Conseil de sécurité: le Moyen-Orient à l’épreuve de la catastrophe humanitaire à Gaza
« Aucun raccourci ne sera possible pour parvenir à une paix durable », a prévenu, au Conseil de sécurité, ce matin, la Coordonnatrice spéciale par intérim pour le processus de paix au Moyen-Orient. Soulignant que la relance de la solution des deux États, qui est « sous perfusion », exige une action décisive, Mme Sigrid Kaag a placé des espoirs dans la Conférence internationale de haut niveau pour le règlement pacifique de la question de Palestine et la mise en œuvre de la solution des deux États qui se tiendra du 17 au 20 juin à New York, coprésidée par la France et l’Arabie saoudite.
« La paix ne peut être ni transactionnelle, ni un arrangement partiel et temporaire; elle doit se construire sur le consensus et la légitimité internationaux, en passant de la gestion du conflit à sa résolution », a estimé la haute fonctionnaire. Cette réunion a cependant été dominée par la grave crise humanitaire dans laquelle s’enfonce la bande de Gaza, théâtre d’un déchaînement de violences dont les populations civiles sont les premières victimes.
Invité à s’exprimer devant le Conseil, M. Feroze Sidhwa, un chirurgien américain spécialisé en traumatologie et en soins intensifs, a témoigné de son action à Khan Younès, situé dans le sud de l’enclave, où il a exercé à titre volontaire à deux reprises depuis le 7 octobre 2023. Il a dit avoir assisté à la « destruction délibérée » d’un système de santé, au ciblage de ses collègues et à l’« anéantissement » d’un peuple. Expliquant qu’il avait été contraint d’opérer sans anesthésie dans des salles bondées et insalubres, l’urgentiste a dit n’avoir vu ni soigné aucun combattant pendant ses cinq semaines à Gaza. « Mes patients étaient des enfants de 6 ans avec des éclats d’obus dans le cœur et des balles dans la tête, des femmes enceintes au bassin pulvérisé et leurs fœtus coupés en deux alors qu’ils se trouvaient encore dans l’utérus ».
C’est aussi à Khan Younès que la pédiatre palestinienne Alaa Al-Najjar a perdu, le 23 mai, 9 de ses 10 enfants dans un bombardement israélien, a rappelé le représentant de l’Algérie, en brandissant une photo d’eux, tout en prononçant leurs noms. « Encore combien d’orphelins devront errer dans les ruines de Gaza? Combien de sang devra-t-il encore couler avant que ce Conseil reconnaisse que trop, c’est trop? » s’est impatienté le délégué.
La demande de l’Algérie, au nom du Groupe des États arabes, de mettre aux voix un projet de résolution pour la levée du blocus humanitaire a été soutenue par plusieurs délégations, dont la Slovénie, la Chine, le Pakistan et la France. La Fédération de Russie s’est également jointe à cet appel, en considérant qu’une telle adoption créerait des conditions favorables à la libération des otages israéliens et prisonniers palestiniens restants.
Au cours de cette séance, de nombreuses délégations, dont la Fédération de Russie et le Royaume-Uni, se sont élevées contre le dispositif mis en place par Israël pour acheminer l’aide humanitaire à Gaza par l’intermédiaire de la Gaza Humanitarian Foundation.
Bien qu’Israël ait récemment autorisé 400 camions à entrer à Gaza par le point de passage de Kerem Shalom, seuls 115 y ont acheminé l’aide, ont noté les Émirats arabes unis, au nom du Groupe des États arabes, soit « une goutte d’eau dans l’océan des besoins humanitaires », sachant qu’aucun n’a atteint le nord du territoire. Israël a, au contraire, insisté sur la viabilité du mécanisme mis en place, selon lui, pour éviter le pillage de l’aide par le Hamas. « Le Hamas sait que s’il perd le contrôle de l’aide, il perd le contrôle de la population de Gaza », a affirmé le représentant israélien qui a par ailleurs accusé l’ONU d’avoir « menacé » les ONG qui ont choisi de participer à la nouvelle initiative d’aide et de les avoir retirées de la base de données des ONG apportant de l’aide à Gaza.
