La Deuxième Commission ouvre son débat général en cherchant les clefs de la résilience et d’un meilleur financement du développement
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Sans intervention rapide, l’humanité pourrait entrer en crise prolongée, avec une augmentation de la pauvreté et de l’exclusion. C’est par cette inquiétante mise en garde que M. Navid Hanif, le Sous-Secrétaire général chargé du développement économique au Département des affaires économiques et sociales (DESA), a ouvert, ce matin, le débat général de la Deuxième Commission (questions économiques et financières) sur le thème « Favoriser la résilience et la croissance dans un monde incertain ».
L’économie mondiale enregistre en effet une croissance lente et inégale et la fragmentation géoéconomique s’accroît, ce qui met en péril l’éradication de la pauvreté et la réalisation des objectifs de développement durable (ODD), tout en amplifiant les incertitudes, a expliqué M. Muhammad Abdul Muhith, Président de la Deuxième Commission. La résilience, c’est « anticiper les risques, diversifier les ressources et mettre en place de solides filets de sécurité sociale », a-t-il précisé.
Les délégations qui se sont exprimées aujourd’hui ont mis l’accent sur les fossés qui se creusent. Elles se sont inquiétées de la lenteur des progrès dans la réalisation du Programme de développement durable à l’horizon 2030, à l’instar des pays en développement sans littoral (PDSL), représentés par le Botswana. Plusieurs ODD sont même en recul, ont déploré M. Hanif ainsi que le Groupe des 77 et la Chine. De fait, nombre des pays les moins avancés (PMA) sont plus pauvres aujourd’hui qu’en 2019, a fait remarquer le groupe de ces pays, par la voix du Népal. Concrètement, ces pays ont vu augmenter de 15 millions le nombre d’habitants vivant dans l’extrême pauvreté et ont encore 249 millions de personnes en situation de sous-nutrition.
Au niveau mondial, le Mexique s’est alarmé que des centaines de millions de personnes vivent dans la pauvreté et la faim, notamment des enfants. « La pauvreté et les inégalités demeurent des défis majeurs. » Dans un tel contexte, il est urgent de bâtir la résilience face aux crises et aux défis, a souligné l’Union européenne (UE), pour qui le financement du développement durable demeure une priorité absolue.
La question du financement du développement a été abordée comme un fil rouge tout au long du débat de la Deuxième Commission, à commencer par l’invité du jour. M. Jeffrey Sachs, Directeur du Centre pour le développement durable à l’Université Columbia à New York, a en effet rappelé que le problème majeur des pays pauvres est le manque de ressources budgétaires. Le financement est au cœur de la crise du développement qui s’intensifie, a abondé la Communauté des Caraïbes (CARICOM).
Pourtant, de l’avis de M. Sachs, il est encore possible d’atteindre les ODD, à condition d’accroître les investissements dans les six domaines prioritaires que sont l’éducation et le capital humain; la santé; l’énergie; l’agriculture durable; les infrastructures urbaines et interurbaines; et les plateformes numériques. En effet, si l’on investit suffisamment dans les infrastructures ou la fibre, par exemple, un pays pauvre peut enregistrer une croissance de 7% par an. Or, a-t-il déploré, l’accès aux financements des pays à revenu faible est inadapté puisqu’ils sont soumis à des taux d’intérêt prohibitifs. Il y a vu une « distorsion de l’architecture financière internationale », dont les critères ne tiennent compte que du niveau de risque d’un pays pauvre mais pas de sa capacité de développement.
Les pays pauvres se retrouvent donc pris dans « le piège de la dette » et sont dans l’incapacité d’investir à long terme, a poursuivi le professeur. En effet, le niveau de dette des pays africains est « insoutenable », ce qui a des effets négatifs sur la réalisation des ODD, a acquiescé le Groupe des États d’Afrique, par la voix du Tchad. La dette extérieure des pays en développement a atteint un record de 1 400 milliards de dollars en 2022, ont indiqué le G77 et la Chine. Quant aux petits États insulaires en développement (PEID), ils payent davantage pour le service de la dette que ce qu’ils reçoivent en financement du développement, a fait savoir l’Alliance des petits États insulaires (AOSIS), par la voix de la déléguée du Samoa, qui a jugé cette situation « injuste et non durable ».
