Un Conseil de sécurité divisé se penche sur la situation au Nicaragua, « pays sans espérance »
C’est dans une salle polarisée que le Conseil de sécurité a examiné, ce matin, la situation au Nicaragua, un « pays sans espérance ». En effet, la présidence américaine avait inscrit hier ce nouveau point à l’ordre du jour du Conseil au titre de la coopération entre l’ONU et les organisations régionales et sous-régionales dans le maintien de la paix et de la sécurité internationales, une décision contestée par plusieurs membres du Conseil de sécurité pour qui la situation au Nicaragua ne constitue pas une menace à la paix et à la sécurité internationales.
Pourtant, la crise politique, économique et sociale au Nicaragua inquiète, et les membres du Conseil ont vivement condamné la violence qui a fait des centaines de victimes, ainsi que les actes d’exécution extrajudiciaire et de torture, souvent aux mains de groupes paramilitaires.
Le Nicaragua est devenu un pays sans espérance, une bombe à retardement, a notamment averti l’ancien secrétaire général du Ministère de la défense du Nicaragua, M. Felix Maradiaga, venu témoigner de la répression violente subie par les manifestants qui appellent « uniquement » au respect des droits civiques.
« Les voix de centaines de Nicaraguayens ont été réduites au silence par la mort, l’emprisonnement et un climat de terreur », a-t-il déploré. Le Nicaragua est devenu une prison à ciel ouvert, où les actes de torture et sévices sexuels sont monnaie courante, où les défenseurs des droits de l’homme et les dirigeants religieux sont particulièrement à risque et où un simple tweet peut mener à une détention arbitraire, a-t-il ajouté.
Si ces abus et débordements restent perçus par les uns comme les facteurs d’une crise interne, pour l’Organisation des États américains (OEA) et d’autres membres du Conseil, ce sont au contraire des signes avant-coureurs d’une crise plus large qui risque de déborder sur les pays voisins, à l’image des 23 000 Nicaraguayens qui se sont réfugiés au Costa Rica au cours des quatre derniers mois.
Invoquant la crise migratoire massive engendrée par la « tragédie vénézuélienne », ainsi que l’exode syrien, la délégation des États-Unis a d’ailleurs appelé à éviter que « l’histoire ne se répète ».
« Le Conseil de sécurité ne doit pas –il ne peut pas– être un observateur passif alors que le Nicaragua continue de se transformer en un État raté, corrompu et dictatorial, parce que nous savons où cette voie mène. Un exode nicaraguayen submergerait ses voisins et créerait un afflux de migrants et de demandeurs d’asile en Amérique centrale », a notamment averti la délégation.
Même son de cloche du côté de l’Organisation des États américains (OEA) qui a signalé que les problèmes que connait le Nicaragua inquiètent toute la région et que la situation dans le pays ne semble pas s’améliorer en dépit des nombreuses démarches initiés par l’Organisation, notamment la création d’un mécanisme de suivi de la situation des droits de l’homme et d’un groupe interdisciplinaire d’experts pour faciliter le dialogue au Nicaragua.
Convaincu qu’il ne sera pas possible de trouver une solution sans prendre en considération la volonté du peuple nicaraguayen par le biais d’élections crédibles, le Chef de Cabinet du Secrétaire général de l’OEA, M. Gonzalo Koncke, a espéré que les réformes électorales pourront être menées à bien d’ici à janvier 2019.
« Le Gouvernement du Nicaragua peut choisir la voie démocratique pour une sortie de crise mais, à défaut, il y a un véritable risque de crise migratoire et l’Amérique centrale n’est pas à même de faire face à une telle hypothèse », a averti M. Koncke.
Ce dernier a également insisté sur l’impératif de la reprise rapide du processus de dialogue national avec la participation de la Conférence épiscopale, un point de vue largement partagé dans la salle. Pour la France, c’est même de ce dialogue national que dépendent à la fois une sortie pacifique et négociée de la crise actuelle et les progrès dans les discussions sur la démocratisation et la justice au Nicaragua.
Le représentant de la Bolivie a toutefois vu dans la tenue de cette réunion une « mise en accusation du Nicaragua » faisant fi des efforts en cours de son gouvernement et au risque d’exacerber les tensions et de fragiliser le processus de dialogue en cours. D’autres, comme la France, le Royaume-Uni et les Pays-Bas y ont cependant vu une réponse proactive du Conseil aux abus des droits de l’homme graves observés sur place par l’Organisation des États américains (OEA), et à l’expulsion des membres du Haut-Commissariat aux droits de l’homme qui étaient sur place. C’est là une raison suffisante pour que le Conseil se penche sur la situation au Nicaragua dans la mesure où il est de son mandat de défendre les entités des Nations Unies, a d’ailleurs estimé le Royaume-Uni.
