9619e séance – matin   
CS/15683

Conseil de sécurité: 19 mois après le sabotage des gazoducs Nord Stream, la Russie en appelle à la coopération internationale pour établir les responsabilités

Ce matin, plus d’un an et demi après le sabotage des gazoducs sous-marins Nord Stream 1 et 2 en mer Baltique, le Conseil de sécurité s’est réuni à la demande de la Fédération de Russie qui, prenant acte de la clôture des enquêtes menées par le Danemark et la Suède et de la poursuite de celle diligentée par l’Allemagne, en a appelé à la coopération internationale pour faire toute la lumière sur l’incident et établir les responsabilités.  Un appel relayé par la Chine, mais ignoré par une majorité de délégations selon lesquelles l’enquête allemande doit pouvoir aller à son terme sans interférence extérieure. 

Notant, pour sa part, que le Conseil s’est déjà réuni à sept reprises pour discuter de cette question, le Sous-Secrétaire général pour l’Europe, l’Asie centrale et les Amériques a reconnu que « l’ONU ne dispose pas de détails supplémentaires sur les événements et n’est pas en mesure de vérifier ou de confirmer les affirmations ou les rapports concernant l’incident », ce qu’a confirmé Mme Oguljeren Niyazberdiyena, Cheffe du Bureau du Secrétaire général adjoint en charge de la lutte contre le terrorisme.  M. Miroslav Jenča s’est donc contenté de récapituler les faits connus, notamment les quatre fuites signalées dans les gazoducs entre le 26 et le 29 septembre 2022, et l’estimation des émissions de méthane provoquées par l’incident, de 75 000 à 230 000 tonnes, avec des impacts environnementaux dont l’ampleur doit encore être déterminée.

M. Jenča a par ailleurs fait le point sur les enquêtes lancées à la suite de cet incident, indiquant que, dans leurs mises à jour, les autorités concernées ont informé le Conseil que les fuites avaient à l’évidence été causées par l’utilisation d’explosifs.  Il a ajouté que, bien qu’informée de l’avancement des investigations, la Fédération de Russie a exprimé ses préoccupations quant à ces enquêtes nationales et a appelé à une « procédure globale et objective ».  En février dernier, les autorités danoises et suédoises ont annoncé la clôture de leurs enquêtes respectives, a poursuivi le Sous-Secrétaire général, affirmant attendre avec impatience les conclusions de l’enquête allemande en cours.

Puisque le Danemark et la Suède ont confirmé leur « impuissance » et que l’Allemagne « n’informe personne de l’avancement de l’enquête, si tant est qu’elle soit menée », il devient évident que les véritables circonstances ne pourront être établies que « grâce à la coopération de la communauté internationale », a fait valoir le représentant de la Fédération de Russie.  Au passage, il a dénoncé le rejet par les membres occidentaux du Conseil de plusieurs initiatives russes: un projet de résolution chargeant le Secrétaire général de former une commission d’enquête internationale indépendante sous les auspices de l’ONU et des projets de déclaration présidentielle exprimant la préoccupation du Conseil devant l’absence d’informations sur l’avancement des enquêtes nationales. 

Le représentant russe a également relevé que toutes les demandes de coopération dans les investigations sur cet « attentat terroriste » adressées par Moscou aux pays européens qui menaient des enquêtes ont été ignorées.  Accusant ces États de manquement à leurs obligations au titre de la Convention internationale pour la répression des attentats terroristes à l’explosif et de la Convention internationale pour la répression du financement du terrorisme, il a rappelé que l’instance ultime pour l’examen de ce type de différend est la Cour internationale de Justice (CIJ).  Alors que certains pays, États-Unis en tête, s’efforcent de « cacher le bout du tunnel », il est selon lui indispensable de s’en remettre à la communauté internationale, faute de quoi « nous nous retrouverons dans un monde sans règles ni légalité ». 

La Fédération de Russie a reçu l’appui de la Chine, selon laquelle l’opposition de certains à une enquête internationale sur cet incident dissimule des « desseins cachés ».  Jugeant toutefois qu’il n’est pas trop tard, la délégation chinoise a demandé aux pays concernés par des enquêtes de communiquer activement avec la Russie afin d’éviter le « deux poids, deux mesures » dans cette affaire.  Plus largement, la Sierra Leone a soutenu l’appel à des enquêtes indépendantes, impartiales et transparentes afin d’établir les faits, d’attribuer les responsabilités et d’assurer le respect du droit international. 