Les États-Unis ont appelé pour leur part l’ONU à collaborer avec la Gaza Humanitarian Foundation et Israël afin de permettre l’acheminement direct de l’aide aux civils, « sans qu’elle soit détournée par le Hamas et d’autres groupes terroristes et criminels ». En attendant que ce mécanisme devienne pleinement opérationnel, ils ont fait part de leur appui à la nouvelle initiative visant à reprendre les flux d’aide par le biais des mécanismes préexistants.
Au vu du « chaos » qui a régné hier dans un centre de distribution d’aide à Gaza, le Groupe des États arabes a cependant enjoint Israël à autoriser la mise en œuvre du plan en cinq phases des Nations Unies « pour tous les nécessiteux ». Pour la délégation, le mécanisme proposé par Israël contreviendrait aux principes d’impartialité et de neutralité de l’action humanitaire et aux obligations d’Israël en vertu du droit international humanitaire. « Laissez entrer l’aide et permettez à l’ONU d’agir, maintenant », a déclaré le Royaume-Uni, en adressant ces mots au Premier Ministre Benjamin Netanyahu.
Le représentant de la République de Corée a relevé pour sa part que le plan d’aide humanitaire d’Israël entraînerait des déplacements forcés de civils palestiniens affamés à Gaza, en les contraignant par la promesse de nourriture à se déplacer vers les zones proches des sites de distribution. « La mise en place d’un système alternatif qui ne respecterait ni le droit international ni ses principes humanitaires et engendrerait des déplacements forcés de populations n’est pas acceptable », a tranché la France qui a noté en outre que les quantités extrêmement restreintes entrées ces derniers jours ne permettent pas de répondre aux besoins des populations, « a fortiori après 12 longues semaines de blocus total ».
« Après avoir vu la famine utilisée comme arme de guerre, nous voyons maintenant l’aide humanitaire utilisée comme arme de guerre », a asséné l’Observateur permanent de l’État de Palestine, en dénonçant le blocus total qui prive toute une population civile de nourriture, d’eau, de médicaments et d’abris, mais aussi un système d’aide « dégradant et discriminatoire », qui vise à déplacer la population de force et à faciliter l’accaparement illégal de terres. « Les images de personnes affamées et désespérées s’échappant en trombe des cages où elles avaient été enfermées pour obtenir de l’aide sont déchirantes », a déploré le représentant. La véritable préoccupation d’Israël est de savoir comment se débarrasser des Palestiniens en les tuant, en les affamant et en détruisant Gaza, a accusé l’Observateur, en retenant ses sanglots.
Tout en saluant l’action du Président américain Donald Trump, qui, de concert avec l’Égypte et le Qatar, met tout en œuvre, selon lui, pour parvenir à un cessez-le-feu permanent, l’Observateur permanent a assuré que l’Autorité palestinienne est prête à assumer pleinement ses responsabilités dans la bande de Gaza, tant en termes de gouvernance que de sécurité, avec le soutien et la présence de la communauté internationale. Pour cela, il est temps que les dirigeants palestiniens surmontent leurs divisions internes et se concentrent sur une gouvernance efficace et inclusive du territoire occupé, a toutefois estimé la Coordonnatrice spéciale. Cependant, a observé Mme Kaag, l’absence de processus politique pour mettre fin au conflit encours, conjuguée au blocage des réformes et aux mesures économiques, administratives et sécuritaires imposées par Israël, entrave considérablement les progrès. Un processus politique bien défini, largement soutenu et assorti d’un calendrier précis, assorti de garanties, est essentiel pour inverser la tendance actuelle.
La Sierra Leone a rappelé les conséquences d’une action internationale tardive ou inactive, évoquant l’échec mondial à prévenir les atrocités de masse au Rwanda et à Srebrenica, qualifiées ultérieurement de génocides par les tribunaux internationaux compétents.
Cette séance a également été marquée par la diatribe lancée par le représentant d’Israël contre le Secrétaire général adjoint aux affaires humanitaires, M. Tom Fletcher, accusé d’avoir utilisé, la semaine dernière, le terme de « génocide » à propos de l’État hébreu. Le représentant israélien y a vu une « rhétorique antisémite passée au filtre des droits humains ».
