise, en particulier depuis trois ans, en demandant au Conseil de sécurité et à la communauté internationale en général de soutenir ces efforts.
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La situation concernant la République démocratique du Congo
Exposés
Mme BINTOU KEITA, Représentante spéciale du Secrétaire général pour la République démocratique du Congo et Cheffe de la Mission de l’Organisation des Nations Unies pour la stabilisation en RDC (MONUSCO), a exprimé son inquiétude quant à la crise frappant le Nord-Kivu et le Sud-Kivu, qui représente une menace claire pour la paix et la stabilité de la région des Grands Lacs. Elle a souligné la nécessité de trouver une voie de sortie, rappelant que le contexte est marqué par la nomination récente du nouveau Président de l’Union africaine également médiateur dans le cadre de la feuille de route de Luanda.
En dépit des appels internationaux à un cessez-le-feu et à la cessation des offensives, le M23 soutenu par l’armée rwandaise, a continué sa progression dans les provinces du Nord-Kivu et du Sud-Kivu entraînant la perte de nombreuses vies humaines lors de la prise de contrôle de Goma, a constaté Mme Keita. Depuis la prise de Goma, le M23 restreint la liberté de mouvement de la MONUSCO empêchant l’évaluation des dégâts à l’aéroport de Goma et l’élimination des munitions non explosées dans la ville, a-t-elle ajouté. Le M23 a également empêché la MONUSCO de réapprovisionner en eau et en produits de première nécessité les troupes de la Mission de la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC) en RDC. Le contrôle par le M23 de toutes les routes sous sa domination pose de sérieux défis au personnel civil et en uniforme de la MONUSCO dont la priorité est la protection de la population civile, s’est inquiétée la Représentante spéciale.
La situation est d’autant plus critique que les conditions sanitaires et d’hygiène se détériorent rapidement, posant un risque à la fois pour les personnes protégées et le personnel de la Mission. Cette problématique alimente la désinformation et est utilisée afin d’amplifier les sentiments anti-MONUSCO, s’est désolée la haute fonctionnaire.
Mme Keita a encore exprimé ses préoccupations face à la grave détérioration de la situation des droits humains dans le Nord-Kivu et le Sud-Kivu. Outre les décès dus aux combats, la Mission a documenté des cas de recrutement forcé et des mouvements continuels de personnes déplacées autour de Goma. Les conditions d’un retour sûr, volontaire, informé et digne pourraient ne pas être garanties, a-t-elle prévenu. La Mission a de plus enregistré de multiples perquisitions d’hôpitaux et de maisons par le M23. Le Bureau conjoint des Nations Unies aux droits de l’homme reçoit quotidiennement des demandes de protection individuelle émanant de divers acteurs sociaux et des défenseurs des droits humains menacés de représailles par le M23.
Venant aux efforts régionaux, la Représentante spéciale a salué la conclusion du sommet conjoint de la Communauté d’Afrique de l’Est (CEA) et de la SADC, le 8 février, appelant à la cessation des hostilités et au cessez-le-feu immédiat. Les deux communautés ont insisté sur la reprise des négociations et du dialogue avec toutes les parties étatiques et non étatiques, y compris le M23, dans le cadre des processus de Luanda et de Nairobi. Leur demande de rétablissement des services publics, de réouverture immédiate de l’aéroport de Goma et des voies de ravitaillement doit être mise en œuvre sans délai, a prié Mme Keita.
La Représentante spéciale a encouragé les Chefs d’état-major des pays de la CEA et de la SADC à se réunir incessamment afin de définir les modalités pour la mise en œuvre du cessez-le-feu ainsi que les mesures urgentes prévues par le sommet. La MONUSCO reste déterminée à appuyer tout effort visant à ramener les parties à la table des négociations afin de trouver des solutions politiques durables à cette crise qui risque d’embraser la région route entière, a déclaré en conclusion Mme Keita.
M. XIA HUANG, Envoyé spécial du Secrétaire général pour la région des Grands Lacs, a confirmé qu’après avoir pris Goma en janvier avec l’aide de la Force de défense rwandaise, le M23 contrôle aujourd’hui Bukavu et continue d’avancer vers des zones stratégiques du Nord-Kivu et du Sud-Kivu. Mettant en garde contre un « risque d’embrasement régional », il a appelé la communauté internationale à redoubler d’efforts pour éviter de saper les mesures prises lors de la dernière décennie pour assurer la stabilité et l’intégration de la région. Dans ce contexte, l’Envoyé spécial s’est félicité que les sommets sur cette question organisés par la Communauté d’Afrique de l’Est (CAE) et la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC) aient unanimement souligné l’importance de respecter l’intégrité territoriale de la RDC et fermement condamné l’offensive du M23 et le soutien qui lui est accordé. Il a également salué le fait que ces sommets -notamment celui tenu conjointement par la CAE et la SADC le 8 février, dont les décisions ont été entérinées par le Conseil de paix et de sécurité de l’Union africaine (UA)- aient insisté sur la nécessité de trouver une issue politique et diplomatique à cette crise. « Il importe maintenant de procéder à une mise en œuvre rapide de toutes les directives de ces sommets », notamment s’agissant de la fusion des processus de Nairobi et de Luanda pour renforcer la coordination et la complémentarité des efforts de paix, a-t-il dit, avant de saluer le rôle joué par les acteurs de la société civile congolaise, en particulier les leaders religieux.
Constatant que, 12 ans après la signature de l’Accord-cadre d’Addis-Abeba et 19 ans après celle du Pacte de la Conférence internationale sur la région des Grands Lacs, « l’histoire se répète », M. Xia a appelé à la désescalade par un cessez-le-feu immédiat et le respect par toutes les parties du droit international et des engagements pris. Il y a vu une condition sine qua non pour répondre à la crise humanitaire et pour créer les conditions propices à un dialogue politique. À ce sujet, il a exhorté toutes les parties à « se remettre autour de la table » et à s’appuyer sur les dispositions déjà agréées dans le cadre des processus de Luanda et Nairobi. « Travaillons ensemble pour rétablir le cessez-le-feu, restaurer l’intégrité territoriale de la RDC et traiter définitivement la question des Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR) et du M23 en vue de répondre aux préoccupations sécuritaires de tous et de parvenir à une levée des mesures de défense du Rwanda », a lancé l’Envoyé spécial, pour qui ces points ne sont pas irréconciliables.
M. Xia a enfin plaidé en faveur d’une approche holistique régionale pour traiter des causes profondes de ce conflit. À cet égard, il a réitéré son appel à la convocation urgente de la prochaine réunion de haut niveau du Mécanisme régional de suivi, au cours de laquelle les chefs d’État concernés seront appelés à exprimer leur soutien aux efforts de paix et à appuyer les recommandations visant à revitaliser l’Accord-cadre. Avant de conclure, il a estimé qu’une action robuste et unifiée du Conseil de sécurité est essentielle pour éviter un « point de non-retour » et convaincre les parties de reprendre le chemin du dialogue.