9934e séance – matin
CS/16084

Le Conseil de sécurité débat de la cessation complexe des activités du Mécanisme des Tribunaux pénaux pour l’ex-Yougoslavie et le Rwanda

Ce matin, le Conseil de sécurité a étudié l’avancement des travaux du Mécanisme international appelé à exercer les fonctions résiduelles des Tribunaux pénaux. Ce dernier a été créé en 2010 comme structure temporaire, afin de remplir les missions résiduelles du Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) et du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY), fermés respectivement en 2015 et 2017.  Il assure notamment les procédures d’appel et de révision, le contrôle de l’exécution des peines, l’assistance aux juridictions nationales et la gestion des archives du TPIR et du TPIY.  En 2024, la résolution 2740 du Conseil de sécurité prorogeait son mandat jusqu’au 30 juin 2026.

À cette occasion, les membres du Conseil ont écouté l’intervention de Mme Graciela Gatti Santana, Présidente du Mécanisme, qui a évoqué le travail récent de l’institution.  Depuis novembre dernier, a-t-elle expliqué, les juges du Mécanisme ont émis plus de 100 décisions et ordonnances, dont 30 relatives à l’accès à des informations confidentielles et sur des demandes de modification de mesures de protection.  À ce titre, le Mécanisme continue de jouer un rôle important pour la protection des témoins, a-t-elle relevé.

Également présent à cette session, M. Serge Brammertz, Procureur du Mécanisme, a dénombré 177 requêtes d’assistance formulées par 11 États Membres.  Le Rwanda a ainsi sollicité l’aide de l’institution pour identifier plus de 1 000 fugitifs impliqués dans le génocide de 1994.  Dans ce cadre, plusieurs d’entre eux ont été localisés et 65 dossiers ont été clos.  En outre, il y a deux mois, le Mécanisme a remis au Premier Procureur de Bosnie-Herzégovine un dossier détaillé concernant des personnes suspectées d’avoir commis des crimes contre l’humanité, a-t-il ajouté.

La Présidente a en outre explicité certains efforts déployés en vue de transférer les fonctions du Mécanisme et de réduire ses coûts de fonctionnement.  En mai, elle a ainsi soumis au Comité du Règlement du Mécanisme des propositions en vue de limiter certaines procédures gourmandes en ressources.  Elle a également mentionné sa directive visant à élargir les possibilités d’échange avec des États, lesquels peuvent se charger de l’exécution des peines des détenus aujourd’hui placés sous l’autorité du Mécanisme, à son quartier pénitentiaire de La Haye.

Mme Gatti Santana a toutefois préconisé certaines distinctions concernant le transfert des fonctions du Mécanisme vers des pays tiers.  Elle a ainsi estimé que le contrôle des conditions d’emprisonnement pourrait être confié à des États.  En revanche, elle s’est montrée plus réservée sur le transfert de fonctions comme l’examen des demandes de grâce, les commutations de peine ou les libérations anticipées.  Selon elle, ces prérogatives doivent être maintenues au niveau de la justice internationale afin d’éviter toute inégalité de traitement et préserver l’intégrité du cycle de la justice.

Plusieurs pays ont salué les efforts du Mécanisme en vue de réduire ses coûts opérationnels.  Ainsi, la Sierra Leone s’est félicitée de la diminution programmée du nombre d’employés de 234, actuellement, à 112 au 31 décembre 2025.  La France, quant à elle, s’est réjouie de la baisse de son budget de 21 millions de dollars entre janvier 2023 et janvier 2025.  Le délégué a estimé que le Mécanisme a ainsi tiré les conséquences du fait qu’il n’y a plus aucun fugitif mis en accusation pour des crimes principaux —leur poursuite fait partie de ses fonctions— et qu’il est entré dans la seconde année de sa phase résiduelle.  « Nous attendons que ces efforts soient poursuivis dans la préparation de son budget pour 2026 », a-t-il toutefois averti.

D’autres délégations ont tenu à souligner l’importance des fonctions que continue d’exercer le Mécanisme.  Ainsi, la Croatie a salué la préservation du vaste corpus de faits établi par les Tribunaux, jugeant cette fonction essentielle pour lutter contre « les tentatives persistantes de révisionnisme historique ».  À ce titre, le délégué a qualifié d’inacceptables la glorification des criminels de guerre condamnés et la négation des crimes, notamment du génocide commis à Srebrenica en 1995.  La Slovénie, évoquant elle aussi l’importance du rôle mémoriel joué par l’institution, a également souligné le nombre accru de demandes d’assistance des États. 

