En cours au Siège de l'ONU

Session de fond de 2025
8e & 9e séances – Matin & après-midi
AG/COL/3392

Le Comité spécial de la décolonisation adopte une résolution favorable à l’indépendance de Porto Rico malgré des appels pressants au statut d’État fédéré

Le Comité spécial chargé d’étudier la situation en ce qui concerne l’application de la Déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux a entamé, aujourd’hui, la deuxième semaine de sa session de fond annuelle en entendant les avis de plusieurs dizaines de pétitionnaires, les uns favorables à l’indépendance de l’île de Porto Rico, les autres plaidant pour le statut d’État fédéré des États-Unis, voire pour la libre association ou encore la réunification avec l’Espagne.  Il a ensuite fait sien un projet de résolution réaffirmant le droit inaliénable du peuple portoricain à l’autodétermination et à l’indépendance, tel qu’énoncé dans la résolution 1514 (XV) adoptée en 1960 par l’Assemblée générale.

Cette séance, qui s’est tenue dans une atmosphère passionnée, des applaudissements nourris ponctuant les interventions des différents camps, faisait suite à l’organisation, le 5 novembre 2024, d’un nouveau plébiscite sur le statut futur de l’île, parallèlement aux élections générales portoricaines.  Si l’accession au statut d’État fédéré a d’abord été donnée victorieuse avec 56,82% des voix, devant l’indépendance (30,85%) et la libre association (12,33%), les résultats ont ensuite été modifiés par la Commission électorale de Porto Rico en raison d’une « erreur » dans le fonctionnement de l’urne électronique.  Le statut d’État fédéré a finalement obtenu 58,61% des voix, contre 29,57% pour la libre association et 11,82% pour l’indépendance.

Toutefois, comme le rappelle le rapport établi par le Rapporteur du Comité spécial (A/AC.109/2025/L.13), plusieurs formations politiques, dont le Parti indépendantiste portoricain (PIP), avaient demandé aux électeurs de voter blanc et, au total, 165 521 votes blancs ont été dénombrés.  En prenant en considération l’ensemble des voix exprimées, y compris les votes blancs, la majorité des votants n’étaient pas favorables à l’accession au statut d’État fédéré, précise le rapport.

À l’aune de ces faits, M. Adrián González Costa, Sénateur et membre du PIP, s’est prononcé pour l’élection d’une « assemblée de statut » à Porto Rico afin de sélectionner des délégués engagés en faveur d’« alternatives non coloniales et non territoriales ».  Ces délégués, a-t-il expliqué, deviendraient les interlocuteurs du Congrès et du Gouvernement des États-Unis dans le cadre d’un processus de négociation permettant au peuple portoricain de choisir son avenir parmi des alternatives rendant possible la décolonisation économique et politique de l’île.

Dénonçant à cet égard « plus d’un siècle de subordination juridique, de répression culturelle et de déni systématique du droit à l’autodétermination », Mme Vivian Godineaux Villaronga, Présidente du Barreau de Porto Rico, a soutenu que « le droit des peuples à choisir librement leur système de gouvernement et leur destin politique est un droit naturel inaliénable » et qu’aucune législation contraire à ce droit ne peut être admise.  C’est pourquoi elle a réclamé que le cas de Porto Rico soit réexaminé conformément aux dispositions de la résolution 1514 (XV), avant d’appeler à son tour à la convocation d’une « assemblée constitutionnelle sur le statut », élue démocratiquement et dotée des pouvoirs nécessaires pour négocier avec les États-Unis en vue de garantir un processus d’autodétermination légitime et contraignant.

Dans la même mouvance, M. Jaime Esteban Inclan, porte-parole de l’association Friends Of Puerto Rico Impact, a plaidé pour la création d’un État souverain et indépendant, faisant valoir que « le besoin d’appartenance et d’identité suppose que les Portoricains disposent d’un drapeau et d’une patrie ».  Et si l’impérialisme américain a provoqué bien des ravages sur l’île depuis l’invasion de 1898, « nos racines sont profondes », a assuré cet indépendantiste convaincu.