Les pays en développement, surtout en Afrique, se heurtent à des difficultés considérables qui les empêchent d’investir dans le développement et la résilience future, a renchéri le Ghana. La résilience ne peut être bâtie sans un financement suffisant, notamment face aux changements climatiques, a insisté la délégation. Le financement du développement est « crucial et urgent » pour la résilience des PMA, notamment contre les chocs des changements climatiques, a renchéri le Groupe des PMA.
La quatrième Conférence internationale sur le financement du développement, qui aura lieu en juin 2025 à Séville (Espagne), est une occasion à ne pas manquer pour faire avancer les réformes de l’architecture financière internationale, ont souligné de nombreux délégués. « Il faudra passer de la parole aux actes », a lancé M. Sachs, rappelant que le diagnostic est connu depuis longtemps, mais que certains pays sont plus engagés dans la guerre que dans le développement durable.
L’UE a fait savoir qu’elle est très impliquée dans ces efforts de réforme. Celle-ci permettrait de sortir de nombreux pays en développement de la pauvreté, selon le Canada, l’Australie et la Nouvelle-Zélande (groupe CANZ). Cette réforme est « vitale » pour fournir les outils nécessaires au financement à long terme du développement, à la restructuration de la dette et au renforcement des banques multilatérales de développement, a insisté le Rwanda.
Toutefois, comme l’a souligné Singapour, il s’agit aussi de « réinstaurer la confiance » dans les institutions multilatérales pour faire en sorte que l’ONU, l’Organisation mondiale du commerce (OMC) et les institutions financières internationales favorisent davantage la croissance et le développement. Pour cela, il faut repenser les structures de gouvernance, la transparence, la redevabilité et les critères d’évaluation. Les pays en développement doivent aussi être mieux représentés dans la prise de décisions des institutions économiques et financières internationales, pour qu’elles soient plus efficaces, crédibles, responsables et légitimes, a renchéri l’Argentine.
Comme l’a indiqué M. Muhith à l’entame du débat, nous devons disposer d’un système de développement des Nations Unies « pertinent et agile », capable d’accélérer davantage la mise en œuvre des ODD sur le terrain. En ce sens, il a dit compter sur un esprit de coopération et de recherche de consensus et a appelé à s’appuyer sur le Pacte pour l’avenir, adopté le 22 septembre par l’Assemblée générale. Il a par exemple souligné que les progrès technologiques rapides offrent un immense potentiel de développement durable, mais qu’il est nécessaire de réduire l’importante fracture technologique qui persiste.
À cette fin, l’Angola a dit attendre des solutions concrètes pour assurer un transfert des technologies des pays développés vers les pays en développement. Cela passe notamment par le renforcement des capacités et la coopération scientifique et technique. De l’avis de l’Argentine, il s’agit de construire un nouveau paradigme de coopération internationale pour des solutions efficaces.
La Deuxième Commission poursuivra son débat général demain à partir de 10 heures.
Déclaration liminaire
Le Directeur du Centre pour le développement durable à l’Université Columbia à New York, M. JEFFREY SACHS, qui intervenait par visioconférence comme principal orateur de ce débat, est revenu sur le Pacte pour l’avenir récemment adopté par l’Assemblée générale. Ce pacte a permis de réaffirmer les engagements en faveur des objectifs de développement durable, a-t-il souligné en estimant qu’il est encore possible de les mettre en œuvre, en accroissant les investissements dans six domaines prioritaires.
