En cours au Siège de l'ONU

9796e séance – matin
CS/15914

Ukraine: les craintes d’escalade se cristallisent au Conseil de sécurité autour du tir d’un missile balistique russe à capacité nucléaire sur Dnipro

(En raison de la crise de liquidités qui affecte l’Organisation des Nations Unies, la Section des communiqués de presse est contrainte de modifier le format de la couverture des réunions.)

Le Conseil de sécurité s’est réuni aujourd’hui pour débattre de la guerre en Ukraine à la demande de celle-ci après les derniers événements considérés comme une escalade dans le conflit: déploiement dans la région russe occupée de Koursk de troupes nord-coréennes, niées par Moscou, et tir par la Russie sur la ville ukrainienne de Dnipro d’un missile balistique expérimental de portée intermédiaire, véhicule potentiel pour des têtes nucléaires, en réponse à l’utilisation par l’Ukraine de missiles américains ATACMS sur son territoire. 

En début de séance, le Sous-Secrétaire général pour l’Europe, l’Asie centrale et les Amériques, M. Miroslav Jenča, a présenté un bilan de la situation en Ukraine devant les membres du Conseil. 

M. Jenča a notamment fait remarquer qu’alors que le conflit a passé le cap des 1 000 jours, il vient encore de connaître une nouvelle escalade.  Citant les autorités ukrainiennes, il a précisé que le missile expérimental russe dit « Oreshnik » lancé sur Dnipro le 21 novembre était équipé de six ogives, chacune contenant six sous-munitions, et n’aurait mis que 15 minutes pour parcourir les 1 000 kilomètres séparant sa cible de son site de lancement.  Il s’est alarmé des déclarations du Président russe, ainsi que des autorités russes, qui évoquent d’autres frappes avec ce type de missile.

L’emploi de ce type d’armes représente une dangereuse escalade, a averti le Sous-Secrétaire général.  Autre signe alarmant, hier la Russie a lancé une attaque de drones d’une ampleur sans précédent avec 188 appareils, a-t-il rappelé.  Dans ce cadre, M. Jenča a notamment rappelé les parties à leur obligation de prendre « toutes les précautions possibles dans le choix des moyens et méthodes d’attaque » pour éviter ou réduire au minimum les pertes en vies humaines parmi les civils.

Tir du missile « Oreshnik »: escalade russe ou réponse russe à l’escalade occidentale?

La plupart des intervenants ont considéré que l’emploi du missile Oreshnik par la Russie représente une grave escalade, susceptible d’aggraver le risque nucléaire. 

La République de Corée a ainsi estimé que l’emploi d’un missile balistique à portée intermédiaire équipé de plusieurs têtes et à capacité nucléaire « brouille dangereusement les frontières entre guerre conventionnelle et guerre nucléaire ».  Le représentant sud-coréen a également rappelé que le 19 novembre, la Russie a annoncé la révision de sa doctrine nucléaire, laquelle permet désormais une réponse nucléaire à l’agression d’un État non doté si elle est soutenue par un État doté d’armes nucléaires, abaissant ainsi le seuil d’engagement nucléaire. 

Le Japon, évoquant son statut de seul pays victime de l’utilisation de bombes nucléaires, a estimé que le Conseil de sécurité ne devrait pas permettre cette révision.  « L’Ukraine n’est pas un terrain d’essai pour de nouvelles armes », s’est pour sa part indignée la représentante du Royaume-Uni. 

Les délégations ont été en revanche nombreuses à défendre l’utilisation par l’Ukraine de missiles à longue portée américains ATACMS pour viser le territoire russe, après que les États-Unis l’y eurent autorisée.  La France a ainsi rappelé que le droit de légitime défense inclut la possibilité de cibler les sites militaires de l’agresseur.  L’Union européenne a évoqué le même argument, au titre de l’Article 51 de la Charte des Nations Unies.  Les États-Unis ont expliqué qu’il s’agissait là de la raison pour laquelle ils ont fourni à l’Ukraine des centaines de ces missiles.

