412e séance – matin
AG/PAL/1453

Pour la première fois, l’ONU commémore la Nakba et entend, à cette occasion, le Président de l’État de Palestine

Le Comité pour l’exercice des droits inaliénables du peuple palestinien a commémoré, aujourd’hui, le soixante-quinzième anniversaire de la Nakba, « catastrophe » en langue arabe, survenue en 1948, lorsque plusieurs centaines de milliers de Palestiniens furent chassés de leurs terres.  Cette séance de haut niveau, marquée par la longue intervention du Président de l’État de Palestine et qui se tenait dans un contexte de tensions accrues au Moyen-Orient, est le premier événement jamais organisé à l’ONU pour commémorer cette tragédie.  En novembre 2022, l’Assemblée générale a en effet voté une résolution demandant la tenue de cette séance.

Le Président du Comité, M. Cheikh Niang, a d’emblée rappelé que la Nakba, « épicentre de l’histoire tragique des Palestiniens », est trop souvent éludée et peu enseignée. Pourtant, des centaines de milliers de Palestiniens ont dû quitter leurs foyers quasiment du jour au lendemain, a déclaré le Président, en rappelant la « Nakba continue » que vit le peuple palestinien depuis cette date.  Il a souligné la recrudescence des violences commises dans les territoires palestiniens occupés, avant d’exhorter Israël à cesser de spolier les terres palestiniennes et à ne plus déplacer sa population vers lesdites terres.

« La position de l’ONU est claire, l’occupation israélienne doit cesser et la solution des deux États doit se concrétiser », a appuyé la Secrétaire générale adjointe aux affaires politiques, Mme Rosemary DiCarlo, qui a vivement déploré que cette solution ne cesse de s’éloigner.  Mais c’est bien le discours du Président de l’Autorité palestinienne, M. Mahmoud Abbas, qui était le plus attendu.  « La Nakba n’a pas commencé en 1948 et ne s’est pas interrompue après cette date », a d’emblée déclaré le Président, en dénonçant la poursuite par Israël de son agression du peuple palestinien.

Le Président a mentionné la cinquantaine de massacres perpétrés par Israël en 1948 ayant fait une dizaine de milliers de victimes, ainsi que la destruction d’environ 150 villages et la fuite de la moitié de la population palestinienne.  Malgré de nombreux documents prouvant ces faits, Israël continue de dissimuler la vérité, a-t-il accusé.  Le Président palestinien a exigé qu’Israël respecte les résolutions de l’ONU, sous peine de voir sa participation à l’Organisation suspendue.  Israël n’a jamais respecté ses obligations d’État Membre, a pointé M. Abbas. 

« Comment être une puissance occupante et s’arroger le titre de démocratie? » a-t-il demandé, alors que tant d’organisations internationales et israéliennes qualifient la situation en Palestine d’apartheid.  Plus de la moitié de la jeunesse israélienne est d’accord avec cette définition, a-t-il d’ailleurs noté, en rappelant que Cour internationale de Justice (CIJ) s’est aussi saisie de la question.  M. Abbas a ensuite dénoncé les voix dangereuses qui s’expriment actuellement en Israël.  « Des ministres appellent publiquement à une nouvelle Nakba, sans que le Gouvernement israélien ne les condamne. »

Parmi les solutions possibles, le Président a estimé que la première chose à faire pour Israël est de reconnaître sa responsabilité dans la Nakba, puis de présenter des excuses pour les meurtres et les destructions commises depuis 1948 et, enfin, d’apporter des dédommagements.  Répondant à l’affirmation d’Israël selon laquelle les Palestiniens ne veulent pas la paix, le Président Abbas a rappelé que la Palestine a accepté qu’un État israélien voie le jour sur 22% de son territoire historique et a reconnu Israël. 

« Nous sommes prêts à vivre avec Israël dans la paix et la sécurité, à condition que les résolutions onusiennes soient acceptées », a conclu M. Abbas, en plaidant pour la solution des deux États.  Une position largement partagée par la dizaine d’orateurs à avoir ensuite pris la parole, à l’instar de l’Union africaine qui a jugé urgent de mettre un terme à l’occupation israélienne et exhorté Israël à respecter le droit international.  De son côté, M. Philippe Lazzarini, Commissaire général de l’UNWRA (Office de secours et de travaux des Nations Unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient), a rappelé que la Nakba a engendré la plus longue crise de réfugiés de l’histoire, avant d’insister sur la difficile situation de son agence.

