En cours au Siège de l'ONU

9919e séance – matin & après-midi
CS/16065

Conseil de sécurité: débat public de haut niveau sur la nécessité de renforcer la sûreté maritime par la coopération internationale

À l’initiative de la présidence grecque pour ce mois de mai, le Conseil de sécurité a tenu, aujourd’hui, un débat public de haut niveau sur le thème « Renforcer la sûreté maritime par la coopération internationale aux fins de la stabilité mondiale ».  Au-delà des attaques contre le transport maritime international, qui représentent de graves risques pour la sécurité alimentaire et énergétique, le commerce et l’économie du monde, il a aussi été question de la convergence d’activités illicites pouvant faciliter le terrorisme, ainsi que des effets des changements climatiques et de la dégradation de l’environnement sur la sécurité des voies navigables. 

Le Secrétaire général de l’ONU a donné le ton de ce débat en soulignant que « sans sûreté maritime, il ne saurait y avoir de sécurité mondiale ». Or, de la piraterie, des vols à main armée, des trafics et du crime organisé aux actes de destruction visant le transport maritime, les installations situées au large des côtes et les infrastructures critiques, les menaces sont légion et aucune région n’est épargnée.  Le problème va même en s’aggravant, s’est inquiété M. António Guterres, observant qu’après une légère baisse des actes de piraterie et de vols à main armée signalés en 2024, un fort regain a été enregistré au premier trimestre de 2025.  En outre, les cyberattaques en pleine expansion constituent une menace croissante pour la sécurité des ports et des compagnies maritimes. 

Pour l’avenir, il faut commencer par respecter le droit international, a plaidé le Secrétaire général pour qui le régime juridique international de sûreté maritime fournit un cadre de coopération solide pour lutter contre les crimes commis en mer.  Il importe d’autre part de s’attaquer aux causes profondes de l’insécurité maritime et, collectivement, de redoubler d’efforts pour « réduire la probabilité que des personnes désespérées se tournent vers la criminalité et d’autres activités qui menacent la sûreté maritime et dégradent notre environnement océanique ». Enfin, a-t-il ajouté, il est essentiel d’associer toutes les parties concernées par les espaces maritimes à l’action menée dans ce domaine. 

Au nom de l’une de ces parties prenantes, la Présidente du Syndicat des armateurs grecs, puissante organisation représentant 20% de la flotte mondiale, a fourni des chiffres éclairants: 110 000 navires naviguent sur les mers du monde entier, assurant 90% du commerce international et transportant plus de 12 milliards de tonnes de marchandises chaque année.  De fait, si le système mondial de transport maritime devait s’arrêter, « l’économie mondiale s’effondrerait en 90 jours », a averti Mme Melina N. Travlos. 

Tout mettant en garde contre une piraterie en constante progression, l’intervenante a noté que l’instabilité politique sape elle aussi la sûreté maritime, un nombre sans précédent de navires commerciaux ayant été attaqués par des moyens militaires.  Des membres d’équipage ont en outre été tués ou pris en otage, a-t-elle signalé, ajoutant que la criminalité organisée et les cyberattaques sont des menaces grandissantes.  À cette aune, elle a souligné la nécessité d’un engagement mondial pour faire en sorte que la sûreté maritime demeure une priorité à part entière au sein de l’ONU. Elle a aussi réclamé une gouvernance du secteur qui soit coordonnée et prenne en compte le savoir-faire de l’industrie maritime face aux menaces nouvelles et anciennes. 

Dans le même ordre d’idées, M. Christian Bueger, professeur de relations internationales à l’Université de Copenhague et chercheur à l’Institut des Nations Unies pour la recherche sur le désarmement (UNIDIR), a invité le Conseil de sécurité à soutenir et synchroniser la coordination, le partage d’informations et la réflexion stratégique sur ces questions, par le biais d’un point permanent à son ordre du jour.  À ses yeux, le Conseil devrait également envisager de créer un poste de rapporteur spécial, pour permettre à l’ONU dans son ensemble d’aborder la sûreté maritime de manière plus cohérente et de garantir un renforcement des capacités plus efficace. 

Depuis les années 1990, notre utilisation des mers s’est considérablement accélérée, le commerce maritime a augmenté de 300% et près de 60% des approvisionnements mondiaux en pétrole et en gaz sont transportés par voie maritime, a-t-il expliqué, non sans rappeler qu’en 2021, un seul navire –l’Ever Given– avait réussi à bloquer le canal de Suez pendant six jours, coûtant des milliards de dollars à l’économie mondialisée et perturbant les chaînes d’approvisionnement internationales. 