En vous livrant à une telle diffamation, ne soyez pas surpris de voir le sang répandu dans la rue, a-t-il lancé, évoquant notamment « l’assassinat antisémite », la semaine dernière à Washington, de deux employés de l’ambassade d’Israël aux États-Unis. Ce Conseil, a-t-il ajouté, est devenu un mégaphone pour cette haine.
Ces deux assassinats ont également été condamnés par les États-Unis qui ont eux aussi pris à partie le Coordonnateur des secours d’urgence avant d’appeler à redoubler d’efforts pour lutter contre la « montée écœurante » de l’antisémitisme dans le monde.
Suivez les délibérations: En direct de l'ONU | Couverture des réunions & communiqués de presse
La situation au Moyen-Orient, y compris la question palestinienne
Exposé
Aucun raccourci ne sera possible, a affirmé Mme Sigrid Kaag, Coordonnatrice spéciale par intérim pour le processus de paix au Moyen-Orient: « il ne peut y avoir de paix durable au Moyen-Orient sans une solution au conflit israélo-palestinien ». Or, la solution à deux États est sous perfusion; et sa relance exige une action décisive, a-t-elle prévenu.
Si Israël a le droit de vivre en paix et en sécurité, sa sécurité durable ne peut être obtenue uniquement par la force, a observé la haute fonctionnaire, pour qui elle doit reposer sur la reconnaissance mutuelle, la justice et les droits de tous. La prochaine conférence internationale de haut niveau en juin, coprésidée par la France et l’Arabie saoudite, représente une opportunité cruciale à cet égard. Elle ne doit pas être un nouvel « exercice rhétorique », mais ouvrir la voie à une solution concrète pour mettre fin à l’occupation et réaliser la solution à deux États. « Nous devons passer des déclarations aux décisions. Nous devons mettre en œuvre plutôt qu’adopter de nouveaux textes », a insisté Mme Kaag.
Depuis l’effondrement du cessez-le-feu en mars, les civils de Gaza sont constamment sous les tirs, confinés dans des espaces de plus en plus restreints et privés de secours vitaux, a rappelé la Coordonnatrice spéciale, en soulignant que l’ensemble de la population est menacé de famine. Le 18 mai, les Nations Unies ont été informées par les autorités israéliennes de l’approbation de la reprise de l’entrée d’une aide humanitaire limitée à Gaza: « Depuis lors, un nombre très limité de biens sont entrés et ont été distribués par l’ONU et ses partenaires humanitaires. Mais c’est comparable à un canot de sauvetage après un naufrage. » L’ONU, dont l’Office de secours et de travaux des Nations Unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA), continuera de fournir une aide humanitaire fondée sur les principes d’impartialité et de neutralité et ne participera à aucun mécanisme qui viole ces principes, a ajouté la haute fonctionnaire selon qui il ne peut être question de déplacement forcé.
Parallèlement, la Cisjordanie est sur une trajectoire dangereuse, avec l’accélération de son annexion de facto par l’expansion des colonies, les confiscations de terres et la violence des colons. À moins d’être inversées, ces évolutions rendront impossible la solution des deux États, a prévenu la Coordonnatrice spéciale. Les opérations de sécurité israéliennes dans le nord de la Cisjordanie, notamment dans les camps de réfugiés, et les échanges de tirs qui ont suivi ont fait de nombreux morts parmi les Palestiniens, dont des enfants, des milliers de déplacés et de nombreuses maisons démolies, a relaté Mme Kaag. Les attaques des militants palestiniens se sont également poursuivies, faisant des victimes civiles israéliennes, dont une femme enceinte.
Par ailleurs, il est temps que les dirigeants palestiniens surmontent leurs divisions internes et se concentrent sur une gouvernance efficace et inclusive du territoire palestinien occupé, a estimé la Coordonnatrice spéciale. Les réformes doivent se poursuivre pour garantir la viabilité, la légitimité et la capacité de l’Autorité palestinienne à assumer ses responsabilités dans la bande de Gaza. Cependant, a observé Mme Kaag, l’absence de processus politique pour mettre fin au conflit, conjuguée au blocage des réformes et aux mesures économiques, administratives et sécuritaires israéliennes, entrave considérablement les progrès.
Nous devons agir maintenant pour inverser la tendance actuelle. Un processus politique bien défini, largement soutenu et assorti d’un calendrier précis et de garanties, est essentiel à cet égard, a-t-elle souligné.