Deuxième Commission: étranglés par le remboursement de la dette, les pays en développement ont besoin d’investissements et de commerce équitable
(En raison de la crise de liquidités qui affecte l’Organisation des Nations Unies, la Section des communiqués de presse est contrainte de modifier le format de la couverture des réunions.)
À l’ouverture, en début de semaine, de la session de la Deuxième Commission (questions économiques et financières), le professeur d’économie Jeffrey Sachs avait observé que les pays en développement devraient atteindre des taux de croissance phénoménaux –de l’ordre de 7 à 10%- pour réaliser le Programme 2030. Force est de constater que le niveau de stimulation et d’investissement nécessaire à une telle croissance est « difficilement mobilisable », a tempéré ce matin le panéliste Paul Bekker, Président du Conseil du commerce et du développement, « compte tenu de ce que certains appellent une crise du développement ».
Une crise qui contraint les gouvernements à des arbitrages impossibles entre service de la dette et satisfaction des besoins fondamentaux des populations, comme l’éducation et la santé. Aujourd’hui encore, le Groupe des pays les moins avancés (PMA), par la voix du Népal, ont répété comment cette dette grevait leurs efforts pour investir et s’extirper de leur catégorie.
« 2024 restera une année très difficile pour les pays en développement »
Depuis 2022, la pression sur la dette extérieure des pays en développement s’est accrue, rendant ce fardeau de moins en moins soutenable: plus de 40% de la population mondiale vit aujourd’hui dans un pays consacrant plus d’argent au service de la dette qu’à la santé et l’éducation, a noté la Mongolie, en proie elle-même à de grands sacrifices pour conserver une note financière inspirant assez de confiance aux investisseurs. En 2023, la dette extérieure des pays en développement a atteint un record de 11 400 milliards de dollars, soit une augmentation annuelle de 3,4% depuis 2022. Le paiement des intérêts a représenté 10% ou plus des recettes publiques dans 54 pays en développement en 2023, contre 29 en 2010. Le tout dans un contexte volatile, où l’inflation dans les pays développés bouche l’accès aux capitaux, comme s’en est plainte l’Inde, la hausse des taux d’intérêt dans les économies développées minant son accès au crédit abordable.
« Nous prévoyons que 2024 restera une année très difficile pour les pays en développement », a sobrement confirmé Mme Penelope Hawkins, de la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement (CNUCED).
Navrés, les petits États insulaires en développement (PEID) ont confirmé que la part du service de la dette dans leurs budgets ne cesse d’enfler, plombant leurs économies. Représentant un cinquième des États Membres de l’ONU, les PEID devraient pouvoir se développer, ce qui se révèle « impossible, avec une telle dette ». Le Groupe des États d’Afrique, par la voix du Tchad, a plaidé pour une réforme des agences de notation qui sanctionnent les pays africains en augmentant leurs taux d’intérêts, dans une spirale mortifère. Creusant le sillon, l’Égypte a réclamé la création d’une « autorité mondiale de la dette » qui superviserait le mécanisme de la dette souveraine.
Un commerce mondial inégalitaire et en contraction
La croissance mondiale devrait rester inférieure à 3% cette année selon la CNUCED, dont les rapports ont été examinés par la Commission. La solidité des moteurs traditionnels de la croissance est éprouvée: les flux d’investissement étranger direct (IED) sont en baisse, ce qui cause des répercussions négatives sur la capacité des pays en développement à investir dans les objectifs de développement durable (ODD) ou à transformer leurs économies.
Un autre constat fait aujourd’hui: le commerce mondial s’est contracté l’année dernière, aggravé par les perturbations des chaînes d’approvisionnement et les tensions géopolitiques. Il se chiffrait à environ 31 000 milliards de dollars, en léger recul par rapport aux niveaux records de 2022, selon la CNUCED. Un commerce loin d’être équitable, ont relevé plusieurs orateurs, que ce soit entre pays ou à l’intérieur des pays: à l’heure où les changements climatiques bouleversent les économies, les investissements dans les énergies renouvelables vers l’Afrique ne représentent que 2% du total des flux mondiaux.
Le Groupe des États d’Afrique a confirmé que la perspective du continent n’était pas prise en compte; elle ne le serait pas sans qu’une réforme de l’architecture financière internationale augmente les droits de vote de l’Afrique au Fonds monétaire international (FMI), à la Banque mondiale et dans d’autres institutions multilatérales. Au sein des pays, le commerce mondial n’a pas non plus profité à éliminer la pauvreté, à autonomiser les femmes ou à créer des emplois sur une base durable. En guise de piste, la CNUCED recommande de renforcer l’intégration des pays en développement dans les chaînes de valeurs mondiales, en particulier dans les secteurs de l’alimentation et des énergies renouvelables.
