Forum sur la question de Palestine: un dernier jour de discussions entre espoir et pessimisme
Imprégné des événements sanglants survenus à Gaza en début de semaine, le deuxième et dernier jour du Forum des Nations Unies sur la question de la Palestine, intitulé « 70 ans après 1948 - Leçons pour parvenir à une paix durable », a oscillé entre espoir et pessimisme.
L’Observateur permanent de l’État de Palestine a, comme hier, évoqué la tragédie de Gaza et dénoncé en parallèle « le transfert honteux » de l’ambassade des États-Unis de Tel-Aviv à Jérusalem. « Nous sommes allés plaider au Conseil de sécurité et au Conseil des droits de l’homme pour une protection internationale à la population civile de Gaza. »
Décrivant l’atmosphère de ce Forum comme « sombre », parfois « teintée de colère », M. Ryad Mansour a cependant loué l’occasion offerte pour réfléchir à des idées novatrices et faire progresser la cause du peuple de Palestine. « Nous allons examiner toutes ces idées (…) Sachez que nous traversons une époque difficile, et c’est un euphémisme », a déclaré l’Observateur palestinien, avant de réclamer la fin du blocus à Gaza et l’aide de la communauté internationale. « Nous en avons besoin. Nous ne sommes les rivaux de personne. Il s’agit d’une longue marche », a dit celui qui est toujours à la recherche « d’idées créatives, novatrices, utiles »
« L’état financier catastrophique » de l’Office de secours et de travaux des Nations Unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA), a été dénoncé par le Président du Comité pour l’exercice des droits inaliénables du peuple palestinien, M. Fodé Seck.
Si la première table ronde du jour a beaucoup abordé les conséquences du passé, avec la question des quelque 11 millions de Palestiniens dispersés dans le monde, la seconde a davantage apporté un éventail de suggestions pour dénouer le nœud du conflit et changer le statu quo actuel. « Nous en sommes au stade des idées », a prévenu M. Fateh Azzam, Conseiller politique du think tank palestinien El-Chabaka.
Parmi ces idées ont été cités le succès du mouvement « boycott, désinvestissement et sanctions » (BDS) et la crainte qu’il inspire aux conservateurs israéliens; le rôle de la société civile comme antidote aux blocages de la communauté internationale et des gouvernements, ou encore l’appel de l’Observateur palestinien au Hamas pour qu’il rejoigne les rangs de l’OLP.
Un nouveau contrat a été proposé par M. Yossi Beilin, ancien Ministre israélien de la justice et Vice-Ministre des affaires étrangères pour sortir du débat « un État, deux États » via un modèle politique de « confédération » dans laquelle les Palestiniens bénéficieraient d’une autodétermination complète et d’un État indépendant, cependant qu’Israël jouirait de frontières reconnues. Selon M. Beilin, la question des colonies serait ainsi plus facile à régler.
Le plus jeune orateur de la journée, le Directeur régional de l’initiative OneVoice Movement Obada Shtaya, a souhaité moins parler de « tactique » que de « stratégie ». Les jeunes, a-t-il dit, veulent un calendrier pour aller de A à B en X années. La plupart des jeunes palestiniens ne prennent parti ni pour le Hamas ni le Fatah. Ils sont juste contre l’occupation, a dit celui qui espère développer économiquement la Cisjordanie grâce au nouveau bagage intellectuel développé par la diaspora. « Ensuite, les diplomates suivront. »
FORUM DES NATIONS UNIES SUR LA QUESTION DE PALESTINE « 70 ANS APRÈS 1948 - LEÇONS POUR PARVENIR À UNE PAIX DURABLE »
Table ronde: « Les réfugiés et le règlement de la question de Palestine »
Depuis le début du conflit israélo-palestinien, il y a plus de 70 ans, s’est posée la question centrale du sort des réfugiés palestiniens; elle s’étend aujourd’hui au sort de leurs descendants. La troisième table ronde du Forum s’est penchée aujourd’hui sur cette communauté protéiforme, multigénérationnelle, aujourd’hui répartie dans le monde entier et devenue, selon l’un des intervenants, « la plus grande communauté au monde sans État ».
