Conseil de sécurité: la Russie réaffirme ses objectifs pour l’Ukraine lors d’une séance marquée par les tensions entre une Chine « offensive » et les États-Unis
(En raison de la crise de liquidités qui affecte l’Organisation des Nations Unies, la Section des communiqués de presse est contrainte de modifier le format de la couverture des réunions.)
À la demande de la Fédération de Russie, le Conseil de sécurité a tenu ce matin une réunion d’information sur l’Ukraine, pour discuter une nouvelle fois de la fourniture d’armes occidentales à l’Ukraine. La séance a été marquée par de vifs échanges entre les délégations russe et chinoise, et les États-Unis, lesquels ont annoncé en fin de séance de nouvelles informations concernant la présence de soldats de la République populaire démocratique de Corée (RPDC) à Koursk en Russie.
Se gaussant de la « réalité orwellienne » dans laquelle vivent aujourd’hui les pays occidentaux, la Fédération de Russie a estimé que le « régime fragile de Kiev », qu’elle accuse d’avoir perdu toute légitimité auprès de sa population, ne tient que grâce à l’intervention directe et au soutien de ses alliés occidentaux.
Ces derniers ont décidé d’infliger une défaite stratégique à la Russie par l’intermédiaire du régime de Kiev, a dénoncé le représentant russe, qui a promis que tous les objectifs de « notre opération spéciale » y compris « la démilitarisation et la dénazification de l’Ukraine », « restent en vigueur et ne changent pas ».
Le représentant a prévenu en outre qu’il n’y aurait pas de répétition du scénario des accords de Minsk, et moins encore de gel du front pour que le « régime de Zelenskyy » puisse « panser ses plaies ». Enfin, il n’y aura pas non plus d’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN « sous quelque forme que ce soit », a-t-il martelé.
Si, à l’image de Malte, certaines délégations ont une nouvelle fois déploré ce qu’elles considèrent comme des séances sans objet faisant perdre son temps au Conseil de sécurité, plusieurs membres « occidentaux » ont aussi saisi l’occasion pour affirmer un fois de plus, à l’instar du Royaume-Uni et de la France, leur soutien politique et militaire à l’Ukraine pour qu’elle puisse exercer son droit à la légitime défense. L’Ukraine est un « pays assiégé et doit être en mesure de se défendre, comme le prévoit le cadre juridique international », a ainsi fait valoir la Slovénie.
Les transferts d’armes et de munitions et autres formes d’assistance militaire aux forces armées ukrainiennes sont accessibles par le biais de sources ouvertes, a rappelé dans sa présentation liminaire le Directeur du Bureau des affaires de désarmement et Haut-Représentant adjoint pour les affaires de désarmement, M. Adedeji Ebo.
M. Ebo a également rappelé que des transferts ou intentions de transfert d’armes telles que des drones, des missiles balistiques et des munitions aux forces armées russes avaient été signalés, et que ces armes auraient été utilisées ou pourraient être employées en Ukraine.
La séance a aussi donné l’occasion de revenir sur la question de l’envoi de troupes de la République populaire démocratique de Corée (RPDC) en Russie près de la frontière ukrainienne, qui avait déjà fait l’objet d’une séance du Conseil hier. L’implication directe de la Corée du Nord dans la guerre en Ukraine fait peser de graves menaces sur la sécurité de l’Europe, de l’Asie du Nord-Est et au-delà, s’est inquiétée la République de Corée, promettant de « répondre résolument » à toute menace pour sa sécurité nationale.
« Nous avertissons la Russie de ne pas se livrer à une erreur de calcul aussi dangereuse », ont réagi les États-Unis, qui se sont toutefois dits convaincus que, même avec le soutien de la RPDC, les forces russes ne l’emporteront pas en Ukraine.
En fin de séance, le représentant des États-Unis a d’ailleurs repris la parole pour annoncer que son pays avait reçu « il y a quelques minutes, des informations faisant état de la présence de 8 000 soldats de la RPDC dans la région de Koursk », avant de se tourner vers la délégation russe pour lui demander si elle « continue de nier cette présence ». Sans obtenir de réponse.
Au passage, les États-Unis ont également pointé du doigt l’Iran qui, selon eux, a fourni au Kremlin des drones armés et des missiles balistiques de courte portée, sapant la sécurité de l’Europe et du Moyen-Orient.
Mais c’est avec la Chine que les échanges de la délégations américaine ont été les plus aigres.
