Soixante-seizième session, Conférence sur les océans,
Dialogue de haut niveau #2 – matin
MER/2146

Conférence des Nations Unies sur les océans: l’économie bleue durable et l’indice de vulnérabilité multidimensionnel au secours des PEID et des PMA côtiers

LISBONNE, 28 juin -- En prélude de la deuxième table ronde de la Conférence des Nations Unies sur les océans, intitulée « Promouvoir et renforcer les économies océaniques durables, en particulier pour les petits Etats insulaires en développement (PEID) et les pays les moins avancés (PMA) », Mme NGOZI OKONJO-IWEALA, la Directrice générale de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), a tenu à souligner l’importance de l’accord intervenu voilà deux semaines entre les 164 États membres de l’OMC, fruit de 21 ans de négociations pour revenir sur les subventions nuisibles à la pêche.  L’interdiction de ces subventions est importante pour les PEID, car 22 000 tonnes de poissons étaient jusqu’à présent « volées » chaque année aux communautés côtières, a-t-elle relevé, avant de faire état de la création d’un fonds de 10 millions de dollars destiné à fournir une assistance technique et à améliorer les règles de gestion de la pêche.  Cet accord en dit long sur la nécessité d’une solidarité mondiale pour résoudre les problèmes, notamment ceux qui affectent les biens publics mondiaux comme les océans, a souligné la Directrice générale, avant d’évoquer le potentiel économique des PEID et des PMA côtiers.  Un potentiel qui, selon elle, nécessite la mise en place de stratégies garantissant la pérennité de leurs activités traditionnelles mais aussi de développer des industries émergentes, comme les transports maritimes, les activités portuaires, la construction navale, la biotechnologie marine, le tourisme durable et l’aquaculture.

De l’avis de Mme Okonjo-Iweala, le commerce est une solution pour libérer et exploiter les possibilités ouvertes par l’économie bleue durable.  On estime en effet qu’elle a une valeur annuelle de 2 500 milliards de dollars, ce qui en fait la septième économie mondiale, a-t-elle fait remarquer, ajoutant que plus de trois milliards de personnes dépendent directement ou indirectement des océans pour leur subsistance.  En termes de soutien à la croissance de l’économie bleue, a précisé la Directrice générale, l’OMC et le multilatéralisme offrent un environnement commercial prévisible et facilitent les flux et les investissements.  C’est ce qui a favorisé le commerce et la croissance économique au fil des ans, a-t-elle estimé, jugeant que les règles de l’OMC, associées à des avancées majeures dans le domaine financier, les transports et les communications, ont permis l’innovation, appuyé la création de chaînes de valeur et peuvent à présent soutenir l’économie bleue durable.

À sa suite, Mme MARI PANGESTU, Directrice générale de la politique de développement et des partenariats au Groupe de la Banque mondiale, a mis l’accent sur l’évaluation des écosystèmes marins côtiers.  Elle a rappelé que la surexploitation des océans représente des pertes de 80 milliards de dollars chaque année.  Pour y remédier et renforcer la résilience des communautés et des écosystèmes côtiers, la Banque mondiale soutient des initiatives de lutte contre l’acidification des océans et défend les approches de développement d’une économie bleue durable.  Il s’agit pour elle d’aider les pays à diversifier leurs sources de croissance économique en misant sur un traitement durable des activités océaniques, a-t-elle expliqué, citant en exemples des Etats insulaires comme Cabo Verde.  Ces dernières années, a-t-elle indiqué, la Banque mondiale a également aidé le Bangladesh sur la question des déchets plastiques, tout en soutenant des pays insulaires tels que Cabo Verde et Sao Tome-et-Principe à développer la compétitivité de leur tourisme durable.  Ces actions nécessitent d’obtenir les financements nécessaires mais aussi de faire preuve d’innovation pour favoriser l’économie bleue sous tous ses aspects, a commenté la Directrice générale.

