Conseil de sécurité: condamnation quasi-unanime de la frappe meurtrière sur Kryvyi Rih qui, aux dires de la Russie, ciblait des militaires ukrainiens
Réunis ce matin à la demande de l’Ukraine, quatre jours après la frappe menée par la Fédération de Russie contre la ville densément peuplée de Kryvyi Rih, la plus meurtrière touchant des enfants depuis le début du conflit en février 2022, les membres du Conseil de sécurité ont quasi-unanimement condamné cette nouvelle attaque russe contre des civils, certains, dont les États-Unis, avertissant que de tels agissements mettent en péril les pourparlers de paix engagés avec les deux parties. La délégation russe a, elle, soutenu que cette frappe visait des objectifs militaires et que, contrairement à la version des faits diffusée par le « régime de Kiev » et ses alliés occidentaux, le missile tiré n’était pas équipé d’une ogive à sous-munitions.
Intervenant en début de séance en sa qualité de Secrétaire général adjoint aux affaires humanitaires et Coordonnateur des secours d’urgence, M. Tom Fletcher a dénoncé cette « frappe massive », qui, selon un dernier bilan officiel, a tué 18 civils, dont 9 enfants, et fait 75 blessés. Il a également fait état d’une poursuite des hostilités dans les régions frontalières de Kherson, Kharkiv, Donetsk et dans les zones frontalières de Sumy, avec à la clef d’autres victimes civiles et d’importants dégâts.
Après avoir rappelé que des victimes ont aussi été recensées parmi les civils en Fédération de Russie, dans les régions de Koursk, Belgorod et Briansk, le haut fonctionnaire a une nouvelle fois fait valoir qu’en vertu du droit international humanitaire, « que ce Conseil est censé défendre », les parties aux conflits doivent protéger les civils et les infrastructures civiles. « Les attaques aveugles contre eux sont strictement interdites; il doit y avoir des limites à la manière dont la guerre est menée. »
Invitée par le Conseil, l’Ukraine a estimé que « chaque missile, chaque drone qui tuent des gens quotidiennement prouve que Moscou ne veut que la guerre ». Selon la délégation, non seulement la Russie n’a pas cessé ses attaques contre les civils ukrainiens, mais elle a « considérablement intensifié ses attaques et leur létalité », comme l’atteste le tir, le 4 avril sur un quartier résidentiel de Kryvyi Rih, d’un missile balistique Iskander-M équipé d’une ogive à fragmentation. Ce missile a atterri près d’une aire de jeux, ravageant des habitations, des écoles et un restaurant. Une frappe, dont la plus jeune victime n’avait que trois mois, et qui a été suivie d’attaques de drones lors de l’opération de sauvetage.
« Tous les témoins et les caméras d’un restaurant local ont confirmé l’absence de présence militaire dans le restaurant ou aux alentours au moment de l’impact », a assuré la délégation ukrainienne, avant de remercier la mission de surveillance des droits de l’homme en Ukraine de l’ONU, dont l’équipe s’est rendue sur place le lendemain pour constater les dégâts et identifier les victimes, ainsi que le Fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF) pour son soutien aux familles touchées.
Reprise par une majorité de délégations, cette version des faits a été battue en brèche par la Fédération de Russie, qui a dit avoir identifié des cibles militaires à Kryvyi Rih, notamment un rassemblement d’experts militaires ukrainiens accompagnés d’instructeurs de l’OTAN dans un restaurant situé dans une zone peuplée de la ville. « Hélas, le mauvais fonctionnement du système de défense aérien ukrainien a conduit au drame », a-t-elle commenté, démentant d’autre part tout usage de bombe à sous-munitions. Ce type d’armes ne produit pas de fumée, alors que les images de l’incident font apparaître un épais nuage, a pointé le représentant russe.
La plupart des membres du Conseil ont condamné cette frappe aveugle, qualifiée d’atrocité par la République tchèque, d’action « irréfléchie et barbare » par le Royaume-Uni et de crime de guerre par l’Estonie, au nom des trois États baltes (Estonie, Lettonie et Lituanie). Il ne s’agissait que d’une des attaques quotidiennes de la Russie contre la population civile ukrainienne, a fait remarquer le Danemark, tandis que le Panama s’élevait contre une violence qui « ne semble faire aucune distinction entre combattants et civils ».
Dans ce contexte, les États-Unis ont rappelé leurs efforts destinés à obtenir des deux parties un cessez-le-feu durable, tout en adressant un avertissement à la Russie: des frappes telles que celle menée sur Kryvyi Rih et l’exécution de prisonniers de guerre peuvent hypothéquer les négociations. « Nous jugerons la volonté du Président Putin à parvenir à la paix à l’aune des actions de la Russie », a ajouté la délégation, sommant Russes et Ukrainiens de mettre en œuvre les promesses faites lors des pourparlers indirects en Arabie saoudite. « Nous ne ferons montre d’aucune patience face à des négociations de mauvaise foi ou toute violation des engagements. »
Alors que la Fédération de Russie exprimait son refus catégorique de « discuter avec des autorités ayant perdu toute légitimité », bon nombre des délégations ont appuyé la mise en demeure américaine, la Slovénie ou encore l’Union européenne appelant le pouvoir russe à manifester sa volonté de parvenir à la paix sans plus tarder. « La Russie ne négocie pas de bonne foi, elle procrastine et son objectif demeure la capitulation de l’Ukraine », a accusé la France, rejointe par le Royaume-Uni, qui a, pour sa part, rappelé que le Président Zelenskyy avait « accepté un cessez-le-feu total, immédiat et inconditionnel, sous réserve de l’accord de Moscou ».