Le délégué du Conseil de coopération des États arabes du Golfe a, lui aussi, parlé de la « Nakba continue » que connaît le peuple palestinien, situation qui ne fait qu’alimenter le désespoir.  Il a demandé la fin des provocations israéliennes, ainsi que l’instauration d’une paix pérenne et juste, dont la condition cardinale est l’exécution par Israël de ses obligations internationales.  Cuba, au nom du Groupe des 77 et la Chine, a, elle, prié la communauté internationale d’apporter aux Palestiniens une protection internationale.

Son homologue de la Ligue des États arabes a salué les États ayant voté pour la résolution précitée de l’Assemblée générale, avant d’exhorter la communauté internationale à contrecarrer les visées extrémistes du Gouvernement israélien, lequel ne cherche qu’à saper la solution des deux États.  « Comme toute occupation à s’être produite dans l’histoire, l’occupation israélienne est vouée à disparaître », a assuré le délégué, appuyé par l’Organisation de la coopération islamique ainsi que par le Mouvement des non-alignés, parlant par la voix de l’Azerbaïdjan.

Enfin, M. Nyle Fort, professeur à l’Université Columbia (New York) et représentant de la société civile, a fait un parallèle entre la brutalité policière américaine qu’il a vue à Ferguson, aux États-Unis, théâtre en 2014 du meurtre d’un jeune noir par un policier blanc, et la brutalité israélienne qu’il a pu constater lors d’un voyage à Hébron, en Cisjordanie.  Il a exhorté tous les États Membres de l’ONU à mettre un terme à leur coopération militaire avec Israël et proposé qu’un embargo sur les armes soit adopté contre ce pays.

Le Président du Comité a mentionné les nombreux chefs d’État et de gouvernement à avoir envoyé un message de soutien à l’occasion de cette réunion, dont ceux de l’Algérie, du Venezuela, du Koweït, de l’Indonésie, du Sénégal, de la Malaisie ou encore du Bangladesh.

COMMÉMORATION DU SOIXANTE-QUINZIÈME ANNIVERSAIRE DE LA NAKBA

Déclaration du Président de l’État de Palestine

M. MAHMOUD ABBAS, Président de l’État de Palestine, a d’emblée annoncé qu’il ferait un long discours, les 75 ans de la Nakba nécessitant de revenir sur plusieurs points essentiels, et tout d’abord sur la résolution commémorant celle-ci, le fardeau des Palestiniens, chaque 15 mai.  Ce texte représente une reconnaissance de la Nakba par l’Organisation, alors qu’elle a ignoré pendant tant d’années ce fait historique, démarré en 1948 et qui se poursuit encore aujourd’hui.  Cette résolution représente aussi la première fois que le discours sioniste d’Israël niant la Nakba est réfuté, a-t-il rappelé avant d’exprimer son espoir de voir honorer le droit des Palestiniens à un État indépendant et leur retour dans les villes et villages dont ils ont été déplacés.  Il est bon, selon le Président Abbas, que les peuples du monde découvrent « la nature fallacieuse du récit israélien sur la Nakba et la cause palestinienne en général », grâce à la volonté des Palestiniens et de ses peuples amis.  Un monument pour la mémoire de la Nakba sera érigé en Palestine et une loi palestinienne instaure désormais la commémoration de la Nakba chaque année, a signalé le Président.

Toutefois, selon lui, la Nakba n’a pas commencé en 1948 et ne s’est pas interrompue après cette date: Israël a poursuivi en effet l’occupation et l’agression du peuple palestinien, ainsi que le rejet des résolutions relatives au retour des Palestiniens dans leur patrie.  Il continue d’occuper et de confisquer les terres de l’État de Palestine et d’y installer des colonies, selon un système d’apartheid, que ce soit à l’intérieur d’Israël ou dans les territoires palestiniens occupés, et ce, depuis 67 ans, a relaté M. Abbas.  Il a aussi rappelé qu’au fil des ans, l’ONU a adopté des centaines de résolutions reconnaissant les droits des Palestiniens à retrouver leur terre, certaines de l’Assemblée générale, d’autres du Conseil de sécurité ou du Conseil des droits de l’homme. Aucune de ces centaines voire milliers de résolutions n’a été mise en œuvre, a-t-il déploré, y compris la 181 (1947) appelant à la création d’un État arabe palestinien ainsi que la 194 (1948) appelant à un retour des réfugiés.  Ceci était pourtant une condition préalable pour qu’Israël devienne membre de l’ONU à l’époque, a rappelé M. Abbas.  Toutefois, s’est-il remémoré, « certains pays », connus de tous, ont fait obstruction de manière délibérée à leur mise en œuvre.  C’est pourquoi il a exigé, « officiellement et conformément au droit international », qu’Israël respecte ces résolutions, sous peine de voir sa participation à l’ONU suspendue.  Israël n’a jamais respecté ses obligations pour devenir membre de l’Organisation, a pointé M. Abbas, estimant que ce pays trahit ses promesses et continue sur cette ligne depuis.  Pour appuyer ses dires, M. Abbas a brandi un dossier contenant une copie d’une lettre du Ministre des affaires étrangères israélien Moshe Shertok, datée de 1948, promettant la mise en œuvre des résolutions 181 et 194. 