Mme USHA RAO-MONARI, Secrétaire générale adjointe et Administratrice associée du Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD), a indiqué que l’économie océanique globale contribue à hauteur de 2 500 à 3 000 milliards de dollars par an au PIB mondial.  Pourtant, en additionnant les coûts socioéconomiques de la mauvaise gestion des océans, de la surpêche à la pollution par les nutriments en passant par les espèces envahissantes, le total est proche des 1 000 milliards de dollars par an.  Selon l’Administratrice, ces pertes massives se traduisent par moins d’emplois et de moyens de subsistance, et moins de recettes fiscales pour les États.  Dans ces conditions, a-t-elle souligné, les PEID et les PMA côtiers ont besoin d’une assistance technique et financière et d’un renforcement de leurs capacités dans un large éventail d’outils de gestion des océans, tels que la conformité et la surveillance du suivi des pêches, la planification de l’espace marin, la création d’aires marines protégées et la lutte contre la pollution marine.

En matière de financement, Mme Rao-Monari a noté que les PEID et les PMA ont besoin d’aide pour éliminer les obstacles à l’investissement privé et mettre en place des instruments financiers innovants, comme les obligations bleues, les échanges dette-nature ou encore le financement du carbone bleu.  Car outre leur éloignement, leur petite population, leur espace budgétaire étroit et leur grande dépendance à l’égard de secteurs économiques très affectés par la pandémie, les PEID ne sont pas éligibles aux financements concessionnels du fait de leur classification dans la catégorie des pays à revenu intermédiaire ou élevé.  La Secrétaire générale adjointe a précisé qu’en réponse aux appels des PEID en faveur d’une réévaluation de leur éligibilité, le PNUD a développé un indice de vulnérabilité multidimensionnelle qui reflète les risques traditionnels et émergents auxquels sont confrontés non seulement les PEID mais aussi tous les pays en développement.  Il en ressort que la plupart des PEID sont beaucoup plus vulnérables que peut le suggérer leur seul niveau de revenu.  Une simulation comparant les PEID aux PMA a en outre démontré que, si cet indice était utilisé comme critère de financement, au lieu du simple revenu par habitant, les PEID sur économiseraient en moyenne 1,5% de leur PIB par an en paiements d’intérêts, a-t-elle expliqué. 

À son tour, Mme SANDA OJIAMBO, Sous-Secrétaire générale du Pacte mondial des Nations Unies, a souligné l’importance cruciale de l’économie bleue pour les PEID et les PMA côtiers dont les ressources océaniques sont un moyen de se relever de la pandémie et de progresser sur la voie du développement inclusif et durable.  Ces projets nécessitant des investissements, elle s’est réjouie que, l’an dernier, le Pacte mondial ait assisté à une croissance exponentielle dans les engagements environnementaux du secteur privé.  Les chefs d’entreprise reconnaissent de plus en plus le besoin urgent de solutions innovantes, sans lesquelles on ne peut espérer voir l’économie mondiale passer au zéro carbone net.  En juin 2022, a-t-elle relevé, près de 3 200 entreprises se sont ainsi engagées dans le cadre de l’initiative des cibles basées sur la science dont le Pacte mondial est un partenaire fondateur.  Ces entreprises couvrent plus d’un tiers de l’économie mondiale, avec une capitalisation boursière d’un montant de 38 000 milliards de dollars, a insisté la Sous-Secrétaire générale.  Selon elle, des mécanismes financiers innovants et catalysant les investissements du secteur privé peuvent également aider les PEID et les PMA à surmonter certains des obstacles qui les empêchent d’accéder au capital pour développer l’économie bleue.