Le représentant de l’Ukraine a assuré que, contrairement à la Russie, son pays ne visait pas les zones résidentielles ou les infrastructures civiles, mais les postes de commandement militaire, les aérodromes, les arsenaux et les sites de lancement de missiles.  Chaque cible touchée signifie qu’une vie ukrainienne est sauvée, qu’une maison ou une centrale électrique est préservée, a assuré le délégué.  Dans ce contexte, il a refusé de considérer comme une escalade les frappes de son pays sur le territoire russe.  C’est en Russie que s’accélère la production d’armes, lesquelles ne seront pas utilisées uniquement contre l’Ukraine, « malgré les illusions de ceux qui espèrent acheter quelques années de paix », a-t-il averti.

La Russie a renversé ces accusations.  Selon son représentant, le « régime de Zelenskyy », acculé face aux avancées russes sur le front, ne voit pas d’autre choix pour « sauver sa peau » que d’intensifier le conflit et d’entraîner l’OTAN dans l’escalade.  En outre, évoquant la corruption des autorités ukrainiennes, mais aussi du Gouvernement actuel des États-Unis, il les a accusés de souffler sur les braises dans le but de détourner l’attention et de se prémunir contre l’audit que ne manquera pas de lancer le prochain Président des États-Unis.  Ces « manœuvres de corrompus » échapperaient à l’attention, si elles ne mettaient pas le monde au bord d’un conflit nucléaire, a affirmé le représentant. 

Le délégué russe a expliqué que c’est en réponse à l’utilisation par l’Ukraine de missiles ATACMS sur le territoire russe –« la véritable escalade, c’est le feu vert donné par l’Occident à Kiev pour utiliser des armes à longue portée à l’encontre de la Russie »- que la Russie a employé pour la première fois son nouveau système balistique, qu’il a présenté comme « un des systèmes de missiles les plus modernes », dont « l’efficacité n’a pas sa pareille dans le monde » et que « le système de défense américaine en Europe ne peut pas les intercepter ».  « À chaque rouage de l’escalade il y aura une réponse équivalente de notre part », a-t-il averti. 

Toutefois, le Président ukrainien ne semble pas avoir compris le message, a déploré le représentant russe en mentionnant l’utilisation par l’Ukraine, quatre jours plus tard, de nouveaux missiles à longue portée dans la région de Koursk.  « Nous vous avions prévenu, mais vous ne nous avez pas écoutés », a-t-il poursuivi, avant de menacer encore en précisant que la Russie se réserve le droit de frapper les infrastructures militaires des pays qui permettent d’utiliser leurs armes contre ses propres installations.

Le représentant de la République populaire démocratique de Corée est venu prendre la défense de la Russie.  Reprenant l’argumentation de cette dernière, son représentant a jugé appropriée la riposte du 21 novembre, au regard des frappes ukrainiennes sur sol russe à l’aide de missiles américains sol-sol ATACMS et de missiles britanniques air-sol Storm Shadow.  Il a estimé qu’il s’agissait là d’un juste exercice de légitime défense, de même qu’un avertissement aux Occidentaux.

Les troupes nord-coréennes de nouveau évoquées

Le soutien militaire de la RPDC a par ailleurs mobilisé une nouvelle fois une bonne partie du débat, en raison de la présence de troupes nord-coréennes dans la région russe de Koursk occupée par l’Ukraine.  La question avait déjà été évoquée spécifiquement lors d’une séance du Conseil le 30 octobre puis lors de celle du 18 novembre, à l’occasion du millième jour de l’invasion russe.  

Les États-Unis, dénonçant une violation des résolutions du Conseil de sécurité, ont évoqué la présence de 10 000 soldats nord-coréens sur les lieux du conflit, ainsi que le transfert de plus de 100 missiles balistiques et 18 000 conteneurs de munitions de la RPDC vers la Russie. 

Le représentant russe a balayé comme « absurdes » les accusations concernant cette présence nord-coréenne, tout comme celles plus anciennes concernant l’utilisation par Moscou de missiles iraniens, avant d’ironiser sur ce que Kiev et les Occidentaux « pourraient imaginer la prochaine fois: des Martiens? des petits hommes verts? » 

Pour l’Ukraine en revanche, la RPDC « entre désormais pleinement dans la guerre ».  Son représentant a évoqué un contingent militaire qui pourrait rapidement être porté à 100 000 soldats, ainsi que des rapports révélant un accroissement de ses capacités de production d’armes, dont les missiles KN­23, lesquels auraient déjà été employés par la Russie contre l’Ukraine.  Or, le soutien de la RPDC a un prix, à savoir l’accès aux technologies russes dans les domaines militaires, balistiques ou nucléaires, a-t-il averti.  « Ne pas agir de manière décisive sera bien plus coûteux à long terme que de prendre des mesures fortes et opportunes aujourd’hui », a-t-il déclaré, lançant un appel à soutenir son pays et à intensifier la pression internationale sur la Russie et la RPDC.