M. MOUIN RABBANI, Modérateur et chercheur principal à l’institut d’études palestiniennes, a tenté d’orienter le panel sur l’avenir de ces réfugiés. Mais le sujet est glissant, puisque que les termes les plus simples de l’équation « Qu’est-ce qu’un réfugié palestinien? » fait encore débat parmi les acteurs du conflit et au sein de la communauté internationale.
Une mesure des inconnues de l’équation, c’est ce qu’a donné Mme SUSAN AKRAM, professeure de droit à la « Boston University ». Elle a démarré sa cinquième intervention dans un forum de l’ONU avec le sentiment d’être un « disque rayé, tant les choses ne changent guère ». Qui sont vraiment les réfugiés palestiniens? Les descendants de la diaspora de 1948? Ceux qui vivent en Israël et en Cisjordanie? Ou plutôt les 11 millions de descendants de la Palestine ottomane? « La nationalité palestinienne découle du Traité de Lausanne », a recadré Mme Akram. Du point de vue international, la nationalité palestinienne a été établie à cette époque. Les Palestiniens visés sont tous les ressortissants palestiniens de l’époque ottomane, mais la Déclaration de Balfour et « l’interprétation de 1952 qui a dénationalisé les Palestiniens » sont venues compliquer la donne. En bref, a résumé Mme Akram, malgré la Déclaration de Balfour et les résolutions successives, rien n’a changé d’un point de vue du droit international »: les Palestiniens sont les 11 millions de descendants des Palestiniens de l’Empire ottoman.
Si le droit international avait été respecté en 1947, on ne parlerait pas de réfugiés de Palestine aujourd’hui, a fait observer, à son tour, Mme FRANCESCA ALBANESE, de l’Institut d’études des migrations internationales de la « Georgetown University ». Elle a tout de même fait une concession: la question des réfugiés palestiniens a gagné en complexité avec le temps, avec les vagues successives d’expulsion, en 1947 et en 1967 et d’autres déplacés, aujourd’hui encore. Soulignant le caractère protéiforme de la diaspora palestinienne réinstallée dans le monde entier « en Cisjordanie, en Libye, au Liban, mais aussi en Europe, en Amérique et jusqu’en Asie », le Chercheur principal à l’institut d’études palestiniennes a précisé en écho que « ce n’est pas le cadre juridique qui pèche, mais bien son respect ».
Dans un dialogue avec Mme JESSICA NEVO, Fondatrice de « Just in Case – Kits pour la justice en transition », la chercheuse à l’Institut d’études des migrations internationales de la « Georgetown University est revenue sur le statut particulier des réfugiés palestiniens en droit international. Un statut spécial, transmis de génération en génération, et qui semble parfois aller contre leurs intérêts. Les Palestiniens, a-t-elle noté, sont le seul groupe évoqué dans la Convention sur les réfugiés de 1951, parce que la question était urgente à l’époque et que la communauté internationale pensait qu’elle serait vite réglée. C’est de là que vient le malentendu persistant sur le statut des réfugiés palestiniens en droit international. On les considère en effet comme une catégorie de réfugiés à part. Or ce sont des réfugiés comme les autres. Tant que des réfugiés en tant que groupe ne trouvent pas de solution durable à leur sort, ils restent des réfugiés et leurs enfants aussi. Les Palestiniens ne souhaitaient pas être des réfugiés ad vitam aeternam. Au fil du temps, face à l’impasse, on a constaté un rapprochement entre l’Office de secours et de travaux des Nation Unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA) et le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR). Les règles ont été parfois mal interprétées et récemment, des efforts ont été faits pour que Palestiniens se détachent de ce statut « exceptionnel » qui les dessert peut-être au final.
Quid d’un mécanisme de compensation? Dans le cas palestinien, on parle de déplacement et de transfert de population, mais aussi de déni de justice, parce qu’on les empêche d’être indemnisés, a avancé Mme LUBNAH SHOMALI, Directrice exécutive du Centre de ressources BADIL pour le droit à la résidence et le droit des réfugiés palestiniens. Elle a plaidé pour un tel mécanisme, en expliquant pourquoi il pourrait mener à une solution durable et pérenne.