Remédier à la vulnérabilité maritime

Voyant dans la situation en mer Rouge un exemple de menace maritime permanente susceptible d’entraîner une hausse des prix des biens essentiels, le Premier Ministre de la Grèce a jugé que, dans de tels cas, une action collective est inévitable.  C’est le sens de l’action de la Grèce à la tête de l’opération navale ASPIDES conduite par l’Union européenne (UE) au large du Yémen, a-t-il indiqué, mentionnant également l’implication de son pays dans les opérations ATALANTA et IRINI de l’UE, respectivement dans le golfe d’Aden et en Méditerranée, face aux côtes libyennes. 

Cet engagement de l’UE est « strictement défensif », a souligné la France, elle aussi engagée dans ces opérations, tout comme dans les initiatives européennes menées dans le golfe de Guinée, en appui de pays africains dans le cadre de l’Architecture de Yaoundé pour la sûreté maritime, et dans la protection des navires civils et l’exportation des céréales en mer Noire.  Des efforts également soutenus par le Royaume-Uni, qui s’ajoutent aux efforts déployés pour faire face aux « flottes fantômes », nom donné par les pays européens aux navires utilisés par Moscou pour exporter clandestinement son pétrole, malgré les sanctions occidentales. 

La Fédération de Russie a dénoncé avec force ces nouvelles mesures coercitives unilatérales européennes, faisant valoir que le terme de « flottes fantômes » ne bénéficie d’aucune reconnaissance internationale.  De telles actions visant des navires civils relèvent de la piraterie, « à la seule différence que le rôle de ‘pirates de la mer Baltique’ est assumé par les pays de l’OTAN », a fulminé la délégation russe, avant de constater que, près de trois ans après l’attaque terroriste contre le gazoduc Nord Stream, les commanditaires et les auteurs de ce crime commis dans les zones économiques exclusives du Danemark et de la Suède n’ont toujours pas été identifiés et traduits en justice. 

Tensions croissantes au Moyen-Orient et en Asie

De leur côté, les États-Unis ont justifié leurs actions militaires contre les houthistes par le fait que ce groupe terrorisait le trafic maritime en mer Rouge et dans le golfe d’Aden, affectant 30% du transit international de conteneurs.  La délégation américaine a également pointé du doigt les mesures coercitives prises par la Chine en mer de Chine méridionale, accusant Beijing d’avoir, tout au long de l’année 2024, empêché les Philippines d’exploiter leur zone économique exclusive en haute mer, au mépris de la décision de la Cour permanente d’arbitrage de 2016.  « Les États-Unis sont la plus grande menace pour la paix et la stabilité en mer de Chine méridionale », a rétorqué la Chine, évoquant notamment la présence de navires de guerre américains dans cette zone.  Elle a appelé à préserver des dissentions « qui risquent de nous plonger dans l’abysse de l’isolement », tout en tenant compte des préoccupations légitimes de chacun. 

Sur un sujet connexe, la République de Corée a averti que les tirs de missiles de la République Populaire Démocratique de Corée, effectués sans préavis ni avertissement de navigation suffisant, mettent en danger la sécurité des navires civils dans la région de l’Asie de l’Est.  Face à ces menaces, elle a jugé essentiel de renforcer le partage d’informations et d’assurer une présence navale coordonnée dans les eaux à haut risque. 

L’action climatique au service de la sûreté maritime

Comme l’a professé l’Algérie, relever les défis liés à la sûreté maritime implique d’adopter une approche globale fondée sur le renforcement de la coopération internationale.  Elle a ainsi exhorté la communauté internationale à appuyer les efforts des pays en développement, en particulier sur le continent africain, par le biais d’un financement durable, d’un renforcement des capacités nationales, d’une aide à la surveillance maritime et de transferts de technologie.  Un appel repris à leur compte par la Sierra Leone et la Somalie, qui, à l’instar d’une majorité de délégations, ont appelé à la mise en œuvre pleine et entière de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer. 

Plusieurs pays ont également évoqué le lien entre la sûreté maritime et la protection de l’environnement et du climat.  « Les défis sont souvent liés à l’instabilité à terre dans les États côtiers, notamment la pauvreté, les difficultés d’application de la loi et les changements climatiques », a observé l’Envoyé spécial pour la sûreté maritime du Danemark.  Plus alarmiste, le Guyana a averti que le réchauffement de l’océan Arctique entraînera des conséquences considérables, notamment l’élévation du niveau de la mer dû à la fonte accélérée des neiges et des glaces.  Selon lui, les investissements dans les systèmes d’alerte précoce doivent donc aller de pair avec l’application de technologies abordables pour remédier aux impacts des changements climatiques sur la navigation maritime. 