Ces arguments n’ont pas empêché la Fédération de Russie de dénoncer « une manœuvre politique » pour donner libre cours à « l’interventionnisme historique » des États-Unis au Nicaragua, un propos appuyé par la Bolivie et le Venezuela qui se sont dits persuadés que l’objectif ultime des États-Unis est de provoquer un renversement du régime actuel au Nicaragua.
La Chine a appelé à la non-ingérence dans les affaires internes d’un pays, alors que l’Éthiopie a plaidé en faveur d’une diplomatie préventive « plus discrète » par le biais des bons offices du Secrétaire général. Abondant dans ce sens, le Ministre des affaires étrangères du Nicaragua, M. Denis Moncada Colindres, a été jusqu’à dire que « son inscription à l’ordre du jour du Conseil est une violation de la souveraineté du Nicaragua ». Il a assuré que le Nicaragua promeut le dialogue national, « le dialogue du peuple avec le peuple, de la famille avec la famille », pour garantir la paix et la stabilité. Il a aussi rappelé que les États-Unis ont été condamnés en 1986 par la Cour internationale de Justice, à La Haye, pour actes terroristes commis au Nicaragua et a exhorté ce pays « à cesser son agression contre le Nicaragua et à respecter les droits de son peuple ».
COOPÉRATION ENTRE L’ORGANISATION DES NATIONS UNIES ET LES ORGANISATIONS RÉGIONALES ET SOUSRÉGIONALES AUX FINS DU MAINTIEN DE LA PAIX ET DE LA SÉCURITÉ INTERNATIONALES
La situation au Nicaragua
Déclarations
M. GONZALO KONCKE, Chef de Cabinet du Secrétaire général de l’Organisation des États américains (OEA), a fait le point sur les efforts déployés par l’Organisation pour rétablir le calme et l’état de droit au Nicaragua depuis avril 2018. Les pays membres de l’OEA sont extrêmement inquiets par l’escalade des tensions et la détérioration de la situation économique et des droits de l’homme dans le pays où plus de 300 personnes ont perdu la vie, y compris 21 agents de police, a-t-il indiqué.
Le Secrétaire général de l’OEA suit de près cette situation, notamment les répercussions économiques de la crise, et l’OEA a mobilisé toutes les ressources dont il dispose pour œuvrer en faveur de la justice et du rétablissement de l’État de droit dans le pays. M. Koncke a aussi indiqué que lors d’une réunion qui s’est tenue du 16 au 21 mai, un mécanisme de suivi de la situation des droits de l’homme au Nicaragua a été mis sur pied, ainsi qu’un groupe interdisciplinaire d’experts pour faciliter le dialogue au Nicaragua. Le Conseil permanent de l’OEA a également réitéré sa vive préoccupation par rapport à la situation des droits de l’homme et les abus des forces de l’ordre observés au Nicaragua. L’OEA travaille également avec les autorités nicaraguayennes pour prendre les mesures nécessaires pour mener des réformes électorales et identifier les auteurs de violations des droits de l’homme
« Les problèmes que connait le Nicaragua inquiètent toute la région », a fait savoir M. Koncke qui a regretté que malgré toutes les démarches susmentionnées, la situation ne semble pas s’améliorer. De plus, la Cour interaméricaine des droits de l’homme (CIDH) a conclu que le Nicaragua a violé entre autres le droit à la santé et à l’accès à la justice de son peuple. Les conclusions de la CIDH sur les violations répétées de droits de l’homme retirent toute légitimité au gouvernement actuel, a affirmé M. Koncke qui a jugé impératif de sortir de cette impasse en coopérant avec le groupe d’experts de l’OEA.
L’OEA est convaincue qu’il ne sera pas possible de trouver une solution à la situation au Nicaragua sans prendre en considération la volonté du peuple par le biais d’élections crédibles. Ainsi, l’OEA espère que les reformes électorales pourront être menées à bien d’ici à janvier 2019. Elle plaide également en faveur de la participation de la Conférence épiscopale du Nicaragua à ce processus. « Le Gouvernement du Nicaragua peut choisir la voie démocratique pour une sortie de crise mais, à défaut, il y a un véritable risque de crise migratoire », a encore averti M. Koncke, insistant sur le fait que l’Amérique centrale n’est pas à même de faire face à une telle hypothèse.
