Gaza: le Conseil de sécurité saisi du risque imminent de famine
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Cet après-midi, le Conseil de sécurité s’est réuni pour faire le point sur le risque imminent de famine à Gaza, sous la présidence du Sous-Secrétaire d’État pour l’Afrique du Royaume-Uni, M. Ray Collins. Au cours de cette séance demandée par le Guyana et la Suisse, appuyés par l’Algérie et la Slovénie, les membres du Conseil se sont inquiétés de l’alerte à la famine imminente dans le nord de la bande lancée le 8 novembre par le Comité d’examen des situations de famine du Cadre intégré de classification de la sécurité alimentaire. L’occasion pour eux de rappeler les obligations en droit international pesant sur les parties, ainsi que la responsabilité collective face à une telle situation.
Trois exposés, un constat: la population de Gaza est au bord de la famine
Le Conseil a, tout d’abord, entendu un exposé de la Sous-Secrétaire générale aux droits de l’homme, Mme Ilze Brands Kehris, sur « les conditions de moins en moins propres à la survie » à Gaza en raison des effets cumulés de plus d’une année de destruction. Les populations gazaouites, en particulier les femmes et les enfants, sont piégées entre les attaques d’Israël et le manque de denrées alimentaires, a-t-elle expliqué. Affamer la population civile en temps de guerre est pourtant strictement interdit par le droit international humanitaire, a-t-elle rappelé, déplorant les entraves à l’entrée et à la distribution de l’aide humanitaire. Si une partie au conflit viole le droit international humanitaire, les États ont la responsabilisé de réévaluer leur soutien logistique et leurs transferts d’armes à cette partie, a-t-elle jugé.
M. Rein Paulsen, Directeur du Bureau des urgences et de la résilience à la FAO, l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture, a, dans la foulée, mis en garde contre le risque de famine à long terme. En cause, l’effondrement du système agroalimentaire. Au vu des récentes images satellites, la production animale et agricole semble réduite comme peau de chagrin, a-t-il signalé. « Près de 70% des terres cultivées, qui représentaient jusqu’à un tiers de la consommation quotidienne, ont été endommagées ou détruites depuis le début de l’escalade des hostilités l’année dernière », a-t-il clarifié, déplorant que les populations aient ainsi perdu une source autosuffisante de denrées fraîches et de revenus pour vivre dans la dignité. Il en va de notre « responsabilité morale » de fournir de toute urgence, « aujourd’hui, pas demain », de l’aide humanitaire aux populations de Gaza, mais l’aide agricole reste indispensable en parallèle pour rétablir des moyens pérennes de subsistance, a-t-il conclu.
« L’essentiel de Gaza est un champ de ruines » s’est lamentée la Secrétaire générale adjointe aux affaires humanitaires du Bureau de la coordination des affaires humanitaires (OCHA) et Coordonnatrice des secours d'urgence par intérim, Mme Joyce Msuya, lors de son exposé. Les machines chargées de déblayer les décombres sont empêchées de passer, les convois humanitaires sont bloqués, les hôpitaux sont attaqués, les écoles sont détruites et les services essentiels sont coupés, a-t-elle déploré. Alors que les populations du nord de la bande sont repoussées vers le sud, elles craignent maintenant d’être ciblées si elles reçoivent de l’aide, s’est-elle indignée. « La cruauté quotidienne infligée à Gaza semble être sans limite », a-t-elle estimé, signalant que les conditions de vie actuelles ne permettent tout simplement pas la survie des populations gazaouites.
La menace de famine dénoncée comme arme ou crime de guerre
À la suite de ces exposés jugés « alarmants » et « glaçants », les délégations ont condamné l’utilisation de la famine comme arme de guerre, rappelant, comme le Guyana, qu’il est illégal de « prendre des mesures visant à détruire physiquement la population civile », même en temps de guerre. Israël est bien décidé à « utiliser la famine comme arme de guerre à des fins coloniales et d’épuration ethnique », a asséné le représentant de l’État de Palestine, constatant qu’il s’agit d’une « guerre contre le peuple palestinien ». L’Algérie a abondé dans ce sens, qualifiant de « crime de guerre » l’utilisation de la faim en tant qu’arme. La population palestinienne souffrait déjà, s’est-il inquiété, mais l’échec de la communauté internationale à faire respecter des règles universellement applicables ne fait qu’aggraver « les horreurs infligées aux civils ».
Face à ce risque imminent de famine, les délégations ont vivement réprouvé toute action visant à entraver l’acheminement de l’aide humanitaire. Bloquer les convois humanitaires est « inacceptable », a estimé le Japon. Il est urgent de mettre fin à ce « châtiment collectif » imposé à la population palestinienne qui est privée de biens essentiels à la vie et à la dignité, ont insisté les délégations de l’Algérie et de la Chine. Il faut exiger des autorités israéliennes qu’elles laissent passer les convois humanitaires, a encore insisté le délégué russe, sans quoi Israël continuera à « gagner du temps pour réaliser ses plans d’extermination en appliquant la tactique de la terre brûlée ». Le délégué du Liban, s’exprimant au nom du Groupe des États arabes, s’est ainsi inquiété de la capacité d’Israël à affamer son pays « comme il l’a fait avec les Palestiniens à Gaza ».
