En cours au Siège de l'ONU

9607e séance – après-midi   
CS/15668

Conseil de sécurité: l’UNRWA exige une enquête indépendante sur le « mépris flagrant » de l’obligation de protéger les travailleurs et les opérations humanitaires à Gaza

Le Commissaire général de l’Office de secours et de travaux des Nations Unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA), est venu faire le point, cet après-midi, sur la situation difficile que connaît l’Office qui reste pourtant, selon lui, « l’épine dorsale » des opérations humanitaires à Gaza  et une « force stabilisatrice » dans un Moyen-Orient aux prises avec de profonds bouleversements.  M. Philippe Lazzarini a également dénoncé la campagne « insidieuse », orchestrée par Israël, dans le but de mettre fin aux opérations de l’Office et de le pousser hors du Territoire palestinien occupé, et cela en dépit d’un très large soutien des États Membres à son mandat. 

À Gaza, a-t-il indiqué, les demandes de l’Office pour acheminer de l’aide vers le nord de la bande ont été rejetées à plusieurs reprises, malgré les injonctions de la Cour internationale de Justice (CIJ).  Son personnel est exclu des réunions de coordination entre Israël et les acteurs humanitaires et, « pire encore », ses locaux et son personnel sont pris pour cible, comment en témoignent les 178 membres de son personnel tués depuis le début du conflit.  Le Conseil a d’ailleurs observé une minute de silence en début de séance à la mémoire de tous les travailleurs humanitaires qui ont perdu la vie à Gaza. 

Fort de ce bilan accablant, le Commissaire général de l’Office a exigé une enquête indépendante sur ce « mépris flagrant » de l’obligation de protéger les travailleurs, les opérations et les installations humanitaires, en vertu du droit international. 

Déterminé à accroître l’aide humanitaire à la population de Gaza, le Royaume-Uni a demandé à Israël d’augmenter le flux d’aide et de permettre à l’UNRWA et aux autres agences humanitaires d’opérer en toute sécurité alors que la France a insisté sur l’ouverture de plus de points de passage.  La Fédération de Russie a toutefois estimé qu’en l’absence d’un cessez-le-feu complet et durable, les efforts humanitaires seront voués à l’échec. En effet, a renchéri la Chine, « apporter une aide humanitaire alors que les bombes pleuvent est impossible ». 

La délégation chinoise a par ailleurs condamné les attaques malveillantes visant l’Office en l’absence de tout élément de preuve solide, exhortant elle aussi Israël à mettre fin à sa campagne de diffamation. 

Revenant sur les allégations selon lesquelles 12 membres du personnel de l’Office auraient participé à l’attaque du 7 octobre du Hamas, le Commissaire général a indiqué avoir immédiatement licencié ces personnes, rappelant en outre qu’un Groupe d’examen indépendant, dirigé par Mme Catherine Colonna, a été mis en place pour évaluer la manière dont l’UNRWA respecte le principe de neutralité.  Le rapport final de cet audit externe indépendant doit paraître le 22 avril, alors que son rapport intérimaire a d’ores et déjà été soumis au Secrétaire général ainsi qu’un plan d’action de M. Lazzarini, comme l’a signalé l’Envoyé spécial pour le Moyen-Orient du Japon dont le pays a d’ailleurs levé le gel de son financement de l’Office le 2 avril.  Sur ce point, le Ministre des affaires étrangères de l’Algérie a fait un vibrant plaidoyer pour que les autres donateurs en fasse de même, appelant en outre à financer l’UNRWA à partir du budget ordinaire de l’ONU afin d’assurer la pérennité de ses activités vitales et de couper court aux tentatives israéliennes visant à transférer ses fonctions à d’autres organisations. 