Invité par le Conseil à la demande de la délégation russe, M. Larry C. Johnson, expert américain dans la lutte contre le terrorisme, a lui aussi appuyé « le souhait de la Russie de voir le Conseil de sécurité mener une enquête ouverte et complète » sur ce sabotage.  Affirmant « avec certitude » que cette opération a été réalisée « avec le soutien financier et matériel d’au moins un État », il a encouragé les enquêteurs à « suivre l’argent et ceux qui en ont bénéficié ». 

Face aux arguments avancés par les soutiens de la Fédération de Russie, les autres membres du Conseil ont réitéré leur condamnation de tout acte de sabotage d’infrastructures critiques et appelé à ce que les auteurs soient traduits en justice.  Ils ont aussi souhaité que soit respectée la décision prise par le Danemark et la Suède de mettre fin à leurs investigations nationales, tout en se disant confiants que les autorités allemandes termineront leur enquête de façon indépendante et impartiale.  La République de Corée a demandé à cet égard que le Conseil appuie l’enquête nationale allemande sans exiger de date butoir, le Japon appelant quant à lui à « ne pas spéculer en l’absence d’information objective ».   

Exprimant une position semblable, les États-Unis ont regretté que cette réunion ne vise pas à établir les responsabilités, mais « cherche plutôt à semer la désinformation et à jeter le discrédit sur les enquêtes en cours ».  De plus, alors qu’elle se dit préoccupée par la protection des infrastructures civiles, la Fédération de Russie continue de les détruire en Ukraine, ont-ils dénoncé, rejoints par le Royaume-Uni et la France, celle-ci rappelant que les pilonnages russes contre ce pays ont détruit ou endommagé 7 centrales thermiques, 3 centrales de production combinée de chaleur et d’électricité, 2 centrales hydroélectriques et 17 transformateurs électriques.

MENACES CONTRE LA PAIX ET LA SÉCURITÉ INTERNATIONALES

Déclarations

M. MIROSLAV JENČA, Sous-Secrétaire général pour l’Europe, l’Asie centrale et les Amériques, a constaté que la destruction des gazoducs Nord Stream en septembre 2022 a non seulement mis en évidence la vulnérabilité des infrastructures commerciales et énergétiques critiques dans le contexte régional et mondial actuel mais aussi suscité de nombreuses spéculations qui risquent d’alimenter davantage les tensions et la méfiance entre les États Membres.  Notant que le Conseil s’est déjà réuni à sept reprises pour discuter de cette question, il a indiqué que les exposés de responsables de l’ONU sur le sujet reposent uniquement sur des informations accessibles au public.  « Les Nations Unies ne disposent pas de détails supplémentaires sur les événements et ne sont pas en mesure de vérifier ou de confirmer les affirmations ou les rapports faits concernant l’incident », a-t-il affirmé, avant de récapituler ce qui a été dit jusqu’à présent.  Le haut fonctionnaire a ainsi rappelé que, entre le 26 et le 29 septembre 2022, quatre fuites ont été signalées dans les gazoducs sous-marins Nord Stream, situés dans les eaux internationales et dans les zones économiques suédoise et danoise de la mer Baltique.  La première fuite a été signalée sur le gazoduc Nord Stream 2 dans la matinée du 26 septembre 2022.  Plus tard dans la journée, les deuxième et troisième fuites ont été signalées sur le gazoduc Nord Stream 1.  La quatrième fuite a été signalée le 29 septembre sur le gazoduc Nord Stream 2. 

Même si ces gazoducs n’étaient pas en service au moment des incidents, ils contenaient plusieurs centaines de millions de mètres cubes de gaz naturel, a relevé M. Jenča, avant de préciser qu’en février 2023, le Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE) a estimé la fourchette plausible des émissions totales de méthane provoquées par l’incident entre 75 000 et 230 000 tonnes.  Il a cependant ajouté que l’ampleur des impacts environnementaux de l’incident, notamment sur la faune marine et locale, reste encore à déterminer. 

Après le signalement des différentes fuites, a-t-il poursuivi, les autorités danoises, allemandes et suédoises ont annoncé le lancement d’enquêtes nationales distinctes.  Les autorités concernées ont ensuite fourni des mises à jour sur leurs enquêtes respectives, notamment dans une lettre conjointe adressée au Président du Conseil de sécurité en date du 10 juillet 2023, laquelle indiquait que, selon les investigations menées jusqu’alors, il apparaissait que les fuites avaient été causées par l’utilisation d’explosifs.  Les autorités ont également indiqué avoir informé la Fédération de Russie de l’état d’avancement des enquêtes, a ajouté le Sous-Secrétaire général.  Néanmoins, dans une lettre datée du 25 août 2023 du Représentant permanent de la Fédération de Russie auprès des Nations Unies, adressée au Secrétaire général et au Président du Conseil de sécurité, la Fédération de Russie a exprimé ses préoccupations quant à ces enquêtes nationales et a appelé à une « procédure globale et objective ».  En février de cette année, les autorités danoises et suédoises ont annoncé la clôture de leurs enquêtes respectives dans des lettres conjointes des Représentants permanents du Danemark, de l’Allemagne et de la Suède auprès des Nations Unies, adressées au Président du Conseil de sécurité en date du 7 et du 26 février 2024, a indiqué M. Jenča, affirmant attendre avec impatience de connaître en temps utile les résultats et les conclusions de l’enquête allemande en cours.