Son pays ayant été mis en cause à plusieurs reprises ces derniers jours pour son soutien présumé à la Russie, le représentant chinois, estimant que son homologue américain allait une nouvelle fois « discréditer et calomnier la Chine et lancer des accusations », a annoncé qu’il « allait à l’offensive » et serait cette fois « le premier à dire certaines choses sur les États-Unis ».
S’élevant contre les « pratiques diffamatoires » contre son pays, le représentant a assuré de la « légalité » de sa coopération avec la Russie comme avec l’Ukraine. Il a aussi affirmé que la crise ukrainienne était « en fait une éruption des tensions sécuritaires en Europe; le résultat de l’accumulation à long terme du déficit de confiance en Europe ». Et il a accusé les États-Unis d’en être les responsables, en ayant « creusé » ce déficit de confiance, « attisé la confrontation en Europe », et en ne cessant « d’envoyer des armes sur le champ de bataille afin d’essayer d’affaiblir et de vaincre la Russie et de promouvoir leurs propres desseins géopolitiques ».
Ces desseins, un chercheur senior au Global Policy Institute, M. George Szamuely, en avait exposé sa vision en début de séance, affirmant que le but des Occidentaux est bien d’isoler, d’« encercler et d’endiguer » la Russie.
« Notre intention n’est pas de vilipender ou de salir la Chine », a répliqué le représentant des États-Unis, « nous parlons ici de faits ». Pour Washington, « la Chine continue de minimiser son soutien à grande échelle pour la base de défense industrielle russe, notamment des composants militaires, des technologies sur les drones et les missiles de croisière, des machines-outils, de la microélectronique et de la nitrocellulose. Des entreprises chinoises collaborent avec des entreprises russes pour produire des drones d’attaque à longue portée ».
Dès lors, la Chine ne peut prétendre être la voix de la paix alors qu’elle permet à la Russie de mener le plus grand conflit en Europe depuis des décennies, a asséné le représentant, qui a qualifié de « décisif » le soutien chinois à la Russie, car il prolonge cette guerre. « La Chine pourrait faire acte utile en demandant à la Russie de retirer ses troupes hors des frontières internationalement reconnues de l’Ukraine », a-t-il encore ajouté.
Par ailleurs, la dimension humanitaire du conflit a été de nouveau commentée. Citant des chiffres du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme (HCDH), M. Ebo a fait état d’un bilan civil de 11 973 tués et plus de 25 943 blessés en Ukraine entre le 24 février 2022 et le 30 septembre 2024, le mois de septembre ayant été à ce jour le plus meurtrier de l’année.
La Suisse, dont c’est le dernier jour de présidence du Conseil, s’est dite profondément préoccupée par l’impact de cette guerre sur la population civile et a rappelé à toutes les parties leur stricte obligation de respecter le droit international humanitaire et les droits humains.
NOUVEAU - Suivez la couverture des réunions en direct sur notre LIVE
MENACES CONTRE LA PAIX ET LA SÉCURITÉ INTERNATIONALES
Exposés
M. ADEDEJI EBO, Directeur du Bureau des affaires de désarmement et Haut-Représentant adjoint pour les affaires de désarmement, s’est d’abord alarmé du niveau inimaginable de morts et de blessés civils, alors que les attaques de la Fédération de Russie s’intensifient dans toute l’Ukraine et que le seuil tragique des 1 000 jours de conflit est sur le point d’être atteint.
Entre le début de cette invasion, le 24 février 2022 et le 30 septembre 2024, le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme (HCDH) a recensé plus de 11 973 civils tués et plus de 25 943 civils blessés en Ukraine, a rappelé le Haut-Représentant adjoint, qui a ajouté que le mois de septembre avait vu un nombre record de victimes civiles pour l’année 2024.
Les transferts d’armes et de munitions et la fourniture d’autres formes d’assistance militaire aux forces armées ukrainiennes, qui se sont poursuivis, sont accessibles par le biais de sources ouvertes, a rappelé M. Ebo. Ces transferts auraient porté sur des armes conventionnelles lourdes telles que des chars de combat, des véhicules blindés de combat, des avions de combat, des hélicoptères, des systèmes d’artillerie de gros calibre, des systèmes de missiles et des drones, ainsi des armes légères et de petit calibre et leurs munitions, a-t-il détaillé.
M. Ebo a aussi rappelé que des transferts ou intentions de transfert d’armes telles que des drones, des missiles balistiques et des munitions aux forces armées russes avaient été signalées, et que ces armes auraient été utilisées ou pourraient être employées en Ukraine.
