Le Conseil de sécurité prévenu du risque d’embrasement de la région devant la rhétorique de confrontation entre la RDC et le Rwanda
L’Envoyé spécial du Secrétaire général pour la région des Grands Lacs a déclaré au Conseil de sécurité que, depuis son dernier exposé devant cette instance, les tensions entre la République démocratique du Congo (RDC) et le Rwanda se sont exacerbées à travers des combats menés entre le mouvement dénommé M23 et les Forces armées de la RDC. M. Huang Xia a aussi évoqué la détérioration de la situation humanitaire dans l’est de la RDC et la persistance d’une rhétorique de confrontation sur fonds d’accusation de déstabilisation. Le Conseil a de nouveau assisté ce matin à une passe d’armes entre les délégations rwandaise et congolaise qui s’accusent, l’une et l’autre, de semer le trouble chez le voisin, tandis que les membres du Conseil ont de nouveau appelé à la poursuite des efforts de médiation, notamment à travers les processus de Luanda et de Nairobi.
L’Envoyé spécial a aussi déploré les tensions entre le Burundi et le Rwanda en rapport à la situation dans l’est de la RDC, qui compromettent les progrès visant l’harmonisation entre les deux pays. Il a appelé les pays de la région à des efforts de désescalade pour éviter l’embrasement général. Cela passe par un dialogue franc et sincère entre les parties, a-t-il suggéré, tout en louant les efforts diplomatiques du Président angolais. Présente justement à cette séance, la Secrétaire d’État angolaise aux affaires étrangères, Mme Esmeralda Mendonça, a rappelé que la rencontre ministérielle de Luanda du 21 mars dernier s’était tenue dans une atmosphère constructive. Des consultations sont d’ailleurs en cours pour une seconde rencontre en vue d’un sommet entre les Présidents rwandais et congolais.
Les parties doivent s’accorder sur les mesures à prendre en faveur de la désescalade et de la résolution de la crise, a recommandé l’Envoyé spécial. Notant aussi que les femmes ont une contribution importante à apporter, il a signalé avoir mobilisé les femmes de la région pour envisager les moyens de soutenir les processus de paix. Il a également souligné le lien entre les ressources naturelles et les conflits dans la région des Grands Lacs. Selon lui, il est crucial de résoudre les causes profondes des conflits de la région de manière durable.
Sur le plan humanitaire, la Sous-Secrétaire générale aux affaires humanitaires et Coordonnatrice adjointe des secours d’urgence au Bureau de la coordination des affaires humanitaires (OCHA) a relevé que plus de 7,2 millions de personnes sont déplacées en RDC, qui est l’un des pays les plus dangereux au monde pour les femmes et les filles. Le nombre de cas de violences liées au genre est passé de 40 000 en 2021 à 123 000 en 2023, a illustré Mme Joyce Msuya en précisant que les deux tiers de ces crimes ont été commis dans les provinces du Nord-Kivu, du Sud-Kivu et de l’Ituri. De plus, 37% des filles en RDC sont mariées de force avant l’âge de 18 ans, tandis qu’environ un million de personnes ont trouvé refuge dans les pays voisins, dont la moitié en Ouganda. Abordant la question du financement de l’aide, la haute fonctionnaire a indiqué que 16% des 2,6 milliards de dollars nécessaires en 2024 pour venir en aide à 8,7 millions de personnes ont été décaissés. La communauté internationale doit faire mieux, a-t-elle lancé.
Pour sa part, la militante Pétronille Vaweka, coordinatrice nationale du centre « Femmes Engagées pour la Paix en Afrique » et lauréate du Prix Building Peace 2023 de l’Institut américain pour la paix, a lancé un appel au Conseil de sécurité pour qu’il agisse afin de « transformer les minerais de sang en minerais de vie et de bonheur » pour le monde, les pays des Grands Lacs et la RDC. Elle a aussi demandé la mise en place d’un mécanisme de suivi international pour garantir le respect des engagements et la continuation des processus de paix dans la région des Grands Lacs, ainsi qu’un soutien accru, de la Mission de l’Organisation des Nations Unies pour la stabilisation en République démocratique du Congo (MONUSCO) et de l’Union africaine (UA) notamment. Elle-même ayant été témoin d’atrocités indicibles, elle a dit qu’il lui était arrivé « de voir des bébés pleurer sur le corps mutilé de leur mère, ou téter le sein de leur mère décédée », rappelant aussi que les personnes déplacées (près de 7 millions) sont pour la plupart des femmes, des filles et des enfants.