Le Sous-Secrétaire général a encore précisé que, dans une lettre de son Représentant permanent auprès des Nations Unies, datée du 1er mars 2024, adressée au Secrétaire général et au Président du Conseil de sécurité, la Fédération de Russie a réitéré ses préoccupations et souligné la nécessité de créer une commission internationale pour enquêter plus en profondeur sur les incidents concernant les gazoducs Nord Stream.  Réaffirmant que tout dommage intentionnel causé à des infrastructures civiles critiques doit être condamné et faire l’objet d’une enquête, particulièrement « dans le contexte sécuritaire sensible actuel », M. Jenča a exhorté chacun à faire preuve de retenue en attendant la conclusion de l’enquête restante et le partage des informations.  Il a vivement encouragé les États Membres à poursuivre la coopération et le partage d’informations pour garantir la sécurité de toutes les eaux internationales, notamment celles de la mer Baltique, essentielles au commerce, à la sécurité et à la stabilité de la région. 

Mme OGULJEREN NIYAZBERDIYEVA, Cheffe de cabinet du Secrétaire général adjoint du Bureau de lutte contre le terrorisme (BLT), s’est félicitée du consensus qui existe au Conseil de sécurité sur la question du terrorisme.  Ses résolutions ont renforcé et harmonisé les efforts mondiaux de lutte contre le terrorisme, par le biais de la coopération, du partage d’informations et du renforcement des capacités.  La défaite territoriale de Daech, la présence réduite d’Al-Qaida et la baisse du nombre de victimes du terrorisme au cours de la dernière décennie témoignent selon elle des efforts collectifs de la communauté internationale contre ce fléau.  Comme l’ont affirmé à maintes reprises tant le Conseil que l’Assemblée générale, le respect du droit international constitue le fondement de la lutte contre le terrorisme. 

Le BLT assure le leadership des mandats de lutte contre le terrorisme confiés au Secrétaire général par l’Assemblée générale et renforce la coordination et la cohérence de l’ensemble de l’architecture antiterroriste mondiale, en se fondant notamment sur le Pacte mondial de coordination contre le terrorisme. Comme l’a noté le Sous-Secrétaire général Jenča, le Secrétariat de l’ONU ne dispose d’aucun détail supplémentaire sur les événements dont le Conseil est saisi, a expliqué Mme Niyazberdiyeva, et n’est pas davantage en mesure de vérifier ou de confirmer les affirmations ou les rapports faits concernant l’incident. 

Malgré les progrès, la menace du terrorisme persiste, a reconnu la Cheffe du Bureau.  Le huitième examen de la Stratégie antiterroriste mondiale et la note d’orientation du Secrétaire général concernant le Nouvel Agenda pour la paix soulignent selon elle la nécessité de déployer des efforts collectifs et des approches globales pour vaincre le fléau du terrorisme.

M. LARRY C. JOHNSON, commentateur politique et expert dans la lutte contre le terrorisme, a expliqué qu’il avait choisi de faire un exposé « pour soutenir le souhait de la Russie de voir le Conseil de sécurité mener une enquête ouverte et complète sur le sabotage du gazoduc Nord Stream en septembre 2022 ».  Pour l’orateur, l’ONU a de grands rôles à jouer dans la prévention des guerres, notamment en ouvrant la voie à la négociation et au règlement pacifique des différends entre les nations.  Elle doit aussi prévenir toute agression et réduire le fardeau des armements. L’expert a dès lors souhaité que le Conseil de sécurité parvienne à un règlement pacifique de la question de Nord Stream.  Il a impliqué « son propre pays, les États-Unis, dans cet acte de guerre contre la Fédération de Russie et l’Allemagne » sans « vouloir entrer dans une montagne de preuves ».  Il n’y avait pas d’intérêt impérieux de sécurité nationale pour justifier la destruction du gazoduc Nord Stream, qui a infligé une douleur économique importante au peuple allemand, a-t-il observé.  Il a aussi constaté que cette attaque n’a rien permis d’accomplir pour mettre fin au conflit entre la Russie et l’Ukraine.  Au contraire, a-t-il asséné, cela n’a fait qu’empirer les choses.

