Soixante-dix-neuvième session, Conférence sur l'océan,
Table ronde Action pour l’océan no 5– matin
MER/2224

Conférence sur l’océan: « Favoriser une gestion durable des pêches, notamment en soutenant les petits pêcheurs »

NICE, FRANCE, 11 juin - La Conférence sur l’océan a tenu, ce matin à Nice, sa cinquième table ronde, l’occasion de débattre de la gestion durable des pêches et des systèmes alimentaires aquatiques, essentielle pour préserver l’environnement marin mais aussi pour lutter contre la faim, la malnutrition et la pauvreté.  Toutefois, comme l’ont fait observer la plupart des intervenants, cette gestion ne se limite pas à l’alimentation puisque plus de 600 millions de personnes dans le monde dépendent de la pêche et de l’aquaculture pour leurs moyens de subsistance. 

Modérateur de cette discussion, M. Alfredo Giron, responsable de l’action océanique au Forum économique mondial, a rappelé que plus de 37% des pêches mondiales connaissent la surpêche et que cette tendance va en s’accroissant.  Une situation encore compliquée par le manque de données scientifiques permettant d’évaluer l’état des stocks dans 50% des prises mondiales.  Il a également signalé la menace majeure que représente la pêche illicite, non déclarée et non réglementée pour les stocks et les communautés côtières.

Pour protéger les océans, il convient de renforcer la gouvernance des pêches à tous les niveaux, en fournissant les cadres et des règles nécessaires pour garantir des pratiques responsables, a plaidé le Directeur général de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO).  S’appuyant sur un rapport de la FOA présentant une évaluation complète de l’état de durabilité de près de 2 600 stocks de poissons marins, il a indiqué qu’en moyenne 35,5% des stocks de poissons sont exploités de manière non durable. 

La FAO dispose toutefois d’exemples de gestion conduisant à de bons résultats. Par exemple, près de 90% de tous les principaux stocks de thon sont exploités à des niveaux de durabilité biologique, a souligné M. Qu Dongyu, pour qui il s’agit d’une amélioration spectaculaire cette dernière décennie. 

Afin de construire des systèmes alimentaires aquatiques durables et responsables, il a appelé à promouvoir et protéger la pêche artisanale, véritable gardienne de la biodiversité, qui fournit 40% de tous les poissons capturés dans le monde et soutient les moyens de subsistance d’environ 500 millions de personnes dans le monde. 

Alors que la production alimentaire aquatique doit augmenter d’au moins 22% d’ici à 2050 pour maintenir les niveaux actuels de consommation par habitant, il importe que cet objectif soit atteint de manière durable, sans compromettre la biodiversité ou la santé des écosystèmes, a-t-il insisté.

Cette quête de durabilité est particulièrement intense dans une région comme celle du Pacifique, a souligné le Sous-Directeur général de l’Agence des pêches du Forum des îles du Pacifique.  Il a indiqué que le sommet d’Honiara, qui s’est tenu en début d’année dans les Îles Salomon, a permis d’annoncer une action urgente contre la surpêche, un renforcement de la coopération par le biais des organisations régionales de gestion des pêches (ORGP) et un soutien ciblé à la pêche artisanale. 

« Notre région est tournée vers l’action car la pêche est au cœur de notre existence; ne rien faire aurait des conséquences désastreuses pour nos populations et pour le reste du monde », a déclaré M. Pio Manoa, non sans rappeler que sa région assure plus de 50% de l’approvisionnement mondial en thon. Constatant cependant que le Pacifique ne reçoit que 0,22% des financements climatiques, il a appelé la communauté internationale à y investir pour soutenir les pêcheries régionales. 

De son côté, le Commissaire aux pêches et aux océans de l’Union européenne (UE) a indiqué que la politique commune de la pêche offre des règles pour la gestion et le contrôle des pêches dans les eaux de l’UE et au-delà.  Depuis la dernière révision en 2023, des progrès ont été réalisés, s’est félicité M. Costas Kadis, mentionnant, entre autres, l’application du principe de précaution pour prévenir la surpêche, l’impératif de respect des écosystèmes et l’obligation d’éliminer les prises non réglementées. Grâce à ces efforts, plus de 60 stocks sont exploités au niveau de durabilité maximale, contre neuf en 2009. De surcroît, les stocks de poissons sont restaurés dans plusieurs régions de l’Union et la surpêche diminue, a-t-il salué, faisant également état d’un plan d’action sur 10 ans pour les petits pêcheurs, qui représentent 76% des bateaux de pêche de l’UE et 49% des emplois du secteur. 

La Secrétaire générale du Réseau des femmes africaines transformatrices et commerçantes de poisson a exposé les difficultés auxquelles font face les pêcheurs et travailleurs de la pêche artisanale: perte de moyens de subsistance, diminution des ressources, violations des droits coutumiers, criminalisation des pratiques de pêche, dépossession des biens communs marins et exclusion des centres décisionnels.