La Bosnie-Herzégovine a, quant à elle, souligné son appui aux fonctions essentielles du Mécanisme afin d’assurer l’exécution des peines, la numérisation de ses archives ainsi que son assistance dans les poursuites nationales. Ses demandes d’assistance représenteraient 80% des demandes régionales, a expliqué le délégué.  Il a applaudi l’innovation et le courage du Conseil de sécurité, qui aurait ainsi permis l’avancement du droit international sur le génocide, les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre.   

Pour sa part, le Rwanda a renouvelé son appel pour le transfert des archives du TPIR à Kigali.  Ces documents sont d’une grande importance historique et doivent être à disposition du peuple rwandais, en particulier des survivants et de leurs familles, a estimé le délégué.  Il a également demandé que M. Fulgence Kayishema, arrêté pour crimes de guerre en 2023 lors d’une opération conjointe des autorités sud-africaines et du Mécanisme, soit remis à ce dernier.

La question de l’arrêt futur des activités du Mécanisme a occupé une importante partie des débats.  Certaines délégations ont souhaité voir se poursuivre la diminution progressive de ses fonctions, à l’image du Rwanda, partisan d’une fermeture qui ne soit « pas brutale, mais menée de manière coordonnée ».  Pour sa part, la Chine a tenu à rappeler la nature temporaire du Mécanisme, conformément à la résolution 1966 (2010) du Conseil de sécurité, préconisant la réduction progressive de ses fonctions et, en attendant la pleine exécution de son mandat, l’optimisation de ses ressources.  À ce titre, le délégué chinois a déploré l’existence de doublons dans les dispositions et dans les effectifs de l’institution. 

Pour sa part, la Fédération de Russie a considéré que la séance sert surtout à détourner l’attention des questions importantes.   Les débats auraient dû porter sur des mesures pratiques afin d’assurer le repli du Mécanisme qui « en a fini avec ses fonctions judiciaires », s’est irrité le représentant.  Au lieu de cela, et alors que l’ONU traverse une crise financière, la réunion du Conseil aura tenté de prouver le caractère « intouchable » d’un mécanisme créé comme une structure temporaire à effectifs réduits.  Il a lancé un appel à sa fermeture, estimant qu’il est aisé pour le Conseil de sécurité d’adopter une décision en vue de répartir les « modestes » fonctions résiduelles du Mécanisme entre les organes de l’ONU et les États Membres. 

Le représentant russe a également dénoncé les conditions de détention des détenus serbes au Royaume-Uni, en Estonie ou à La Haye.  Il a mentionné des violences physiques et psychologiques, des entraves procédurières contre leurs avocats ou l’absence de soins médicaux appropriés.  Évoquant l’état de santé de M. Ratko Mladić, détenu à La Haye, il a jugé « inhumaine » la décision de refuser sa demande de libération anticipée. Un point également soulevé par la Serbie, qui a fustigé un durcissement « injustifié » des conditions de libération anticipée ou de liberté provisoire sous le mandat de l’ancien Président du Mécanisme, M. Carmel Agius.  Le Mécanisme serait ainsi passé de 82% de taux d’approbation des libérations anticipées pour la période 1999-2018, à moins de 12% pour la période 2019-2025, s’est insurgé le représentant. 

De plus, le délégué serbe a rejeté les accusations de non-coopération lancées à son encontre par le Mécanisme pour avoir refusé d’extrader M. Petar Jojić et Mme Vjerica Radeta.  Selon lui, la Serbie agit conformément aux résolutions du Conseil de sécurité, lequel demande au Mécanisme de proposer une option concernant le transfert de ses activités.  À ce titre, a-t-il déploré, c’est le Mécanisme qui est allé l’encontre des requêtes du Conseil en refusant de renvoyer l’affaire Jojić et Radeta à la justice serbe.  Poursuivant, il a réitéré sa demande pour que les détenus serbes purgent leur peine en Serbie, assurant de la volonté de son pays d’exécuter les peines sous la supervision du Mécanisme.

 

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Mécanisme international appelé à exercer les fonctions résiduelles des Tribunaux pénaux

Exposé

Mme GRACIELA GATTI SANTANA, Présidente du Mécanisme international appelé à exercer les fonctions résiduelles des Tribunaux pénaux (MIFRTP), a rappelé que la séance a lieu un mois avant la trentième commémoration du génocide commis à Srebrenica.  Elle a rappelé que près de 8 000 hommes et garçons musulmans de Bosnie ont été systématiquement exécutés, et 30 000 femmes, enfants et personnes âgées, déplacés de force en juillet 1995.  Le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie, et le Mécanisme par la suite, ont confirmé qu’un génocide avait été perpétré à Srebrenica, a-t-elle insisté.  De même, elle a rappelé que le Tribunal pénal international pour le Rwanda a conclu que le génocide des Tutsis au Rwanda en 1994 est un fait historique échappant à toute contestation raisonnable. 