Le mois prochain marquera le cent-vingt-septième anniversaire du régime colonial des États-Unis à Porto Rico, « deux fois plus long que le colonialisme belge au Congo », a renchéri M. Calvin Yohannan Boricuas, représentant d’Unidos en la Diáspora, souhaitant que le Comité spécial serve de plateforme pour dénoncer cette « injustice » et aide l’île à ne « plus dépendre des caprices de politiciens américains ».  Un avis partagé par M. Edwin Ortiz, de Call to Action, qui a exhorté l’ONU à condamner les violations du droit international dont se rendent coupables les États-Unis, « à Porto Rico comme dans le Territoire palestinien occupé ».

De manière connexe, M. Yoandry Carlos Oduardo Torres, membre de l’Asociación Cubana de las Naciones Unidas, a qualifié d’« offense à l’ONU et à la communauté internationale » le fait que, 65 ans après l’adoption de la résolution 1514 (XV), Porto Rico attende toujours la réalisation de son droit fondamental à l’autodétermination.  « En tant que Cubains qui avons lutté contre le colonialisme et l’ingérence étrangère, nous ne pouvons pas rester silencieux face à cette injustice historique », a-t-il martelé, jugeant impératif que le Comité spécial et l’Assemblée générale défendent plus activement l’indépendance de l’île.

Même son de cloche de la part de Mme Cynthia Rodríguez Santos, de Jornada: Se Acabaron Las Promesas, pour qui les plaidoyers en faveur de l’accession au statut d’État fédéré ou pour la libre association ne sont que des formes déguisées de colonisation.  « Le seul processus légitime est l’indépendance, le reste n’est que complicité avec les forces d’oppression », a-t-elle argué, appuyée par M. Kevin Rivera-Medina, de Comite Pro Derechos Humanos de Puerto Rico, qui a fustigé le « joug économique et politique » des États-Unis et les abus commis par l’Administration Trump sous couvert de mesures migratoires.

Face à ce tir de barrage pro-indépendance, les tenants de l’intégration de Porto Rico comme cinquante et unième État fédéré des États-Unis ne sont pas restés inertes. Membre de la section du New Jersey de la Coalition for Statehood for Puerto Rico, M. Ramon Vazquez-Escudero a estimé que le résultat du plébiscite de 2024 montre clairement que le peuple portoricain « préfère devenir le cinquante et unième État de l’Union plutôt que d’opter pour l’indépendance ».  À ses yeux, les Portoricains veulent jouir des avantages associés au statut d’État fédéré, il ne serait ni juste ni démocratique de les priver de cette possibilité.

« Nous demandons la justice, pas la compassion », a abondé M. Ignacio Ros, Président d’un syndicat d’Atlanta, rappelant que les Portoricains ont voté quatre fois en 12 ans pour devenir un État fédéré.  Or, a-t-il déploré, le Congrès des États-Unis ne tient pas compte de ces consultations et prive le peuple portoricain de son droit d’être représenté.  « Ce n’est pas une démocratie, cela va à l’encontre des principes des Nations Unies. »  Pour que nous ne soyons plus considérés comme des « citoyens de seconde classe », il est impératif que Porto Rico devienne le cinquante et unième État américain, a appuyé Mme Beatriz Areizaga, membre de la délégation élargie du Congrès portoricain.

Le peuple portoricain a exprimé sa volonté lors de quatre plébiscites, en 2012, en 2017, en 2020 et en 2024, a insisté M. Mario Solano, du Statehood Texas Chapter.  « Son choix du statut d’État fédéré illustre un souhait collectif de parvenir à l’égalité », a-t-il analysé, estimant que le rejet de l’indépendance est aussi « un refus du marxisme caribéen ».