La Grèce a appelé pour sa part à lutter contre la pollution marine et les risques posés par les déversements illégaux, les rejets et les émissions anthropiques, se félicitant, à cet égard, que le sauvetage du pétrolier M/V Sounion en mer Rouge ait permis d’éviter une catastrophe environnementale et humanitaire.  À son tour, le Vice-Ministre des affaires étrangères du Panama a mis en exergue la dimension climatique de la sûreté maritime en évoquant la récente sécheresse qui a frappé le canal de Panama, avec une inquiétante diminution du niveau des eaux. 

Convaincue elle aussi que la sûreté maritime est indissociable de la protection de l’environnement marin, la France a rappelé pour sa part qu’elle accueillera, avec le Costa Rica, à Nice en juin, la troisième Conférence sur l’océan. 

Interventions des États non membres

Certaines des positions exprimées par les membres du Conseil de sécurité ont été partagées par plusieurs de États non-membres, à l’instar de l’Égypte pour qui il ne peut y avoir de sécurité maritime durable dans la région de la mer Rouge sans que l’on s’attaque aux causes profondes de l’instabilité, au premier rang desquelles la situation à Gaza, ainsi que l’escalade des tensions au Yémen. « Le rétablissement de la sécurité de la navigation en mer Rouge et sur d’autres voies navigables stratégiques passe par des mesures de désescalade sérieuses ouvrant la voie à des solutions politiques durables », a souligné la délégation.

Si « la mer Rouge saigne », a déclaré Israël, c’est parce que la communauté internationale reste silencieuse face à la militarisation des voies de navigations par les houthistes, qui mènent une campagne de terrorisme maritime avec le soutien de la République islamique d’Iran.  Cette dernière a catégoriquement rejeté les accusations « infondées et politiquement motivées » portées par les représentants du « régime israélien » et des États-Unis.  « Soyons clairs: les causes profondes de l’instabilité en mer Rouge, ce sont les atrocités commises par Israël à Gaza, ainsi que son agression et son occupation continues dans la région, menées en toute impunité avec le soutien total des États-Unis ». 

De leur côté, les Philippines ont reconnu l’importance de la mer de Chine méridionale pour le commerce international, raison pour laquelle le nombre croissant d’incidents qui s’y produisent doit être traité de toute urgence.  « Nous participons aux négociations entre l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (ASEAN) et la Chine en vue de l’élaboration d’un code de conduite » dans ces eaux, ont-elles précisé, avant d’appeler à la retenue.  Les différends doivent être résolus pacifiquement, conformément au droit international, à la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer et au jugement rendu en 2016 par la Cour permanente d’arbitrage, a-t-elle ajouté. 

Après avoir évoqué sa vision d’un « Indopacifique libre et ouvert », le Japon a lui aussi critiqué les tentatives unilatérales visant à modifier le statu quo par la force ou la coercition qui s’intensifient en mer de Chine orientale et en mer de Chine méridionale.  Aussi a-t-il appelé tous les États Membres à faire preuve de fermeté et à s’exprimer ouvertement en faveur du respect de l’état de droit en mer, du maintien de la liberté de navigation et de survol, et du règlement pacifique des conflits. 

La centralité de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer (UNCLOS) a été rappelée à plusieurs reprises, à l’instar de l’Union européenne qui a souligné que ses dispositions reflètent le droit international coutumier et s’appliquent à tous les États, « qu’ils aient rallié la Convention ou non ». L’UNCLOS est la « constitution des océans », a renchéri Singapour, qui a par ailleurs appelé les États Membres à se prémunir contre les menaces émergentes à commencer par les cyberattaques qui représentent de graves risques pour les infrastructures maritimes mondiales. Cette délégation a également dénoncé que 50 câbles sous-marins aient été sectionnés en Région Asie/Pacifique, appelant les gouvernements et le secteur industriel à travailler main dans la main pour les protéger. 

Le Ministre des transports, des communications et des travaux publics de Chypre, M. Alexis Vafeades, a recommandé d’approfondir la coopération mondiale et régionale par le biais de manœuvres navales communes, de patrouilles maritimes et de partage des renseignements.  « Nous devons explorer les pistes afin que les technologies émergentes telles que l’intelligence artificielle contribuent au renforcement de la sécurité maritime. »  Le Pérou a souligné l’importance de disposer d’un réseau intégré de centres internationaux d’échange d’informations maritimes qui permettent d’anticiper, de prévenir et de coordonner efficacement les incidents et les menaces, améliorant ainsi la protection du commerce international et de l’environnement marin. 

L’Italie a estimé pour sa part que la mise en œuvre du Code de conduite de Yaoundé, ainsi que la présence régulière d’unités navales de plusieurs pays de l’Union européenne, dont l’Italie, et le soutien continu de la communauté internationale ont joué un rôle crucial dans la réduction des incidents de piraterie dans le golfe de Guinée. 

 

(Lire la déclaration du Secrétaire général)

 

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