M. Johnson a dénoncé l’indifférence et le manque de curiosité des pays de l’OTAN à l’égard de Nord Stream, 19 mois après sa destruction.  Il a relevé qu’ils adoptent « la posture du singe: ne pas voir le mal, ne pas entendre le mal, ne pas dire le mal ».  Il a dit avoir un aperçu de la logistique et de l’exécution de l’attaque contre Nord Stream. Pour lui, une enquête bien financée et menée par des professionnels permettra de découvrir des documents, des informateurs et des témoins oculaires qui peuvent prouver au-delà de tout doute raisonnable qui a perpétré l’attentat à la bombe du gazoduc Nord Stream.  Les membres du Conseil ont des renseignements d’origine électromagnétique et satellitaire ainsi que des données qui peuvent fournir des renseignements allant du mouvement des navires au mouvement de l’argent, a-t-il expliqué.  Il a ajouté que la combinaison de ces données avec des preuves classiques est un moyen solide d’identifier qui a ordonné et exécuté le bombardement du gazoduc Nord Stream. « Avec certitude, cette opération a été réalisée avec le soutien financier et matériel d’au moins un État. Il existe des documents écrits et des preuves qui peuvent éclairer l’acte de manière significative pour résoudre le mystère », a déclaré l’intervenant demandant en conclusion « de suivre l’argent et ceux qui en ont bénéficié ».  Le refus de mener une enquête approfondie sur cette affaire jette à son avis une ombre sur le Conseil de sécurité.

Rappelant les faits, le représentant de la Fédération de Russie a rappelé que, compte tenu de la gravité des faits, nombre de membres du Conseil de sécurité attendaient les résultats des enquêtes nationales lancées immédiatement après l’attaque contre les gazoducs Nord Stream 1 et 2 par l’Allemagne, le Danemark et la Suède.  Alors que la Russie avait immédiatement exprimé son scepticisme devant le refus de Berlin, Copenhague et Stockholm de coopérer avec elle en tant que partie intéressée, le représentant a déclaré que ces doutes ont été confirmés lorsque ces pays ont refusé catégoriquement de se présenter devant le Conseil de sécurité pour parler de leur travail, se contentant de faire circuler des lettres vides et vagues.  Leurs alliés au Conseil ont préféré fermer les yeux et encouragé les autres membres à en faire de même, au prétexte de « laisser ces trois pays travailler sans pression » et présenter des résultats concrets.  On répétait comme un mantra que l’on faisait pleinement confiance aux autorités de ces pays, a-t-il rappelé, et l’on était convaincu de l’efficacité de leurs enquêtes.  Sous ces prétextes, les membres occidentaux du Conseil n’ont pas soutenu deux initiatives russes l’année dernière:  un projet de résolution chargeant le Secrétaire général de former une commission internationale indépendante sous les auspices de l’ONU pour enquêter sur ce qui s’est passé, et un projet de déclaration présidentielle exprimant sa préoccupation devant l’absence d’informations sur l’avancement des enquêtes.

In fine, c’est le scénario « dangereux » contre lequel la Fédération de Russie et un certain nombre d’autres pays avaient mis en garde le Conseil à plusieurs reprises qui s’est concrétisé.  En février dernier, des informations ont circulé parmi ses membres selon lesquelles les autorités danoises et suédoises avaient mis fin à leurs enquêtes nationales.  « Qu’ont-elles découvert? Rien. »  La seule conclusion concrète est restée celle des premiers jours après l’attaque terroriste, à savoir que les embranchements du Nord Stream avaient été délibérément détruits par des engins explosifs. Malgré ce constat, ces pays estiment qu’il n’y a pas de raison de poursuivre les procédures pénales dans leurs juridictions respectives.  « En d’autres termes, il y a eu un crime, mais personne ne va identifier les responsables ni les traduire en justice », s’est emporté le représentant, pour lequel tout ceci relève du théâtre de l’absurde.  Les membres occidentaux du Conseil ne semblent pas être gênés par cette situation et ces conclusions peu convaincantes de leurs alliés, a-t-il relevé, les accusant de sabotage flagrant des négociations sur le nouveau projet de déclaration présidentielle du Conseil que la Fédération de Russie a proposé ce mois-ci et qui aurait permis d’évaluer la situation après la fin des enquêtes danoise et suédoise.  Tout au long du processus de négociation, l’un des principaux arguments d’un certain nombre de membres a été le caractère soi-disant « prématuré » de la classification du sabotage de Nord Stream comme acte terroriste, a signalé le délégué.  À son grand étonnement, les pays occidentaux en général se sont révélés extrêmement mal à l’aise face à toute référence à la nature terroriste de cet incident, même celles fondées sur les dispositions de l’instrument international auquel ils sont parties, à savoir la Convention internationale pour la répression des attentats terroristes à l’explosif de 1997.  Une question logique est donc apparue au représentant: « Comment nos collègues occidentaux qualifient-ils ce qui s’est passé, si ce n’est d’acte terroriste? » alors même qu’ils ont utilisé cette terminologie auparavant.