M. FELIX MARADIAGA, dirigeant de la société civile et ancien secrétaire général du Ministère de la défense du Nicaragua, a retracé l’histoire tourmentée de son pays, marquée notamment par des conflits armés durant les années et qui, a-t-il affirmé, a été abandonné à de nombreuses reprises par la communauté internationale. Il a indiqué, qu’à l’âge de 12 ans, il a fui le conflit qui déchirait son pays et pénétré illégalement aux États-Unis. À présent rentré dans son pays, il a souligné l’urgence de la situation actuelle, marquée par la répression violente de manifestations qui, a-t-il souligné, appellent uniquement au respect des droits civiques. Il a noté qu’au cours des quatre derniers mois, 23 000 personnes avaient fui le Nicaragua pour se réfugier au Costa Rica.
M. Maradiaga a également rapporté que pendant la crise du mois d’avril, des centaines d’étudiants universitaires avaient cherché refuge dans la Cathédrale de Managua après avoir subi des tirs indiscriminés de la police. Il a déploré la mort d’un adolescent de 15 ans, Alvaro Conrado, et indiqué avoir vu « la tête d’un adolescent exploser sous l’impact d’une balle ». Un des aspects les plus alarmants de la crise est la criminalisation des manifestations, a-t-il signalé, avant d’indiquer avoir lui-même reçu des centaines des menaces de mort.
J’ai été accusé de terrorisme, a-t-il lancé avant de rapporter que le 11 juillet, une vingtaine de paramilitaire munis d’AK47 avait entouré son véhicule avant de le relâcher, « car ils n’avaient pas encore obtenu l’autorisation de me tuer ». Puis le 13 juillet, a-t-il enchainé, un groupe de paramilitaires a fait irruption dans une réunion d’étudiants à laquelle je participais et m’a roué de coups.
« Les voix de centaines de Nicaraguayens ont été réduite au silence par la mort, l’emprisonnement et un climat de terreur », a-t-il déploré. Le Nicaragua est devenu une prison à ciel ouvert, où les actes de torture et sévices sexuels sont monnaie courante et les défenseurs des droits de l’homme et les dirigeant religieux sont particulièrement à risque. La trace d’un simple tweet peut mener à une détention arbitraire ou à des actes de torture comme l’ablation des parties génitales, a-t-il ajouté.
Le Nicaragua est devenu un pays sans espérance, et le régime de Daniel Ortega a profité du fait que le pays a disparu des écrans radars de la communauté internationale, malgré les violations systématiques des droits humains, a-t-il accusé. Le Nicaragua, a-t-il encore averti, est une bombe à retardement. M. Maradiaga a estimé que l’ONU a le devoir de rétablir l’État de droit dans son pays et a demandé l’adoption d’une résolution du Conseil sur la situation actuelle au Nicaragua ainsi que la création de mécanismes de surveillance.
M. VASSILY A. NEBENZIA (Fédération de Russie) a rappelé que sa délégation s’oppose à la discussion, au Conseil de sécurité, de la situation au Nicaragua. Cette question n’a pas lieu d’être inscrite à l’ordre du jour du Conseil, a-t-il affirmé, et il n’est pas sûr que les membres du Conseil de sécurité qui ont appuyé cette réunion se rendent bien compte des conséquences possibles d’une telle pratique. « Le mandat du Conseil comprend-il vraiment la possibilité d’exercer des pressions sur un certain État qui font face à une crise interne? », s’est interrogé le représentant qui a averti que le débat d’aujourd’hui ne fera qu’aggraver la polarisation au Nicaragua.
Certains s’inquiètent du fait qu’il existe toujours des États qui mènent leurs propres politiques sans donner suite aux pressions extérieures, a-t-il ironisé, avant d’appeler les membres du Conseil à respecter cette position et à chercher à établir le dialogue avec les États concernés plutôt que d’exercer des pressions en vue de renverser les gouvernements en place. La Russie déplore en outre que des organismes internationaux soient associés à de telles manœuvres. Pour elle, il est évident que la question du Nicaragua n’a pas sa place à l’ordre du jour du Conseil de sécurité car, a de nouveau souligné le représentant, la situation politique interne du Nicaragua ne représente pas une menace à la paix et la sécurité internationales.
Les propos des initiateurs de cette réunion pourraient donner l’impression que les États-Unis se soucient réellement du sort du peuple nicaraguayen, a poursuivi le délégué, « or tout le monde sait que la politique d’ingérence de Washington à l’égard de Managua ne date pas d’hier ». Dans la foulée, il a dénoncé l’ingérence de Washington dans les affaires d’autres États latino-américains, notamment à Cuba, au Venezuela ou encore son rôle dans le renversement du Président chilien Salvador Allende. « Les peuples africains, de l’Asie et du Moyen-Orient auraient également des choses à dire à cet égard », a poursuivi le représentant avant de faire remarquer que les États-Unis se plaignent pourtant des ingérences étrangères dans leur vie politique interne.
