En cours au Siège de l'ONU

Soixante-seizième session, Conférence sur les océans,
Dialogue de haut niveau #5 –après-midi
MER/2150

Optimisme au rendez-vous avec l’adoption par l’OMC du premier accord multilatéral juridiquement contraignant sur les subventions à la pêche et la viabilité des océans

LISBONNE, 29 juin -– Lors de ce cinquième débat interactif, intitulé « Rendre la pêche durable et garantir aux petits pêcheurs l’accès aux ressources marines et aux marchés », M. QU DONGYU, Directeur général de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), a constaté qu’océans, rivières et lacs peuvent aider à nourrir le monde, à condition d’exploiter leurs précieuses ressources de manière responsable, durable et équitable.  Alors qu’il est avéré que la production alimentaire marine est plus nutritive, a moins d’impact environnemental et émet moins de gaz à effet de serre que les animaux terrestres, trop peu de pays incluent le poisson dans leurs stratégies de sécurité alimentaire et de nutrition, a-t-il observé.  M. Dongyu s’est ensuite réjoui de pouvoir affirmer que les stocks halieutiques efficacement gérés se reconstituent.  S’agissant de la cible 6 de l’ODD 14 qui vise à éliminer les subventions qui contribuent à la surpêche et à la pêche illégale, non réglementée et non déclarée (INN), la FAO confirme là encore une progression.  M. Dongyu a saisi cette occasion pour féliciter l’OMC de l’accord sans précédent conclu sur les subventions à la pêche en exigeant qu’il soit appliqué.

Lui emboitant le pas, M. HENRY PUNA, Secrétaire général du Forum des îles du Pacifique, a lui aussi souligné que la viabilité des ressources halieutiques est compromise par la surpêche, les subventions nuisibles, les impacts des changements climatiques et la pollution marine.  Il a fait un bilan de ce que fait « le Pacifique bleu » pour lutter contre la surpêche, indiquant que plusieurs agences œuvrent à la gestion et au développement durables des ressources halieutiques, dont l’Agence des pêches du Forum.  Elle travaille en étroite collaboration avec une organisation sous-régionale appelée les Parties à l’Accord de Nauru (PNA), qui se compose de huit pays et d’un territoire, tous des petits États insulaires en développement (PEID), qui contrôlent environ 50% de l’offre mondiale du thon.  Ces agences travaillent en coopération avec la Commission des pêches du Pacifique occidental et central, une organisation régionale, pour gérer durablement la ressource thonière dans cette région et en haute mer.  À ce jour, l’océan Pacifique occidental et central reste le seul disposant de stocks de thon sains, a affirmé l’expert, et cela est dû en grande partie à la gestion coopérative par le PNA.  Ses membres dépendent fortement du thon car il génère de 30 à 90% de leurs revenus gouvernementaux à partir des droits de licence de pêche au thon.  Les voix du Pacifique ont été entendues et visibles lors de la douzième Conférence ministérielle de l’OMC qui s’est achevée il y a quelques semaines à Genève.  Après d’intenses négociations et compromis, un « accord partiel » sur les subventions à la pêche a été conclu, a rappelé l’expert, et bien qu’il soit imparfait, c’est le seul accord juridiquement contraignant axé uniquement sur deux piliers: la pêche illégale, non déclarée et non réglementée (INN) et les stocks surexploités, et la notification et la transparence, a souligné M. Puna.  Toutefois les îles du Pacifique tiennent à obtenir certaines flexibilités pour les pays en développement membres de l’OMC pour leur fournir l’espace politique dont elles ont besoin pour développer leur pêche, qu’elle soit côtière ou hauturière, a-t-il argué.  Elles demandent donc maintenant à l’OMC et aux grands subventionneurs de faire preuve d’engagement à poursuivre les négociations pour inclure la surcapacité et la surpêche et parvenir dès que possible à un accord global.