Le représentant a tenu à rappeler que toutes les demandes de coopération dans l’enquête sur l’attentat terroriste contre le gazoduc Nord Stream adressées par les autorités russes compétentes à leurs collègues des pays européens qui menaient des enquêtes ont été ignorées.  Face à cette situation inacceptable, le Ministère russe des affaires étrangères a adressé, les 21 et 22 mars 2024, des notes aux ambassades d’Allemagne, du Danemark, de Suède et de Suisse à Moscou en raison du manquement de ces États à leurs obligations au titre de la Convention internationale pour la répression des attentats terroristes à l’explosif et de la Convention internationale pour la répression du financement du terrorisme.  Des notes qui faisaient état de l’existence d’un différend entre notre pays et les États susmentionnés dans le cadre de ces instruments internationaux et contenaient une demande de négociations sur leur interprétation et leur application.  En l’attente de réponses substantielles, le représentant a rappelé aux pays concernés que l’instance ultime pour l’examen des différends relevant des conventions susmentionnées est la Cour internationale de Justice (CIJ). 

La Fédération de Russie et d’autres États « à l’esprit constructif » ne permettront pas que cette question reste sans réponse, a fait savoir le représentant.  Puisque le Danemark et la Suède ont déjà formellement signé leur propre impuissance, et que l’Allemagne n’informe personne de l’avancement de l’enquête –si tant est qu’elle soit menée–, il devrait être évident pour tout le monde que les véritables circonstances de ce qui s’est passé ne peuvent être établies que grâce à la coopération de la communauté internationale, a-t-il argué, et ce, malgré les efforts d’un certain nombre de pays, avec comme chef de file les États-Unis, pour « cacher le bout du tunnel ».  Si nous ne le faisons pas, nous nous retrouverons dans un monde sans règles ni légalité, a-t-il mis en garde, un monde dans lequel la prochaine victime d’une attaque terroriste contre une infrastructure critique comme un gazoduc transnational, perpétrée par les apologistes bien connus de « l’ordre fondé sur des règles », pourrait être n’importe quel autre État.

Le représentant du Mozambique a souhaité la conclusion rapide d’une enquête objective, impartiale, crédible et professionnelle sur l’explosion de Nord Stream.  Il a salué les rapports du Danemark et de la Suède soumis à ce Conseil, disant en outre attendre la conclusion de l’enquête menée par l’Allemagne.  Selon les deux rapports précités, s’il y a bien eu sabotage, il n’y aurait pas d’éléments suffisants pour une enquête criminelle, a relevé le délégué.  Il a estimé que l’impunité ne serait être de mise pour une telle violation du droit, impunité qui ne ferait que saper la coopération internationale.  Les auteurs de cet acte de sabotage doivent rendre des comptes, a exigé le délégué.  « Nous pensons qu’établir la vérité sur qui a commis ce grave acte de sabotage est de la plus grande importance. »

Le représentant de l’Algérie a déclaré que deux ans s’étaient écoulés depuis le sabotage « délibéré » des gazoducs Nord Stream 1 et 2 par des acteurs non identifiés.  Cet incident est une source de préoccupation pour son pays à plusieurs égards et notamment parce que la destruction physique d’infrastructures critiques constitue une menace à la paix et à la sécurité internationales. Pour sa part, l’Algérie, a indiqué son délégué, fournit l’Europe sur le plan énergétique par le biais de trois pipelines qui sont vitaux pour des millions de personnes, et elle a également l’intention d’entamer, en coopération avec le Nigéria, la construction du gazoduc transsaharien attendu de longue date pour relier les deux pays. Après avoir pris note des informations fournies au Conseil de sécurité par la Suède, le Danemark et l’Allemagne au sujet de leurs enquêtes nationales, le représentant a insisté sur le fait qu’il est de la plus haute importance de faire la lumière sur les circonstances dans lesquelles ces attaques ont été perpétrées ainsi que sur ses auteurs et leurs motivations. 