Selon lui, des pays ont accepté que l’occupation israélienne devienne un fait acquis, évitant à Israël des sanctions, en usant de leur droit de veto au Conseil de sécurité. « Pourquoi ce deux poids, deux mesures, pourquoi ces traitements différents en fonction des situations? »  Certaines résolutions du Conseil sont mises en œuvre immédiatement alors que la Palestine attend depuis 75 ans, a lancé M. Abbas.  Il a insisté sur la responsabilité du Royaume-Uni et des États-Unis dans la Nakba, en raison de leurs « objectifs coloniaux »: Israël n’aurait pas pu poursuivre son agression sans le soutien de ces pays ayant produit la Déclaration Balfour, et portant donc une responsabilité « coordonnée » dans la situation que vivent les Palestiniens.  Ces pays ont accepté les prétentions selon lesquelles la Palestine était une terre inoccupée, sans population, pouvant être remise à Israël, a encore regretté le Président, disant que ces pays voulaient « se débarrasser des juifs » en les installant en Palestine.  La Déclaration Balfour décrit les Palestiniens comme des résidents non juifs, sans les mentionner autrement, et leur promet uniquement des droits religieux, bien qu’à l’époque, ils représentassent 96% de la population du territoire.  M. Abbas s’est demandé où était la justice et le fondement juridique dans tout cela.  Pour lui, le Royaume-Uni a accordé à Israël un cadeau.  Ce fut « la promesse d’un État ne détenant pas la terre à un État ne la méritant pas ».  « Pourquoi ne pas leur avoir donné une île? » s’est demandé M. Abbas. 

Le fait que la Palestine était soi-disant inoccupée, sans habitants, et qu’elle pouvait être remise à un peuple sans terre est une allégation fausse et pourtant si commune, selon le Président qui a rappelé que les ancêtres des Palestiniens, les Cananéens, sont pourtant présents en Palestine depuis des millénaires.  Leur présence, ininterrompue pendant des siècles, est mentionnée dans la Torah, a-t-il fait remarquer.  « Comment, dans ces conditions, avoir parlé de « terre sans peuple », alors que la civilisation palestinienne était cultivée, raffinée, depuis des temps immémoriaux jusqu’au XXsiècle? »  On a aussi prétendu que les Palestiniens avaient quitté leur pays volontairement en 1948, autre allégation que M. Abbas a souhaité déconstruire.

Le Président a ensuite mentionné une cinquantaine de massacres perpétrés par Israël en 1948 ayant fait une dizaine de milliers de victimes, ainsi que la destruction d’environ 150 villages et la fuite de la moitié de la population palestinienne.  Il a déploré que, malgré de nombreux documents attestant ces faits établis et de multiples témoignages, Israël continue de dissimuler la vérité.  M. Abbas a évoqué à cet égard le film « Tantura », réalisé en 2022 par un Israélien, où témoignent les auteurs des massacres de 1948.  La plupart, âgés de plus de 90 ans, ont témoigné de leurs actes, de leurs assassinats, des fosses communes, des crimes perpétrés de l’époque.

Israël couvre ses crimes en invoquant la « légitime défense », mais « comment les massacres et les destructions de villages pourraient-ils donc être considérés comme telle? » s’est indigné M. Abbas.  Comment les bombardements de Gaza ou la guerre de 1967 peuvent-ils être considérés comme de la légitime défense, alors que l’on sait aujourd’hui que cette guerre avait été planifiée depuis longtemps, à la lumière de confessions de généraux de l’armée israélienne?  Quand bien même ce serait de la légitime défense, est-ce une raison pour annexer Jérusalem-Est et le Golan syrien, au grave mépris des résolutions internationales, telles que la 338 (1973) et la 242 (1967) rejetant l’utilisation de la force?  Sans oublier la 2334 (2016).  Les États-Unis ont accepté ces résolutions, « on ne sait comment, peut-être les ont-ils mal comprises », s’est interrogé le Président en précisant que ces textes stipulent qu’il faut mettre fin aux activités de colonisation, y compris à Jérusalem-Est.  Le nombre de colons est aujourd’hui de 750 000 et la Convention de Genève interdit à une puissance occupante de déplacer sa population sur une terre occupée, mais le monde ferme les yeux, s’est encore ébahi M. Abbas qui a aussi mentionné les violences à Naplouse et sur les camps de réfugiés à Gaza.  « Est-ce que tout cela représente de la légitime défense? »