Le Haut-Représentant adjoint a aussi rappelé que des rapports récents font également état de la présence de personnel militaire de pays tiers en Russie pour épauler les opérations militaires contre les forces ukrainiennes. Il a exhorté toutes les parties concernées de s’abstenir de prendre toute mesure qui pourrait mener à une propagation et une intensification de la guerre.
Tout transfert d’armes et de munitions doit se faire dans le respect du cadre juridique international applicable, notamment, des résolutions pertinentes du Conseil de sécurité, a averti M. Ebo. Or, a-t-il ajouté, dans certains cas, ces résolutions imposent des sanctions et des mesures de restriction de ces transferts.
L’emploi et le transfert signalés d’armes à sous-munitions est une source de vives préoccupations, compte tenu des effets indiscriminés de ces armes et de la contamination généralisée qu’elles provoquent, a encore ajouté M. Ebo. Pour le Haut-Représentant adjoint, c’est en période de tensions et d’insécurité accrues que nous devons réaffirmer notre engagement en faveur du désarmement humanitaire et préserver les efforts mondiaux en la matière pour protéger les civils.
Le transfert d’armes et de munitions dans tout conflit armé comporte un risque de détournement et, par extension, soulève de réels dangers d’escalade, a par ailleurs rappelé M. Ebo, qui a jugé essentiel de prendre des mesures pour prévenir ces risques et, du même coup, une instabilité et une insécurité supplémentaires en Ukraine, dans la région et au-delà.
C’est pourquoi, il a recommandé aux États importateurs, producteurs, exportateurs et de transit à agir de manière responsable à chaque étape de la chaîne de transfert des armes et des munitions afin de prévenir et de détecter les détournements, le trafic illicite et l’utilisation indue. Il a rappelé à cet égard les textes internationaux en vigueur, notamment le Traité sur le commerce des armes, le Protocole sur les armes à feu du Programme d’action des Nations Unies relatif aux armes légères et de son Instrument international de traçage, ainsi que le Cadre mondial pour la gestion des munitions classiques tout au long de leur cycle de vie.
M. Edo a fait observer que divers rapports faisaient état d’attaques tant en Ukraine qu’en Russie faisant appel à des missiles et des drones armés, et qui ont fait des victimes et dégâts civils. Tout comme les autres armes ou systèmes d’armes, les drones armés et les missiles ne doivent pas être utilisés d’une manière incompatible avec le droit international humanitaire, a-t-il rappelé. L’emploi de ces armes reste une menace significative et est inacceptable, compte tenu des dommages causés aux civils et de la probabilité d’effets indiscriminés, a-t-il averti.
M. GEORGE SZAMUELY, chercheur senior au « Global Policy Institute » a estimé que la guerre en Ukraine est « le résultat de l’insistance des pays occidentaux à vouloir inclure l’Ukraine dans l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN) ». L’ancien Secrétaire général de l’OTAN, M. Jens Stoltenberg, l’a lui-même reconnu, a-t-il ajouté.
Affirmant que les pays occidentaux avaient ignoré les préoccupations de sécurité de leurs voisins, le chercheur a estimé qu’en matière de sécurité, ces derniers refusent d’accorder aux autres, notamment à la Russie, ce qu’ils demandent pour eux-mêmes.
Revenant sur la chute de l’Union soviétique, M. Szamuely a contesté l’affirmation que les démocraties occidentales avaient « gagné la guerre froide », estimant qu’elles s’étaient comportées en « soi-disant vainqueurs récupérant leur butin ». Il a rappelé que les Occidentaux avaient donné à la Russie des gages sur le non-élargissement de l’OTAN, et qu’ils n’ont pas tenu parole. Rappelant qu’au début des années 2000 la Fédération de Russie s’était montrée intéressée pour une éventuelle adhésion à l’OTAN, il a dénoncé l’absence d’intérêt des Occidentaux, et estimé que leur but était d’isoler, d’« encercler et d’endiguer » la Russie. Le chercheur a multiplié les citations de dirigeants russes et occidentaux à l’appui de son intervention.
« Malgré l’expérience des 30 dernières années, malgré le fait évident que l’expansion de l’OTAN jusqu’au frontières russes crée l’instabilité et la guerre, que fait l’OTAN? » a demandé M. Szamuely. Pour lui, l’OTAN insiste pour faire de l’Ukraine un de ses membres, ce qui veut dire que la guerre doit continuer. « Les dirigeants de l’OTAN sont comme les Bourbons, ils n’ont rien appris et ils n’ont rien oublié », a-t-il conclu.