Le Groupe des pays en développement sans littoral (PDSL) s’est illustré dans la dénonciation d’une concurrence commerciale faussée par les politiques industrielles des nations les plus puissantes. « Génératrices de distorsions dans le commerce et l’investissement », ces politiques risquent d’aggraver davantage l’écart commercial entre pays. Luttant pour que soit reconnue, entre autres, leur dépendance disproportionnée aux longues routes de transport et de transit, les PDSL ont prévenu qu’il faudrait des investissements de 510 milliards de dollars pour les hisser au niveau de la moyenne commerciale mondiale. Ils ont renvoyé au prochain Programme d’action pour les PDSL, qui sera adopté à Gaborone, au Botswana, lors de la conférence prévue du 10 au 13 décembre.
Conversion de la dette souveraine en aide au développement réclamée par les délégations: pas la panacée, selon la CNUCED
Au Belize, en Équateur ou au Gabon, de récentes conversions de dettes souveraines en faveur de la nature ou du développement ont mobilisé des capitaux importants et suscité un intérêt international. Le Groupe des États d’Afrique et le Groupe des 77 et la Chine en ont réclamé davantage. Sollicitée, la CNUCED a examiné le rôle que pourraient jouer ces conversions pour se dégager un espace budgétaire. Elle a appris qu’entre 1987 et 2023, 11,5 milliards de dollars de dettes avaient été converties sur des projets axés sur l’éducation, la santé, les enfants, l’alimentation, le climat, la nature et la réduction de la pauvreté.
La question est de savoir dans quelle mesure les conversions de dettes sont généralisables, et après analyse, Mme Hawkins a observé que ces conversions ne se révèlent pas un outil complet ou efficace de restructuration de la dette, à cause de « leur valeur nominale limitée » et de « leurs coûts de transaction élevés ». Les pays peuvent tout au moins, de manière pragmatique, considérer ces conversions comme « un instrument financier parmi d’autres », dans une boîte à outils plus vaste, a-t-elle conseillé.
Un projet de convention fiscale internationale très attendu
Parmi les rectifications à opérer pour un système de développement plus juste, les délégations n’ont pas manqué de souligner l’urgence d'un système global de fiscalité internationale ciblée. D’où le projet très attendu -cité notamment par l’Inde, le Nigéria, le Bangladesh ou encore le Chili- d’une convention-cadre sur la coopération fiscale internationale. Le Président du Comité spécial chargé du projet, M. Ramy M. Youssef, a promis « une étape importante vers un système fiscal international plus inclusif, plus juste et plus efficace » visant à accélérer la mise en œuvre du Programme d’action d’Addis-Abeba et la réalisation du Programme 2030.
La convention-cadre pourrait agir comme un aspirateur de devises pour les pays en développement. Elle pourrait assurer une répartition équitable des droits d’imposition et une imposition équitable des entreprises multinationales, avec une attention toute particulière portée sur l’économie numérisée. Elle pourrait aussi lutter contre la fraude et l’évasion fiscales d’individus fortunés. Les autres objectifs sont la coopération fiscale internationale en soutien au développement durable ainsi qu’une assistance administrative mutuelle efficace en matière fiscale. De nombreuses délégation, à l’instar de l’Égypte, ont exprimé leurs grandes attentes vis-à-vis de cet outil en construction.
Les flux financiers illicites rongent le développement des pays africains
La future convention-cadre lutterait, de plus, contre les flux financiers illicites liés à la fiscalité et aux mauvaises pratiques fiscales. Sur ce point, tout reste à faire, tant les flux financiers illicites corrodent le développement: en Afrique, les pays aux flux financiers illicites élevés dépensent 25 à 60% de moins dans la santé et l’éducation que les autres. Ces flux sont cachés mais leurs effets néfastes sont clairs. Ils alimentent la criminalité transnationale organisée et privent les gouvernements de ressources, renforçant encore leur dépendance à la dette extérieure, a démontré Mme Anu Peltola de la CNUCED, qui a établi un instrument pour les mesurer statistiquement. Le Nigéria a remarqué qu’il faudrait aussi s’intéresser aux pays de destination, car « sans destinataires, il n’y a plus de flux ». Le temps nécessaire pour recouvrer les avoirs, bien trop long à son goût, peut inciter à l’inaction, a-t-il ajouté, invitant à réfléchir à des mesures dissuasives.
Le soutien multilatéral aux efforts de développement a aussi été exprimé pendant cette journée de débats. Les États-Unis ont dit avoir déboursé plus de 150 milliards de dollars ces trois dernières années en faveur des ODD, assurant en outre que 250 milliards seront octroyés pour la prochaine décennie en faveur du développement.
La Deuxième Commission se réunira de nouveau lundi à 10 heures.