Le premier concerne l’éducation, le capital humain et les compétences, tandis que le deuxième a trait à la santé. Le troisième domaine essentiel, de l’avis de M. Sachs, a trait à l’énergie et aux systèmes industriels visant une énergie propre, et le quatrième, à l’agriculture durable et à l’utilisation durable des terres, éléments essentiels face aux changements climatiques. Enfin, derniers domaines prioritaires pour les investissements: les infrastructures urbaines et interurbaines (transport, assainissement…) et les plateformes numériques. Avec des infrastructures et des compétences, les entreprises se développent, mais le problème des pays pauvres est le manque de ressources budgétaires, a-t-il constaté.
Poursuivant sa démonstration, M. Sachs s’est demandé que faire face au manque de ressources pour les investissements nécessaires. Car, par exemple, si l’on investit suffisamment dans les infrastructures ou la fibre, un pays pauvre peut enregistrer une croissance de 7% par an. Il a dès lors recommandé de financer les infrastructures et de construire le capital humain en investissant dans l’éducation, regrettant que ce processus ne fonctionne pas aujourd’hui. D’abord parce que l’accès aux financements des pays à revenu faible est inadapté puisqu’ils sont soumis à des intérêts bien plus élevés que des pays riches, à des taux prohibitifs: c’est une distorsion de l’architecture financière internationale, dont les critères ne tiennent compte que du niveau de risque d’un pays pauvre mais pas de sa capacité de développement. Le modèle de financement actuel n’a en outre pas été conçu pour des niveaux élevés d’investissement.
Les pays pauvres se retrouvent donc pris dans le piège de la dette et sont dans l’incapacité d’investir à long terme, a poursuivi le professeur. À son avis, le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque mondiale se trompent en demandant aux ministres des finances de faire ce qu’ils peuvent plutôt que de les aider à se développer. Dans ce contexte, M. Sachs a préconisé un système financier qui réponde aux besoins, à commencer par ceux en matière d’éducation, pour permettre le développement et faire diminuer la pauvreté.
Pour sortir de leur catégorie et entrer dans celle des pays à revenu intermédiaire, les pays pauvres doivent enregistrer une croissance annuelle de 7 à 10%, a évalué l’économiste, ajoutant que le continent africain doit arriver à une croissance de 7% au moins: « c’est la région qui devrait croître le plus au monde ». Si les enfants pouvaient terminer l’éducation secondaire, on en verrait les résultats dans 20 ans en termes de développement, a-t-il insisté. « Les pays en développement peuvent croître très rapidement s’ils ont accès au financement. »
En ce sens, il a recommandé la mise en œuvre des engagements pris dans le Pacte pour l’avenir, qui plaide pour ces réformes. Par ailleurs, la quatrième Conférence internationale sur le financement du développement, qui aura lieu en juin 2025 à Séville, est une autre occasion à ne pas manquer pour faire avancer les réformes de l’architecture financière internationale. « Il faudra passer de la parole aux actes », a-t-il prié. Rappelant que le diagnostic est connu depuis longtemps, il a regretté que certains pays soient plus engagés dans la guerre que dans le développement durable.
L’économiste a également appelé à un renforcement massif des banques multilatérales de développement en espérant voir évoluer le comportement de celles-ci en faveur de la croissance rapide, et non de l’austérité. Il faut à son avis une refonte totale des agences de notation, « afin que les pays pauvres ne soient pas systématiquement punis », a-t-il également recommandé. « La Banque mondiale et le FMI ne doivent pas simplement constater qu’il y a un besoin de financement et ne pas y répondre. » Sachant que les dirigeants de ces institutions installées à Washington souhaitent une réforme, mais que le Gouvernement des États-Unis n’a pas donné de feu vert, M. Sachs a fait remarquer que ce sont des institutions « mondiales » et non « américaines ».
Quant à la fiscalité, qui doit elle aussi être « mondiale », M. Sachs a suggéré qu’elle permette de financer des fonds de garantie pour les pays en développement ou le fonds pour les pertes et les préjudices climatiques.