« Une fois de plus, la diplomatie préventive se voit hélas remplacée par une ingérence flagrante dans les affaires internes des États », a dénoncé le représentant russe pour qui la violation des droits de l’homme n’est pas un indicateur systématique de conflits. « Ne nous ingérons pas dans les processus internes d’États souverains. C’est vous-même qui le demandez », a-t-il dit, s’adressant directement à la Présidente du Conseil, Mme Nikki Haley.
M. MANSOUR AYYAD SH. A. ALOTAIBI (Koweït) a reconnu que l’examen de la situation à l’ordre du jour du Conseil ne fait pas l’objet d’un consensus parmi les membres. Il a rappelé le rôle d’investigation du Conseil, prévu par la Charte, de situations présentant des signes avant-coureurs d’un possible conflit. Le Conseil a un rôle à jouer dans la prévention des conflits, a-t-il dit, avant de souligner le rôle des organisations régionales pour désamorcer les crises. Régler les crises à un stade précoce est crucial pour éviter de nombreuses pertes en vies humaines, a-t-il poursuivi. Le délégué a déploré la violence au Nicaragua et demandé que les responsables soient punis. Il a aussi exhorté le Gouvernement du Nicaragua à prendre les mesures nécessaires pour un règlement pacifique de la crise, tout en soulignant l’importance de respecter la souveraineté des États.
Mme KAREN PIERCE (Royaume-Uni) a estimé que le cadre juridique de la Charte justifie la tenue du débat d’aujourd’hui sur la situation au Nicaragua. Il est juste que le Conseil puisse entendre les préoccupations d’organismes régionaux par rapport à des situations qui relèvent de leurs régions, a estimé la représentante. Il faut également se rappeler que le gouvernement du Nicaragua a expulsé le représentant du Haut-Commissariat des droits de l’homme, a indiqué la déléguée qui a souligné que le Conseil de sécurité doit défendre les entités des Nations Unies. À ses yeux, cette raison justifie à elle seule la réunion d’aujourd’hui.
Dans le même ordre d’idées, la représentante a évoqué les risques de crise migratoire qui pèsent sur la région, en raison de la situation qui prévaut au Nicaragua, et qui pourrait la déstabiliser. Elle a regretté les pertes en vies humaines et a appelé à mettre fin à la violence et à autoriser les manifestations, la liberté d’expression et la liberté de la presse. Le Royaume-Uni appelle aussi le Gouvernement nicaraguayen à démobiliser les organisations paramilitaires et à enquêter sur les abus qui ont été perpétrés. Après avoir dénoncé les détentions arbitraires, la déléguée a souligné les problèmes que connait le Nicaragua ne pourront être réglés que par le dialogue. Elle a regretté que le Gouvernement nicaraguayen ait décidé d’abandonner ce processus. Pour ce qui est de l’OEA, le Royaume-Uni appuie ses activités ainsi que celles de la CIDH. Un retour de la paix et de la sécurité au Nicaragua profitera à toute la région, a conclu la déléguée.
M. GUSTAVO MEZA-CUADRA (Pérou) a jugé utile la tenue de cette réunion au regard du Chapitre VIII de la Charte et condamné énergiquement la violence commise au Nicaragua qui a fait des centaines de victimes, ainsi que les actes d’exécution et de torture extrajudiciaires. Ces actes ont été notamment documentés par l’OEA, a-t-il dit. Le délégué a demandé le démantèlement des groupes paramilitaires et la poursuite en justice des auteurs de violations des droits de l’homme. L’OEA a créé un groupe de travail sur le Nicaragua, a rappelé le délégué, en déplorant le manque de coopération du Nicaragua avec ledit groupe. Enfin, il a déclaré que le maintien du statu quo ne fait qu’encourager la violence et souhaité que le Conseil appuie les efforts de l’OEA pour régler la situation au Nicaragua.
M. FRANÇOIS DELATTRE (France) a jugé urgent de mettre fin à la répression au Nicaragua, appelant notamment le Gouvernement nicaraguayen à mettre un terme aux arrestations arbitraires, à l’usage excessif de la force et à tout type de pression à l’encontre des manifestants, des défenseurs des droits et des personnalités critiques à l’égard du pouvoir, « y compris via des groupes violents ». La France condamne à ce titre fermement les violences perpétrées par des unités paramilitaires, notamment l’enlèvement le 20 aout dernier de l’avocat Carlos Cardenas Zepeda, et les mesures d’intimidations et les arrestations qui ont visé les représentants d’organisations syndicales et de défense des droits de l’homme. La France, a ajouté M. Delattre, estime plus que jamais que le respect des droits fondamentaux est la clef de voute de la légitimité et la stabilité politique.
