Conseil de sécurité: des crimes à grande échelle sont commis au Darfour en ce moment même, alerte le Procureur de la CPI
Cet après-midi, le Conseil de sécurité a entendu le Procureur de la Cour pénale internationale (CPI) faire rapport sur les activités de son bureau et, à cette occasion, dénoncer la commission à grande échelle de crimes internationaux relevant du Statut de Rome « en ce moment même » dans l’État du Darfour, au Soudan. M. Karim Khan a indiqué à cet égard préparer des mandats d’arrêt que les États devraient s’efforcer d’exécuter. Des délégations membres du Conseil et celle du Soudan ont promis de poursuivre leur collaboration avec la CPI afin de garantir la justice et de mettre fin au cycle de l’impunité dans ce pays. La Russie a dénoncé la présence du Procureur au Conseil.
Au cours des six derniers mois, période concernée par le rapport du Procureur, le Darfour est allé de mal en pis parce que la famine s’intensifie et le conflit bat son plein, a relaté M. Khan. À El-Fasher, les hôpitaux et autres infrastructures civiles sont pris pour cibles. À l’appui de ses accusations de crimes internationaux relevant du Statut de Rome, il a fait valoir une analyse rigoureuse basée sur les informations et preuves recueillies auprès des communautés.
Les crimes d’aujourd’hui ressemblent à la tragédie de 2003
Le Procureur a prévenu que son bureau préparait des mandats d’arrêt en relation avec les crimes commis au Darfour occidental, souhaitant l’arrestation dès que possible des auteurs présumés. Qui plus est, il a indiqué être « prêt pour les procès en relation avec ces crimes ». M. Khan s’est adressé à ceux qui sont sur le terrain à El-Fasher, Geneina et dans tout le Darfour: « Respectez le droit international humanitaire, maintenant. »
Les crimes, les acteurs impliqués et les cibles de persécution d’aujourd’hui ressemblent à ceux de la tragédie de 2003, au même Darfour, a alerté le Procureur en constatant que ce sont les mêmes communautés qui sont visées et les mêmes groupes qui infligent des souffrances au peuple du Darfour.
Le point sur les affaires en cours
Revenant aux affaires en cours de traitement par son bureau, M. Khan a d’abord parlé de la procédure concernant M. Ali Muhammad Ali Abd-Al-Rahman, un membre présumé de haut rang des milices janjaouid accusé de 31 chefs de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité commis au Darfour entre août 2003 et au moins avril 2004. La conclusion de ce premier procès marque le progrès le plus tangible dans la reddition de la justice pour les crimes commis au Darfour il y a plus de 20 ans, a-t-il noté, assurant vouloir tout faire pour s’assurer que ce procès ne représente pas une étape finale, mais un début dans les efforts collectifs de justice.
Pour les autres dossiers, il a demandé la coopération des États afin d’assurer l’arrestation d’Omar Hassan Ahmad Al Bashir, d’Ahmad Muhammad Harun et d’Abdel Raheem Muhammad Hussein, qui font tous trois l’objet d’un mandat d’arrêt de la Cour. Il a aussi attiré l’attention sur les victimes et leurs familles, souhaitant que le Conseil réponde à leurs attentes.
Les efforts de coopération du Gouvernement avec la CPI
Un optimisme prudent est de mise concernant la coopération entre le Gouvernement soudanais et son bureau, a poursuivi le Procureur en saluant notamment la nomination par le Gouvernement d’un point focal et les progrès réalisés sur les demandes d’assistance en attente.
Le délégué soudanais a confirmé ces efforts, comme l’émission de visas facilitée pour les membres du Bureau et l’invitation permanente bénéficiant au Procureur. Il a surtout mentionné la formation d’un comité chargé de coordonner la liaison entre le Gouvernement du Soudan et le Bureau du Procureur. Ce mécanisme permet notamment de documenter les exactions des Forces d’appui rapide et de traiter quelque 1 000 plaintes transmises à des juridictions soudanaises ordinaires concernant les affaires liées au Darfour. Des procédures judiciaires nationales devraient ainsi être menées, puis celles des juridictions africaines et, enfin, celles de la CPI.
Les autorités soudanaises comptent d’ailleurs faire jouer la compétence de la CPI en matière de crime d’agression, a précisé le délégué, afin que des enquêtes soient menées sur l’implication de pays étrangers à la crise au Darfour où des groupes ethniques particuliers sont ciblés.
Si le rapport du Procureur indique que le Soudan n’a répondu que partiellement à certaines demandes, la délégation s’est justifiée en disant que certains documents, comme ceux liés à l’aéroport d’El-Fasher, ont été détruits.