Le Chef de l’Office a regretté que malgré les mesures rapides et décisives prises par l’UNRWA et l’ONU, une part importante de ses donateurs aient suspendu leur soutien financier, en pointant de graves conséquences opérationnelles et la viabilité financière compromise de l’Office.  C’est d’autant plus essentiel qu’aucune autre agence humanitaire ne dispose d’une capacité comparable aux 13 000 membres du personnel de l’UNRWA à Gaza, et ne pourrait la remplacer, comme l’ont fait valoir la Chine, la République de Corée et d’autres membres du Conseil de sécurité.  Pour sa part, M. Lazzarini a souligné qu’il reste fermement engagé à mettre en œuvre les recommandations de l’audit indépendant en vue d’éviter toute violation du principe de neutralité par l’Office.  À ce sujet, Malte et la France ont invité l’Office à se réformer et donner suite aux recommandations de l’audit. 

Tout en rappelant que leur soutien financier est gelé jusqu’en mars 2025, les États-Unis ont indiqué vouloir poursuivre leur collaboration avec l’Office, les autres bailleurs de fonds et les pays hôte, afin que l’UNRWA puisse rester opérationnel tant que cela sera nécessaire. 

Commentant les appels israéliens à la fermeture de l’UNRWA, le Commissaire général a averti que son démantèlement ne ferait qu’aggraver la crise humanitaire et accélérer la famine à Gaza.  À long terme, a-t-il ajouté, la transition d’un cessez-le-feu « à son lendemain » serait compromise par l’incapacité d’une population traumatisée à obtenir des services essentiels, et il serait pratiquement impossible de ramener sur les bancs des écoles les 500 000 enfants qui vivent dans les décombres de Gaza.

« L’Office existe parce qu’une solution politique n’existe toujours pas », a-t- rappelé M. Lazzarini, relevant qu’il existe en lieu et place d’un État capable de fournir des services publics essentiels.  Regardant vers l’avenir, il a espéré qu’en appui à une solution politique durable, l’UNRWA pourra retrouver sa nature temporaire et soutenir une transition limitée dans le temps, jusqu’à ce qu’une administration palestinienne prenne en charge ses services. 

Le Représentant spécial du Président de l’État de Palestine a lui aussi appelé à faire pression sur Israël afin qu’il cesse de prendre pour cible les infrastructures de l’UNRWA, d’entraver la libre circulation des humanitaires et de saper le fonctionnement de l’Office.  En attendant les résultats des enquêtes en cours, le représentant palestinien a imploré les États qui ont suspendu leur financement, de revenir sur leur décision, « car c’est la vie de milliers de Palestiniens qui est en jeu ». 

« Gaza est affamée » et c’est l’œuvre du Gouvernement israélien qui utilise la famine comme arme de guerre, s’est indigné le Vice-Premier Ministre et Ministre des affaires étrangères et des expatriés de la Jordanie, qui a demandé la tenue de cette réunion.  Une seule agence dispose des connaissances, des capacités et de l’infrastructure nécessaires pour y remédier et il s’agit de l’UNRWA qu’Israël cherche à briser, a-t-il déclaré. 

Affirmant que l’Office est la cible « d’un assassinat politique » depuis des années, le Ministre jordanien a avancé qu’Israël veut tuer l’UNRWA dans le but d’anéantir les droits des réfugiés palestiniens.  Mais « il n’y parviendra pas ».  Le démantèlement de l’UNRWA est une stratégie pour tuer la solution des deux États, et il incombe à la communauté internationale de ne pas aider Israël dans son entreprise destructrice, a renchérit le Liban, un appel largement soutenu par les autres pays arabes qui ont participé à cette séance. 