Dans le même ordre d’idées, M. RICARDO MOURINHO, Vice-Président de la Banque européenne d’investissement (BEI), a indiqué que, selon les estimations de l’OCDE, la valeur ajoutée de l’économie bleue est d’environ 1 500 milliards de dollars, ce qui lui permettrait de s’asseoir à la table du G7 s’il s’agissait d’un État.  Les projections montrent que, si les investissements sont au rendez-vous, cette économie bleue pourrait plus que doubler en valeur d’ici à 2030.  Ce serait aussi l’une des économies les plus rapides et les plus durables du monde.  Mais le manque d’investissements reste à régler.  C’est pourquoi, a-t-il plaidé, « nous, gouvernements, entreprises, banques, assureurs, institutions financières internationales, devons faire plus », notamment pour tirer parti des fonds publics et générer davantage d’investissements privés.  Les gouvernements seraient ainsi chargés de mieux réglementer pour internaliser correctement les risques climatiques, tandis que les assureurs et les banques évalueraient ces risques pour faciliter les investissements privés.  Rappelant que la BEI a aligné toutes ses activités sur l’Accord de Paris depuis 2021 et consacre plus de 50% de ses ressources au climat et à l’environnement, il a assuré que son établissement est aussi profondément investi dans l’économie bleue, et ce depuis longtemps.  Nous avons notamment financé un tiers des parcs éoliens offshore en Europe, ainsi que le premier parc éolien flottant, a-t-il précisé.

Dernier panéliste à s’exprimer, M. DANNY FAURE, Président de la Fondation Danny Faure et ancien Président des Seychelles, a estimé qu’un tiers des investisseurs mondiaux sont aujourd’hui intéressés par l’économie bleue durable.  Ils le sont encore davantage en voyant ce que font des pays insulaires comme les Seychelles qui, pour financer son économie bleue, a émis des obligations bleues.  En s’appuyant sur des données scientifiques, le pays a également décidé de protéger 30% de ses zones océaniques, ce qui lui permet de renforcer sa résilience et de soutenir la pêche.  Cet exemple doit être suivi dans le monde entier, a plaidé M. Faure, en soulignant le rôle pionnier joué par son pays pour la protection des océans, y compris au sein d’une coalition de 10 pays de l’ouest de l’océan Indien.

Dialogue interactif

Lors de la discussion qui a suivi ces présentations, le Premier Ministre des Fidji, qui s’exprimait au nom du Forum des îles du Pacifique, a fait valoir que les PEID ne peuvent choisir entre la préservation des écosystèmes marins et le développement d’une économie océanique.  À ses yeux, les deux peuvent aller de pair en trouvant un équilibre responsable entre croissance, inclusion sociale, moyens de subsistance et protection de la nature.  Nous pouvons créer un revenu bleu durable qui injecte directement des fonds dans nos sociétés, nous aide à reconstruire après les catastrophes et stimule la résilience climatique.  « Nous le savons parce que nous le faisons », a-t-il dit, avant de regretter que l’ODD 14 soit le moins financé et qu’il n’y ait pas de marchés pour la séquestration du carbone et la protection du littoral.  Son homologue des Tonga a, lui, jugé que la pleine reconnaissance des besoins particuliers des PEID, notamment ceux du Pacifique, contribuera grandement à renforcer le développement d’économies durables basées sur les océans.  Selon lui, la réalisation de la cible 14.7 du Programme 2030 doit inclure la gestion durable de la pêche, de l’aquaculture et du tourisme, ce qui passe par une connaissance fine des exigences particulières des PEID. 

Un point de vue partagé par le Ministre de la santé d’Antigua-et-Barbuda, qui a mis en exergue la vulnérabilité des PEID vis-à-vis des chocs externes, tels que les impacts des changements climatiques ou les retombées de la pandémie de COVID-19.  En tentant de nous redresser, nous nous endettons davantage, faute d’avoir accès aux financements préférentiels, a-t-il déploré, estimant que, pour y remédier, l’élaboration d’un indice de vulnérabilité multidimensionnel doit être prise en considération, le seul PIB ne permettant pas de mesurer la fragilité des États.  Nous ne pouvons pas renforcer la durabilité des économies basées sur les océans dans les nations insulaires sans le soutien de nos partenaires à travers le monde, a renchéri le Ministre de l’environnement des Maldives, selon lequel cela implique de finaliser les travaux sur un indice de vulnérabilité multidimensionnelle des PEID et les PMA. 