Un autre mensonge, selon M. Abbas, est qu’Israël a permis au désert de fleurir, comme si la Palestine était un désert et Israël, un paradis.  La Palestine était verte, elle avait des jardins, des oliviers, des oranges vendues aux pays européens; la Palestine est fertile, regorge de lacs et de rivières aujourd’hui taries par l’État d’Israël, a-t-il dépeint.  Mais le mensonge le plus patent, selon le Président, sont les déclarations d’Israël selon lesquelles il serait le seul pays démocratique du Moyen-Orient.  Qu’un parangon de démocratie ait commis tous les crimes cités, dont l’occupation du territoire palestinien depuis 1967, est profondément ironique de l’avis du dirigeant palestinien: « Comment être une puissance occupante et s’arroger le titre de démocratie? » a-t-il demandé, alors que tant d’organisations internationales et israéliennes qualifient la situation de politique d’apartheid, et que plus de la moitié de la jeunesse israélienne est d’accord avec cette définition.  La Cour internationale de Justice (CIJ) s’est aussi saisie de la question, a-t-il fait valoir avant de citer des lois israéliennes qui considèrent les juifs comme seuls titulaires du droit à l’autodétermination.  Il existe pléthore de preuves permettant de réfuter le récit israélien fallacieux, a commenté M. Abbas. 

Selon une autre allégation qu’il considère comme mensongère, Israël affirme que les Palestiniens ne veulent pas la paix et veulent jeter Israël aux oubliettes.  La Palestine a pourtant accepté qu’un État israélien voie le jour sur 22% de son territoire historique et a reconnu Israël.  « Nous sommes prêts à vivre avec Israël dans la paix et la sécurité et vivre en bon voisinage, mais à la condition que les résolutions soient acceptées. »  Or l’initiative de paix arabe approuvée par le Conseil de sécurité a été refusée par Israël, qui s’est aussi détourné des accords de Charm el-Cheikh il y a quelques semaines, a-t-il regretté: les accords ont été signés mais Israël a fait machine arrière avant même que l’encre ne sèche.  « Alors, qui refuse la paix? » a lancé M. Abbas. 

La condition sine qua non du retour de la paix est de reconnaître la solution des deux États basée sur l’instauration d’un État de Palestine indépendant, selon le tracé des frontières d’avant 1967 et avec Jérusalem-Est pour capitale, a-t-il martelé.  Pour lui, la Palestine demeurera, et Jérusalem demeurera, arabe et palestinienne, « quoi qu’en pense M. Trump ou n’importe qui d’autre »: « c’est notre terre, notre ville et nous ne la céderons jamais ».  M. Abbas a saisi cette occasion pour demander la libération des prisonniers palestiniens, dont « un garçon de 6 ans et une femme enceinte ».  Comment les démocraties du monde peuvent-elles rester sourdes à cela?  « Nous ne sommes pas contre les juifs », le judaïsme étant l’une des religions monothéistes et M. Abbas se décrivant comme croyant lui-même, « mais contre l’occupation de notre territoire », a-t-il nuancé.

Enfin, le Président Abbas s’est inquiété de voir qu’en Israël, des voix dangereuses s’expriment actuellement: des ministres appellent publiquement à une nouvelle Nakba, sans que le Gouvernement israélien les condamne; certains responsables politiques appellent à tuer des Palestiniens, à les expulser hors de chez eux, à confisquer leurs maisons.  Évoquant les meurtres et les destructions perpétrés par des « gangs israéliens » sous les yeux de l’armée israélienne à Houara, M. Abbas a appelé la communauté internationale à se réveiller et à prendre ses responsabilités en fournissant une protection au peuple palestinien.  Louant tous les Israéliens juifs se plaçant du côté du peuple palestinien, il a répété qu’Israël ne pouvait se considérer au-dessus des lois internationales.  La première chose à faire pour Israël selon lui est de reconnaître sa responsabilité dans la Nakba, de présenter des excuses pour les meurtres et les destructions depuis 1948, et de fournir des dédommagements.

« La seule vérité est la cause palestinienne.  Les Palestiniens sont dans leur bon droit et continueront de l’être jusqu’à la fin des temps. »  Lançant un appel pour la mise en œuvre « d’au moins une seule résolution » parmi les milliers concernant la question palestinienne, le Président de l’État de Palestine a conclu sous les applaudissements de la salle en saluant la résilience de son peuple que ce soit parmi la diaspora, dans les camps de réfugiés ou à Jérusalem. Des applaudissements suivis de slogans « Libérez la Palestine! » scandés dans la salle.

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