Le représentant a ensuite appelé le Gouvernement nicaraguayen à préserver la voie du dialogue national, mise en œuvre sous les auspices de la Conférence épiscopale du Nicaragua. De ce dialogue national dépendent à la fois une sortie pacifique et négociée de la crise actuelle et des progrès dans les discussions sur la démocratisation et la justice, a-t-il souligné. Il a également fait observer qu’une amélioration durable de la situation au Nicaragua repose aussi sur une coopération étroite avec les organisations multilatérales, « au premier rang desquelles l’Organisation des États américains et les Nations Unies ». Il a déploré la décision des autorités nicaraguayennes de demander le départ de la mission du Haut-Commissariat aux droits de l’homme à la suite de la publication de son rapport sur la situation dans le pays. Il a appelé les autorités à coopérer avec le Haut-Commissariat. Cette coopération, a-t-il souligné, est indispensable pour identifier les responsables et les traduire en justice.
M. KAREL J.G. VAN OOSTEROM (Pays-Bas) s’est déclaré préoccupé par les évènements au Nicaragua, survenus le 18 avril 2018. Plus de 350 personnes ont été tuées depuis et plus de 2000 ont été blessées, s’est-il alarmé, en faisant état de violations graves des droits de l’homme, d’usage disproportionné de la violence, d’assassinats extrajudiciaires et de disparitions. Des crimes qui seraient imputables à des responsables gouvernementaux, des groupes paramilitaires et des individus armés, a souligné le représentant. Il a estimé que le Conseil de sécurité doit soutenir des efforts de prévention et de médiation au Nicaragua, dans le cadre desquels, a-t-il ajouté, l’engagement des acteurs régionaux et locaux est indispensable. Le représentant a applaudi le travail fourni par l’Église catholique, ainsi que par l’Organisation des États américains (OEA) à l’appui du dialogue au Nicaragua. « La décision du Gouvernement nicaraguayen de mettre fin à la présence du Haut-Commissariat des droits de l’homme va à l’encontre de l’établissement des responsabilités pour les violations des droits de l’homme », a encore indiqué le délégué. Il a exhorté les autorités du pays à pleinement coopérer avec les organisations internationales, avant de soutenir les activités de la Commission interaméricaine sur les droits de l’homme, ainsi que le Groupe interdisciplinaire des experts interdépendants de l’OEA.
M. LEON H. KACOU ADOM (Côte d’Ivoire) a noté que le “cycle vicieux” des contestations sociales réprimées aurait fait plus de 300 morts et provoqué l’exode de plus de 23 000 Nicaraguayens vers le Costa Rica. Il a déploré que la dialogue pour la paix entre le Gouvernement et la société civile, mené sous les auspices de la Conférence épiscopales du Nicaragua, n’ait pas abouti aux résultats escomptés. Il a également noté que la méfiance réciproque entre le pouvoir et les organisations de la société civile s’était étendu à l’Épiscopat, « accusé par le Gouvernement de partialité en faveur des contestataires », ajoutant ainsi à la complexité de la situation. De plus, la récente expulsion du Nicaragua des membres de la Mission du Haut-Commissariat aux droits de l’homme n’est pas de bon augure, a ajouté le représentant qui a aussi fait part de ses vives préoccupations quant aux risques d’un conflit majeur, « dont les conséquences humanitaires seraient sans précédent pour le Nicaragua et les pays voisins ».
Le délégué ivoirien a ensuite exhorté le Gouvernement et les organisations de la société civile à renoncer à la violence et à reprendre les négociations sans délais pour une sortie de crise pacifique. Il a également exhorté les Nations Unies et l’Organisation des États américains à use de la palette d’outils dont elles disposent afin d’instaurer un dialogue constructif avec et entre les acteurs de la crise au Nicaragua.
M. JOANNA WRONECKA (Pologne) s’est déclaré vivement préoccupé par les développements récents au Nicaragua, en particulier les répressions et violences qui ont causé la mort de centaines de personnes et blessé des milliers d’autres. Il a ensuite salué les efforts entrepris par l’Organisation des États américains pour résoudre la crise, tout en se disant inquiète par le manque de volonté des parties de prendre part au dialogue inclusif. Aussi le représentant les a-t-il appelées à commencer de coopérer avec l’OEA et tirer parti du forum qu’elle leur offre. La Pologne a également estimé que les discussions d’aujourd’hui ne doivent pas être perçues par le Nicaragua comme une tentative de stigmatisation.