Mme SHAKUNTALA THILSTED, Lauréate du Prix mondial de l’alimentation 2021 et Membre du Comité directeur et Groupe d’experts de haut niveau sur la sécurité alimentaire et la nutrition du Comité des Nations Unies sur la sécurité alimentaire mondiale, a également mis en valeur la pêche à petite échelle pour sa contribution significative à l’économie océanique.  Elle a regretté que la pêche artisanale et ses adeptes soient souvent sous-évalués et non reconnus pour leur participation aux systèmes alimentaires mondiaux en vue d’assurer la sécurité alimentaire et nutritionnelle.  Les perturbations récentes liées aux changements climatiques, à la COVID-19 et aux conflits ont mis en évidence la vulnérabilité de cette catégorie de pêcheurs, notamment en termes d’accès aux systèmes de sécurité sociale nationaux comme les prêts, l’assurance, l’éducation et les soins de santé.  Toutefois, a estimé l’intervenante, même si la situation semble sombre, nous disposons aujourd’hui d’instruments et de plates-formes internationales solides, telles que cette Conférence, pour identifier les opportunités et développer des solutions afin de faire avancer la cause des petits pêcheurs.  Mme Thilsted a également cité les Directives volontaires de la FAO pour garantir une pêche artisanale durable dans le contexte de la sécurité alimentaire et de l’éradication de la pauvreté qui sont, selon elle, un autre outil puissant qui peut être utilisé immédiatement par les gouvernements, les décideurs, les praticiens, les universitaires, le secteur privé et les communautés locales pour faire progresser le développement durable du secteur de la pêche artisanale et accroître sa contribution à la sécurité alimentaire et nutritionnelle mondiale et aux moyens de subsistance.  Elle a toutefois appelé à ne pas prendre ces recommandations de manière isolée mais à les opérationnaliser conjointement avec d’autres lignes directrices qui garantissent les droits et responsabilités des personnes.  La panéliste a cité en particulier les Directives volontaires pour les systèmes alimentaires et la nutrition qui assurent la convergence des secteurs de l’alimentation, de l’agriculture et de la nutrition et de la santé.

M. SANTIAGO WILLS, Président des négociations de l’OMC sur les subventions à la pêche, a rappelé d’emblée que l’ODD 14.6 a chargé l’OMC de négocier un outil pour interdire les subventions contribuant à la pêche INN et à la surpêche, en tenant compte des besoins des pays en développement.  Après de nombreuses années et d’énormes efforts, le 17 juin 2022, les ministres de l’OMC ont donc adopté un accord multilatéral juridiquement contraignant sur les subventions à la pêche.  C’est une réussite à bien des égards selon M. Wills, puisqu’il s’agit du premier accord environnemental à l’OMC, du premier et plus grand accord multilatéral juridiquement contraignant axé sur la durabilité des océans, mais surtout d’un grand pas en avant pour réorienter les fonds gouvernementaux vers le soutien de la viabilité environnementale.  « En un mot, le nouvel accord sur les subventions à la pêche s’attaquera aux pires formes de soutien gouvernemental en interdisant les subventions qui contribuent à la pêche INN et qui interdit les subventions qui contribuent à la surpêche des stocks de poissons et à la pêche en haute mer non réglementée », a précisé M. Wills.  L’accord contient également des exigences novatrices en matière de notification et de transparence pour les subventions à la pêche et la gestion des pêches.  M. Wills a reconnu que l’OMC a été freinée par des données limitées, mais l’accord contribue justement à améliorer considérablement la collecte de données pertinentes, de sorte que lorsque nous nous appuierons à l’avenir sur les engagements existants pour négocier davantage de restrictions sur les subventions, nous disposerons des informations dont nous avons besoin pour cibler notre action, a-t-il déclaré.  C’est une excellente nouvelle qui facilitera grandement la tâche difficile de l’OCDE, et en particulier de sa commission des pêches, a ajouté M. Wills. 

C’est également une bonne nouvelle pour les pêcheurs artisanaux à petite échelle, a-t-il poursuivi.  Les estimations les plus récentes suggèrent que près de 50% des stocks évalués sont surexploités.  La diminution des stocks de poissons se traduit par une diminution des opportunités économiques pour les communautés de pêcheurs pauvres et vulnérables, a-t-il souligné.  Or nous avons maintenant la possibilité d’inverser cette tendance en arrêtant les subventions qui exercent une pression supplémentaire sur ces stocks épuisés.  En lieu et place, a expliqué l’expert, une partie de ces dépenses publiques pourra être utilisée pour soutenir les pratiques de pêche durable des pêcheurs artisanaux, sachant qu’environ 22 milliards de dollars sont actuellement dépensés chaque année en subventions nuisibles.  Des subventions qui sont en grande partie la cause de l’épuisement catastrophique des ressources marines, a concédé M. Wills, en espérant qu’au lieu de cela, cet argent sera investi dans la pêche durable à l’avenir, y compris dans les meilleures pratiques de gestion des pêches.

