Conseil de sécurité: en Libye, de récentes avancées peuvent permettre de promouvoir un processus politique inclusif, selon la Représentante spéciale adjointe
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« Dans les semaines à venir, j’ai l’intention de m’appuyer sur les récentes avancées en Libye pour promouvoir un processus politique inclusif visant à sortir de l’impasse actuelle, à s’attaquer aux causes profondes du conflit de longue date et à aller de l’avant vers des élections nationales », a annoncé, ce matin au Conseil de sécurité, la Représentante spéciale adjointe du Secrétaire général chargée des affaires politiques pour la Libye.
Mme Stephanie Koury, qui dirige aussi la Mission d’appui des Nations Unies dans ce pays (MANUL), faisait allusion à la résolution de la crise autour de la Banque centrale libyenne, sur laquelle elle s’était exprimée lors de sa dernière intervention en date devant le Conseil, le 20 août dernier. Dans le rapport dont était alors saisi le Conseil, le Secrétaire général soulignait que le rétablissement du Conseil d’administration de la Banque centrale libyenne était essentiel pour l’intégrité de cette institution et sa capacité à mener une politique monétaire efficace susceptible de stabiliser l’économie du pays.
Or, le 18 août, le Conseil présidentiel a publié deux décrets remplaçant le Gouverneur de la Banque centrale et nommant un conseil d’administration. La Chambre des députés et le Haut Conseil d’État ont immédiatement rejeté ces décisions, faisant valoir leurs prérogatives dans ce domaine en vertu de l’Accord politique libyen. Cette crise a dans un premier temps suscité des tensions entre les formations armées à Tripoli et ailleurs, mais celles-ci ont finalement accepté, au terme de négociations soutenues, de nouveaux arrangements sécuritaires. Le 2 octobre, un nouveau gouverneur et un nouveau vice-gouverneur de la Banque centrale ont pris leurs fonctions à la suite de consultations du Haut Conseil d’État et de l’approbation de la Chambre des députés. Et le 3, la National Oil Corporation a annoncé la reprise complète des opérations et des exportations pétrolières, a précisé Mme Koury.
Alors que tous les membres du Conseil se sont félicités de cette avancée majeure, le représentant libyen a appelé à tirer parti de cette victoire pour parvenir à un budget unifié. Il a ajouté que le pétrole ne sera pas instrumentalisé comme moyen de pression politique, cela ayant porté préjudice au peuple libyen par le passé. « Le processus de transition doit être achevé afin de mettre fin aux tentatives d’ingérence dans nos affaires internes », a encore plaidé le délégué libyen, en appelant à la fin de toute présence étrangère sur le sol libyen.
La communauté internationale doit soutenir un dialogue entre acteurs libyens, et non « imposer des délais artificiels et des recettes étrangères », a renchéri la Fédération de Russie. Du même avis, le Mozambique, qui s’exprimait au nom des A3+, a appelé à soutenir la Libye dans le respect de son indépendance et de sa souveraineté, tandis que la Chine a demandé aux bailleurs de fonds de financer les efforts humanitaires et de reconstruction en Libye. Les États-Unis ont dit appuyer totalement l’opération militaire de l’Union européenne en Méditerranée qui permet d’assurer selon eux que le pétrole libyen ne serve au financement de groupes criminels.
Certains agissements continuent cependant d’alimenter les divisions, a déploré Mme Koury. Ainsi, le 30 septembre, la Chambre des députés a décidé de créer une cour constitutionnelle, une décision rejetée par la Cour suprême le 1er octobre, au motif que la loi portant création de cette juridiction avait été déclarée inconstitutionnelle. De même, la décision antérieure de la Chambre des députés de révoquer le mandat du Gouvernement d’unité nationale et du Conseil présidentiel, ainsi que celui du commandant suprême des forces armées, continue d’être source de tensions. Il faut également parvenir à un consensus sur la voie à suivre pour relancer le processus de réconciliation nationale qui reste au point mort, a-t-elle plaidé. Enfin, un autre problème déstabilisateur en Libye est la division persistante au sein du Haut Conseil d’État à propos de l’élection contestée de son président, qui s’est tenue le 6 août.
Alors que plusieurs délégations, dont les États-Unis et les A3+, ont invité la Libye à prendre davantage de mesures pour protéger les migrants, la France s’est dite préoccupée par la condition de vie des réfugiés et demandeurs d’asile, encouragent les autorités libyennes à coopérer avec la MANUL, les agences des Nations Unies et l’Union européenne contre la traite des êtres humains et les trafiquants. De son côté, la Suisse s’est alarmée des disparitions forcées, arrestations et détentions arbitraires, tout en appelant à la libération des personnes en détention arbitraire, ainsi qu’à la garantie du droit à un procès équitable. Le Royaume-Uni s’est inquiété du rétrécissement de l’espace civique et de l’insuffisance de la protection des femmes, qui limitent leur capacité à participer à tous les aspects de l’espace civil, social et politique.