En vertu du droit international, a énuméré Mme Shomali, les compensations impliquent un retour des réfugiés, un rapatriement volontaire, la restitution de biens immobiliers, des compensations monétaires, et des dommages et intérêts pour les biens mobiliers et immobiliers accaparés et pour tous les bénéfices tirés de l’exploitation illégale de ces biens. Elle a aussi évoqué la garantie de non-récidive de la part des fautifs. « Ce n’est pas un menu à la carte », a-t-elle précisé, mais une combinaison de ces différents éléments. En pratique cependant, elle a concédé que pour le succès du processus, il faudrait un accord politique très détaillé, avec des mesures coercitives, une participation active des victimes, un soutien international et un cadre juridique clair. Le système doit être intégré à l’état de droit et les terrains « justement redistribués ».
« D’accord… Si j’ai bien compris, nous devons faire l’inverse de ce qui s’est fait ces 70 dernières années pour résoudre le problème », a souri le Modérateur. Mais, même dans le scénario idéal d’un retour pacifique des réfugiés imaginé par Mme Shomali, les dilemmes abondent, vu la longueur du conflit. Prenons l’exemple d’un village palestinien d’un millier de personnes expulsées en 1947. Aujourd’hui avec leurs descendants, ils seraient 15 000, a-t-elle calculé. Comment répartir équitablement la terre récupérée entre eux tous?
Table ronde: « Les voies à suivre pour parvenir à une paix durable »
Gardant la question la plus épineuse pour la fin, les participants au Forum, après avoir débattu des conséquences de la guerre de 1948 et du sort des réfugiés palestiniens, se sont penchés, lors de cette dernière table ronde de la journée, sur les moyens de parvenir à une paix durable entre Israéliens et Palestiniens.
Plutôt que de s’appesantir sur l’impasse politique actuelle et le contexte international défavorable, M. FATEH AZZAM, Modérateur et Conseiller politique pour le think tank palestinien El-Chabaka, a invité les panélistes à entrer sans ambages dans le vif du sujet et à répondre à la question suivante: « La solution des deux États est-elle morte et enterrée ou demeure-t-elle la seule solution possible? »
En tant que femme juive de Californie, ce n’est pas à moi de dire combien d’États il faut, a répondu Mme PHYLLIS BENNIS, Directrice du projet New Internationalism pour le think tank américain Institute for Policy Studies (IPS). Entre diviser le territoire en deux ou conserver un seul État, voire créer une fédération d’États, Mme Bennis n’a pas souhaité trancher et, au fond, a-t-elle ajouté, peu importe. « Ce qui compte, c’est de faire respecter les droits de l’homme et l’égalité pour tous, que cela passe par un État ou deux », a-t-elle estimé, ajoutant que c’est loin d’être le cas dans la configuration actuelle: un territoire dominé par le Gouvernement israélien et régi par un système juridique qui discrimine en fonction de l’appartenance ethnique et de la religion. « C’est une violation du droit international et un crime d’apartheid, et c’est cela qui doit être le point de départ de toute solution », a-t-elle affirmé.