La Sierra Leone, au nom des A3+1 (Algérie, Mozambique, Sierra Leone et Guyana), a condamné les actes de violence commis par les groupes armés - M23, Forces démocratiques alliées-Armée nationale de libération de l’Ouganda (ADF), Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR), et Coalition des démocrates congolais (CODECO) notamment. Il a appelé tous les groupes armés congolais et étrangers à déposer les armes et demandé la mise en œuvre des processus de paix régionaux de Luanda et de Nairobi. Il a aussi salué la médiation du Président de l’Angola et de l’ancien Président kenyan Uhuru Kenyatta entre la RDC et le Rwanda. Il n’y aura pas de solution militaire à cette crise, a dit la France. Selon la délégation, « seule la mise en œuvre des engagements pris dans le cadre des processus de paix régionaux, en particulier ceux de Luanda et de Nairobi, permettra d’établir les conditions d’une paix durable ».
La Fédération de Russie a dit être prête à discuter des paramètres d’une assistance éventuelle aux forces de la mission régionale, après avoir pris connaissance des propositions pertinentes du Secrétariat de l’ONU. La Chine a appelé à la désescalade, jugeant aussi crucial de promouvoir le développement, car le sous-développement et la pauvreté sont les principales sources des conflits dans la région. Les États-Unis ont dénoncé les violences sexuelles et le sous-financement de la réponse humanitaire. Ils ont indiqué que les actions déstabilisatrices du Rwanda menacent de mener la région à la guerre. Le soutien rwandais au M23 doit cesser, ont-ils clamé.
Dans ce sillage, la RDC, par la voix de son représentant, a rappelé que les troupes rwandaises se trouvent en ce moment sur le territoire de la RDC. C’est bien pour cela que les États-Unis leur ont demandé de quitter le pays, a-t-il expliqué. Cette situation au lourd bilan humain, soit 15 millions de morts, est l’œuvre d’un pays voisin, le Rwanda à qui « l’obsession et l’ivresse des matières stratégiques que regorge le sous-sol de mon pays, ont fait perdre toute raison », a dénoncé le délégué.
Le Rwanda a de son côté évoqué le génocide de 1994 qui continue d’avoir des répercussions. Les génocidaires se sont regroupés dans l’est de la RDC, ciblant les Tutsis congolais, a-t-il dénoncé en expliquant combien la situation est instable en raison des groupes armés qui y sont présents. Le groupe génocidaire FDLR présente un risque pour le Rwanda, a fustigé le délégué, avant de marquer son soutien aux processus de Luanda et de Nairobi, tout en déplorant le manque de volonté politique de la RDC de faire cesser le conflit.
Le représentant de la RDC a réagi en faisant observer que les conséquences du génocide de 1994 se sont davantage manifestées en RDC, puisqu’on compte 15 millions de morts dans le pays depuis 1994, contre un total de 800 000 morts au Rwanda, y compris les autres ethnies donc pas seulement les Tutsis. Il a aussi rappelé que le génocide rwandais est parti de la mort du Président rwandais de l’époque dont l’avion fut abattu par des Tutsis. De plus, il a expliqué que les Wazalendo sont des jeunes patriotes congolais qui ont souffert de la guerre et qui, aujourd’hui, n’ont pour seul but que de protéger le territoire de leur pays. De ce fait, des gens qui se défendent de l’agression ne sont pas des forces négatives et encore moins des groupes rebelles, a-t-il analysé.
La RDC continue à souscrire aux efforts régionaux notamment les processus de Luanda et de Nairobi, a poursuivi le délégué. Il a conclu en renouvelant sa demande au Conseil de sécurité d’appuyer ces processus en maintenant le maximum de pression sur le Rwanda et le M23. Le délégué a demandé que chaque pays de la région concernée mette en place des mécanismes et crée des conditions pour prendre en charge sur leurs territoires respectifs leurs propres rebelles, qui n’ont que trop écumé la RDC. Il faut que le Conseil de sécurité puisse demander à l’Envoyé spécial, à sa prochaine rencontre avec lui, de faire un rapport circonstancié sur cette question précise, a-t-il suggéré.