La représentante du Guyana a noté que tout porte à croire que la rupture des gazoducs jumeaux Nord Stream il y a deux ans a été opérée délibérément à l’aide d’explosifs puissants.  Elle a également constaté que même si les gazoducs n’étaient apparemment pas opérationnels à l’époque, les explosions ont provoqué des fuites de méthane, entraînant des risques toxicologiques et écologiques pour la vie marine de la mer Baltique.  Pour la déléguée, il est également préoccupant que ces explosions se soient produites à moins de 20 kilomètres d’une décharge de munitions chimiques, ce qui aurait pu causer des dommages encore plus graves à l’écosystème marin. Condamnant ces attaques, elle a salué la réaction proactive des États baltes voisins, qui ont enquêté sur l’incident. Elle les a remerciés d’avoir tenu l’ONU informée des progrès de leurs investigations respectives et a noté que deux pays ont depuis interrompu leur enquête.  Après avoir pris note de la poursuite de l’enquête menée par l’Allemagne, elle a dit attendre avec impatience de recevoir ses conclusions. 

Le représentant de la Slovénie a souligné la nécessité de protéger les infrastructures civiles critiques en toute circonstance, « qu’il s’agisse d’un hôpital à Gaza, d’une centrale électrique en Ukraine ou de gazoducs en mer Baltique ».  À cet égard, il s’est dit préoccupé par les nombreux dommages causés aux infrastructures sous-marines ces derniers temps, notamment les câbles de communication sous-marins coupés dans la mer Rouge début mars et les dégâts causés au gazoduc BalticConnector en octobre dernier.  Condamnant l’acte de sabotage qui a visé les gazoducs Nord Stream en septembre 2022, il a dit son inquiétude quant à l’impact environnemental de cet incident, qui semble avoir provoqué le plus grand rejet de méthane jamais enregistré. Dans ce contexte, il a salué la transparence des pays enquêtant sur cet acte de sabotage et a noté que le Danemark et la Suède ont conclu leurs enquêtes nationales sur l’incident conformément aux principes de l’état de droit.  Il a également pris note de la poursuite de l’enquête menée par l’Allemagne et s’est dit confiant que celle-ci ira au fond de l’affaire. 

La représentante du Japon a convenu que les actions qui mettent en danger des infrastructures critiques présentent un risque important pour les personnes et les sociétés.  À cette aune, elle a réitéré la profonde préoccupation de son pays face à l’incident qui a endommagé les gazoducs Nord Stream, avec des effets à long terme pour l’environnement marin.  Elle a cependant estimé que pour traiter des questions affectant la paix et la sécurité internationales, le Conseil de sécurité doit disposer de faits.  Prenant note des conclusions des enquêtes menées par le Danemark et la Suède, la déléguée a appelé à ne pas spéculer en l’absence d’information objective.  Elle a enfin souhaité que l’enquête nationale en cours en Allemagne prenne fin dans les plus brefs délais et que les résultats soient immédiatement communiqués au Conseil. 

Le représentant de la France a regretté que la Russie convoque une nouvelle fois une réunion sur Nord Stream alors qu’aucun développement n’est intervenu depuis les dernières consultations tenues le 14 mars.  « On est en droit de s’étonner du zèle que déploie la Russie sur ce dossier et de la vive préoccupation qu’elle entretient quant à l’atteinte qui a été faite contre une infrastructure énergétique. » Pendant ce temps, la Russie a détruit ou endommagé 7 centrales thermiques, 3 centrales de production combinée de chaleur et d’électricité, 2 centrales hydroélectriques et 17 transformateurs électriques en Ukraine, a-t-il affirmé.  Le délégué a aussi signalé que la situation s’est particulièrement dégradée à Kharkiv, deuxième ville du pays qui compte 1,3 million d’habitants.  Il a dit douter de la sincérité de la démarche de la Russie qui cherche selon lui à détourner l’attention de ce Conseil et de la communauté internationale.

« Notre évaluation concernant les explosions qui ont endommagé les gazoducs Nord Stream 1 et 2 en septembre 2022 demeure inchangée: ces événements sont graves et doivent être pris au sérieux. »  Le représentant a dit n’avoir jamais eu aucune raison de douter du sérieux des procédures allemandes, danoises et suédoises qui ont régulièrement informé le Conseil.  Les procureurs suédois et danois ont décidé de clore leurs enquêtes respectives au motif qu’ils n’avaient pas de compétence juridictionnelle, car le sabotage n’était pas dirigé contre les intérêts suédois ou danois (les explosions sont survenues dans les eaux internationales).  Rappelant qu’on attend encore les conclusions de la justice allemande, qui poursuit son enquête sans interférence politique, le délégué a souligné que les autorités judiciaires allemandes, suédoises et danoises sont indépendantes.  Enfin, il a regretté que la Russie n’ait pas amendé son projet de déclaration présidentielle, en dépit des amendements convergents soumis par un nombre important de membres du Conseil. 