La Chine, elle, a estimé que c’était à la CPI de renforcer sa collaboration avec le Soudan, en veillant à ne pas politiser ses enquêtes et en respectant scrupuleusement le mandat que lui a confié le Conseil de sécurité.
La reddition de la justice avance
La majorité des membres du Conseil ont apprécié les efforts déployés, la France se félicitant des progrès continus dans l’affaire concernant M. Abd-Al-Rahman dont le jugement, attendu cette année, représentera un moment crucial pour les survivants et les familles des victimes. Cette délégation a aussi salué les progrès dans les enquêtes complémentaires sur les suspects pour lesquels des mandats d’arrêt ont déjà été émis, ainsi que la coopération accrue avec le Bureau du Procureur, les États tiers et les organisations internationales qui ont permis de faire progresser les différentes enquêtes de la Cour et d’obtenir de nouvelles preuves.
Pour sa part, le Royaume-Uni s’est réjoui du dialogue structuré entre le Bureau du Procureur et la société civile qui devrait permettre de faire entendre les voix des victimes. Saluant l’engagement constructif des autorités soudanaises avec la Cour, le délégué britannique les a appelées à coopérer plus avant afin d’exécuter les mandats d’arrêt délivrés contre M. Omar Al Bashir, M. Abdel Raheem Hussein et M. Ahmad Harun.
L’Algérie a jugé importante la complémentarité entre la justice transitionnelle, l’obligation de rendre des comptes et les efforts de paix au Soudan, en particulier au Darfour. Tout doit être mis en œuvre pour revitaliser et renforcer les structures judiciaires nationales en vue d’appuyer l’appropriation nationale de ce processus, a encouragé la délégation.
Les Forces d’appui rapide comme les Forces armées soudanaises
Si M. Khan a dit avoir discuté avec les Forces d’appui rapide afin d’obtenir des informations pertinentes pour ses enquêtes, plusieurs membres du Conseil, comme l’Algérie, se sont inquiétés du non-respect de la résolution 2736 (2024) du Conseil par ces forces qui maintiennent le siège d’El-Fasher. Le Danemark a dit être également préoccupé par les violations graves du droit international commises par toutes les parties au conflit au Soudan.
Les États-Unis ont condamné précisément les atrocités commises à l’encontre de civils innocents par les Forces d’appui rapide et les crimes de guerre perpétrés par les Forces armées soudanaises, exigeant que les auteurs rendent des comptes. Ceux qui ont commis des crimes au Darfour il y a plus de 20 ans continuent de jouir de l’impunité, a dénoncé la représentante américaine craignant que « si nous ne veillons pas à la reddition de compte pour des crimes commis il y a des décennies, les conflits vont persister ».
La justice, une étape essentielle dans la stabilisation du pays
C’est pourquoi la conclusion récente du premier procès de la CPI concernant les violences au Darfour est une étape majeure, a souligné le Danemark. La justice et la responsabilité sont primordiales dans toute approche globale de règlement du conflit au Soudan, a renchéri la Somalie pour qui la recherche d’une justice transitionnelle ne peut être dissociée du processus de stabilisation du pays. La délégation somalienne a ainsi invité à explorer toutes les voies pour revitaliser les institutions judiciaires nationales, afin de permettre l’appropriation par le Soudan de ce processus critique.
La Sierra Leone a confirmé que les efforts visant à s’attaquer aux causes profondes du conflit, dont l’impunité systémique, sont essentiels pour parvenir à une résolution politique durable. C’est pourquoi elle a recommandé que la coopération entre le Soudan et la CPI s’étende à l’arrestation et à la remise des suspects dont on pense qu’ils se trouvent au Soudan. « Le respect de ces obligations est essentiel pour rompre le cycle de l’impunité et instaurer une paix durable dans la région. »
Pour la Fédération de Russie cependant, les activités politisées de la CPI n’ont pas contribué à un règlement pacifique du conflit. « Au contraire, en émettant un mandat d’arrêt contre l’actuel Chef de l’État en violation des normes généralement admises sur l’immunité des hauts fonctionnaires, ce pseudo-tribunal a compliqué la réalisation d’un compromis politique et provoqué des frictions sur le continent africain. »
La représentante russe a aussi, à l’entame de son discours, dénoncé l’intervention de M. Khan devant le Conseil en invoquant l’enquête sur des accusations de harcèlement sexuel portées à son encontre, alors que l’ONU prône une politique de tolérance zéro à ce sujet.
Quant à l’Algérie, elle s’est élevée contre l’ingérence étrangère au Soudan, demandant que celle-ci soit condamnée publiquement et fermement. Toute ingérence empêche l’établissement d’une solution durable au conflit, a-t-elle mis en garde.