Pour Mme Editrudith Lukanga, la solution ne viendra ni de l’expansion des aires marines protégées ni des échanges de dettes qui dépossèdent les petits pêcheurs et les peuples autochtones.  Elle ne se trouve pas davantage dans la transformation bleue, qui contribue à la dégradation de l’environnement, dans la planification de l’espace marin, qui donne la priorité à d’autres secteurs économiques au détriment de la pêche artisanale, ou encore dans l’Accord BBNJ, trop axé sur le marché. « La solution réside dans une gouvernance inclusive et des approches fondées sur les droits humains qui s’attaquent aux injustices sociales, protègent les droits fonciers, la dignité et l’autonomie des communautés de pêcheurs artisanaux », a-t-elle affirmé, plaidant pour une démocratisation des prises de décisions qui garantissent à ces travailleurs de participer aux négociations et aux discussions sur la gouvernance des océans par le biais de leurs organisations représentatives. 

Dialogue interactif 

Au cours de l’échange entre panélistes et délégations, les petits États insulaires en développement (PEID) ont, à nouveau, donné de la voix. « Nous gérons nos eaux de manière durable tout en nourrissant la communauté mondiale », ont fait observer les Îles Salomon, qui s’exprimaient au nom de l’Alliance des petits États insulaires (AOSIS).  Selon la délégation, qui a appelé les grandes nations de pêche à respecter leurs eaux et leurs règles, les pratiques de gestion traditionnelles des PEID, combinées à la science moderne et à la coopération régionale, offrent des voies éprouvées pour une pêche durable dans le monde entier.  « Nous avons besoin de véritables partenariats, pas d’exploitation », a-t-elle clamé, rejointe dans cette revendication par Kiribati et la Papouasie-Nouvelle-Guinée.

Le Timor-Leste a, pour sa part, exposé ses stratégies pour une pêche durable, articulées autour du renforcement de la gestion communautaire, de la création d’aires marines protégées et des investissements dans les infrastructures et les chaînes de valeur pour réduire les pertes après capture et augmenter les revenus.  Il a aussi fait état d’efforts d’autonomisation des pêcheurs artisanaux, souvent confrontés à des obstacles tels qu’un accès limité aux engins de pêche durables, au stockage frigorifique, aux opportunités commerciales et aux services financiers.

À son tour, le Kenya a indiqué que la pêche artisanale représente quelque 37 600 tonnes de captures par an.  Il a cependant noté que les niveaux élevés de pêche par pirogues et bateaux de taille moyenne près des côtes ont conduit à la surpêche et à la destruction des récifs coralliens et d’autres écosystèmes marins fragiles. Quant à la pêche hauturière, elle reste sous-utilisée par la population locale en raison du manque d’expertise et d’équipement requis, a-t-il expliqué. 

« Garantir une gestion durable des pêcheries à plus grande échelle n’est pas seulement un impératif environnemental, c’est aussi une question d’équité, de responsabilité et de gestion durable des océans », a insisté le Royaume-Uni, s’engageant à mettre en œuvre intégralement la recommandation de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) sur l’élimination du soutien public à la pêche illicite, non déclarée et non réglementée, qui « place la barre très haut ».  La Norvège a salué, elle aussi, cette recommandation qui appelle à « des mesures fortes pour empêcher que les ressources publiques ne profitent involontairement à des acteurs malhonnêtes ». Affirmant avoir « appris de ses erreurs » en matière de pêche, elle a assuré avoir reconstitué les stocks et opté pour la durabilité. 

Dans le même ordre d’idées, la Fédération de Russie a dit considérer la pêche durable comme un système intégré allant des prévisions scientifiques et des décisions réglementaires à la protection des intérêts sociaux des communautés côtières. Des limites de capture sont ainsi approuvées chaque année pour chaque zone et chaque espèce, sur la base des données recueillies lors d’expéditions.  Elle a précisé que près d’un millier de croisières scientifiques ont été effectuées en 2024 et que toutes les décisions ont été soumises à une expertise environnementale et au contrôle de l’État.  « Nous parvenons ainsi à maintenir les stocks stables malgré les fluctuations climatiques et naturelles », a-t-elle expliqué, précisant que, l’an dernier, les pêcheurs russes ont récolté environ 5 millions de tonnes de bioressources, tout en maintenant un équilibre entre l’extraction et la récupération.

S’exprimant au nom des cinq organisations régionales de gestion des pêches thonières mondiales, la Global Tuna RFMO a indiqué que leurs efforts ont conduit, ces deux dernières décennies, à des améliorations significatives de l’état des principaux stocks de thon dans le monde.  À tel point que les stocks autrefois menacés d’épuisement sont progressivement reconstitués ou maintenus à des niveaux durables, a-t-elle indiqué, ajoutant que 87% des stocks mondiaux de thon sont désormais exploités de manière durable et que 99% des captures totales proviennent de stocks de thon sains. 

Comme il l’avait fait lors de la précédente Conférence sur l’océan, organisée en 2022 à Lisbonne, le Collectif international de soutien aux travailleurs de la pêche (ICSF) a exhorté les gouvernements à protéger les pêcheurs artisanaux des secteurs concurrents de l’économie bleue, à être transparents et responsables dans la gestion des pêches, à garantir la participation de femmes et à offrir des perspectives aux jeunes. 

 

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