L’ECOSOC et la Deuxième Commission joignent leurs forces pour pousser à financer la protection sociale en cette période d’incertitudes
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Investir 1 dollar dans la résilience peut en rapporter 15. C’est le rendement sans égal qui a été vanté, ce matin, par le Président de la Deuxième Commission (questions économiques et financières) lors du débat conjoint avec le Conseil économique et social (ECOSOC) sur les moyens de « favoriser des sociétés durables et résilientes en période d’incertitudes ». « Pour chaque dollar investi dans la réduction des risques, jusqu’à 15 dollars peuvent être économisés en coûts de relèvement après une catastrophe », a ainsi promis Muhammad Abdul Muhith.
Les vertus de l’investissement dans la protection sociale universelle -qui s’apparente en beaucoup de points au concept, beaucoup entendu aujourd’hui, de « résilience sociale »- ont été démontrées par Mme Isabel Ortiz, de l’organisation non gouvernementale (ONG) Global Justice Network. « Elle permet d’atténuer les chocs. Mais ce que l’on sait moins, c’est que cette protection sociale contribue à la croissance, en augmentant la productivité des travailleurs et en dopant la consommation. C’est, enfin, une source de stabilité politique », a-t-elle expliqué dans sa déclaration liminaire.
Pour peu qu’ils soient correctement conçus, mis en place et financés, les systèmes de protection sociale peuvent contribuer à l’égalité entre femmes et hommes, à l’élimination de la pauvreté, à la résilience aux crises et aux processus plus larges de transformation économique et sociale, a confirmé le Président de l’ECOSOC, M. Bob Rae.
Même en période d’austérité budgétaire -et peu importe la catégorie d’un pays donné- il est possible d’établir un système de protection sociale universelle, a promis Mme Ortiz aux délégations: il suffit de « combiner un plancher d’assistance sociale et une affiliation obligatoire à un régime de sécurité sociale ». Un système redistributif qui est crucial pour les femmes, dont la carrière peut être perturbée par la naissance d’un enfant, a ajouté l’experte.
Des pistes pour trouver l’argent
Des pistes appuyées par des recherches de l’ONU ont été données pour trouver l’argent dans les budgets nationaux, en premier lieu la hausse des recettes fiscales: taxer les bénéfices des entreprises; taxer la richesse, « comme cela a été annoncé en Espagne et en Irlande »; taxer les bénéfices sur l’énergie, « comme en Australie ». Autre possibilité: taxer les services numériques, « comme en France, au Kenya ou en Belgique »; taxer les transactions financières, « comme en Argentine et au Brésil il y a un temps ». Les secteurs minier et gazier peuvent également être mis à contribution.
« On peut aussi jouer sur la taxe sur la valeur ajoutée (TVA), accroître la contribution des employeurs à la protection sociale, en sortant les travailleurs du secteur informel pour financer l’État. » Mme Ortiz a encore cité d’autres options au niveau de l’État: lutter contre les flux financiers illicites, restructurer la dette, redéployer les dépenses publiques en réduisant les dépenses de la défense au profit de la santé.
Deux tables rondes ont essayé de dénouer les fils de ce « monde incertain », encore miné par les inégalités. La première, la plus longue et la plus animée, a examiné le rôle de la protection sociale pour aider les femmes à résister aux chocs. Près de 2 milliards de femmes et de filles n’ont toujours pas de protection sociale, selon les statistiques d’ONU-Femmes, et les écarts de genre en matière de protection sociale se sont creusés dans les pays les moins développés.
Une travailleuse à domicile de Miami témoigne
Les pays développés ne sont pas non plus des pays de cocagne en matière de protection sociale, notamment pour les travailleuses et travailleurs non qualifiés. En l’occurrence, l’intervention de ce matin la plus remarquée –et applaudie– est à mettre au crédit d’une travailleuse domestique de Miami. Mme June Barrett, Vice-Présidente de la Fédération internationale des travailleurs domestiques, a fait part de son manque de perspective économique devant les hauts fonctionnaires, alors qu’elle travaille depuis l’âge de 14 ans. Aujourd’hui, à plus de 60 ans, Mme Barrett n’imagine pas pouvoir s’arrêter de travailler, faute de droits à la retraite.
Mme Barrett a aussi témoigné de l’absence de congés maladie qui l’a mise dans la gêne lors de la pandémie de COVID-19. « Si un travailleur attrapait la COVID-19 au travail, il devait rester à domicile pendant deux semaines, sans être payé. Or, ces travailleurs ont une famille à nourrir », a lancé l’aide à domicile. Elle a fait remarquer qu’au niveau mondial, les travailleurs manquent de protection sociale légale: la Convention sur le travail décent de l’Organisation internationale du Travail (OIT) a été adoptée par une cinquantaine de pays, mais sa mise en œuvre fait défaut.
Assise à sa droite, la Directrice de la Division des politiques à ONU-Femmes Mme Sarah Hendriks, a mis en contexte la longue histoire de la lutte pour la protection sociale des auxiliaires de vie, qui a commencé dans les années 1800. Elle a suggéré aux États Membres de changer de stratégie concernant le financement des soins à domicile, pour que d’un côté, chaque famille ait accès à ces soins et que de l’autre, tous les emplois soient des emplois de qualité.