Les PEID n’ont pas les outils pour tirer pleinement parti de l’économie bleue, a insisté la Ministre du développement de Trinité-et-Tobago, en appelant à un renforcement des partenariats pour permettre des transferts de technologie et un renforcement des cadres institutionnels et juridiques.  Elle a été rejointe par la Ministre de la coopération de la Suède, pour qui les outils partagés avec PEID et PMA doivent être adaptés à toutes les régions, une proposition que la Chine a approuvée.  Cela veut aussi sur le plan financier, a pointé la Vice-Ministre de la coopération internationale de la République dominicaine, qui a souhaité que de nouveaux flux soient créés en direction de PEID et des PMA pour les aider à renforcer leurs capacités nationales. 

Les flux de financement doivent être élargis rapidement, car le fossé en termes d’investissement se creuse rapidement au détriment des PEID et des PMA, a averti l’Ocean Risk and Resilience Alliance, pour qui la priorité doit être donnée à l’augmentation de la résilience des 250 millions de personnes des zones côtières, qui sont très vulnérables aux variations climatiques.  Le représentant de l’Irlande, autre État insulaire, a, quant à lui, annoncé le déblocage d’une aide de 10 millions de dollars pour promouvoir l’économie bleue dans les PEID et les PMA, « victimes des changements climatiques alors qu’ils y ont le moins contribué ».

À Cabo Verde et dans d’autres PEID, nous apportons un soutien au renforcement des capacités de ces États à lutter contre les effets des changements climatiques dans les secteurs clefs de l’économie océanique, a précisé la Directrice générale adjointe de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), affirmant attendre avec intérêt la mise en œuvre du nouveau Programme d’action de Doha pour les PMA.  Les PEID et les PMA côtiers doivent bénéficier des techniques de pointe pour protéger les océans, a abondé le représentant de Singapour, soutenu par la Papouasie-Nouvelle-Guinée

Le Premier Ministre de Belize a, pour sa part, rappelé que plus de la moitié de la population de son île dépend d’activités sectorielles liées aux écosystèmes et aux récifs coraliens.  Il a regretté à cet égard que les efforts consentis par son gouvernement pour associer la santé de l’océan à sa croissance économique soient peu imités au niveau mondial.  En effet, seul 8% des océans sont protégés et un tiers des stocks halieutiques sont encore surexploités, a-t-il souligné, estimant qu’une protection de 30% des océans, comme le fait son pays dans ses eaux territoriales, permettrait de préserver les stocks de poissons, d’accroître la résilience et de faire face aux changements climatiques. 

Le continent africain a lui aussi un rôle important à jouer en matière d’action océanique, a assuré le Commissaire à l’agriculture de l’Union africaine (UA), faisant observer que, sur 55 États membres, 39 sont des États insulaires ou côtiers « et donc riches de ressources bleues », notamment de mangroves et de récifs coraliens.  C’est pourquoi, a-t-il dit, le plan de relance post-COVID-19 de l’UA comprend des solutions climatiques ancrées dans l’océan.  L’Inde a souligné l’aide qu’apporte son pays à 18 PEID et PMA au travers de 59 projets d’appuis à l’économie bleue, la Directrice du droit international au Ministère des affaires étrangères du Mexique préférant exprimer la fierté de son pays d’être membre du Groupe de haut niveau pour une économie océanique mondiale durable. 

Le Ministre des transports et de la nature d’Aruba, île dépendant du Royaume des Pays-Bas, a mis l’accent sur les réalisations de son gouvernement en matière d’action océanique.  Il s’est notamment enorgueilli des mesures prises pour réduire la pollution marine, à commencer par l’interdiction dès 2017 des sacs en plastique, et plus récemment du plastique à usage unique.  Il a dit envisager une interdiction qui frapperait aussi le plastique recyclé.  Le représentant du Portugal, hôte de la conférence, a, lui, rappelé que son pays vient de créer l’aire marine protégée la plus importante de l’océan Atlantique dans l’archipel de Madeira. 

Coprésidé par M. ABRAAO VICENTE, Ministre de la mer de Cabo Verde, et M. ESPEN BARTH EIDE, Ministre du climat et de l’environnement de la Norvège, ce dialogue interactif était modéré par M. KRISTIAN TELEKI, Chef du secrétariat du Groupe de haut niveau pour une économie océanique durable et Directeur du Groupe des Amis de l’action océanique.

 

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