À ce propos, Mme Hala Bugaighis, membre du Groupe consultatif sur les femmes, la paix et la sécurité en Libye, a estimé qu’il ne peut y avoir de paix en Libye sans justice, notamment pour les femmes assassinées qui défendaient leurs droits. Malgré les promesses des acteurs politiques, peu de progrès ont été réalisés, a-t-elle déploré. Consciente de la situation, la Représentante spéciale adjointe a insisté sur la nécessité d’établir les responsabilités.
Alors que plusieurs voix ont appelé au renouvellement du mandat de la MANUL pour un an de plus, la Fédération de Russie a exprimé son opposition à une prolongation trop importante. Elle a également invité le Secrétaire général à sonder les parties libyennes alors que la nomination d’un nouveau représentant spécial en Libye se fait attendre.
En sa qualité de Président du Comité des sanctions 1970 (2011) du Conseil de sécurité, le représentant du Japon a rendu compte des travaux pour la période allant du 21 août au 9 octobre 2024.
LA SITUATION EN LIBYE
Exposés
Mme STEPHANIE KOURY, Représentante spéciale adjointe du Secrétaire général pour la Libye et responsable de la Mission d’appui des Nations Unies en Libye (MANUL), a relevé qu’au cours des deux derniers mois, les décisions unilatérales des parties libyennes avaient eu un impact négatif, même s’il y a eu une évolution positive qui redonne espoir que les dirigeants libyens prendront les mesures nécessaires pour faire avancer leur pays. En effet, le 18 août, le Conseil présidentiel a publié deux décrets remplaçant le Gouverneur de la Banque centrale et nommant un conseil d’administration. La Chambre des députés et le Haut Conseil d’État ont rejeté ces décisions, soulignant leurs prérogatives en la matière en vertu de l’Accord politique libyen. La crise autour de la Banque centrale a d’abord suscité des tensions entre les formations armées à Tripoli et ailleurs, mais celles-ci se sont apaisées après que ces formations ont accepté, au terme de négociations soutenues, de nouveaux arrangements sécuritaires, qui ont permis à plusieurs sites clefs de la capitale d’être placés sous le contrôle du Ministère de l’intérieur.
De plus en plus préoccupée par l’impact de cette situation sur le peuple libyen, la MANUL a organisé en septembre plusieurs cycles de négociations avec les représentants de la Chambre des députés, du Haut Conseil d’État et du Conseil présidentiel. Le 26 septembre, les délégués de la Chambre des députés et du Haut Conseil d’État ont signé un accord qui comprenait des nominations aux postes de gouverneur et de vice-gouverneur de la Banque centrale et a ordonné la création du conseil d’administration. Ainsi, le 2 octobre, un nouveau gouverneur et un nouveau vice-gouverneur de la Banque centrale ont pris leurs fonctions à la suite de consultations du Haut Conseil d’État et de l’approbation de la Chambre des députés. La MANUL a salué ce résultat, suivi le 3 octobre par l’annonce par la National Oil Corporation de la reprise complète des opérations et des exportations pétrolières. D’autres mesures restent à prendre, à commencer par la nomination d’un conseil d’administration. Selon la Représentante spéciale adjointe, une direction compétente et responsable de la Banque centrale est essentielle pour rétablir la confiance du peuple libyen et la crédibilité du système financier mondial. Elle a donc exhorté les parties prenantes libyennes à soutenir sa nouvelle direction dans la mise en œuvre de réformes cruciales en matière de politique monétaire et de gouvernance.
Ces événements, a indiqué Mme Koury, rappellent l’importance cruciale de garantir l’indépendance des institutions de l’État et la nécessité de désinstrumentaliser les institutions et les ressources naturelles libyennes à des fins politiques. Ils rappellent également de manière brutale la menace que posent les actions unilatérales et la nécessité pour toutes les parties, tout en adhérant à leurs prérogatives respectives, d’œuvrer ensemble à des solutions dans un esprit de compromis. Malheureusement, d’autres actions continuent de nourrir les divisions, a-t-elle déploré. Ainsi, le 30 septembre, la Chambre des députés a décidé de créer une cour constitutionnelle, une décision rejetée par la Cour suprême le 1er octobre au motif que la loi portant création de la cour avait été déclarée inconstitutionnelle. De même, la décision antérieure de la Chambre des députés de révoquer le mandat du Gouvernement d’unité nationale et du Conseil présidentiel ainsi que celui du commandant suprême des forces armées continue d’être une source de tension. Il faut également parvenir à un consensus sur la voie à suivre pour promouvoir le processus de réconciliation nationale qui reste au point mort, a-t-elle plaidé. Un autre problème en Libye est la division persistante au sein du Haut Conseil d’État à propos de l’élection contestée de son président qui s’est tenue le 6 août, a-t-elle relevé. Quant aux préparatifs des élections locales dans 60 municipalités, ils se poursuivent, avec la clôture le 14 septembre des2 389 candidatures, dont 474 femmes et 393 handicapés pour un scrutin prévu en novembre.