Le représentant de la République de Corée a rappelé la position de principe de son pays qui condamne tout acte de sabotage d’infrastructures critiques.  Il a souligné la nécessité de traduire en justice les auteurs de tels actes.  Le représentant a soutenu les enquêtes nationales de la Suède, du Danemark et de l’Allemagne pour faire la lumière sur les cas de sabotage délibéré des gazoducs Nord Stream 1 et 2.  Il a dit respecter la décision prise par les autorités danoises et suédoises de mettre fin à leurs enquêtes sur la base de leurs conclusions et conformément à leur droit national, se disant également confiant que les autorités allemandes allaient terminer leur enquête de façon indépendante et impartiale.  Le représentant a prévenu que la politisation de cette affaire et l’absence d’éléments concrets entravent la reddition de la justice.  Le Conseil de sécurité doit appuyer sans faiblir l’enquête nationale de l’Allemagne sans exiger de date butoir, a-t-il conclu.

Le représentant des États-Unis a condamné l’acte de sabotage contre les gazoducs Nord Stream et souligné l’importance de la reddition de comptes. Mais soyons clairs, cette réunion ne vise pas à établir les responsabilités, mais cherche plutôt à semer la désinformation et à jeter le discrédit sur les enquêtes en cours, a tranché le délégué: « Il est difficile de suivre la Russie dans ses raisonnements mais il y a une constante, celle-ci se présente en victime. » Il a salué la conclusion des enquêtes danoise et suédoise et dit attendre la conclusion de l’enquête allemande. La Russie qui se dit préoccupée par la protection des infrastructures civiles continue de les détruire en Ukraine, a observé le délégué.  Enfin, il a noté que Moscou veut la vérité mais continue de s’opposer au travail du Groupe d’experts sur la République populaire démocratique de Corée, y voyant là une illustration de son « hypocrisie ».

Le représentant de la Chine a relevé que plus de 18 mois après l’explosion endommageant les gazoducs Nord Stream, et après des enquêtes menées pendant plus d’un an par la Suède et le Danemark, qui les ont achevées, aucune information de fond n’a finalement été mise au jour.  Il y a au contraire plus de spéculation de la part de la communauté internationale, a-t-il regretté souhaitant que l’on avance enfin sur ce dossier et que les auteurs soient traduits en justice.  Rappelant que les membres du Conseil voulaient attendre que l’Allemagne, la Suède et le Danemark aient le temps de mener leurs enquêtes, le délégué a fait remarquer que, plus d’un an après, les informations restent maigres.  Il en a déduit qu’il y aurait des « desseins cachés » derrière cette opposition de la communauté internationale à mener une enquête internationale.  Il n’est jamais trop tard, a-t-il conclu en lançant un appel à diligenter une telle enquête, pour que la vérité l’emporte.  Il a demandé aux pays concernés de communiquer activement avec la Russie dans le cadre de l’enquête, en souhaitant que soit évitée une politique de « deux poids, deux mesures » sur cette question.  Enfin, le délégué a soutenu le projet de déclaration présidentielle « clair et concis » de la Russie.

Le représentant de l’Équateur a relevé que la conclusion de l’enquête menée par le Danemark sur le sabotage délibéré des gazoducs Nord Stream 1 et 2 est qu’il n’y a pas de motifs suffisants pour déclencher des poursuites pénales relevant de sa compétence.  De même, la Suède a mis fin à son enquête en estimant qu’il n’y avait aucune raison de poursuivre la procédure.  Le délégué a rappelé que cet incident avait non seulement mis en péril la sécurité économique et énergétique en Europe, mais également compromis la sécurité de la navigation maritime et aérienne.  Cet incident a constitué une grave menace pour l’environnement en libérant des centaines de millions de mètres cubes de gaz, s’est-il désolé.

Condamnant cet acte de sabotage, il a souhaité que les enquêtes menées en Allemagne aboutissent rapidement.  Il a appelé à la prudence et à la retenue dans un contexte de tensions géopolitiques croissantes.  En attendant le résultat des enquêtes nationales, il a recommandé aux parties concernées de coopérer, parce que cette question doit être abordée dans un esprit de dialogue et de bonne foi.  Il a souscrit à l’exhortation de la Secrétaire générale adjointe, Mme Rosemary DiCarlo, à éviter les obstructions qui pourraient entraver la recherche de la vérité. 