Déplacer les populations du nord vers le sud de la bande de Gaza et les empêcher de revenir s’inscrit dans cette même logique, ont souligné certaines délégations, déplorant les restrictions et les destructions qui rendent la zone impropre à la vie. Le « droit de retour est la pierre angulaire de notre droit » a déclaré le délégué palestinien. Empêcher les populations de se réinstaller est une violation flagrante du droit international humanitaire qui garantit le droit aux personnes déplacées de revenir dans leur foyer de manière volontaire, a tenu à rappeler le délégué algérien. « Combien de temps allez-vous permettre à Israël de continuer à fouler au pied tous les principes juridiques et humanitaires internationaux? » a lancé le délégué libanais au Conseil.
Le problème de l’entrée des convois humanitaires
« Nous assistons à un exercice typique de diffamation, de désinformation et de malhonnêteté », s’est défendu le délégué israélien, battant en brèche le rapport du Comité d’examen des situations de famine. Assurant que 50 camions entrent quotidiennement à Gaza, il a fait valoir que les sources d’information attestant de famine imminente n’étaient pas mentionnées dans le rapport. À ces condamnations « sans fondement », il a opposé les initiatives menées par Israël afin de permettre le bon fonctionnement du réseau d’approvisionnement alimentaire et des infrastructures médicales. Il a cité à cet égard la distribution quotidienne de 3 millions de pains pita. S’agissant des retards dans l’acheminement de l’aide humanitaire, il a assuré qu’Israël n’est pas responsable des problèmes logistiques qui retiennent actuellement plus de 500 camions aux portes de la bande. « Nous ne bloquons pas ces camions, c’est le Hamas qui les bloque et les détourne », a assuré le représentant, déplorant la désinformation dont son pays est victime.
Afin de protéger la population civile de la famine, les délégations ont réclamé des mesures concrètes et efficaces pour garantir l’acheminement de l’aide humanitaire à tous les marchés locaux. Selon la République de Corée, c’est Israël qui, au vu de son contrôle sur la bande de Gaza, qui est dans l’obligation de garantir l’approvisionnement en nourriture et en médicaments aux civils palestiniens. Dans cette optique, la France a demandé à Israël de rouvrir l’ensemble des points de passage humanitaire. La Fédération de Russie a toutefois fait remarquer que ça ne sert à rien de compter les points de passage en fonctionnement puisque, même en fonctionnement, ils laissent passer trop peu d’aide.
UNRWA: les questions de financement et d’autorisation
« Épine dorsale de la réponse humanitaire à Gaza », l’Office de secours et de travaux des Nations Unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA) a recueilli le soutien explicite de la plupart des membres. Cette agence joue un rôle indispensable, a estimé la représentante des États-Unis. Il n’y a pas d’alternatives humanitaires à l’UNRWA, ont également affirmé les délégués russes et slovène. Afin de mobiliser les ressources nécessaires pour rétablir l’acheminement de l’aide humanitaire, le Mozambique a invité la communauté internationale à faire pression pour renflouer l’agence. La France, le Japon ou encore les États-Unis ont, par ailleurs, demandé à Israël de geler l’adoption par la Knesset des lois visant à bannir l’UNRWA. Son effondrement aurait des conséquences inimaginables sur une situation humanitaire déjà « catastrophique ». Le délégué palestinien a, pour sa part, estimé que si Israël pense que se débarrasser de l’UNRWA lui permettra d’arriver à ses fins, cela ne fera que jeter de l’huile sur le feu.
Vision claire, courage et volonté politique sont attendus
Seul un accord de cessez-le-feu immédiat et inconditionnel permettrait un acheminement pérenne de denrées alimentaires et médicales, ont tranché la Slovénie, le Mozambique ou encore la Suisse, l’un des deux points focaux informels au Conseil sur les conflits et la faim, avec le Guyana. Les membres du Conseil ont également martelé qu’il fallait libérer les otages et pleinement appliquer les résolutions pertinentes, exhortant les États concernés à assumer leurs responsabilités. L’Équateur et le Royaume-Uni, entre autres, ont tout simplement rappelé que seul le rétablissement de la paix permettra de réduire le risque de famine de manière durable.
In fine, le problème n’est pas le manque d’efforts des travailleurs humanitaires ou de denrées alimentaires mais bien le manque de volonté politique, a établi la Chine. « Allons-nous faire les choses différemment aujourd’hui? » s’est demandé le délégué palestinien. Une vision claire, du courage et une réelle volonté: ce sont à ses yeux les éléments incontournables pour mettre fin à ce « bain de sang ».
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