En cours au Siège de l'ONU

SG/SM/22191

Le monde ne peut se permettre de continuer à sacrifier l’avenir des pays en développement sur le bûcher de la dette, affirme le Secrétaire général

On trouvera, ci-après, les remarques du Secrétaire général de l’ONU, M. António Guterres, lors du débat de l’Assemblée générale sur la soutenabilité de la dette et l’égalité socioéconomique pour tous, à New York, aujourd’hui:

Je remercie le Président de l’Assemblée générale d’avoir convoqué les manifestations marquant la Semaine de la durabilité. 

Nous abordons aujourd’hui un sujet au cœur des enjeux d’un avenir durable : la dette. 

Pour les pays en développement, un monde endetté est un monde de souffrance. 

Dans ces pays, on peine à gravir l’échelle du développement avec une main liée dans le dos. 

La santé, la nutrition, l'éducation, l'énergie propre et les systèmes de protection sociale ne sont pas des « biens accessoires ». 

Ils ne sont pas un luxe. 

Ces systèmes constituent le socle vital de la prospérité, de l’égalité et de l’espoir pour tous les pays. 

Ils jouent un rôle clé dans la mise en œuvre de la Déclaration universelle des droits de l’homme, les objectifs de développement durable et nos engagements pour le climat. 

Nous sommes plus qu’à mi-chemin de l’échéance de 2030. Et près du point de non-retour pour la limite des 1,5 degrés.   

L'heure devrait être à l'accélération des investissements dans ces systèmes. 

Or, de nombreux pays sont confrontés à un raz de marée de problèmes financiers. 

Des conditions météorologiques de plus en plus violentes frappent les communautés et les économies. 

L’économie mondiale s’achemine lentement vers la fin de sa période de croissance quinquennale la plus lente jamais enregistrée depuis les années 90. 

La pandémie de COVID-19 et les répercussions mondiales de la guerre en Ukraine ont freiné la croissance et épuisé la marge de manœuvre budgétaire. 

Avant que les pays en développement n’aient pu reprendre leur souffle, une crise planétaire du coût de la vie et un choc inflationniste postpandémie ont frappé. 

Aujourd’hui, nous sommes confrontés à un déficit de financement estimé à 4 000 milliards de dollars par an par rapport au montant nécessaire pour atteindre les objectifs de développement durable d’ici à 2030. 

En septembre dernier, lors du Sommet sur les Objectifs de développement durable, les dirigeants mondiaux se sont entendus sur un audacieux plan de relance des objectifs de développement durable, qui serait financé à hauteur d’au moins 500 milliards de dollars par an au bénéfice des pays en développement, afin de remettre la réalisation de ces objectifs sur la bonne voie et d’investir dans les systèmes dont les populations ont besoin. 

Les dirigeants ont également –enfin– reconnu une vérité fondamentale établie de longue date. 

L’architecture financière internationale est défaillante. 

Loin de bénéficier d’un filet de sécurité, les pays en développement se retrouvent avec un système obsolète, dysfonctionnel et injuste, qui ne répond pas à leurs besoins. 

Leur isolement n’est pas un accident. 

Il est la conséquence inéluctable de la manière dont le système financier mondial a été conçu; il ne s’agit pas d’une faille du système, c’est ce qui le caractérise. 

Les institutions du système de Bretton Woods ont été conçues pour le monde de nos grands-parents, pas pour le monde contemporain, et encore moins pour celui de nos petits-enfants. 

Plus des trois quarts des pays qui existent aujourd’hui n’étaient pas représentés aux travaux qui ont abouti à la création de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international ; dans de nombreux cas, parce qu’ils étaient encore sous domination coloniale. 

Ces institutions ont été conçues par les pays développés les plus riches et restent sous leur emprise. 

Aujourd’hui, de nombreux pays en développement se retrouvent égarés dans le système de Bretton Woods, sans boussole. 

Je salue l'engagement et les efforts déployés par la direction de ces institutions pour améliorer leurs performances. Il est regrettable que leurs actions soient limitées par des règles obsolètes et des ressources insuffisantes. 

La gestion de la dette telle qu’elle est faite par cette architecture financière internationale est l’illustration la plus frappante de son échec. 

Les quatre dernières années n’ont été rien d’autre qu’une catastrophe en termes de dette. 

Les pays en développement subissent déjà la partialité des agences de notation, alors qu’ils paient des taux d’intérêt beaucoup plus élevés que les pays développés. 

En cette période postpandémie, les taux d’intérêt ont atteint des niveaux alarmants. 

Les frais de service de la dette forment un tsunami qui engloutit rapidement les plans de développement. 

Les pays doivent prendre des décisions extrêmement difficiles et même déchirantes en matière d’allocation de fonds. 

Vingt-cinq pays en développement consacrent plus d’un cinquième de leurs recettes fiscales au service de la dette extérieure. 

Les coûts d’emprunt sont si élevés que 3,3 milliards de personnes, soit environ 40% de la population mondiale, vivent dans des pays qui dépensent plus en paiements d’intérêts qu’en santé ou en éducation. 

Tous les fonds destinés au développement qui parviennent aux pays sont rapidement noyés par les torrents fougueux des taux d’intérêt et des versements au titre du service de la dette. 

En fait, en 2022, 52 pays en développement ont payé un total de 49 milliards de dollars de plus à leurs créanciers extérieurs qu’ils n’en ont reçu en nouveaux décaissements. 