Dans ces conditions, comment comprendre que le Comité spécial adopte depuis 42 ans une résolution appelant à l’autodétermination et à l’indépendance, s’est interrogée Mme Zoraida Velez Beniquez, membre d’une délégation élargie du Congrès de Floride. Considérant que « l’indépendance est un leurre du colonialisme », elle a invité le Comité spécial à reconnaître les résultats de l’expression du peuple portoricain en faveur du statut d’État fédéré « libre et souverain » et de les inscrire dans le projet de résolution soumis au vote de l’organe.

De rares voix se sont aussi élevées pour proposer la réunification de Porto Rico avec l’Espagne. Le pétitionnaire Juan Manuel Cruz de Armas, résident et natif de l’île, a ainsi estimé qu’en redevenant une province espagnole, sa patrie « jouirait de l’égalité politique et de la capacité de gérer son économie, sans restrictions unilatérales et dans une relative harmonie, au sein de la nation que son peuple a forgée il y a cinq siècles ».

Le débat général qui a suivi ces prises de position a fait pencher la balance du côté de l’autodétermination et de l’indépendance.  Par la voix de Saint-Vincent-et-les Grenadines, le Groupe des Amis pour la défense de la Charte des Nations Unies a constaté que, depuis que cette question a été inscrite à l’ordre du jour du Comité spécial en 1972, aucun progrès n’a été réalisé dans le processus de décolonisation de Porto Rico, principalement en raison du manque de volonté politique de la Puissance administrante, soucieuse de consolider sa domination économique, politique et sociale sur cette nation.

Le Venezuela a, pour sa part, accusé « l’empire américain » de mener à son encontre des actions secrètes et d’espionnage en utilisant Porto Rico comme une simple base pour faire avancer son interventionnisme.  Pour la délégation, le Comité spécial ne peut et ne doit ignorer les implications plus larges de la question coloniale de Porto Rico, qui, loin de ne concerner que les États-Unis, se révèle être « une question géopolitique ayant des conséquences régionales, voire mondiales ».

Cuba a, elle, dénoncé le statut colonial actuel de Porto Rico, qui empêche son peuple de décider souverainement des graves problèmes économiques et sociaux qui l’affectent.  Une situation aggravée par la privatisation de services essentiels, tels que le système de production et de distribution d’électricité, et l’imposition de la « mal nommée Commission de surveillance budgétaire », qui conduisent à un renforcement de la subordination coloniale, au lieu de permettre au peuple portoricain d’exercer pleinement son droit inaliénable à l’autodétermination et à l’indépendance, s’est indignée la délégation.

Dans le prolongement de ces diatribes, le Comité spécial a adopté, sans mise aux voix, sa résolution relative à Porto Rico (A/AC.109/2025/L.7), laquelle demande de nouveau au Gouvernement des États-Unis d’assumer la responsabilité qui lui incombe de prendre des mesures qui permettront au peuple portoricain d’exercer pleinement son droit inaliénable à l’autodétermination et à l’indépendance, dans le strict respect de la résolution 1514 (XV) de l’Assemblée générale et de ses propres résolutions et décisions. 

Soumis par Cuba, l’État plurinational de Bolivie, la Fédération de Russie, le Nicaragua et le Venezuela, le texte demande en outre aux États-Unis de prendre des décisions souveraines afin de répondre d’urgence aux besoins économiques et sociaux de Porto Rico liés, notamment, au chômage, à la marginalisation, à l’insolvabilité et à la pauvreté, ainsi qu’aux problèmes relatifs à l’éducation et à la santé, qui se sont aggravés en raison des ravages causés par les ouragans Irma et Maria, des tremblements de terre survenus dans la zone sud-ouest de l’île et la pandémie de COVID-19.

Par cette résolution, le Comité spécial se déclare également gravement préoccupé par les actes commis contre des indépendantistes portoricains et souhaite que des enquêtes soient menées sur ces actes avec tout le sérieux nécessaire et avec la coopération des autorités compétentes.  Enfin, il décide de rester saisi de la question de Porto Rico.

 

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