Enfin, s’adressant aux membres du Conseil de sécurité, le Procureur leur a demandé de travailler ensemble pour renouveler et renforcer les liens entre la CPI et le Conseil, ainsi qu’avec les victimes au Darfour et toutes les victimes d’atrocité en ce jour où est célébrée la Journée internationale dédiée à la mémoire des victimes de l’Holocauste.
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RAPPORTS DU SECRÉTAIRE GÉNÉRAL SUR LE SOUDAN ET LE SOUDAN DU SUD
Exposé
M. KARIM KHAN, Procureur de la Cour pénale internationale (CPI), a dit que le Darfour est allé de mal en pis au cours des six derniers mois. La famine s’intensifie et le conflit bat son plein. La descente aux enfers semble s’accélérer en ce moment même, notamment à El-Fasher où la violence prend de l’ampleur et où les hôpitaux et autres infrastructures civiles sont pris pour cibles. Pour le magistrat, des crimes internationaux relevant du Statut de Rome sont commis à grande échelle au Darfour. « Je n’ai aucun doute, ils sont commis au moment où nous parlons », a insisté M. Khan dénonçant les atrocités qui y sont utilisées quotidiennement comme arme de guerre. Il a assuré qu’il s’agit d’une analyse rigoureuse basée sur les informations et les preuves recueillies par la CPI.
Le Procureur a compati à la souffrance des femmes et des enfants, victimes de crimes sexistes. Soulignant l’étroite coopération avec les communautés affectées, au cours des six derniers mois, dans la collecte et le traitement de preuves numériques et documentaires, notamment, M. Khan a indiqué avoir entrepris d’émettre des mandats d’arrêt en relation avec les crimes commis au Darfour occidental. Il a dit vouloir rapidement arrêter les auteurs et être prêt à mener les procès en relation avec ces crimes. Un message simple doit être compris par ceux sont sur le terrain à El-Fasher, Geneina et dans tout le Darfour: « Respectez le droit international humanitaire, maintenant. »
Poursuivant, le Procureur a observé que les crimes, les acteurs impliqués et les cibles de persécution d’aujourd’hui ressemblent à ceux de la tragédie survenue en 2003 au Darfour. Ce sont les mêmes communautés qui sont visées, les mêmes groupes qui infligent des souffrances au peuple du Darfour.
Venant aux affaires en cours, il a indiqué qu’au cours des six derniers mois, la CPI a travaillé sur les procédures dans les affaires concernant M. Ali Muhammad Ali Abd-Al-Rahman, un membre présumé de haut rang des milices janjaouid, poursuivi pour 31 chefs d’accusation de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité commis au Darfour, entre août 2003 et, au moins, avril 2004. La conclusion de ce premier procès marque le progrès le plus tangible dans la réalisation de la justice pour les crimes commis au Darfour il y a plus de 20 ans. Ce procès revêt une importance particulière pour les communautés victimes sur le terrain, a-t-il dit. Le Procureur s’est engagé envers les victimes à tout faire pour s’assurer que ce procès ne représente pas une étape finale, mais un début, dans les efforts collectifs vers la justice.
S’agissant de la coopération avec les autorités soudanaises, M. Khan a demandé aux États d’assurer l’arrestation d’Omar Hassan Ahmad Al-Bashir, d’Ahmad Muhammad Harun et d’Abdel Raheem Muhammad Hussein, qui font l’objet de mandats d’arrêt de la Cour. Le transfert de M. Harun est nécessaire parce qu’il est lié au procès de M. Abd-Al-Rahman, a-t-il précisé. On sait où il se trouve, a fait savoir le Procureur, cette information ayant été communiquée au Soudan. Le Conseil doit agir en vertu de ses propres résolutions et pour répondre aux attentes des survivants et des familles des victimes, a-t-il commenté.
Par ailleurs, le Procureur a fait état d’un optimisme prudent concernant la coopération élargie avec le Gouvernement soudanais qui a fait de nouveaux progrès sur les demandes d’assistance en attente. Un point focal pour la coopération a été nommé, a-t-il souligné, reconnaissant que cela a eu un impact tangible et positif sur la collaboration. Ces progrès doivent maintenant être consolidés et étendus au cours des six prochains mois, a dit M. Khan qui a indiqué par ailleurs avoir discuté avec les Forces d’appui rapide afin d’obtenir des informations pertinentes pour les enquêtes.
Aux membres du Conseil de sécurité, le Procureur a demandé de travailler ensemble pour renouveler et renforcer les liens entre la CPI et le Conseil ainsi qu’avec les victimes au Darfour et toutes les victimes d’atrocité en ce jour où est célébrée la Journée internationale dédiée à la mémoire des victimes de l’Holocauste.