Mme ELISA MORGERA, Directrice de One Ocean Hub et Professeur de droit environnemental mondial, a parlé d’une approche axée sur les droits humains en matière de pêche, un thème abordé lors de la semaine des océans de 2022.  Il faut reconnaitre les droits collectifs et coutumiers des petits pêcheurs, leur faciliter l’accès à la justice et les associer aux processus qui les concernent, a-t-elle défendu en appelant aussi à la gestion intégrée des ressources marines, en considérant ces pêcheurs comme les « gardiens de l’eau ».  Elle a évoqué le potentiel de partenariats de gouvernance bleue pour répondre à ces questions et développer de nouveaux modèles de recherche afin d’intégrer des informations scientifiques, notamment.

Mme EDITRUDITH LUKANGA, Coprésidente du Forum mondial des pêcheurs et travailleurs de la pêche et Vice-Présidente du Comité directeur international de l’Année internationale de la pêche et de l’aquaculture artisanales 2022 (IYAFA), a mis en avant l’importance et le potentiel de la pêche artisanale pour le développement durable en estimant que cela reste encore à être correctement reconnu et exploité, alors même qu’environ 500 millions de personnes dépendent de la pêche artisanale d’une manière ou d’une autre.  On estime que la pêche à petite échelle représente au moins 40% des prises mondiales des pêches de capture et fournit des emplois tout au long de la chaîne de valeur à environ 60,2 millions de personnes, soit près de 90% du nombre total d’employés dans la pêche à l’échelle mondiale.  Fort de ce constat, la communauté mondiale a identifié les principaux problèmes pour garantir une pêche artisanale durable et convenu de la manière de les aborder à travers les Directives volontaires pour assurer une pêche artisanale durable dans le contexte de la sécurité alimentaire et de l’éradication de la pauvreté en 2014 (les Directives SSF), a rappelé Mme Lukanga.  À l’avenir il faudra donc tenir compte de l’équité pour une économie océanique durable, a ajouté Mme Lukanga.

Ce débat interactif était coprésidé par le Ministre des pêches et des ressources marines de la Namibie, M. DEREK KLAZEN, et le Vice-Ministre pour les pêches et océans du Canada, M. LAWRENCE HANSON, et Mme GIM HUAY NEO, Directrice générale du Centre pour la nature et le climat du Forum économique mondial était chargée de le modérer. 

Débat interactif

Alarmées par l’état de santé des océans, les Îles Solomon, qui parlaient au nom des PEID du Pacifique, ont argué que les pêches artisanales sont essentielles au mode de vie des populations du Pacifique, une région qui montre la voie à suivre en la matière.  C’est le poumon de notre économie, a lancé leur représentant, avant de souligner l’importance des revenus issus de la pêche durable du thon dans le Pacifique pour ces archipels.  Il a appelé à protéger les océans face à la pollution plastique qui touche de façon disproportionnée le Pacifique en soutenant un instrument juridiquement contraignant sur ce fléau.  Des pêches saines et durables dépendent d’écosystèmes sains et durables et il faut donc une approche écosystémique pour sauver les océans.  À cet égard, les pays du Forum soutiennent le processus du BBNJ (Comité préparatoire chargé d'élaborer un instrument international juridiquement contraignant se rapportant à la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer et portant sur la conservation et l’utilisation durable de la biodiversité marine des zones ne relevant pas de la juridiction nationale), a ajouté la délégation. 