Les signaux d’alerte sont visibles partout autour de nous. 

Rien qu’au cours de ces trois dernières années, on a enregistré 18 défauts de paiement de la dette souveraine dans 10 pays en développement, soit le nombre le plus élevé depuis deux décennies. 

En outre, 34 des pays les plus pauvres sont soit en situation de surendettement, soit exposés à un risque élevé de surendettement. 

Tout au long de cette période tumultueuse, les mécanismes multilatéraux ont été défaillants. 

L’Initiative de suspension du service de la dette était de portée et de durée trop limitées, la suspension expirant juste au moment où les taux d’intérêt s’envolaient. 

De plus, les créanciers privés n’ont offert aucune suspension du service de la dette. 

Parfois, le paiement d’une surtaxe a aggravé la situation. 

Au total, 17 pays versent plus de 2 milliards de dollars de surtaxes par an au FMI. 

Et les pays qui souhaitent restructurer leur dette s’enlisent dans de longues négociations avec leurs créanciers. 

Le Cadre commun, quelle qu’en ait été la finalité, s’est révélé trop lent et passif. 

Il exclut trop de pays qu’il est censé soutenir. 

À ce jour, seuls quatre pays ont eu recours au Cadre, ce qui témoigne de l’impression d’inefficacité qu’il donne et de son incapacité d’inspirer confiance. 

L’un de ces pays, la Zambie, a enduré plus de trois ans de négociations et de tracasseries administratives pour parvenir à un accord de restructuration global. 

Une action retardée est un déni de justice. 

Dans l’attente d’une aide, le Gouvernement s’est efforcé d’assainir ses finances, ce qui a eu de terribles incidences sur les services publics tels que la santé, la nutrition et l’éducation. 

Tout cela est plus que contre-productif. 

C’est immoral. 

C’est néfaste. 

Il faut que cela change. 

Dette après dette, faillite après faillite, surtaxe après surtaxe – combien d’avertissements nous faut-il encore entendre avant d’agir? 

Il faut tendre une bouée de sauvetage aux pays en développement pour qu’ils s’extraient de la dette dans laquelle ils sont enlisés. 

Premièrement, il nous faut des actions qui donnent vie au plan de relance des objectifs de développement durable. 

Nous devons augmenter considérablement les financements à bas coût et à long terme, principalement par l’intermédiaire des banques multilatérales de développement. 

Je renouvelle mes appels à la recapitalisation des banques multilatérales de développement et à la réorientation des droits de tirage spéciaux inutilisés vers les pays qui en ont besoin. 

Nous devons également trouver à tirer parti des vastes sommes de capitaux mobilisables dont les pays actionnaires des banques multilatérales de développement disposent auprès des banques centrales. 

Il nous faut donc travailler avec les banques multilatérales de développement, les banques centrales et les agences de notation afin d’autoriser des volumes plus importants de prêts à faible coût consentis par les banques multilatérales de développement pour aider les pays en développement qui investissent dans le développement. 

Il nous faut, aussi, aller plus loin dans le déploiement de mécanismes de financement novateurs, tels que les obligations hybrides, afin d’accroître la capacité de prêt, d’attirer davantage de capitaux privés vers les projets et d’élargir la taille et la portée des prêts. 

Dans le même temps, il nous faut veiller à ce que tout nouveau financement à des conditions concessionnelles ne s’évapore pas dans les paiements au titre du service de la dette. 

Je renouvelle mon appel aux créanciers pour qu’ils étudient la possibilité de surseoir à la dette des pays vulnérables. 

J’exhorte les institutions financières internationales à aider les pays à restructurer leur dette pour créer un espace propice aux investissements d’urgence. 

J’appelle, enfin, le FMI à suspendre temporairement les majorations de taux d’intérêt en cette période de liquidités réduites. 

Deuxièmement, il est temps de réformer en profondeur l’architecture financière mondiale et, en particulier, sa manière d’envisager la dette. 

Qu’il s’agisse d’améliorer la transparence de la dette, d’augmenter les prêts en monnaie locale, de mettre au point de nouveaux titres de dette ou des processus de restructuration plus rapides et plus équitables, nous devons trouver de nouveaux moyens qui permettent aux pays d’emprunter de manière audacieuse et durable lorsqu’ils en ont besoin. 

Par-dessus tout, nous devons accroître la représentation des pays en développement dans le système et dans toutes les décisions qui sont prises. 

Ces pays doivent être entendus. 

Ils méritent d’être entendus. 

Il est plus que temps d’agir. 

Le Sommet de l’avenir, en septembre prochain, et la Conférence sur le financement du développement de l’année prochaine sont deux manifestations phares destinées à faire avancer ces idées, combler les lacunes persistantes dans l’architecture de la dette mondiale et rendre justice aux pays en développement. 

Le système financier mondial est en panne, mais il n’est pas irréparable. 

Le monde ne peut se permettre de continuer à sacrifier les projets et l’avenir des pays en développement sur le bûcher de la dette. 

Saisissons cette chance de bâtir un système multilatéral plus efficace et plus juste – un système qui réponde aux besoins du monde d’aujourd’hui avec souplesse, avec empathie et, surtout, avec justice. 

Un système qui contribue à rétablir la confiance dans les solutions multilatérales. 

Et qui soit adapté au monde que nous laisserons à nos petits-enfants, et non au monde d’il y a quatre-vingts ans. 

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