M. KAIRAT UMAROV (Kazakhstan) a condamné la violence au Nicaragua, tout en notant que celle-ci a diminué et que la situation est en train de se normaliser. Il s’est dit convaincu que le Gouvernement et le peuple de ce pays résoudront la situation. « La situation dans ce pays ne constitue pas une menace à la paix et à la sécurité internationales et par conséquent ne relève pas du mandat de ce Conseil », a-t-il dit, tout en insistant sur l’engagement de son pays en faveur du respect de la souveraineté et de l’intégrité territoriale des pays. Enfin, le délégué a déclaré que l’action de l’ONU dans le pays doit se limiter aux bons offices du Secrétaire général.
M. OLOF SKOOG (Suède) a exhorté le Gouvernement à relancer le dialogue national avec toutes les parties, y compris l’opposition, la société civile et les défenseurs des droits de l’homme. La participation des femmes à ce dialogue est cruciale, a observé le représentant, en soulignant que cela est indispensable à la recherche d’une solution pacifique. Sa délégation a aussi souligné que les organisations régionales et sous-régionales sont d’une importance capitale pour empêcher que les crises émergentes ne s’aggravent. Dans ce contexte, l’ONU a également un rôle de premier plan à jouer, à l’appui des efforts à déployer dans la région dans le domaine de la diplomatie préventive. C’est la raison pour laquelle la Suède a regretté l’expulsion du Bureau du Haut-Commissariat des Nations Unies du Nicaragua.
Mme MAHLET HAILU GUADEY (Éthiopie), a défendu la prise en compte, par le Conseil de sécurité, des points de vue des pays et de leur région lorsqu’il y a une crise. Les expériences passées ont prouvé que la coopération internationale est couronnée de succès que lorsqu’elle est bien calibrée et coordonnées avec les efforts de la région, a-t-elle rappelé.
S’agissant du Nicaragua, la représentante a estimé que la situation ne représente pas une menace à la paix et la sécurité internationales qui justifierait une intervention du Conseil de sécurité. À ses yeux il s’agit d’une crise interne qui doit être réglée par le dialogue et la négociation entre les parties politiques pour parvenir à une solution pacifique. Il faut faire montre de prudence face à la situation au Nicaragua, a estimé la représentante pour qui les efforts à déployer pour que la situation n’échappe pas à tout contrôle, doivent se faire discrètement par le biais des missions de bons offices du Secrétaire général. Autrement, on pourrait envoyer un mauvais signal aux parties concernées au Nicaragua et saper le processus de dialogue en cours, a averti la représentante.
M. ANATOLIO NDONG MBA (Guinée équatoriale) a rappelé l’importance de la diplomatie préventive et le rôle des organisations régionales à cette fin. Il a insisté sur la gravité de la situation actuelle au Nicaragua et défendu le droit de manifester pacifiquement. Tout différend doit être réglé dans le respect du droit, a-t-il souligné, en exhortant les parties à dialoguer. Enfin, il a demandé la poursuite des efforts de médiation et de dialogue et exhorté le Gouvernement à coopérer davantage avec la communauté internationale, afin que la situation dans ce pays n’ait plus à figurer à l’ordre du jour du Conseil.
M. SACHA SERGIO LLORENTTY SOLÍZ (Bolivie) a dénoncé la tenue de cette réunion du Conseil de sécurité sur la situation au Nicaragua sous couvert de briefing par un organisme régional. « Le Conseil est une institution chargée de traiter des questions représentant une menace à la paix et sécurité internationales or le Nicaragua ne représente pas une telle menace », s’est indigné le représentant qui a regretté que le Conseil soit utilisé à des fins politiques.
Il a rappelé que l’État nicaraguayen a appelé à un dialogue national par le biais de l’église catholique et s’est dit convaincu que grâce aux efforts déployés par l’État, les auteurs des infractions et des abus pourront être traduits en justice. La Bolivie s’oppose à l’idée de manipuler des points à l’ordre du jour pour les utiliser comme des parapluies dans le but d’y insérer « tous les points possibles à des fins politiques ». La Bolivie dénonce en outre cette manœuvre qui vise à placer « sur le banc des accusés » un pays membres des Nations Unies au nom de la diplomatie préventive, une manière d’agir qui, a averti le représentant, nuit à la crédibilité même de la diplomatie préventive.