Pour sa part, l’Estonie a mentionné des signalements récents selon lesquels la Russie recruterait « de la chair à canon au Yémen ».  Elle s’est alarmée que des militaires et des mercenaires du monde entier soient recrutés pour combattre au cœur de l’Europe afin de satisfaire les ambitions néocoloniales et impériales de la Russie. 

Le représentant estonien a également exhorté la Chine, en tant que membre permanent du Conseil de sécurité, d’exercer sa diplomatie pour mettre un terme à la guerre d’agression de la Russie contre l’Ukraine.  Un appel qui faisait écho à celui des États-Unis, lesquels ont eux aussi demandé à la Chine d’user de son influence sur la RPDC pour éviter une nouvelle escalade. 

Répondant à cette dernière requête, la Chine a estimé qu’un règlement rapide de la crise implique de conjuguer les talents de la communauté internationale.  Le représentant chinois a appelé toutes les parties, en particulier les États-Unis, « à travailler avec la Chine » dans ce but.  Évoquant la position inchangée de son pays en faveur de négociations, il a rappelé avoir dialogué avec la Russie, l’Ukraine et toutes les parties concernées et avoir mené « une diplomatie dans l’ombre, par le biais d’un représentant spécial ». 

MAINTIEN DE LA PAIX ET DE LA SÉCURITÉ DE L’UKRAINE

Déclaration

M. Miroslav Jenča, Sous-Secrétaire général pour l’Europe, l’Asie centrale et les Amériques, a rappelé que le conflit en Ukraine a récemment passé le cap des 1 000 jours, ce qui n’empêche pas de récentes escalades.  En plus des rapports faisant état de déploiement de troupes de la République populaire démocratique de Corée (RPDC) dans la zone de conflit, la ville ukrainienne de Dnipro a, le 21 novembre, été frappée par un missile balistique russe de portée intermédiaire, a-t-il rappelé.  Citant les autorités ukrainiennes, il a précisé que le projectile était équipé de six ogives, chacune contenant six sous-munitions, et n’aurait mis que 15 minutes pour parcourir les 1 000 kilomètres séparant Dnipro de son site de lancement. 

M. Jenča a fait observer que le Président de la Fédération de Russie a confirmé que son pays avait testé un nouveau missile conventionnel de portée intermédiaire baptisé « Oreshnik », mesure présentée comme la réponse à l’utilisation de missiles à longue portée, fournis par l’Occident, par les forces armées ukrainiennes contre le territoire russe.  De même, le Président russe a déclaré vouloir continuer à tester le nouveau missile, tandis que les autorités russes ont signalé hier l’éventualité de nouvelles frappes de ce type.

Admettant ne pas disposer de détails supplémentaires sur le type d’armes utilisées, le Sous-Secrétaire général a toutefois considéré que l’emploi de missiles balistiques représente une dangereuse escalade.  Dans ce cadre, il a notamment rappelé les parties à leur obligation de prendre « toutes les précautions possibles dans le choix des moyens et méthodes d’attaque » pour éviter ou réduire au minimum les pertes en vies humaines parmi les civils et les dommages aux biens de nature civile.  Il a évoqué les ravages provoqués en Ukraine par les frappes russes, et en particulier le lancement, hier, de 188 drones contre 17 régions du pays, une opération d’une ampleur inégalée. 

Depuis février 2022, au moins 12 162 civils ukrainiens ont été tués et 26 919 blessés, a rappelé M. Jenča.  Déplorant le coût grandissant de cette guerre, trop élevé pour le peuple ukrainien et pour le monde, le Sous-Secrétaire général a lancé un appel pour inverser le cycle dangereux de l’escalade, préconisant à ce titre une véritable volonté politique et des efforts diplomatiques inclusifs. 

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