Depuis la Nakba de 1948, l’UNRWA accompagne les Palestiniens dans cette crise, a souligné le Groupe des États arabes, par la voix de l’Arabie saoudite, qui outre la campagne de diffamation sans précédent dont est l’objet l’Office, a déploré les pressions qui se font aussi ressentir sur les bailleurs de fonds. Alors que les résolutions du Conseil de sécurité exigeant un cessez-le-feu immédiat, que les mesures préliminaires de la CIJ sont restées lettre morte et que le droit international est violé de manière éhontée, « l’UNRWA brille comme une lueur d’espoir pour le peuple palestinien », a abondé le Ministre adjoint des affaires étrangères de la Türkiye.  L’Office, a-t-il dit, n’est rien de moins qu’une responsabilité politique, juridique, humanitaire et morale de la communauté internationale, et cela jusqu’à ce qu’une solution juste basée sur la vision de deux États soit réalisée, un point de vue également défendu par la Syrie et l’Égypte. 

Réfutant ces positions, Israël a accusé l’ONU d’avoir sciemment prolongé le conflit israélo-palestinien en faisant en sorte que les Palestiniens continuent de refuser toute proposition de paix ou toute forme de compromis leur objectif premier étant la destruction d’Israël, a fulminé son représentant.  L’une des armes mises au point par l’Organisation pour prolonger ce conflit est l’UNRWA, utilisé par les Palestiniens comme « arme de guerre » en créant un « océan de réfugiés palestiniens » qui revendiquent leur « soi-disant droit au retour » afin de détruire l’État juif, a-t-il affirmé, accusant l’agence de lavage de cerveau dans ses écoles et d’être infiltrée de terroristes du Hamas, mais surtout de perpétuer le statut de réfugié palestinien, ce qui en fait le chantre de la solution à « un seul État ». 

Mais l’UNRWA n’est pas une fatalité, a-t-il tonné, et il existe des solutions alternatives, notamment d’autres agences de l’ONU ou des ONG.  « Charge à vous de faire que ces solutions l’emportent », a-t-il lancé aux membres du Conseil.  Alors que l’UNRWA nourrit le « projet fou » des Palestiniens, l’heure est venue de le définancer, a-t-il conclu. 


LA SITUATION AU MOYEN-ORIENT, Y COMPRIS LA QUESTION PALESTINIENNE

Exposé

M. PHILIPPE LAZZARINI, Commissaire général de l’Office de secours et de travaux des Nations Unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA), a souligné que l’Office est l’épine dorsale des opérations humanitaires à Gaza et une force stabilisatrice dans un Moyen-Orient secoué par de profonds bouleversements.  Il a dénoncé la campagne « insidieuse » pour mettre fin à ses opérations. 

Il a indiqué que six mois de bombardements incessants et d’un siège impitoyable ont rendu Gaza méconnaissable: les habitations, les écoles et les hôpitaux sont réduits en cendres sous lesquelles gisent d’innombrables corps alors que la famine resserre son étau.  Une famine orchestrée a commencé à s’installer dans le nord de Gaza, où des nourrissons et des enfants commencent à mourir de malnutrition et de déshydratation, alors que de l’autre côté de la frontière, de la nourriture et de l’eau potable attendent.  Or l’UNRWA se voit refuser l’autorisation d’acheminer cette aide et de sauver des vies, malgré les injonctions de la Cour internationale de Justice (CIJ) d’augmenter le flux d’aide vers Gaza, a-t-il dénoncé.

Alors que son mandat est soutenu par une écrasante majorité d’États Membres, l’Office est soumis à d’énormes pressions et à une campagne du Gouvernement israélien pour le sortir du Territoire palestinien occupé.  Nos demandes d’accès au nord sont rejetées, notre personnel est exclu des réunions de coordination entre Israël et les acteurs humanitaires et, « pire encore », nos locaux et notre personnel sont pris pour cible depuis le début de la guerre, a dénoncé le Commissaire général qui a précisé que 178 agents de l’UNRWA ont été tués et que plus de 160 locaux de l’Office ont été détruits ou endommagés, provoquant la mort de plus de 400 personnes.  Il a exigé une enquête indépendante sur ce mépris flagrant de l’obligation de protéger les travailleurs, les opérations et les installations humanitaires, en vertu du droit international. 