Abondant en ce sens, le Forum des îles du Pacifique, par la voix de la Polynésie française, a appelé à préserver les habitats halieutiques, y compris les coraux.  Il faut donc une approche écosystémique pour la gestion des pêcheries côtières, a souligné le représentant, en plaidant pour plus de financements et d’investissements dans le secteur de la pêche artisanale.  De son côté, Madagascar et la Norvège ont mis en avant la place de la pêche artisanale à petite échelle en tant que source d’alimentation, de revenus et d’identité culturelle pour plusieurs millions de personnes dans le monde et qu’elle fournit plus de la moitié de toutes les ressources halieutiques destinées à la consommation humaine, ce qui en fait un contributeur important à la sécurité alimentaire et à la nutrition dans le monde.  Sur la grande île de Madagascar, une grande partie de la population côtière dépend directement des ressources marines pour subvenir à ses besoins, avec 2 millions de petits pêcheurs sur 5 600 kilomètres de côtes.  Compte tenu de cela, Madagascar a élaboré un cadre de politique bleue qui met en valeur la pêche artisanale et la professionnalisation des acteurs de la pêche à petite échelle, mais il faut aussi mener une politique d’amélioration des chaînes de valeur relatives à la pêche à petite échelle en impliquant les acteurs.

Pour les Îles Marshall, la vraie question est de savoir comment les partenariats peuvent se concentrer à la fois sur le renforcement des capacités pour améliorer la surveillance et lutter contre la pêche INN et, également, aborder le développement durable de la pêche dans les PEID.  Alors que certains de leurs principaux partenaires de développement ont proposé d’importants partages de technologies et d’autres efforts conjoints pour les aider à mieux surveiller leurs vastes zones économiques exclusives (ZEE), le représentant a estimé que, quoique vital, ce n’est qu’une partie du problème.  Il a plaidé pour que les îles soient vraiment aux commandes de leurs propres ressources, estimant que les objectifs mondiaux de durabilité de la pêche seraient plus facilement réalisables dans le cadre de ce scénario.  Cabo Verde a insisté sur la pertinence des aires marines protégées pour remédier à la baisse des stocks halieutiques et lutter contre la perte de biodiversité marine.  Le Fonds autonome pour les pêches soutient la modernisation du secteur de la pêche pour le rendre plus durable et permettre aux navires de pêcher plus loin des côtes pour ne pas surpêcher certaines espèces, a expliqué leur représentant. 

Le porte-parole pour l’économie bleue de l’Union africaine a, quant à lui, mis en avant la place de la pêche dans le produit intérieur brut (PIB) de nombreux pays africains, alors même que ce secteur est confronté à la pêche illégale et aux subventions qui mettent en péril les petits pêcheurs.  Si des mesures ont déjà été prises, notamment aux niveaux national, régional et continental, pour promouvoir la gestion durable des pêches, l’UA travaille sur la mise en place d’une agence de la sécurité alimentaire qui mettra l’accent sur la diminution des pertes après les prises en mettant à niveau la chaine du froid et autre pour faciliter l’accès aux marchés.

En tant que nation de pêche « responsable », le Japon a dénoncé la pêche INN dans les eaux internationales, annonçant son intention d’adopter une loi contre l’entrée sur son marché de produits issus de cette pêche.  L’Union européenne (UE) a dit également disposer d’une politique de tolérance zéro à cet égard.  Quant à la pêche artisanale, qui représente 80% des prises au sein de l’Union, la représentante a appelé à la soutenir et à y investir, en expliquant que la gestion durable des pêches s’inscrit dans le cadre de ces efforts.  Alors même que la pêche se porte « très bien » en Europe, certains pays doivent encore faire des progrès, en particulier les pays méditerranéens.  Il faut en outre mettre à niveau les navires de pêche pour qu’ils soient en phase avec les exigences de la pêche durable et responsable, et l’UE a affirmé être un partenaire de nombreux pays dans ce domaine. 

Quatre-vingts pour cent des pêcheurs vivent dans des pays en développement, a remarqué le Pakistan, qui s’est exprimé au nom du Groupe des 77 et la Chine, en pointant du doigt la pêche INN qui accentue la pauvreté et l’insécurité alimentaire et met à mal les écosystèmes marins.  Le représentant a donc appelé à redoubler d’efforts pour mettre fin à ces pratiques, saluant au passage l’accord récent de l’OMC.  Il faut renforcer les mécanismes de coopération et de partage des connaissances dans la recherche marine et l’accès aux technologies alors que des financements innovants s’imposent pour la transition vers une économie océanique durable, a souhaité le Groupe.

À l’instar de la Norvège, certaines ONG ont insisté sur la prise en compte de la place des femmes dans le secteur de la pêche en appelant à y faire référence dans le document final de la conférence.

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