Le Mécanisme continue de s’engager en faveur de la justice et de l’établissement des responsabilités, a poursuivi la Présidente.  Ainsi, en novembre dernier, la Chambre d’appel du Mécanisme a prononcé son arrêt dans la procédure en révision engagée à l’initiative de M. Gérard Ntakirutimana, a-t-elle rappelé, saluant la capacité du Mécanisme à traiter une question complexe d’une manière efficace.  De même, elle a évoqué les plus de 100 décisions et ordonnances rendues par les juges du Mécanisme depuis novembre dernier, dont un tiers environ relatives à l’accès à des informations confidentielles et sur des demandes de modification de mesures de protection. 

Abordant la problématique de l’exécution des peines, Mme Gatti Santana a mentionné la demande en libération pour des raisons humanitaires de M. Ratko Mladić, détenu au quartier pénitentiaire du Mécanisme à La Haye.  Dans ce cadre, elle a assuré que les normes internationales sont pleinement respectées pour les détenus placés sous l’autorité du Mécanisme, et que l’intéressé bénéficie de soins de qualité.  Elle a également évoqué la situation de M. Félicien Kabuga, détenu au quartier pénitentiaire du Mécanisme à La Haye en l’absence d’un État pour sa mise en liberté provisoire; inapte à prendre l’avion, il ne peut se rendre au Rwanda, seul pays disposé à le recevoir. 

Déplorant le refus de la Serbie d’exécuter les mandats d’arrêt prononcés contre M. Petar Jojić et Mme Vjerica Radeta, la Présidente a lancé un appel à la coopération des États Membres, seul moyen de permettre au Mécanisme de remplir ses fonctions pour un coût raisonnable.  Dans ce cadre, elle a souhaité que des États s’engagent à assurer l’exécution de la peine de M. Félicien Kabuga, mais aussi des condamnés MM. Ratko Mladić, Jovica Stanišić et Mićo Stanišić. 

Mme Gatti Santana a toutefois tenu à apporter ses recommandations concernant de tels transferts.  Selon elle, la fonction de contrôle de l’exécution des peines, qui relève de la Présidente du Mécanisme, pourrait être confiée à des États, notamment le contrôle des conditions d’emprisonnement. Cependant, elle a jugé que le cycle de la justice pourrait être mis en péril si certaines considérations étaient dispersées entre diverses juridictions nationales, dont l’examen des demandes de grâce, les commutations de peine ou les libérations anticipées.  En outre, un tel transfert entraînerait une inégalité de traitement, a-t-elle averti.  À ce titre, elle a préconisé que de telles activités soient maintenues au niveau de la justice internationale. 

Les fonctions du Mécanisme continuent d’assurer des droits fondamentaux, a poursuivi la juge, évoquant la protection des témoins et le contrôle de l’intégrité des procédures internationales.  S’agissant des questions juridiques et pratiques complexes que soulèvent de tels transferts aux États, elle a préconisé la conduite de délibérations approfondies.  Dans ce cadre, et compte tenu du rythme encore soutenu auquel le Mécanisme poursuit ses activités judiciaires, elle a jugé préférable de maintenir ces fonctions au niveau judiciaire international. 

Enfin, la Présidente a évoqué ses efforts en vue de rationaliser le travail du Mécanisme, conformément aux directives du Conseil de sécurité.  En mai, a-t-elle rappelé, elle a soumis au Comité du Règlement du Mécanisme des propositions de modification des règlements en vue de limiter certaines procédures gourmandes en ressources.  Elle a également mentionné sa directive visant à rationaliser le processus de désignation et à élargir les possibilités d’échange avec des États qui pourraient se charger de l’exécution d’une peine. 

« La justice n’est pas une activité limitée dans le temps, mais un engagement continu », a déclaré la Présidente en conclusion.  À ce titre, le Mécanisme est le garant de cet engagement sur la durée, préserve les vérités juridiques établies par les Tribunaux pour l’ex-Yougoslavie et pour le Rwanda, veille à l’établissement des responsabilités et réaffirme la dignité des victimes et des survivants.  Soulignant les ressources limitées qui lui sont accordées, elle a réitéré la résolution du Mécanisme à s’acquitter de son mandat à un coût que la communauté internationale peut assumer. 

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