La représentante de la Sierra Leone a pris note que les enquêtes menées par le Danemark et la Suède sur l’incident des gazoducs Nord Stream 1 et 2 ont été closes en février sans qu’aucune partie responsable n’ait été désignée, parce qu’il a été déterminé qu’il n’y avait pas suffisamment de motifs pour juger une affaire criminelle.  Elle a également noté que l’enquête menée par l’Allemagne est toujours en cours.  À cet égard, la déléguée est d’avis qu’un processus basé sur les faits, qui soit crédible, inclusif et transparent, et qui donne un résultat impartial, apportera la clarté nécessaire sur cet incident.  Par conséquent, la Sierra Leone demande instamment aux États Membres de continuer à instaurer la confiance et, dans le cas présent, de poursuivre sur la base des pratiques mondialement acceptées et établies s’agissant des enquêtes et des procédures d’établissement des faits.  Elle leur a aussi demandé de s’appuyer sur la confiance dans les institutions et les systèmes qui les mènent et les soutiennent.

Se disant préoccupée par l’escalade des attaques contre les installations énergétiques, les infrastructures civiles et autres infrastructures critiques dans les différents conflits en cours, la représentante a appelé à la retenue et à la responsabilité, dans le respect du droit international.  Le cas échéant, elle a soutenu l’appel à des enquêtes indépendantes, impartiales et transparentes afin d’établir les faits, d’attribuer les responsabilités et d’assurer le respect du droit international.

La représentante de la Suisse s’est dite préoccupée par les actes de sabotage présumés contre les gazoducs Nord Stream 1 et 2 en septembre 2022, qui avaient entraîné des fuites de gaz considérables: « Nous condamnons tout acte de sabotage contre les infrastructures critiques, y compris les infrastructures énergétiques. »  De tels actes peuvent entraîner des conséquences néfastes sur l’approvisionnement de la population, l’économie et l’environnement, a-t-elle mis en garde.  La déléguée a ensuite salué le fait que des informations sur les enquêtes menées par le Danemark, l’Allemagne et la Suède aient été fournies régulièrement.  « Nous notons que l’enquête nationale en Allemagne se poursuit et sommes dans l’attente de sa conclusion », a-t-elle ajouté.

Le représentant du Royaume-Uni a appelé le Conseil à appuyer l’enquête allemande.  C’est selon lui le meilleur moyen de savoir ce qui s’est passé.  Il a noté que cette enquête prendra du temps en raison de sa complexité, avant de redire sa confiance dans son impartialité et sa transparence.  Ce n’est pas faire bon usage du temps de ce Conseil que de préjuger des conclusions d’une enquête en cours, a tranché le délégué.  Il a aussi observé que la Russie, qui condamne les attaques contre des infrastructures civiles, continue, elle, d’en détruire en Ukraine.  Il a conclu son intervention en exhortant la Russie à cesser sa guerre d’agression contre l’Ukraine.

Le représentant de Malte a condamné l’acte de sabotage perpétré contre les gazoducs Nord Stream.  Toutefois, il a dit « ne pas comprendre la nécessité de cette réunion en l’absence de nouvelles informations pertinentes.  Les enquêtes allemandes sont toujours en cours pour traiter les informations transmises par les autorités suédoises et danoises », a-t-il observé.  Elles sont menées de manière professionnelle et impartiale, conformément aux principes fondamentaux du droit international.  Le Conseil, a demandé le délégué, devrait s’abstenir de toute action qui viserait à imposer des délais supplémentaires, à saper leurs travaux ou à préjuger de leurs résultats. Des enquêtes supplémentaires à ce stade pourraient être contre-productives, a-t-il estimé, avant d’ajouter que toute initiative de ce Conseil sur cet incident doit se faire dans le plein respect des enquêtes nationales en cours. 

Reprenant la parole, le représentant de la Fédération de Russie a dit ne pas être surpris par les interventions de ses « partenaires occidentaux », relevant que beaucoup d’entre elles établissaient un lien entre le conflit en Ukraine et le sabotage des gazoducs Nord Stream. « Vous reliez vraiment ces deux événements ? », a-t-il demandé aux délégations visées, estimant que leur réponse « en dira long sur ce qui s’est passé avec Nord Stream ». 

Le représentant du Royaume-Uni a repris la parole pour indiquer à son homologue russe qu’il n’a pas établi de lien entre la guerre en Ukraine et l’attaque contre les gazoducs Nord Stream.  Nous doutons simplement de la cohérence de l’approche de la Russie sur la protection des infrastructures civiles, compte tenu du fait qu’elle les détruit en Ukraine, a conclu le délégué.

Prenant la parole une troisième fois, le représentant de la Fédération de Russie a dit que Nord Stream est une infrastructure internationale de transport de gaz « à laquelle s’applique les dispositions de la Convention internationale sur le terrorisme ».

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