Le délégué a ensuite dénoncé « l’obsession américaine de s’ingérer dans les affaires internes du Nicaragua depuis le début du XXe siècle », et a passé en revue les différentes étapes de cette histoire. « Il n’y a pas eu dans l’histoire récente du Nicaragua de moments où ce pays n’ait pas fait l’objet d’ingérences américaines, ce qui a même été reconnu en 1986 par la Cour internationale de Justice », a–t-il notamment fait observer. À ses yeux, « le pot au rose » de cette réunion est bien l’interventionnisme, l’ingérence et le financement de groupes de l’opposition au nom de la défense de la démocratie et des droits de l’homme par un État qui a pourtant « quitté le Conseil des droits de l’homme, qui promeut la torture ou l’enfermement de demandeurs d’asile et qui sépare les parents migrants de leurs enfants ».
Pour le représentant, l’objectif visé est de promouvoir des situations d’instabilité pour provoquer un changement de régime dans le but de mettre la main sur les ressources des pays visés. « D’où sortent ces millions de dollars qui financent l’opposition au Nicaragua? », s’est-il demandé. Si la communauté internationale veut véritablement aider le Nicaragua à régler ses problèmes cela doit se faire dans le cadre de la Charte des Nations Unies et en condamnant tout type d’interventionnisme visant à changer le régime, a conclu le représentant pour lequel la réponse à la crise nicaraguayenne doit être trouvée par les Nicaraguayens.
M. WU HAITAO (Chine) a demandé le respect de la souveraineté des pays et du principe de non-ingérence dans leurs affaires intérieures. La situation au Nicaragua ne constitue pas une menace à la paix et la sécurité internationales et le Conseil de devrait pas s’en saisir, a-t-il conclu.
Mme NIKKI R. HALEY (États-Unis) a déclaré qu’il y a un mois, elle se tenait sur le pont Simon Bolivar qui relie le Venezuela à la Colombie et qu’elle y avait observé une file d’attente interminable de personnes désespérées essayant d’« échapper à la tyrannie ». L’ironie et la tragédie de ce pont ne devraient pas nous échapper, a-t-elle dit. Nommé en l’honneur d’un grand libérateur, il est désormais une voie d’évasion pour un peuple affamé et emprisonné par un dictateur. « Les droits de l’homme fondamentaux sont bafoués lorsque la capacité d’un homme à nourrir sa famille est détruite. Les droits de l’homme sont bafoués lorsqu’une femme perd sa voix pour décider de son propre avenir. Et lorsque les droits de l’homme sont bafoués, la violence et l’instabilité qui s’ensuivent débordent les frontières. La crise d’un pays devient la crise d’une région. Et même une crise mondiale », a affirmé la représentante.
Mme Haley a ensuite accusé le Président du Nicaragua, Daniel Ortega, d’avoir adopté la tactique des dictateurs qu’il a jadis dénoncés. « Nous ne devrions pas être surpris. Daniel Ortega et Nicolas Maduro sont taillés dans la même étoffe de corruption. Ils sont tous deux étudiants de la même idéologie en faillite. Et ils sont tous deux des dictateurs qui vivent dans la peur de leur propre peuple », a martelé la représentante. Selon l’Association nicaraguayenne des droits de l’homme, a-t-elle rapporté, plus de 448 personnes ont été tuées et plus de 2 000 autres blessées. Des centaines d’adversaires du régime ont été enlevés, dont six dirigeants étudiants du dialogue national qui l’ont été hier. Des centaines d’autres ont disparu. Et la semaine dernière, Ortega a expulsé une délégation des droits de l’homme des Nations Unies, a poursuivi Mme Haley.
Le résultat, a constaté la représentante des États-Unis, c’est le début de l’exode pour des Nicaraguayens désespérés. Plus de 25 000 ont émigré au Costa Rica depuis le début de la crise. Le Honduras, le Panama et le Mexique ont également accueilli des migrants et des demandeurs d’asile nicaraguayens. « Chaque jour qui passe, le Nicaragua emprunte un parcours familier. C’est un chemin que la Syrie a pris. C’est un chemin que le Venezuela a emprunté. Le Conseil de sécurité ne doit pas –il ne peut pas– être un observateur passif alors que le Nicaragua continue de se transformer en un État raté, corrompu et dictatorial, parce que nous savons où cette voie mène. L’exode syrien a engendré des millions de réfugiés, semant l’instabilité dans tout le Moyen-Orient et en Europe. L’exode vénézuélien est à l’origine du plus vaste déplacement de personnes dans l’histoire de l’Amérique latine. Un exode nicaraguayen submergerait ses voisins et créerait un afflux de migrants et de demandeurs d’asile en Amérique centrale.
« Nous avons encore la possibilité d’empêcher que l’histoire ne se répète », a estimé la représentante. Le peuple nicaraguayen exige une voix dans son avenir. Il appelle à la libération de manifestants emprisonnés arbitrairement. Il appelle à la fin d’une dictature. Il réclame sa propre liberté.