Les violations des droits humains en Libye restent alarmantes, a fait observer Mme Koury. En effet, au cours des deux derniers mois, plus de 23 arrestations arbitraires, détentions et disparitions forcées ont été signalées, dont beaucoup pour des raisons politiques. La Représentante spéciale adjointe a également dénoncé la violence en ligne visant les organisations de femmes. Le 30 août, a-t-elle rappelé, la MANUL et le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme ont publié un rapport documentant les violations commises par les milices Al-Kani à Tarhouna, dont elle a exhorté les autorités à mettre en œuvre les recommandations. Les mandats d’arrêt émis par la Cour pénale internationale (CPI) contre six Libyens le 4 octobre, pour des crimes atroces présumés commis à Tarhouna, sont importants pour soutenir l’établissement des responsabilités et les efforts du Procureur général, a-t-elle dit.
Par ailleurs, depuis le début de la crise soudanaise en 2023, on estime que 98 700 réfugiés soudanais sont arrivés en Libye, dans des conditions déplorables, selon Mme Koury. Elle a conclu en réitérant que le statu quo en Libye n’est pas tenable. « La crise de la Banque centrale a révélé la nature fragile de la stabilité. J’ai l’intention dans les semaines à venir de m’appuyer sur les récentes avancées positives pour promouvoir un processus politique inclusif, visant à sortir de l’impasse politique, à s’attaquer aux causes du conflit de longue date et à avancer vers des élections nationales », a-t-elle annoncé.
Mme HALA BUGAIGHIS, membre du Groupe consultatif sur les femmes, la paix et la sécurité en Libye, a estimé qu’il ne peut y avoir de paix en Libye sans justice, notamment pour les femmes assassinées alors qu’elles défendaient leurs droits. Malgré les promesses des acteurs politiques pour les droits humains, peu de progrès ont été réalisés, a-t-elle déploré, rappelant que les femmes font l’objet de limitations de circulation, de restrictions concernant leurs droits et d’une marginalisation économique et politique.
Les femmes ont, en effet, été exclues des discussions sur le cessez-le-feu et, par conséquent, des décisions les concernant, a regretté Mme Bugaighis. Elle a expliqué que les femmes sont davantage impactées par l’inflation, les rendant extrêmement vulnérables économiquement. Seules trois femmes, représentant 6% des membres, ont pu participer à l’élaboration de l’axe économique de la feuille de route sur les pourparlers de paix, a-t-elle reproché, précisant qu’aucune femme n’occupe de poste officiel dans l’élaboration des politiques économiques, monétaires et financières du pays. Même si la feuille de route s’engage à allouer 30% des positions dirigeantes à des femmes, elles ne représentent que 15% du Gouvernement, s’est-elle indignée, ajoutant que les femmes sont également exclues du Comité 6+6 et qu’aucun groupe de femmes n’est consulté. À défaut de quotas concernant le nombre de sièges à attribuer à des femmes à la Chambre des députés, seuls 6,5% des sièges leur ont été réservés lors des élections parlementaires, a-t-elle encore déploré, tout en attirant l’attention sur les violences perpétrées envers les femmes pendant le processus électoral. L’absence de la participation des femmes mine l’inclusion et l’efficacité de l’ensemble des efforts de réconciliation, a-t-elle assené.
Mme Bugaighis a ensuite mis en garde quant à la mauvaise répartition des richesses et l’effilochement du tissu social du pays, regrettant que les acteurs exploitent différentes interprétations de l’Accord. Un nouveau dialogue pourrait représenter une voie durable vers la stabilité, a-t-elle estimé, mais « le partage du pouvoir à la place du partage de responsabilités ne fera que saper les efforts de médiation ». Selon elle, les efforts pour relancer le processus de réconciliation nationale restent limités par les acteurs nationaux et internationaux. Dans ce processus de transition, il n’y a, en sus, pas de garanties pour les droits des victimes, ce qui ne peut que l’empêcher de fonctionner convenablement, a-t-elle prévenu.
En conclusion, elle a appelé le Conseil de sécurité à nommer rapidement le nouveau représentant spécial pour la MANUL, à exiger que les femmes et les membres de la société civile soient protégés des attaques, à prévoir un mandat de recensement des attaques pour la MANUL, à intégrer la dimension de genre dans les processus politiques, sécuritaires, économiques et environnementaux, à créer une équipe d’experts nationaux pour examiner les dispositions sur la nomination des hauts fonctionnaires en Libye, à fournir des recommandations juridiques concernant les élections indépendantes, et enfin, à assurer l’établissement des responsabilités pour toute violation des droits humains.