Face à l’échec de la diplomatie, Mme Bennis a insisté sur le rôle que doit jouer la société civile, par des initiatives à succès telles que la campagne BDS (boycott, désinvestissement et sanctions), qui appelle à exercer différentes pressions économiques sur Israël. Pourquoi, s’est-elle interrogée, l’Assemblée générale de l’ONU ne voterait-elle pas une résolution pour encourager les États à suivre cette initiative et à interdire tout achat d’armes à Israël? « La Suède produit aussi des armes; achetez vos armes en Suède et plus en Israël! »
La société civile a effectivement un grand rôle à jouer, a reconnu M. OBADA SHTAYA, Directeur régional de l’initiative OneVoice Movement et Modérateur du débat, à commencer par les jeunes. Ce sont les jeunes palestiniens, a-t-il affirmé, qui, historiquement, se sont dressés contre l’occupation israélienne. Ce sont les jeunes qui ont donné naissance à l’Organisation de libération de la Palestine (OLP). En 1967, lorsque les Palestiniens vivant en Israël ont obtenu la nationalité israélienne, l’idée était qu’il pourrait y avoir un seul État avec les mêmes droits pour tous. Mais en réalité, les Palestiniens sont restés sous le coup de la loi martiale, et ce sont à nouveau les jeunes qui, en 1987, se sont rebellés contre l’occupation lors de la première Intifada. « C’est cyclique: les jeunes se rebellent, ensuite c’est le creux de la vague, puis la vague monte et il y a une nouvelle rébellion », a-t-il résumé. « Cela signifie que les jeunes palestiniens n’abandonneront jamais. » Face à la division entre le Hamas et le Fatah, M. Shtaya a affirmé que la majorité des jeunes palestiniens ne souhaitaient pas prendre parti. Ce qu’ils désirent aujourd’hui, c’est une stratégie claire, et non plus seulement des tactiques. Ils veulent un calendrier pour aller de A à B en X années. « Qu’il s’agisse d’une solution à un État ou des deux États, dans tous les cas, il faut une solution », a-t-il dit.
Mon sentiment est qu’il ne faut pas un ou deux États, mais une confédération, a réagi M. YOSSI BEILIN, ancien Ministre de la justice et Vice-Ministre des affaires étrangères d’Israël. À l’intérieur de cette confédération, les Palestiniens bénéficieraient d’une autodétermination complète et d’un État indépendant, cependant qu’Israël jouirait de frontières reconnues. Selon lui, la question des colonies serait notamment plus facile à régler à l’intérieur d’une confédération. Plutôt que d’avoir à rapatrier ses ressortissants, comme cela serait le cas dans la perspective d’une solution strictement des deux États, Israël pourrait dire à ses ressortissants: « Samedi après-midi, vous résiderez en Palestine et vous pourrez y rester si vous le désirez ou bien rentrer en Israël ». Sur le plan de la sécurité, une confédération permettrait également d’établir une pleine coopération entre les forces israéliennes et palestiniennes.
Avant même de parler d’une confédération, il faut mettre fin à l’occupation, a tranché M. RIYAD MANSOUR, Observateur permanent de l’État de Palestine auprès des Nations Unies. Pour cela, a-t-il estimé, « le plus important est de faire le ménage chez nous et de rapprocher les deux partis de l’État de Palestine ». Aujourd’hui, a-t-il déploré, nous sommes divisés, ce qui nous empêche de négocier avec les Israéliens. Les Palestiniens devraient parler d’une même voix au sein de l’OLP. En 1948, a-t-il rappelé, les pays arabes négociaient en notre nom. Puis, en 1964, l’OLP a été créée et nous avons enfin pu parler en notre nom. Le Hamas, a encouragé M. Mansour, devrait rejoindre l’OLP et les jeunes devraient également se battre pour être mieux représentés en son sein.
En effet, l’un des trois facteurs du succès des Accords d’Oslo a été l’unité et le charisme des dirigeants palestiniens, a reconnu l’ancien Ministre israélien de la justice. Les deux autres, a-t-il ajouté, étaient la présence d’un jeune Président américain désireux de laisser sa marque dans l’Histoire et des leaders israéliens prêts aux compromis. Malheureusement, a-t-il dit, le contexte favorable qui a présidé à ces Accords n’est plus. Aujourd’hui, les autorités israéliennes ne veulent pas entendre de partition des terres et les Palestiniens sont divisés. Mais, a-t-il prévenu, un nouveau climat favorable à la paix ne se représentera pas avant des années. « Notre erreur est de ne pas avoir conclu un accord permanent à Oslo ».
Faisant écho à ces propos pessimistes, le Modérateur s’est estimé déçu que le débat d’aujourd’hui n’ait pas permis de dégager des solutions concrètes. « J’ai l’impression que l’on reste enfermé dans un cercle vicieux », a-t-il conclu.