Le 18 juillet, a poursuivi la représentante, l’Organisation des États américains a adopté à une écrasante majorité une résolution qui tient le Gouvernement nicaraguayen pour responsable de violations des droits de l’homme et a créé depuis un groupe de travail chargé d’examiner la situation au Nicaragua. « Pour le bien du peuple nicaraguayen, pour la sécurité de la région et pour le respect des droits de l’homme que nous sommes tenus de respecter, je félicite le Conseil de sécurité d’avoir ajouté sa voix puissante à ceux qui demandent la fin de la tyrannie au Nicaragua », a lancé Mme Haley.
Mon pays est épris de paix, a déclaré M. DENIS MONCADA COLINDRES, Ministre des affaires étrangères du Nicaragua. Il a demandé la fin de toute ingérence violant le droit international, estimant que la situation dans son pays ne représente pas une menace à la paix internationale. « Son inscription à l’ordre du jour du Conseil est une violation de la souveraineté du Nicaragua. » Mon pays est un rempart contre le terrorisme et les gangs organisés, a-t-il poursuivi. Le Ministre a rappelé que le taux de croissance économique annuel est de 5% en moyenne et que la pauvreté a été réduite de moitié ces dernières années. Le Nicaragua respecte ses engagements et le Conseil n’est de surcroît pas l’enceinte idoine pour discuter des droits de l’homme, a-t-il dit, en dénonçant toute politisation de ce dossier. Le Ministre a déclaré que son pays promeut le dialogue national, « le dialogue du peuple avec le peuple, de la famille avec la famille », pour garantir la paix et la stabilité. Enfin, il a rappelé que les États-Unis ont été condamnés en 1986 par la Cour internationale de Justice, à La Haye, pour actes terroristes commis au Nicaragua. Il a exhorté ce pays à cesser son agression contre le Nicaragua et à respecter les droits de son peuple.
Pour M. CARAZO ZELEDON (Costa Rica), cette réunion est opportune et nécessaire, compte tenu des violations de droits de l’homme constatées par le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme au Nicaragua. Le représentant a expliqué que la situation au Nicaragua est une question prioritaire pour son pays qui, directement ou indirectement, en est affecté. « Notre pays ne restera pas indifférent à la souffrance de nos frères qui font face à une détérioration de l’État de droit et de la situation des droits de l’homme, y compris à une répression qui a coûté la vie à plus de 400 personnes. »
Le délégué a également dénoncé les exécutions extrajudiciaires, les détentions forcées et les violences sexuelles commises dans les centres de détention ainsi que la politique d’intimidation qui vise les manifestants et leurs familles. Conformément au droit international, il a rappelé au Gouvernement sa responsabilité de garantir la sécurité de sa population et, à défaut, a appelé la communauté internationale à prendre le relais. Il s’est inquiété du fait que l’aggravement de la crise politique, économique et sociale au Nicaragua se fait déjà ressentir sur les pays voisins et représente un risque d’escalade pour toute la région de l’Amérique centrale, évoquant notamment l’augmentation significative de migrants et de demandeurs d’asile nicaraguayens au Costa Rica. Pour la délégation costaricaine seule la voie du dialogue peut apporter une solution au conflit politique auquel est confrontée la population nicaraguayenne. Aussi exhorte-t-elle, le Gouvernement du Nicaragua à mettre en place les conditions propices à ce dialogue.
M. HENRY ALFREDO SUÁREZ MORENO (Venezuela) a déclaré que ce Conseil a été forcé de se saisir de la situation au Nicaragua, ce qui, a-t-il dénoncé, constitue un précédent grave et montre l’arbitraire de la Présidence américaine. À ses yeux, la situation au Nicaragua ne relève pas du mandat du Conseil. Il a dénoncé la vague de terrorisme qu’a subi ce pays frère et qui, a-t-il accusé, vise à mettre à bas son gouvernement, tandis que l’OEA est à la solde des États-Unis. Il a demandé la préservation du multilatéralisme et la fin de toute ingérence dans les affaires du Nicaragua, « qui est traité de la même façon que le Venezuela ». Il a posé une série de questions incriminant les États-Unis pour leurs efforts en vue d’un soulèvement populaire et d’un changement de régime au Venezuela. « Qui est l’agresseur? », a-t-il fait mine de s’interroger. Enfin, il a rejeté l’instrumentalisation du Conseil par un pays sous un prétexte humanitaire en vue de changement de régime, comme cela a été le cas en Libye et en Iraq. « Ne vous laissez pas entraîner dans ce bourbier », a-t-il lancé aux membres du Conseil.