Passant à la Cisjordanie occupée, il a indiqué que la situation est très préoccupante avec des attaques quotidiennes des colons israéliens, des incursions militaires et la destruction des habitations et des infrastructures, dans le cadre « d’un système bien huilé de ségrégation et d’oppression ». L’espace opérationnel de l’UNRWA est rétréci par des mesures arbitraires imposées par Israël qui rendent difficiles le fonctionnement et l’accès aux écoles et aux centres de santé de l’UNRWA. En outre, des mesures législatives et administratives visant à expulser l’UNRWA de son siège à Jérusalem-Est et de lui interdire d’exercer ses activités sur le territoire israélien sont en cours d’élaboration alors qu’une campagne en ligne fait usage de faux comptes sur les réseaux sociaux et de faux sites Web pour désinformer l’opinion publique et discréditer l’Office. 

Revenant aux graves allégations formulées en janvier contre des agents de l’UNRWA à Gaza, le Commissaire général a rappelé que les personnes concernées ont été renvoyées et que le Secrétaire général a ordonné une enquête alors qu’un groupe indépendant évalue la manière dont l’UNRWA respecte le principe de neutralité, « un principe fondamental qui guide notre travail ». Toutefois, malgré ces mesures, un grand nombre de donateurs ont suspendu le versement de leurs contributions, a déploré M. Lazzarini qui a assuré qu’il reste fermement engagé à mettre en œuvre les recommandations de l’examen indépendant et à renforcer les garanties existantes contre les violations du principe de neutralité.  Selon lui, les appels à la fermeture de l’UNRWA visent à modifier les paramètres politiques de la paix dans le Territoire palestinien occupé. La communauté internationale a trop longtemps tenté de contenir, plutôt que de régler, le conflit israélo-palestinien. À chaque escalade des tensions, la solution des deux États est brandie « mais ce n’est que du vent » et cela coûte des vies et de l’espoir, a-t-il déploré. 

Il a rappelé que l’UNRWA a été créé il y a 75 ans en tant que mesure provisoire, dans l’attente d’une réponse politique à la question de la Palestine, qualifiant de malhonnête l’idée selon laquelle l’Office perpétuerait délibérément le statut de réfugié.  Si la communauté internationale s’engage réellement en faveur d’une solution politique, l’UNRWA pourrait redevenir temporaire et soutenir une transition jusqu’à ce qu’une administration palestinienne prenne en charge son travail. Le démantèlement de l’UNRWA ne ferait qu’aggraver la crise humanitaire et accélérer la famine.  À long terme, la transition d’un cessez-le-feu « à son lendemain » serait compromise par l’incapacité d’une population traumatisée à obtenir des services essentiels.  Et il serait pratiquement impossible de ramener sur les bancs des écoles les 500 000 enfants qui vivent dans les décombres de Gaza.

Il a appelé le Conseil à préserver le rôle essentiel de l’UNRWA, soulignant que le soutien politique des États Membres doit s’accompagner d’un financement adéquat.  Le Commissaire général a également exhorté le Conseil à s’engager en faveur d’un véritable processus politique respectueux des droits des réfugiés palestiniens et de leur aspiration à une solution juste et durable.  Les blessures profondes ne peuvent être guéries sans empathie et une condamnation de la déshumanisation qui sévit actuellement, a dit M. Lazzarini qui s’est refusé de choisir entre faire preuve de compassion envers les Gazaouites ou les otages israéliens et leurs familles.  Au lieu de cela, nous devons reconnaître que Palestiniens et Israéliens partagent une longue expérience du deuil.  Le Conseil doit contribuer à un avenir pacifique et sûr par une action multilatérale fondée sur des principes et un véritable engagement en faveur de la paix, a-t-il conclu.

 

(En raison de la crise de liquidités qui affecte l’Organisation des Nations Unies, la Section des communiqués de presse est contrainte de modifier le format de la couverture des réunions.)

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