Les femmes mieux couvertes qu’avant, mais toujours fortement désavantagées
Mme Hendriks a ensuite partagé une bonne nouvelle: selon une étude d’ONU-Femmes, la protection sociale n’a cessé de s’accroître depuis 10 ans. Davantage de femmes et de filles ont accès à un minimum de sécurité financière, notamment lorsqu’elles deviennent mère, perdent leur emploi et vieillissent. Les femmes sont néanmoins les plus touchées dans les ménages lorsqu’une crise survient. D’où l’importance d’une protection sociale pouvant leur éviter, pour survivre, de devoir vendre leurs biens, déscolariser leurs enfants ou souffrir de la faim. C’est pourquoi ONU-Femmes préconise l’élargissement de la protection sociale à près de 700 millions de femmes employées dans le secteur informel.
Même diagnostic pour la Directrice adjointe du Chronic Poverty Advisory Network (CPAN), Mme Vidya Diwakar: les crises affectent davantage les femmes et ces dernières mettent davantage de temps à s’en remettre que les hommes. « Au Pérou, en Tanzanie ou au Bangladesh, les ménages pauvres dirigés par des femmes sont plus durement touchés », selon son étude.
Au cours du dialogue interactif, plusieurs pays ont fait valoir leurs efforts. Le Mexique s’est illustré en relayant des nouvelles mesures prises par la nouvelle Présidente, comme un programme de protection sociale destiné aux femmes âgées de 60 à 64 ans, dans l’objectif de réduire les inégalités. La Mongolie, elle, a été citée en exemple par deux fois durant la réunion conjointe: « en taxant les exportations de cuivre, elle est parvenue à donner une protection sociale à tous ses enfants », s’est enthousiasmée Mme Ortiz. Autres avancées: au Cameroun, au Malawi, au Soudan du Sud, les gouvernements ont combiné les transferts en espèces avec des emplois et des formations en matière d’agriculture résiliente face aux changements climatiques pour les agricultrices.
« Nous sommes tous vulnérables. Y compris les entreprises »
La deuxième table ronde a tenté d’offrir une « plongée en profondeur » dans le financement des systèmes de protection sociale, de la réduction des risques de catastrophe, de l’adaptation et de la résilience, autant de facteurs nécessaires à une croissance inclusive et durable. Il a été question, là aussi, de la résilience des infrastructures, autant que de celle des hommes et des femmes.
Le représentant de la Pologne a remarqué que pour financer la résilience, il fallait des partenariats: avec les milieux d’affaires, le monde scientifique ou encore les gouvernements locaux. « Nous sommes tous vulnérables. Y compris les entreprises. La perturbation des chaînes d’approvisionnements causée par la pandémie nous l’a confirmé », a-t-il lancé comme pour pousser du coude les milieux d’affaires pour qu’ils accroissent leurs contributions au financement de la résilience et à la protection sociale.
Lors du dialogue interactif, le Groupe de 77 et la Chine (G77) ont appelé à créer à la fois un environnement international plus propice et à augmenter les efforts nationaux en matière de financement. Aux institutions internationales, le Groupe a demandé d’intégrer les stratégies de réduction des risques dans les politiques de développement à tous les niveaux.
Les objectifs de développement durable, toujours au cœur des débats
Dans l’après-midi, la Deuxième Commission a repris son débat consacré aux objectifs de développement durable (ODD), entamé lundi. Comme l’ont rappelé plusieurs délégations, à l’instar de l’Arménie, les multiples crises mondiales imposent de consolider les efforts internationaux afin d’accélérer la réalisation du Programme 2030 et de veiller à ce que tous les peuples vivent en paix et en sécurité. Ces peuples doivent avoir accès à la justice, au développement durable et aux droits humains.
Les pays en développement ont rappelé leurs difficultés de financement à cet égard et appelé au renforcement de la coopération, comme la Sierra Leone. De l’avis du Burundi, « le développement durable est le meilleur investissement pour un avenir prospère et équitable ». Raison pour laquelle la délégation burundaise a invité à « repenser notre façon de vivre ».
L’action climatique est un autre sujet de préoccupation à la Deuxième Commission, quelques semaines avant la COP 29, qui aura lieu à Bakou, en Azerbaïdjan, au mois de novembre. Les Émirats arabes unis, qui ont accueilli la COP 28, ont prôné des solutions novatrices, un renforcement des partenariats et un accès garanti aux innovations technologiques, notamment aux systèmes d’alerte météorologique rapide. Pour leur part, les Maldives ont mis l’accent sur le programme ambitieux d’Antigua-et-Barbuda adopté cette année pour les petits États insulaires en développement (PEID), qui sont particulièrement vulnérables aux changements climatiques, comme l’ont aussi expliqué les États fédérés de Micronésie.
La Colombie, hôte de la COP 16 sur la biodiversité dans quelques jours, a attiré l’attention sur les droits humains, qui doivent être au cœur des processus de transition écologique. Les pays du Sud mondial ne doivent pas avoir à choisir entre l’élimination de la pauvreté et la protection de la nature, a argumenté la délégation.
En fin de séance, outre l’exercice de leur droit de réponse par l’Égypte, l’Éthiopie, Israël, la République arabe syrienne et le Liban, la Deuxième Commission a repris son débat général entamé le 7 octobre.
La Deuxième Commission poursuivra ses travaux demain, mercredi 16 octobre, à partir de 10 heures.