De son côté, la Chine a observé qu’en dépit d’une « situation compliquée sur le terrain », un véritable « élan » existe en faveur d’un accord de paix. À cet égard, elle a rappelé que, depuis le début de la « crise ukrainienne », elle milite pour une solution politique prenant en compte les préoccupations sécuritaires des deux parties belligérantes, une condition également soulignée par l’Algérie. La délégation chinoise a d’autre part évoqué le consensus en six points qu’elle défend avec le Brésil, avant de juger « naturel » que l’Europe prenne part aux négociations, ce qu’a aussi exigé la Pologne.
Dénonçant, quant à elle, le déploiement en début d’année de 3 000 soldats nord-coréens, en plus des 11 000 soldats déjà mobilisés sur ce théâtre en 2024, la République de Corée a réitéré son appel à Pyongyang et Moscou pour qu’ils cessent immédiatement leur « coopération militaire illégale », qui constitue une violation flagrante de plusieurs résolutions du Conseil de sécurité. « Ces développements jettent un sérieux doute sur la sincérité et la volonté politique de parvenir à un véritable cessez-le-feu », a-t-elle affirmé, prévenant, à l’instar du Guyana et de la Sierra Leone, qu’une poursuite de la trajectoire actuelle ne ferait qu’engendrer davantage de souffrances et de pertes humaines.
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Maintien de la paix et de la sécurité de l’Ukraine
Exposé
M. TOM FLETCHER, Secrétaire général adjoint aux affaires humanitaires et Coordonnateur des secours d’urgence, a constaté que les frappes aériennes de la Fédération de Russie continuent de tuer et mutiler des civils et de détruire des infrastructures civiles en Ukraine. Il a dénoncé celle, « massive », qui a touché la ville densément peuplée de Kryvyi Rih, dans la région de Dniepr, vendredi dernier, tuant 18 civils, dont 9 enfants, et faisant 75 autres blessés. Selon le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme (HCDH) en Ukraine, qui a vérifié le nombre de victimes, il s’agissait de la frappe la plus meurtrière touchant des enfants depuis février 2022, a-t-il indiqué, faisant également état d’une poursuite des hostilités dans les régions frontalières de Kherson, Kharkiv, Donetsk et dans les zones frontalières de Soumy, avec à la clef d’autres victimes civiles et d’importants dégâts. Le haut fonctionnaire a dit comprendre la colère et le désespoir des civils ukrainiens qui paient un lourd tribut à cette « guerre atroce ». Même si le bilan est « probablement plus lourd », le HCDH a vérifié la mort d’au moins 12 910 civils, dont 682 enfants, et les blessures de près de 30 700 personnes en Ukraine entre le 24 février 2022 et le 31 mars 2025. On recense par ailleurs près de 3,7 millions de personnes déplacées, tandis que près de 7 millions de réfugiés ukrainiens sont dispersés dans le monde, principalement en Europe.
Il a noté que des victimes civiles et des dommages causés aux infrastructures civiles ont aussi été recensées dans les régions de Koursk, Belgorod et Briansk, en Fédération de Russie, et que le Bureau de la coordination des affaires humanitaire (OCHA) ne parvient toujours pas à atteindre environ 1,5 million de civils ayant besoin d’aide dans certaines parties des régions de Donetsk, Kherson, Luhansk et Zaporizhzhia sous occupation russe. Il a appelé les parties à faciliter l’acheminement rapide et sans entrave de l’aide humanitaire aux civils dans le besoin, avant de rappeler qu’en Ukraine, les femmes et les filles sont confrontées à une crise particulière. Depuis février 2022, les naissances prématurées représentent près de 50% de tous les accouchements, ce qui met les mères et les nouveau-nés en grand danger, a-t-il relevé, évoquant également une hausse de 36% de la violence fondée sur le genre au cours de cette période, en plus des problèmes de santé mentale auxquels sont confrontées les femmes déplacées, en particulier les réfugiées.
Selon le Secrétaire général adjoint, près de 13 millions de personnes en Ukraine ont besoin d’une aide humanitaire alors que seulement 17% des 2,6 milliards de dollars nécessaires au plan de réponse et de besoins humanitaires de l’Ukraine pour 2025 ont été réunis. « Il en faut bien davantage », a souligné M. Fletcher, précisant que l’OCHA et ses partenaires concentrent désormais leurs ressources limitées sur quatre priorités stratégiques: le soutien aux communautés en première ligne, les interventions d’urgence, la facilitation des évacuations et l’aide aux personnes déplacées.
Le Coordonnateur des secours d’urgence a ensuite salué l’annonce d’un cessez-le-feu axé sur les infrastructures énergétiques, ainsi que les négociations visant à garantir la sécurité de la navigation en mer Noire. Notant que la meilleure protection des civils réside dans la fin de cette guerre, il a estimé que la priorité des négociations –qu’il s’agisse d’une trêve temporaire ou d’un accord durable– doit être la protection et les besoins des civils. Il a réitéré qu’en vertu du droit international humanitaire « que ce Conseil est censé défendre », les parties aux conflits doivent protéger les civils et les infrastructures civiles. « Les attaques aveugles contre eux sont strictement interdites; il doit y avoir des limites à la manière dont la guerre est menée ». En ces temps de « coupes budgétaires drastiques », il a enfin demandé au Conseil de fournir à l’OCHA et à ses partenaires « la sécurité et les ressources nécessaires pour sauver autant de survivants que possible ».